YEMEN

Les droits humains étaient sacrifiés au nom de la sécurité face aux menaces d’Al Qaïda, au conflit armé dans la province septentrionale de Saada et aux protestations dans le sud. Des milliers de personnes ont été arrêtées. Si la plupart d’entre elles ont été rapidement relâchées, beaucoup ont toutefois été maintenues en détention prolongée. Certaines ont été placées au secret pendant plusieurs mois et ont été victimes de disparition forcée. D’autres ont été condamnées à mort ou à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables devant le Tribunal pénal spécial. Un grand nombre de prisonniers se sont plaints d’avoir été torturés. La sixième vague de combats dans la région de Saada, qui a pris fin en février, s’est accompagnée de bombardements intenses, y compris par les forces armées saoudiennes. Les affrontements, qui ont coûté la vie à plusieurs centaines de personnes, ont entraîné des destructions de grande ampleur et la fuite massive des civils. La répression s’est renforcée face aux manifestations persistantes dans le sud contre la discrimination que la population estime subir de la part du gouvernement. Les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force contre certains mouvements de protestation et plusieurs personnes ont été tuées dans des attaques ciblées. Les médias étaient soumis à des lois et des pratiques répressives. Plusieurs journalistes étaient des prisonniers d’opinion. Les femmes continuaient de subir des discriminations et des violences. Les autorités accordaient leur protection à de nombreux réfugiés et demandeurs d’asile originaires de la Corne de l’Afrique. Elles ont toutefois pris des mesures pour mettre un terme à la reconnaissance automatique des Somaliens comme réfugiés. Au moins 27 personnes ont été condamnées à mort, et 53 prisonniers ont été exécutés.

République du Yémen
CHEF DE L’ÉTAT : Ali Abdullah Saleh
CHEF DU GOUVERNEMENT : Ali Mohammed Mujawar
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 24,3 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 63,9 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 84 / 73 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 60,9 %

Contexte

Plusieurs provinces échappaient de fait au contrôle du gouvernement. Le risque d’enlèvement restait élevé dans certaines régions. Deux fillettes allemandes enlevées avec sept autres étrangers en juin 2009 dans la province de Saada ont été libérées par les forces armées saoudiennes en mai. Les corps de trois des neuf otages avaient été retrouvés en 2009 ; on restait sans nouvelles de trois Allemands et d’un Britannique.

Des manifestations de grande ampleur ont été organisées dans tout le pays pour protester contre la dégradation de la situation économique et l’augmentation importante du prix du carburant, de l’électricité, de l’eau et des denrées alimentaires.

Une amnistie présidentielle a été annoncée le 21 mai. Elle s’appliquait apparemment à tous les prisonniers politiques, y compris des journalistes, mais le gouvernement n’a toutefois fourni aucun détail sur les personnes concernées ni sur les dates de remise en liberté. Dans les jours qui ont suivi, en mai, quatre journalistes et 117 personnes emprisonnées pour leur implication présumée dans le conflit de Saada et les protestations dans le sud ont été libérés au titre de l’amnistie. Plusieurs centaines d’autres prisonniers politiques étaient toutefois maintenus en détention à la fin de l’année.

Un certain nombre de lois nouvelles et de textes en projet mettaient à mal la protection des droits humains. La Loi de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, adoptée en janvier, contenait une définition large de l’infraction de financement du terrorisme. Elle obligeait les avocats à divulguer aux autorités des informations sur leurs clients s’ils les soupçonnaient d’infractions aux termes de cette loi. Un autre texte législatif, le projet de loi antiterroriste, ne prévoyait pas de garanties de protection des suspects au moment de leur arrestation et en détention ; il envisageait en outre d’étendre le nombre de crimes passibles de la peine de mort. Des modifications du Code pénal étaient en projet. Si certaines étaient adoptées, l’application de la peine de mort aux mineurs délinquants pourrait être autorisée, en violation du droit international. Deux projets de loi relatifs aux médias risquaient de restreindre davantage encore la liberté d’expression.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Les opérations des autorités face aux menaces présumées d’Al Qaïda se sont intensifiées dès le début de l’année à la suite d’une tentative d’attentat perpétrée le 25 décembre 2009, contre un avion de ligne américain, par un Nigérian qui aurait été entraîné par Al Qaïda au Yémen. Les États-Unis ont renforcé leur coopération avec le Yémen, notamment lors de frappes aériennes et de raids.

