ETHIOPIE

De très nombreux journalistes et membres de l’opposition politique ont été arrêtés et inculpés d’actes de terrorisme, de trahison et d’autres infractions lors d’une vaste campagne de répression de la liberté d’expression. Des lois répressives empêchaient les organisations de défense des droits humains de mener leurs activités. De vastes étendues de terres ont été louées à des entreprises étrangères, ce qui a entraîné des déplacements massifs des populations locales. La construction d’un barrage qui risquait d’avoir des répercussions sur la vie d’un demi-million de personnes se poursuivait.

RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DÉMOCRATIQUE D’ÉTHIOPIE
Chef de l’État : Girma Wolde-Giorgis
Chef du gouvernement : Meles Zenawi
Peine de mort : maintenue
Population : 84,7 millions
Espérance de vie : 59,3 ans
Mortalité des moins de cinq ans : 104,4 ‰
Taux d’alphabétisation des adultes : 29,8 %

Contexte

Le 28 mai, le Front démocratique révolutionnaire populaire éthiopien (FDRPE) a célébré le 20e anniversaire de son accession au pouvoir. Une manifestation progouvernementale, à laquelle étaient obligés d’assister les fonctionnaires, a été organisée dans la capitale, Addis-Abeba. Le gouvernement a pris des mesures afin que les manifestations antigouvernementales pacifiques qui étaient prévues ne puissent avoir lieu.
L’Éthiopie a été touchée par la sécheresse qui a frappé la région. De graves pénuries ont été signalées, en particulier dans les régions somalie et d’Oromia.
Les échauffourées se sont poursuivies entre les forces gouvernementales et les groupes d’opposition armés dans plusieurs endroits du pays, notamment dans les régions somalie, d’Oromia, afar et du Tigré.
Des élections ont eu lieu en février en vue de pourvoir plusieurs milliers de postes au sein des conseils de district, locaux et municipaux. L’opposition a déclaré qu’elle boycottait le scrutin, alléguant que l’issue en était déterminée d’avance.
L’armée éthiopienne a fait des incursions sur le territoire somalien en novembre et décembre.

Liberté d’expression

Les autorités ont recouru à des inculpations pénales et à des accusations de terrorisme pour faire taire les voix dissidentes. Un grand nombre de journalistes indépendants et de membres de partis d’opposition ont été arrêtés sous l’accusation d’infractions liées au terrorisme. Ces arrestations intervenaient généralement après la publication d’articles critiquant le gouvernement ou à la suite d’appels en faveur de réformes ou de demandes d’autorisation de manifestation. Un certain nombre de détenus ont été privés de leur droit d’être en contact sans délai avec un avocat et avec leur famille.
*En mars et en avril, au moins 250 membres et sympathisants de partis d’opposition oromos – le Mouvement démocratique fédéraliste oromo et le Congrès du peuple oromo – ont été appréhendés dans l’ensemble de la région d’Oromia. Beaucoup étaient d’anciens élus, au Parlement national ou à l’assemblée régionale. Certains auraient été victimes de disparition forcée après leur arrestation.
*En juin, deux journalistes, Woubshet Taye et Reyot Alemu, et deux membres du Parti démocratique national éthiopien (opposition), Zerihun Gebre-Egzabher et Dejene Tefera, ont été arrêtés.
*En juillet, les journalistes suédois Martin Schibbye et Johan Persson ont été interpellés dans la région somalie. Ils avaient pénétré clandestinement sur le territoire éthiopien pour effectuer un reportage sur le conflit dans la région.
*En août et en septembre, neuf membres du Mouvement démocratique fédéraliste oromo et du Congrès du peuple oromo ont été appréhendés. Deux d’entre eux – Bekele Gerba et Olbana Lelisa – ont été arrêtés quelques jours après avoir rencontré des délégués d’Amnesty International.
*En septembre, au moins sept membres de partis d’opposition et deux journalistes ont été interpellés. Deux anciens prisonniers d’opinion, Eskinder Nega et Andualem Arage, figuraient parmi eux.
En novembre, 107 des journalistes et opposants mentionnés ci-dessus avaient été inculpés d’infractions liées au terrorisme. Six autres journalistes, deux membres de l’opposition et un défenseur des droits humains – tous en exil – ont été inculpés. Toutes ces personnes étaient manifestement poursuivies en raison de leurs activités, pourtant pacifiques et légitimes. En décembre, Martin Schibbye et Johan Persson ont été condamnés à 11 ans d’emprisonnement.
Un journaliste a fui le pays en septembre après avoir été convoqué pour interrogatoire par des représentants du gouvernement et des policiers fédéraux. La convocation faisait suite à la diffusion par Wikileaks d’un télégramme dans lequel il était cité. En novembre, le journal indépendant Awramba Times a fermé sur décision des autorités ; deux journalistes ont fui le pays après avoir été menacés d’arrestation.
En mai, des représentants de l’État et des responsables de syndicats de la presse contrôlés par le gouvernement ont interrompu une manifestation organisée par l’UNESCO pour célébrer la Journée mondiale de la liberté de la presse. Ils ont exclu des journalistes indépendants et mis en place un modérateur appartenant à l’organisme public de radiodiffusion.
De nombreuses stations de radio, chaînes de télévision par satellite, sites d’information en ligne et sites Internet d’organisations de défense des droits humains ont été bloqués, dont Al Jazira, Voice of America, la chaîne satellite ESAT, le site d’information Addis Neger et le site web d’Amnesty International.

