Rapport Annuel 2014/2015

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

République centrafricaine

Chef de l’État : Catherine Samba-Panza (a remplacé Michel Djotodia en janvier)

Chef du gouvernement : Mahamat Kamoun (a remplacé André Nzapayeké en août)

Des crimes relevant du droit international, comme des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, étaient perpétrés régulièrement, notamment des homicides, la mutilation de cadavres, des enlèvements, le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats, et le déplacement forcé de populations.
En décembre 2013, une coalition formée de groupes armés anti-balaka, essentiellement chrétiens et animistes, a attaqué Bangui, la capitale ; les forces de la Séléka, majoritairement musulmanes, ont riposté en tuant des dizaines de civils. La Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA), qui a remplacé la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) en septembre 2014, n’a pas réussi à faire cesser ni à empêcher les exactions dans la région. La plupart des personnes soupçonnées d’être responsables de ces crimes, notamment les commandants de la Séléka, des milices anti-balaka et de leurs alliés, n’avaient pas fait l’objet d’enquêtes ni été arrêtées. Aucune mesure n’avait été prise pour les traduire en justice.

CONTEXTE

Les violences se poursuivaient en République centrafricaine malgré le déploiement de la MINUSCA en septembre 2014 et la présence de forces françaises (Sangaris) et européennes (EUFOR). Des attaques meurtrières contre des civils, notamment sur des sites accueillant des personnes déplacées, continuaient d’être commises par les milices anti-balaka, la Séléka et des combattants armés membres de l’ethnie peule. Selon les Nations unies, 7 451 militaires et 1 083 policiers avaient été déployés dans le cadre de la MINUSCA à la mi-novembre.
Le 10 janvier, Michel Djotodia, chef de la Séléka et président de la République centrafricaine, a démissionné sous la pression de la communauté internationale et des organisations centrafricaines de la société civile. Catherine Samba-Panza a pris ses fonctions de présidente de transition le 23 janvier.
Le 7 février, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé un nouvel examen préliminaire sur les crimes qui auraient été commis en République centrafricaine depuis septembre 2012. En septembre, son Bureau a déclaré qu’il existait des motifs raisonnables justifiant l’ouverture d’une enquête sur des crimes définis dans le Statut de Rome et commis en République centrafricaine depuis septembre 2012.
Le 11 juillet, un congrès de la Séléka a désigné Michel Djotodia, l’ancien président de la République centrafricaine, et Nourredine Adam, ancien commandant et ministre, aux postes de président et vice-président du groupe armé, respectivement. Ces deux hommes sont sous le coup de sanctions de la part des Nations unies et des États-Unis pour leur implication présumée dans des exactions et des violations des droits humains.
Le Premier ministre André Nzapayéké et l’ensemble de son gouvernement ont démissionné après l’accord de cessez-le-feu signé en juillet 2014 à Brazzaville, au Congo, par des représentants de groupes armés, de partis politiques, de cultes et d’organisations de la société civile. Le 22 août, Catherine Samba-Panza, présidente de transition, a nommé Mahamat Kamoun au poste de Premier ministre.
Le 7 août, un protocole d’accord a été signé entre la MINUSCA et le gouvernement pour « la création d’une juridiction spéciale, instaurée en vertu de la législation nationale, dans laquelle des fonctions exécutives judiciaires et en matière de poursuites à l’échelle internationale seraient conférées à un organisme national spécial ». Toutefois, à la fin de l’année, la loi instituant le tribunal pénal spécial n’avait pas été adoptée et aucun financement n’avait été affecté à cet organe.
De nouvelles violences ont éclaté à la mi-octobre dans la capitale, Bangui. Une série de violents incidents a eu lieu à Bangui et la MINUSCA a été confrontée à des protestations et des attaques. Au moins une douzaine de personnes ont été tuées et des milliers d’autres ont été contraintes de fuir et d’aller vivre dans des camps de personnes déplacées. Les violences commises par la Séléka, les combattants peuls armés et les milices anti-balaka se sont intensifiées dans le centre du pays, en particulier autour de la ville de Bambari. Le 9 octobre 2014, un convoi de la MINUSCA a été la cible d’une attaque qui a fait un mort, un blessé grave et sept blessés plus légers parmi les soldats de maintien de la paix. Des affrontements sporadiques entre les combattants anti-balaka et les forces internationales, notamment l’EUFOR, se sont poursuivis. Selon le Haut- Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, les violences d’octobre ont provoqué le déplacement d’environ 6 500 personnes à Bangui, mais ce nombre pourrait être plus élevé. En octobre 2014, 410 000 personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays et 420 000 autres avaient fui dans les pays voisins.
Le 29 octobre, le Groupe d’experts des Nations unies sur la République centrafricaine a remis son rapport final, qui faisait apparaître des éléments crédibles prouvant que des crimes de droit international avaient été commis par plusieurs groupes armés. Ce rapport soulevait également les problèmes de l’exploitation des ressources naturelles par les groupes armés ; des transferts illicites d’armes et de munitions aux groupes armés ; de la prolifération des armes ; et des violations du droit international humanitaire, telles que des attaques contre des écoles et des hôpitaux, des violences sexuelles, et le recrutement et l’utilisation d’enfants soldats.
À la fin de l’année, les combattants se réclamant des anti-balaka et de la Séléka manquaient de coordination, ce qui entraînait une multiplication des groupes dans les deux camps. Les forces de la Séléka, composées en majorité de musulmans, affrontaient les milices anti-balaka, principalement chrétiennes et animistes. Les différentes parties au conflit s’en prenaient systématiquement aux civils soupçonnés de soutenir les combattants du camp adverse.
Le 10 décembre, la MINUSCA a annoncé qu’elle avait arrêté Abdel Kader dit « Baba Laddé », chef du Front populaire pour le redressement, un groupe armé tchadien, près de Kabo, à la frontière avec le Tchad. Baba Laddé et d’autres membres de son groupe armé avaient été accusés d’attaquer des civils dans le nord de la République centrafricaine et de recruter des enfants soldats.

EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS

Exactions de la Séléka Les forces de la Séléka se seraient rendues coupables de graves atteintes aux droits humains, telles que des homicides, des incendies de maisons et de villages principalement occupés par des chrétiens, des déplacements forcés de populations et des disparitions forcées. Les populations chrétiennes rejetaient souvent la responsabilité des exactions de la Séléka sur la minorité musulmane du pays ; des actes de représailles ont été signalés et les divisions intercommunautaires, déjà profondes, se sont aggravées. La grande majorité des incidents n’a donné lieu à aucune enquête efficace.
Le 22 janvier, plus de 100 civils chrétiens, dont des enfants, auraient été tués par des combattants de la Séléka et des civils musulmans armés à Baoro. Le 17 avril, le père Wilibona a semble-t-il été tué par la Séléka et des combattants peuls armés lors d’une embuscade dans le village de Tale. Le 26 avril, 16 personnes, dont 13 chefs locaux et trois travailleurs humanitaires de Médecins sans frontières (MSF), ont été tuées par un groupe de la Séléka, poussant MSF à limiter ses activités en République centrafricaine.
Le 7 juillet, 26 personnes sont mortes et 35 autres ont été grièvement blessées dans une attaque contre une église et un camp de personnes déplacées à Bambari. Plus de 000 personnes ont fui. Le 1er octobre, des combattants de la Séléka s’en sont pris à un camp de personnes déplacées chrétiennes et animistes installé à côté de la base de la MINUSCA à Bambari. Plusieurs personnes ont été tuées. Le 10 octobre, des combattants de la Séléka ont attaqué un camp de personnes déplacées situé dans l’enceinte de l’église catholique de Dekoa. Neuf civils, dont une femme enceinte, ont trouvé la mort, et plusieurs autres ont été blessés.
Enlèvements par la Séléka En avril, la Séléka a enlevé un évêque et trois prêtres à Batangafo. Ils ont ensuite été relâchés après des négociations entre les autorités, l’Église catholique et les chefs de la Séléka. Les auteurs présumés de l’enlèvement étaient identifiables, mais aucune enquête n’a été ouverte.
Exactions des anti-balaka Des membres des groupes armés anti-balaka étaient responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ils étaient les principaux auteurs des exactions commises contre les musulmans à Bangui et dans l’ouest de la République centrafricaine, en particulier après la démission de l’ancien président en janvier 2014 et le retrait de l’essentiel des forces de la Séléka vers le nord-est du pays.
Depuis le 8 janvier 2014, une série d’attaques meurtrières contre des musulmans a eu lieu dans tout l’ouest de la République centrafricaine. Certaines auraient été menées par vengeance après des homicides de chrétiens perpétrées par les forces de la Séléka et des musulmans armés. Le 16 janvier, 20 civils ont été tués et des dizaines d’autres blessés en périphérie de la ville de Bouar, quand leur véhicule a été pris pour cible par les milices anti-balaka. Certaines victimes ont été abattues à la machette, d’autres par balles. Une fillette de 11 ans se trouvait parmi les victimes.