Cette année encore, des attaques ont été menées par des groupes armés, dont Al Qaïda dans la péninsule arabique. Certaines de ces attaques visaient les forces de sécurité, d’autres ont pris directement pour cible des étrangers ou ont provoqué la mort de personnes qui se trouvaient simplement sur les lieux.

  • En avril, l’ambassadeur du Royaume-Uni a échappé de justesse à un attentat à l’explosif perpétré à Sanaa. L’action a été revendiquée par Al Qaïda.
  • En juin, trois femmes, un enfant et sept agents de sécurité ont été tués dans une attaque contre un bâtiment des forces de sécurité à Aden. Le gouvernement a attribué l’attentat à Al Qaïda.

Des dizaines de personnes soupçonnées de liens avec Al Qaïda ou avec des groupes armés islamistes ont été tuées par les forces de sécurité. Dans certains cas, celles-ci n’ont apparemment pas tenté de les arrêter. Aucune information judiciaire n’a semble-t-il été ouverte pour déterminer si le recours à la force meurtrière par les forces de sécurité était justifié et légal. De très nombreuses personnes soupçonnées de liens avec Al Qaïda ont été arrêtées, soumises à une disparition forcée, placées en détention prolongée sans inculpation ou torturées, entre autres violations des droits humains. Plusieurs étaient sous le coup d’une condamnation à mort ou d’une lourde peine d’emprisonnement prononcée à l’issue d’un procès inique devant le Tribunal pénal spécial chargé de juger les affaires de terrorisme.

  • Le 25 mai, quatre passagers d’une voiture ont trouvé la mort dans un raid aérien mené par les forces de sécurité à Maarib. Parmi les victimes figurait Jaber al Shabwani, le gouverneur-adjoint de Maarib. Selon certaines sources, il était en route pour rencontrer des membres d’Al Qaïda dans une tentative visant à les persuader de se livrer aux autorités. Les conclusions de l’enquête ouverte sur cette affaire n’avaient pas été rendues publiques à la fin de l’année.

À l’issue d’une enquête menée par une commission parlementaire, le gouvernement a reconnu, en mars, que le raid aérien qui avait tué 41 hommes, femmes et enfants dans la région d’Abyan le 17 décembre 2009 était une erreur, et qu’il n’y avait aucun élément laissant supposer l’existence d’un camp militaire sur le site, contrairement à ce que les autorités avaient affirmé dans un premier temps. D’après des photographies prises manifestement après l’attaque, les auteurs du raid auraient utilisé un missile de croisière de fabrication américaine transportant des bombes à sous-munitions. Seule l’armée des États-Unis est réputée détenir ce type de missile, et il est peu probable que les forces armées yéménites aient la capacité militaire d’utiliser de telles armes. Un télégramme diplomatique divulgué en novembre par l’organisation WikiLeaks a corroboré l’information présente dans les photos publiées quelques mois auparavant par Amnesty International.

Conflit dans le gouvernorat de Saada

Lancée en août 2009, l’offensive militaire portant le nom de code Terre brûlée s’est terminée par un cessez-le-feu le 11 février. Elle avait été marquée par un déploiement de troupes d’une ampleur sans précédent contre les Huthis (partisans de Hussain Badr al Din al Huthi, un dignitaire chiite zaïdite tué en 2004), en particulier après l’intervention des forces armées saoudiennes en novembre. Les bombardements particulièrement intenses des forces armées yéménites et saoudiennes dans la région de Saada en décembre et en janvier ont tué des centaines de personnes qui ne participaient pas au conflit et fortement endommagé des maisons, des mosquées et des écoles, entre autres édifices civils, ainsi que des bâtiments industriels et des infrastructures diverses. Certaines attaques constituaient une violation manifeste du droit international humanitaire, dans la mesure où elles prenaient délibérément pour cible des civils ou des biens civils, étaient lancées sans discrimination ou disproportionnées, et ne prenaient donc guère en compte le danger encouru par la population. Les gouvernements saoudien et yéménite n’ont fourni aucune explication pour la grande majorité de ces offensives ; ils n’ont pas davantage précisé quelles précautions leurs forces armées avaient prises, le cas échéant, pour épargner les civils qui ne participaient pas aux hostilités.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué à la fin de l’année que plus de 350 000 habitants de la région de Saada avaient dû quitter leur foyer, dans certains cas pour la deuxième ou la troisième fois. Seul un petit nombre d’entre eux ont trouvé refuge dans des camps installés pour les accueillir. L’ampleur des destructions et la présence de mines terrestres et de munitions non explosées empêchaient le retour rapide des familles déplacées. Les autorités ont annoncé en juillet le versement d’une indemnisation à celles dont des biens avaient été détruits. En août, le gouvernement et les Huthis ont signé au Qatar un accord de paix qui a marqué le début d’un processus de dialogue politique.