Arrestations et détentions arbitraires

Plusieurs centaines d’Oromos accusés de soutenir le Front de libération oromo (FLO) ont été arrêtés. Les droits des détenus n’étaient souvent pas respectés. Un grand nombre de ces personnes étaient détenues arbitrairement, sans inculpation ni jugement.
*En avril, de nombreux étudiants auraient été arrêtés dans les universités de Jimma, Haromaya et Nekemte. Certains s’étaient élevés contre des arrestations survenues dans la région d’Oromia.
*En décembre, 135 Oromos, notamment des membres du Mouvement démocratique fédéraliste oromo et du Congrès du peuple oromo, ont été arrêtés.
De nombreux civils soupçonnés de soutenir le Front de libération nationale de l’Ogaden (FLNO) auraient également été arrêtés et placés arbitrairement en détention dans la région somalie. Des cas de torture et d’exécutions extrajudiciaires de détenus étaient régulièrement signalés.
On croyait savoir qu’un grand nombre d’Oromos et de Somalis arrêtés au cours des années précédentes étaient toujours détenus arbitrairement dans leurs régions respectives, ainsi qu’à Addis-Abeba. En raison du manque de transparence, il était impossible de vérifier le nombre réel de personnes en détention.
*Un employé éthiopien des Nations unies qui avait été arrêté fin 2010 était toujours détenu arbitrairement à Jijiga. Il s’agissait selon toute apparence d’une manœuvre visant à contraindre au retour son frère, accusé d’implication au sein du FLNO et exilé au Danemark.

Torture et autres mauvais traitements

Les informations recueillies faisaient régulièrement état d’actes de torture en détention.
Une grande partie des 107 opposants et journalistes dont le cas est évoqué plus haut ont déclaré avoir subi des tortures et d’autres mauvais traitements lors de leurs interrogatoires au centre de détention de Maikelawi. Des détenus ont signalé avoir été frappés (notamment avec des bouts de câble, des objets métalliques et des meubles), suspendus par les poignets, privés de sommeil et maintenus à l’isolement ou dans l’obscurité complète pendant des périodes prolongées. Beaucoup ont indiqué avoir été contraints de signer des « aveux » et d’autres documents ensuite utilisés à titre d’éléments de preuve contre eux.
L’utilisation de lieux de détention clandestins a également été signalée au cours de l’année ; des détenus y auraient été passés à tabac et soumis à d’autres formes de mauvais traitements.

Défenseurs des droits humains

Les organisations de défense des droits humains avaient beaucoup de mal à fonctionner, compte tenu des restrictions imposées à leurs activités par la Proclamation de 2009 sur les associations et les organismes caritatifs.
En février, le Conseil de l’Agence des associations et organismes caritatifs a maintenu sa décision de geler les comptes bancaires des deux principales organisations éthiopiennes de défense des droits humains, le Conseil des droits humains et l’Association des avocates éthiopiennes. Les deux structures ont formé un recours devant la Haute Cour. En octobre, celle-ci a confirmé la décision du Conseil de l’Agence des associations et organismes caritatifs dans l’affaire concernant le Conseil des droits humains.