Le 14 janvier, après avoir arrêté un camion à Boyali et demandé aux musulmans d’en descendre, des combattants anti-balaka ont tué six membres d’une même famille : trois femmes et trois jeunes enfants âgés de un, trois et cinq ans. Le 18 janvier, au moins 100 musulmans ont été tués dans la ville de Bossemptele. Deux jours plus tard, des combattants anti-balaka ont exécuté quatre musulmanes qui s’étaient cachées chez une famille chrétienne. Le 29 septembre, Abdou Salam Zaiko, un musulman de Bambari, a été tué dans l’attaque du véhicule dans lequel il se trouvait. Selon des témoins, les anti-balaka ont autorisé le chauffeur et les passagers chrétiens à quitter le véhicule, mais ils ont exécuté Abdou Salam Zaiko et les autres voyageurs musulmans. Le 8 octobre, sept passagers musulmans d’une voiture appartenant à Saidu Daouda ont été tués lorsque le véhicule a été pris en embuscade.
Le 14 octobre, dans le quartier de Nguingo à Bangui, des combattants anti-balaka ont tué trois civils, fait au moins 20 blessés graves et incendié 28 maisons et une église. Ils voulaient se venger de la population locale, qui s’en était pris à certains de leurs membres après une précédente attaque du groupe armé. Plus d’un millier de personnes ont fui dans la province de l’Équateur en République démocratique du Congo, tandis qu’une centaine d’autres ont trouvé refuge dans l’enceinte d’une église catholique.
En septembre, le campement de Peuls de Djimbété a été la cible d’une attaque. Plusieurs personnes sont mortes, dont un garçon de six ans.
Exactions commises par des combattants peuls armés Des combattants peuls armés, souvent alliés à la Séléka, ont mené des attaques qui ont fait de nombreux morts et blessés, principalement chrétiens ; ils ont pillé et incendié des villages et des maisons. En octobre, des combattants peuls armés auraient attaqué plusieurs villages autour de Bambari, ainsi que dans le centre et le nord de la République centrafricaine. Au moins 30 personnes ont été tuées.

VIOLATIONS COMMISES PAR DES SOLDATS DE L’UNION AFRICAINE

Des membres de l’Armée nationale tchadienne et du contingent tchadien de la MISCA auraient participé à de graves atteintes aux droits humains. Dans certains cas, les forces de la MISCA n’ont pas assuré la protection des civils et, dans d’autres, des membres de certains de ses contingents auraient perpétré de graves violations des droits humains en toute impunité.
Le 4 février, des membres de l’Armée nationale tchadienne auraient tué par balles trois personnes dans la ville de Boali, lors d’une opération de rapatriement des Tchadiens et des musulmans vers le Tchad. Le 18 février, des troupes tchadiennes ont abattu au moins huit personnes, dont des enfants, lorsqu’elles ont ouvert le feu sans discrimination sur la foule à Damara et dans le quartier du PK12 à Bangui. Le 29 mars, des troupes ont ouvert le feu dans un marché de Bangui, faisant plusieurs morts et blessés parmi les civils. À la suite des critiques de la communauté internationale, les autorités tchadiennes ont retiré leurs 850 soldats de la MISCA en avril. Le 24 mars, le contingent congolais de la MISCA aurait été impliqué dans la disparition forcée d’au moins personnes, dont quatre femmes, de la maison d’un dirigeant d’une milice locale à Boali.
À la fin de l’année, aucun des soldats de la MISCA n’avait fait l’objet d’une enquête pour violations des droits humains.