Plusieurs centaines de combattants ou de partisans présumés des Huthis ont été incarcérés dans les prisons centrales de Saada et de Sanaa, entre autres centres de détention. Certains ont disparu pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après avoir été capturés ou arrêtés. Beaucoup auraient été torturés ou maltraités. La plupart étaient maintenus en détention à la fin de l’année. Plusieurs dizaines de combattants huthis ont toutefois été remis en liberté à la suite de la grâce accordée en mai par le président. On ne disposait pratiquement pas d’informations sur les personnes qui étaient toujours détenues.

Troubles dans le Sud

Cette année encore, des protestations massives et généralement pacifiques ont eu lieu à l’initiative du Mouvement du sud. Les appels à la sécession de cette région se sont multipliés. Les autorités ont eu recours à une force excessive, et parfois meurtrière, contre les manifestants. Elles ont accusé des factions du Mouvement du sud de liens avec Al Qaïda et ont, dans certains cas, mené des attaques contre des individus ou des localités spécifiques. Le gouvernement a soumis temporairement certaines zones à un blocus en établissant des postes de contrôle et en désactivant les réseaux de téléphonie mobile, ce qui a provoqué des pénuries alimentaires. Certains membres du Mouvement du sud ont été frappés d’une interdiction de voyager.

Des centaines de personnes ont été interpellées au cours de vagues d’arrestations. La plupart ont été rapidement libérées, mais certaines ont été détenues au secret ou pendant de longues périodes. Un certain nombre ont été condamnées à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables qui se sont déroulés devant le Tribunal pénal spécial.

  • Le 1er mars, des agents des forces de sécurité ont abattu à son domicile Ali al Haddi, un membre éminent du Mouvement du sud. Ils avaient fait irruption chez lui quelques heures auparavant, avaient séquestré sa famille et l’avaient blessé à la jambe. Le corps d’Ali al Haddi a été mutilé par la suite, selon toute apparence par des membres des forces de sécurité. L’un de ses proches qui se trouvait chez lui, Ahmad Muhsen Muhammad, a lui aussi été abattu.
  • Prisonnier d’opinion détenu depuis avril 2009, Qassem Askar Jubran, un ancien diplomate yéménite partisan du Mouvement du sud, a été libéré en juillet.

Liberté d’expression – atteintes aux droits de la presse

La législation sur la presse, dont les dispositions étaient restrictives, et la répression des forces de sécurité continuaient de porter atteinte à la liberté de la presse. Des personnes travaillant en lien avec les médias ont été harcelées, poursuivies et emprisonnées. Certaines ont été jugées à Sanaa par le Tribunal spécialisé dans la presse et les publications, qui appliquait une procédure non conforme aux normes internationales d’équité.

