En décembre, le Pakistan a connu l’attentat terroriste le plus meurtrier de son histoire : les talibans pakistanais ont pris pour cible une école publique où étaient scolarisés des enfants de militaires à Peshawar, faisant 149 morts, dont 132 enfants. En réaction, le gouvernement a levé le moratoire sur les exécutions de condamnés à mort et, dans la foulée, a exécuté sept hommes qui avaient été condamnés pour d’autres infractions liées au terrorisme. Le Premier ministre a annoncé que, dans le cadre du Plan national d’action du gouvernement contre le terrorisme, les tribunaux militaires seraient autorisés à juger les terroristes présumés. Cette annonce renforçait les craintes concernant l’équité des procès.
En octobre, la militante des droits à l’éducation Malala Yousafzai a reçu le prix Nobel de la paix conjointement avec le militant indien des droits de l’enfant Kailash Satyarthi. L’Assemblée nationale a approuvé en juillet la Loi de protection du Pakistan et, au cours de l’année, d’autres lois relatives à la sécurité qui conféraient des pouvoirs étendus aux forces de sécurité et aux responsables de l’application des lois, rendant plus faciles les arrestations arbitraires, la détention pour une durée indéterminée, l’utilisation de la force meurtrière et les procès secrets – en violation des normes internationales relatives au maintien de l’ordre et à l’équité des procès. Les médias subissaient un harcèlement persistant, entre autres attaques, et l’Autorité pakistanaise de régulation des médias (PEMRA) a ordonné pendant une courte période la suspension des émissions des deux plus grandes chaînes de télévision privées, accusées d’avoir critiqué le gouvernement. Les membres des minorités religieuses continuaient d’être victimes de discrimination et de persécution, tout particulièrement à cause des lois sur le blasphème.
CONTEXTE
Les audiences du procès pour trahison de l’ancien dirigeant militaire, le général Pervez Musharraf, ont été sans cesse retardées, ce qui a provoqué des tensions entre le gouvernement démocratiquement élu du Premier ministre Nawaz Sharif et la puissante armée. Le gouvernement et les partis d’opposition ne sont pas parvenus à conclure un accord de paix avec les talibans pakistanais ; le processus de négociation s’est achevé lorsque ces derniers ont mené une attaque contre l’aéroport international de Karachi, qui a coûté la vie à 34 personnes au moins, pour la plupart des membres des forces de sécurité et des combattants talibans. Cette attaque et les pressions constantes des États-Unis ont conduit l’armée pakistanaise à lancer, en juin 2014, une opération militaire d’envergure contre les talibans et les sanctuaires d’Al Qaïda dans l’agence tribale du Waziristan du Nord ; cette opération n’était pas terminée à la fin de l’année.
Après avoir affirmé que les élections législatives de 2013 avaient été truquées et exprimé leur mécontentement à propos des enquêtes indépendantes sur ces allégations, des manifestants avec à leur tête l’opposant politique Imran Khan et le dignitaire religieux Tahir ul Qadri ont organisé des protestations dans tout le pays pour réclamer la démission du gouvernement de Nawaz Sharif et la tenue de nouvelles élections. Les manifestations sont devenues de plus en plus conflictuelles après la mort de 12 militants politiques tués par la police dans le quartier de Model Town, à Lahore, le 17 juin, et elles ont culminé en août et en septembre. Les manifestants ont brièvement envahi l’Assemblée nationale et ont menacé d’occuper la résidence officielle du Premier ministre, ce qui a provoqué une crise risquant d’entraîner la chute du gouvernement, jusqu’à ce que l’armée apporte publiquement son soutien au Premier ministre.
Pour la quatrième année consécutive, des inondations de grande ampleur ont provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes dans tout le pays, causant une grave crise humanitaire.
Les tentatives du gouvernement en vue d’améliorer les relations avec l’Inde au début de l’année ont échoué, des affrontements ayant opposé régulièrement les forces armées des deux pays sur la ligne de contrôle qui les sépare au Cachemire.
EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS
Des groupes armés ont commis des atteintes aux droits humains dans tout le pays. Le 16 décembre, plusieurs hommes ont attaqué une école publique scolarisant des enfants de militaires à Peshawar, dans le nord-ouest du pays. Cet attentat, revendiqué par les talibans pakistanais, a fait 149 morts, dont 132 enfants, et des dizaines de blessés. Les victimes ont été touchées par des tirs ou par l’explosion des bombes que les assaillants portaient sur eux. Les talibans pakistanais ont indiqué que cette attaque avait été menée en réponse aux récentes opérations de l’armée pakistanaise dans le Waziristan du Nord, au cours desquelles des centaines de combattants talibans ont trouvé la mort.
Différentes factions des talibans pakistanais continuaient de perpétrer des attaques, notamment contre des militants et des journalistes qui faisaient campagne en faveur de l’éducation et d’autres droits ou qui avaient critiqué les talibans. Ahrar ul Hind, un groupe dissident des talibans pakistanais, a revendiqué la fusillade et l’attentat-suicide perpétrés le 3 mars contre un tribunal d’Islamabad, en réponse semble- t-il à la décision des talibans pakistanais d’entamer des négociations de paix avec le gouvernement ; 11 personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées. Un autre groupe dissident des talibans pakistanais, Jamat ul Ahrar, a revendiqué l’attentat suicide survenu le 2 novembre après la cérémonie de descente du drapeau au poste-frontière de Wagah, entre le Pakistan et l’Inde. Cet attentat a fait 61 morts et plus de 100 blessés.
Des professionnels de la santé qui participaient aux campagnes de vaccination contre la polio, entre autres, ont été tués dans plusieurs régions du pays. Ces homicides étaient particulièrement répandus dans certaines régions du Nord-Ouest ainsi qu’à Karachi, des zones où les talibans et des groupes qui les soutiennent et sont opposés aux vaccinations maintiennent une présence active. Des groupes armés baloutches revendiquant l’indépendance du Baloutchistan ont été impliqués dans le meurtre et l’enlèvement de membres des forces de sécurité et d’autres personnes prises pour cible du fait de leur appartenance ethnique ou politique ; ils ont également mené des attaques contre des infrastructures. Le groupe armé anti-chiite Lashkar-e Jhangvi a revendiqué une série d’assassinats et d’autres attaques visant la population musulmane chiite, particulièrement dans la province du Baloutchistan et dans les villes de Karachi et de Lahore. Des affrontements fréquents entre groupes armés rivaux ont fait de très nombreuses victimes.
DISPARITIONS FORCÉES
Malgré des arrêts clairs de la Cour suprême rendus en 2013 et qui exigeaient du gouvernement qu’il retrouve les victimes de disparition forcée, les autorités n’ont pratiquement rien fait pour remplir leur obligation, aux termes du droit international et de la Constitution, d’empêcher ces violations. Les pratiques des forces de sécurité, y compris les actes relevant du champ d’application de lois telle que la Loi de protection du Pakistan, ont entraîné la disparition forcée d’hommes et de jeunes gens dans tout le pays, et plus particulièrement dans les provinces du Baloutchistan, de Khyber Pakhtunkhwa et du Sind. Plusieurs victimes ont été retrouvées mortes, leur corps présentant semble-t-il des impacts de balle et des traces de torture.
Le gouvernement n’a pas mis à exécution des ordonnances de la Cour suprême qui lui enjoignaient de déférer à la justice les membres des forces de sécurité responsables de disparitions forcées.
Zahid Baloch, président de l’Organisation des étudiants baloutches – Azad (BSOA), a été enlevé à Quetta, dans la province du Baloutchistan, le 18 mars. Selon des témoins, il a été enlevé sous la menace d’une arme dans le quartier de Satellite Town par des membres du Corps de frontière (Frontier Corps), une force fédérale paramilitaire. Les autorités ont nié avoir eu connaissance de son arrestation et elles n’ont pas enquêté sur son sort ni son lieu de détention ; elles n’ont pas non plus mené d’investigations sérieuses sur son enlèvement. On ne disposait d’aucune autre information à la fin de l’année1.