CONDITIONS CARCÉRALES

Les conditions de détention et la sécurité dans la prison de Ngaragba, à Bangui, restaient préoccupantes. Le 3 novembre, 584 prisonniers y étaient enregistrés, dont 26 mineurs. La prison était prévue pour 500 adultes. À la fin novembre, plus de 650 détenus y étaient incarcérés dans des cellules exiguës. Les conditions d’hygiène étaient insatisfaisantes, tout comme la protection contre le paludisme. Les prisonniers déféquaient dans des sacs en plastique qu’ils jetaient dehors, mettant en danger leur santé et celle des personnes vivant à proximité.
Les milices anti-balaka ont attaqué la prison en janvier 2014 et ont tué au moins quatre membres présumés de la Séléka qui y étaient détenus. Cette opération a entraîné l’évasion de tous les prisonniers. Des représentants du gouvernement centrafricain ont déclaré à Amnesty International que les anti-balaka qui avaient mené cette attaque étaient connus de leurs services. Cependant, à la fin de l’année, aucune mesure n’avait été prise pour les traduire en justice.
Le 24 novembre 2014, une émeute a éclaté à la prison de Ngaragba. Des détenus soupçonnés d’être membres de groupes anti- balaka, armés d’au moins trois kalachnikovs et de grenades à main, ont attaqué les gardiens et le contingent de l’ONU qui surveillaient la prison. Selon les témoins, au moins un soldat de l’ONU et 13 prisonniers ont été blessés. L’émeute faisait suite à la mort d’un détenu liée à un manque de soins médicaux et aux mauvaises conditions de détention. Les prisonniers demandaient aussi que leurs dossiers soient examinés dans un délai raisonnable, certains se plaignant d’être incarcérés depuis 10 mois sans procès.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les quelques journalistes qui restaient actifs étaient souvent victimes de harcèlement et d’actes d’intimidation de la part des groupes armés et des autorités de transition. Plusieurs journalistes auraient été tués en raison de leurs activités professionnelles.
Aucune enquête ne semble avoir été ordonnée sur ces homicides. Le 29 avril, deux journalistes ont été attaqués à Bangui. Désiré Luc Sayenga, qui travaillait au journal Le Démocrate, a reçu des coups de couteau et a essuyé des tirs provenant d’un groupe de jeunes hommes ; il n’a pas survécu. René Padou, qui travaillait pour la radio protestante La Voix de la Grâce, est mort dans une attaque à la grenade et à l’arme à feu menée par un groupe armé. Ces deux journalistes avaient dénoncé des crimes commis dans toute la République centrafricaine.

IMPUNITÉ

Les autorités de transition et l’ONU n’ont pas enquêté efficacement sur les crimes relevant du droit international, notamment les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, commis en République centrafricaine, perpétuant ainsi le cycle de la violence et de la peur. En juillet, Amnesty International a publié un rapport désignant nommément 20 personnes, dont des commandants des anti-balaka et de la Séléka, contre lesquelles l’organisation disposait de preuves crédibles lui permettant d’affirmer qu’ils pourraient être responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres graves atteintes aux droits humains perpétrés depuis décembre 2013. En décembre, Amnesty International a révélé que certains de ces hommes étaient soupçonnés d’ingérence dans l’administration de la justice, ainsi que d’autres crimes de droit international commis en septembre et en octobre 2014.

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