Expulsions forcées

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été déplacées lors d’expulsions forcées dans les régions des Nations, nationalités et peuples du Sud, de Gambéla, d’Oromia, du Tigré et somalie. Un certain nombre de personnes qui dénonçaient les expulsions forcées ont été arrêtées.
En février, le ministre de l’Agriculture a annoncé que le gouvernement avait réservé 3,9 millions d’hectares de terres agricoles pour la location à des investisseurs étrangers, dont 800 000 hectares dans la région de Gambéla. De vastes superficies ont de fait été cédées dans cette région, provoquant des déplacements de grande ampleur et d’importantes opérations de déforestation.
En février également, 15 000 habitants du Gambéla auraient été réinstallés dans des villages tout juste construits. Il s’agissait de déplacer un total de 45 000 foyers (environ 225 000 personnes) sur une période de trois ans. Le gouvernement a indiqué que le programme relatif à l’aménagement de ces villages était sans lien avec les locations de terres, mais s’inscrivait dans le cadre d’un projet distinct, destiné à améliorer l’accès aux équipements de base. Il a également affirmé que la majorité des personnes avaient été réinstallées de leur plein gré. La plupart des informations qui ont circulé indiquaient cependant que les habitants avaient été évacués de force. De plus, les commodités et les infrastructures promises faisaient cruellement défaut dans ces nouveaux « villages », tout comme les moyens de subsistance.
Dans le cadre de mesures prises pour lutter contre la corruption, 5 000 habitants de Mekele, dans le Tigré, ont reçu en avril l’ordre de démolir leur logement car les terres sur lesquelles ils se trouvaient avaient été louées illégalement par des fonctionnaires corrompus. En réaction aux protestations des habitants, la police aurait lancé des gaz lacrymogènes et arrêté environ 400 manifestants. Si la plupart ont été remis en liberté, cinq femmes soupçonnées d’avoir organisé les manifestations auraient été victimes de disparition forcée. Les destructions d’habitations ont continué en mai, privant de toit quelque 15 000 personnes.
La construction du barrage Gibe III s’est poursuivie sur l’Omo. En septembre, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale [ONU] a demandé à l’Éthiopie de fournir des renseignements sur les mesures prises pour réaliser une étude indépendante concernant les effets négatifs de ce projet sur les moyens de subsistance des habitants, et de consulter de façon appropriée ces populations. Selon des experts, la construction du barrage pourrait entraîner le déplacement d’environ 200 000 personnes dans la vallée de l’Omo et de plusieurs centaines de milliers d’autres au Kenya. Le barrage pourrait également provoquer de graves problèmes écologiques, menacer deux sites inscrits au Patrimoine mondial et même déclencher un conflit transfrontalier. En octobre, une centaine d’habitants indigènes auraient été arrêtés parce qu’ils s’opposaient à sa construction.
En octobre, 60 personnes de la région des Nations, nationalités et peuples du Sud auraient été appréhendées après avoir déposé un recours auprès du Premier ministre concernant des confiscations de terres par l’administration régionale.

Conflit dans la région somalie`

Les échauffourées se sont poursuivies dans le contexte du conflit opposant de longue date le FLNO et les forces gouvernementales.
Ces dernières et les milices locales qui leur sont alliées auraient continué de commettre des violations des droits humains, dont des exécutions extrajudiciaires, des arrestations massives et des détentions arbitraires, des actes de torture et des viols. Selon des informations recueillies en octobre, l’armée était en train de réinstaller de force plusieurs milliers de personnes pour des opérations de prospection pétrolière. De nombreuses informations étaient impossibles à vérifier, en raison des restrictions extrêmes imposées aux journalistes indépendants et aux observateurs, notamment des droits humains, qui souhaitaient accéder à la région.
En mai, un employé des Nations unies a été tué et deux autres ont été enlevés dans la région, semble-t-il par le FLNO. Un employé des Nations unies qui négociait avec le FLNO pour obtenir la libération de ces hommes a été arrêté et inculpé d’infractions liées au terrorisme.

Réfugiés

L’Éthiopie abritait plus de 250 000 réfugiés originaires des pays voisins. Parallèlement, le gouvernement demandait le retour forcé de certains Éthiopiens réfugiés à l’étranger.
Le pays continuait d’accueillir un grand nombre de réfugiés en provenance de l’Érythrée voisine, ainsi que des Érythréens renvoyés de force d’autres pays – dont 212 au moins avaient été expulsés d’Égypte. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont gagné l’Éthiopie après avoir fui la crise humanitaire en Somalie et les combats dans l’État soudanais du Nil bleu. De nouveaux camps de réfugiés ont été ouverts pour faire face à ces arrivées massives.
Des réfugiés éthiopiens ont été renvoyés de force dans leur pays par le Soudan, Djibouti et le Somaliland, tous semble-t-il à la demande du gouvernement éthiopien. Ils risquaient d’être arrêtés arbitrairement et torturés.

Violences intercommunautaires

En mars, des heurts ont éclaté entre musulmans et chrétiens à Jimma, dans la région d’Oromia, à la suite de la profanation présumée d’un exemplaire du Coran. Une personne a été tuée, au moins 34 églises chrétiennes et 16 habitations ont été incendiées et plusieurs milliers d’habitants ont dû quitter temporairement leur foyer. Le gouvernement a signalé que 130 personnes avaient été inculpées d’incitation à la haine religieuse et à la violence.

Visites et documents d’Amnesty International

  • Des délégués d’Amnesty International se sont rendus en Éthiopie en août mais ils ont été expulsés du pays.
  • Justice under fire : Trials of opposition leaders, journalists and human rights defenders in Ethiopia (AFR 25/002/2011).
    £Ethiopia : Submission to the United Nations Human Rights Committee (AFR 25/003/2011).
  • Ethiopia : Briefing to the UN Committee on the Elimination of Discrimination against Women (AFR 25/004/2011).
  • Dismantling dissent : Intensified crackdown on free speech in Ethiopia (AFR 25/011/2011).
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