Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestants. De très nombreuses personnes ont été détenues arbitrairement et sans autorisation de consulter un avocat ou un médecin. Des manifestants et de simples passants auraient été torturés ou autrement maltraités. L’appareil judiciaire a encore été utilisé pour faire taire des détracteurs du gouvernement. Les défenseurs des droits humains ont souvent été victimes de manœuvres d’intimidation et agressés. Les conditions carcérales étaient toujours extrêmement dures.
CONTEXTE
La première année de la présidence de Nicolás Maduro a été marquée par un mécontentement croissant. Entre février et juillet 2014, des manifestations de grande ampleur, en soutien ou en opposition au gouvernement, ont éclaté dans diverses régions du pays. Les manifestants antigouvernementaux et certains dirigeants de partis d’opposition qui demandaient la démission du président ont été accusés de tentative de renversement du gouvernement.
LIBERTÉ DE RÉUNION
Entre février et juillet, les manifestations pour ou contre le gouvernement ont fait au moins 43 tués et plus de 870 blessés, dont des manifestants, des membres des forces de sécurité et des passants. Il y aurait eu des atteintes aux droits humains et de violents affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité et des groupes armés pro- gouvernementaux1.
Plus de 3 000 personnes ont été placées en détention dans le cadre de ces manifestations. La plupart ont été inculpées et remises en liberté au bout de quelques jours. Plus de 70 manifestants étaient toujours en détention provisoire à la fin de l’année, dans l’attente de leur procès.
En mars, la Cour suprême a rendu un arrêt aux termes duquel toute manifestation devait être assortie d’une autorisation préalable, ce qui a fait craindre une éventuelle remise en cause du droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.
Recours excessif à la force Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestants. Elles ont notamment tiré à balles réelles et à bout portant sur des personnes non armées ; fait usage d’armes à feu et d’équipements antiémeutes inappropriés qui avaient été trafiqués ; et utilisé du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc dans des espaces confinés.
Ainsi, au mois de février, Geraldín Moreno, une étudiante, est décédée trois jours après avoir reçu des balles en caoutchouc dans l’œil, tirées à bout portant lors d’une manifestation à Valencia, dans l’État de Carabobo. Des membres de la garde nationale ont été inculpés dans cette affaire et étaient en attente de jugement à la fin de l’année. Le même mois, Marvinia Jiménez a été rouée de coups par des policiers alors qu’elle filmait une manifestation à Valencia. Elle a été inculpée de plusieurs infractions, notamment d’obstruction d’une voie publique et de trouble à l’ordre public. À la fin de l’année, le mandat d’arrêt décerné à l’encontre d’un policier responsable du passage à tabac de Marvinia n’avait toujours pas été exécuté. Au mois d’avril, John Michael Ortiz Fernández, un adolescent de 16 ans, était chez lui à San Cristobal (État de Táchira), sur son balcon, quand un policier a tiré une balle en caoutchouc dans sa direction ; la balle l’a touché à l’œil gauche et lui a brûlé la rétine. Une enquête était en cours à la fin de l’année.
Arrestations et détentions arbitraires De très nombreuses personnes ont été détenues arbitrairement lors des manifestations qui se sont déroulées entre février et juillet. Beaucoup n’ont pas pu consulter un avocat de leur choix ni recevoir des soins médicaux pendant les premières 48 heures de leur détention, avant comparution devant un juge.
L’avocat Marcelo Crovato et le défenseur des droits humains Rosmit Mantilla ont été détenus respectivement en avril et mai à la suite de ces manifestations. Plus de huit mois après leur arrestation, ils étaient toujours détenus dans l’attente d’être jugés, malgré le manque de preuves solides pouvant étayer les charges dont ils faisaient l’objet.
Torture et autres mauvais traitements La torture et les mauvais traitements restaient source de préoccupation bien que la Loi spéciale visant à prévenir et réprimer la torture et les autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée en 2013, ait donné lieu à quelques avancées2.
Daniel Quintero, un étudiant, a été roué de coups et menacé d’être brûlé vif alors qu’il se trouvait en détention. Il avait été arrêté alors qu’il revenait d’une manifestation antigouvernementale à Maracaibo, dans l’État de Zulia. L’enquête ouverte sur les allégations de torture à son encontre n’était pas achevée à la fin de l’année3.
Le 19 mars, au moins 23 personnes ont été placées en détention lors d’une opération conjointe de la garde nationale et de l’armée à Rubio, dans l’État de Táchira. Pendant leur détention, ces personnes ont reçu des coups de pied et ont été frappées et menacées de violences sexuelles et de mort. Tous ces détenus, hommes et femmes, étaient maintenus dans la même pièce, les yeux bandés, pendant plusieurs heures. Ils pouvaient entendre ceux qui étaient tout près se faire passer à tabac. Au moins l’un d’entre eux a été forcé de regarder lorsqu’un autre détenu était roué de coups. Gloria Tobón a été aspergée d’eau avant de recevoir des décharges électriques aux bras, à la poitrine et aux organes génitaux. Elle a été menacée, notamment d’être tuée et découpée en morceaux avant d’être enterrée. À la fin de l’année, l’enquête sur ces allégations de torture était toujours en cours.