  • Abdul Ilah Haydar Shayi, un journaliste indépendant spécialisé dans les affaires de lutte contre le terrorisme qui avait interviewé des membres présumés d’Al Qaïda, a été arrêté le 16 août. Le caricaturiste Kamal Sharaf, dénonciateur de la corruption, a été interpellé le lendemain. Les deux hommes ont été maintenus au secret jusqu’au 11 septembre. Abdul Ilah Haydar Shayi présentait des lésions au torse et des contusions ; il avait aussi une dent cassée. Il a affirmé que ces blessures résultaient des coups qui lui avaient été assenés après son interpellation. Kamal Sharaf a été maintenu en détention jusqu’au 5 octobre bien que le Tribunal pénal spécial ait ordonné sa remise en liberté le 22 septembre, date à laquelle cette juridiction a prolongé la détention d’Abdul Ilah Haydar Shayi. Celui-ci a été jugé en même temps qu’Abdul Kareem al Shami pour appartenance à Al Qaïda et communication avec des « hommes recherchés », entre autres charges.
  • Le 4 janvier, le personnel du journal Al Ayyam et des sympathisants ont participé à un sit-in devant les locaux du quotidien à Aden pour marquer le huitième mois de l’interdiction effective dont les autorités avaient frappé Al Ayyam. Hisham Bashraheel, le rédacteur en chef, et ses fils Hani et Muhammad, tous deux collaborateurs du journal, ont été arrêtés les 5 et 6 janvier. Hisham Bashraheel, âgé de 66 ans, a dans un premier temps été détenu au secret ; son état de santé s’est détérioré. Il a été libéré sous caution le 25 mars. Ses fils ont été libérés le 9 mai. Tous trois restaient sous le coup de poursuites pénales.

Discrimination et violences faites aux femmes et aux filles

Les femmes et les filles continuaient de subir une forte discrimination dans la législation et dans la pratique ; elles étaient soumises au mariage précoce et forcé, particulièrement dans les zones rurales. Adopté par le Parlement en 2009, un texte de loi repoussant l’âge légal du mariage à 17 ans pour les filles n’avait pas été promulgué à la fin de l’année. Aussi bien les partisans que les adversaires de la réforme ont organisé d’importants rassemblements. Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre des programmes en vue d’accroître la participation des femmes à la vie politique, économique et sociale.

  • Ilham al Ashi, 12 ans, est décédée le 9 avril, quelques jours après son mariage. Elle a succombé à une hémorragie interne qui aurait été provoquée par des violences sexuelles infligées par son mari

Mortalité maternelle

Le taux de mortalité maternelle restait beaucoup plus élevé au Yémen que dans les autres pays de la région. Les autorités continuaient de coopérer avec des organisations humanitaires internationales en vue de fournir des soins médicaux gratuits aux femmes enceintes. L’accès à des soins médicaux appropriés pour les femmes vivant dans des zones rurales isolées restait un problème préoccupant. Beaucoup ne bénéficiaient d’aucun suivi prénatal ni de soins obstétriques d’urgence, la clinique la plus proche étant trop loin de leur domicile.

Réfugiés et demandeurs d’asile

Les autorités ont mis en place en février un Département général des réfugiés.

Selon le HCR, au moins 178 000 réfugiés en provenance d’Afrique, dont 168 000 Somaliens, résidaient au Yémen en juin. Les autorités ont pris des mesures en vue de mettre un terme à l’octroi automatique du statut de réfugié aux Somaliens.

Torture et autres mauvais traitements

De nouvelles informations ont fait état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés à des détenus dans les semaines suivant leur arrestation par des policiers et des gardiens de prison, et tout particulièrement par des agents de la Sécurité nationale. Les méthodes le plus souvent décrites étaient les coups de bâton et de crosse de fusil, les coups de pied, et la suspension par les poignets.

Châtiments cruels, inhumains et dégradants

Les tribunaux continuaient de prononcer des peines de flagellation pour des infractions sexuelles ou liées à l’alcool.

Peine de mort

Au moins 27 personnes ont été condamnées à mort et 53 prisonniers, peut-être davantage, ont été exécutés. On estimait que plusieurs centaines de personnes étaient sous le coup d’une sentence capitale.

  • Akram al Samawy, reconnu coupable du viol et du meurtre d’une fillette, a été exécuté le 5 juillet dans la prison centrale de Taizz.
  • En juillet, la Cour suprême a confirmé la condamnation à mort pour meurtre d’Abdul Aziz al Obadi. En juin 2009, une cour d’appel avait annulé la décision d’un tribunal de première instance qui avait ordonné le paiement du diya (prix du sang) après que des examens médicaux avaient conclu que cet homme était « un aliéné mental », et elle l’avait condamné à mort.

Visites d’Amnesty International

Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Yémen en mars pour effectuer des recherches sur la situation des droits humains. Ils ont rencontré la ministre et le vice-ministre des Droits humains.

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