Wuaddy Moreno Duque a été arrêté et détenu en février à La Grita, dans l’État de Táchira. Des membres de la Garde nationale l’ont frappé et lui ont provoqué des brûlures, l’accusant d’avoir pris part aux manifestations. Aussi bien sa famille que lui- même ont été la cible d’actes d’intimidation après qu’ils eurent porté plainte auprès des autorités.
DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
Cette année encore, des défenseurs des droits humains ont été agressés.
Ainsi, deux membres de l’Observatoire vénézuélien des prisons ont été menacés et ont fait l’objet à plusieurs reprises de manœuvres d’intimidation. Le 12 avril 2013, Marianela Sánchez et sa famille ont reçu des menaces de mort anonymes. Marianela a porté plainte mais, à la fin de l’année, les autorités n’avaient toujours pas ouvert une véritable enquête sur les menaces, ni mis en place les mesures de sécurité nécessaires, comme le demandait la famille.
Maintes fois, les autorités ont essayé de discréditer l’action menée par Humberto Prado en faveur des droits humains, l’accusant d’être impliqué dans les violences qui ont éclaté lors des manifestations et de collusion visant à déstabiliser le gouvernement et le système pénitentiaire.
SYSTÈME JUDICIAIRE
Le gouvernement s’est ingéré dans l’exercice du pouvoir judiciaire, en particulier dans certaines affaires mettant en cause des opposants ou des personnes dont les actions étaient considérées contraires aux intérêts des autorités.
C’était le cas de la juge María Lourdes Afiuni Mora, qui était en attente de jugement à la fin de l’année. En décembre 2010, elle avait été placée en détention, quelques heures seulement après avoir ordonné la libération d’un banquier accusé de corruption, une décision qui avait été ouvertement condamnée par l’ancien président, Hugo Chávez. La juge avait été libérée sous caution en juin 2013 pour des raisons humanitaires.
Leopoldo López, dirigeant du parti d’opposition Volonté populaire, est resté en détention malgré le manque de preuves censées étayer les accusations portées contre lui et apparemment motivées par des considérations politiques. Il était accusé d’incendie volontaire, de dommages à des biens, d’incitation à commettre une infraction et d’association de malfaiteurs, en vertu de quoi il encourait une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement4. Au mois d’août, le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a dénoncé le caractère arbitraire de sa détention et a demandé sa libération.
Le Groupe de travail des Nations unies a aussi demandé la libération immédiate de Daniel Ceballos, membre du parti Volonté populaire et maire de San Cristóbal (État de Táchira). Arrêté en mars, Daniel Ceballos attendait d’être jugé pour « rébellion civile » et collusion en vue de commettre une infraction dans le cadre des manifestations antigouvernementales du mois de février5.
JUSTICE INTERNATIONALE
En septembre 2013, un an après avoir dénoncé la Convention américaine relative aux droits de l’homme, le Venezuela a cessé de relever de la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En conséquence, dans les cas où le système judiciaire national n’a pas protégé les droits des victimes de violations des droits humains et de leurs proches, ces personnes ne peuvent plus saisir la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
IMPUNITÉ
L’impunité restait une source de préoccupation. Des victimes et leurs familles ont été menacées et agressées.
Ainsi, il y a eu peu d’avancées dans les enquêtes et les poursuites judiciaires relatives aux meurtres de membres de la famille Barrios, dans l’État d’Aragua. Parce qu’elle réclame justice, la famille Barrios est la cible de menaces et de manœuvres d’intimidation depuis près de 20 ans. Entre 1998 et mai 2013, 10 membres de cette famille ont été tués dans des circonstances tendant à indiquer une implication de la police. Dans une seule affaire, celle de Narciso Barrios, deux policiers ont été reconnus coupables. D’autres membres de la famille ont subi des manœuvres d’intimidation et des agressions de la part de policiers, malgré les mesures de protection accordées depuis 2004 à la famille par la Commission interaméricaine des droits de l’homme et, plus récemment, par la Cour interaméricaine des droits de l’homme6. On ignorait, à la fin de l’année, si les plaintes pour intimidation déposées à l’encontre de policiers avaient donné lieu à l’ouverture d’une quelconque enquête.
CONDITIONS CARCÉRALES
Bien que le système pénitentiaire ait subi des réformes, les conditions carcérales étaient toujours extrêmement dures.
Amnesty International restait préoccupée par l’insuffisance des soins médicaux, le manque d’eau potable et de nourriture, l’insalubrité, la surpopulation et la violence dans les prisons et les postes de police.
Des armes, notamment des armes à feu, continuaient d’être régulièrement utilisées lors des émeutes.
Des organisations locales de défense des droits humains ont fait état de 150 morts en prison et de sept morts en garde à vue au cours des six premiers mois de l’année.
En novembre, deux détenus ont été tués et huit au moins ont été blessés lorsque les forces de sécurité sont intervenues pour mettre fin à une émeute qui avait éclaté dans la prison de San Francisco de Yare (État de Miranda) pour protester contre la pénibilité des conditions de détention et les mauvais traitements infligés aux détenus.
Iván Simonovis, un ancien commissaire de police, a dû attendre trois ans et de nombreux reports avant d’être transféré dans un hôpital pouvant évaluer ses besoins médicaux. Au mois de septembre, un tribunal l’a finalement autorisé à recevoir les soins chez lui, en résidence surveillée. Il souffrirait de plusieurs problèmes de santé, causés par ses conditions de détention.