Les corps d’hommes et de jeunes gens arrêtés de manière arbitraire par les forces armées dans la province de Khyber Pakhtunkhwa et dans les zones tribales sous administration fédérale (FATA) continuaient d’être retrouvés plusieurs mois, voire plusieurs années, après ces arrestations. Les autorités ne respectaient pas, le plus souvent, les décisions de la haute cour de Peshawar ordonnant de remettre en liberté les individus soupçonnés d’actes de terrorisme ou à défaut de les inculper sans délai et de les déférer aux tribunaux. Cette année encore, les détenus n’avaient qu’un accès limité à leur famille et à un avocat. Dans de rares cas, des militants victimes de disparition forcée ont réapparu. Kareem Khan, militant anti-drones et proche de victimes, a été enlevé le 5 février à son domicile, dans la ville de garnison de Rawalpindi, par une vingtaine d’hommes armés, dont certains portaient l’uniforme de la police. Il devait se rendre en Europe quelques jours plus tard pour témoigner devant le Parlement européen sur les conséquences des frappes de drones américains dans les zones tribales du Pakistan. Il a été libéré neuf jours plus tard à la suite de pressions de groupes locaux et internationaux de défense des droits humains et de gouvernements étrangers. Kareem Khan a affirmé avoir été torturé et interrogé à plusieurs reprises sur ses activités militantes et ses investigations concernant les frappes de drones. Les autorités n’ont pas mené d’enquête sérieuse sur cet enlèvement et n’en ont pas traduit les responsables en justice.
Des groupes de défense des droits humains ont critiqué une information judiciaire sur des fosses communes découvertes le 25 janvier à Totak, dans la province du Baloutchistan, arguant qu’aucune investigation sérieuse n’avait été menée sur le rôle des forces de sécurité.
Des militants baloutches ont affirmé que ces fosses communes contenaient les corps de membres de groupes baloutches victimes de disparition forcée2.
CONFLIT ARMÉ INTERNE
Dans le nord-ouest du pays, certaines régions des FATA étaient toujours affectées par le conflit armé interne et soumises à des attaques répétées des talibans et d’autres groupes armés, ainsi que des forces armées pakistanaises. Elles étaient aussi la cible des frappes de drones américains, qui ont coûté la vie à des centaines de personnes. En juin, l’armée pakistanaise a lancé une opération militaire de grande envergure dans l’agence tribale du Waziristan du Nord et mené des interventions ponctuelles dans l’agence tribale de Khyber, ainsi que dans d’autres régions des FATA. Les populations concernées se plaignaient régulièrement de l’utilisation disproportionnée de la force et des attaques menées sans discrimination par toutes les parties au conflit, et tout particulièrement les forces armées pakistanaises. Plus d’un million de personnes ont été déplacées en raison du conflit ; la plupart ont été contraintes de se réfugier dans le district de Bannu, dans la province voisine de Khyber Pakhtunkhwa, pendant la période la plus chaude de l’année. Les attaques de drones américains ont repris de manière sporadique à partir du 11 juin, après une interruption de près de six mois, ravivant les préoccupations concernant les homicides illégaux. Le 5 juin, la haute cour d’Islamabad a ordonné l’arrestation d’un ancien chef d’antenne de l’Agence centrale du renseignement (CIA) américaine au Pakistan accusé d’être responsable d’homicides illégaux causés par des drones dans les zones tribales. Le 12 septembre, les forces de sécurité ont annoncé l’arrestation au Waziristan du Nord de 10 hommes qui auraient été impliqués dans la tentative d’assassinat, en 2012, de la militante des droits à l’éducation Malala Yousafzai. Des interrogations subsistaient quant à la manière dont ils avaient été interpellés, leur traitement en détention et l’équité de leur procès.
LIBERTÉ D’EXPRESSION - JOURNALISTES
Huit journalistes au moins ont été tués au cours de l’année dans différentes régions du pays pour avoir fait leur travail, ce qui faisait du Pakistan l’un des pays les plus dangereux au monde pour les professionnels des médias3. Hamid Mir, un présentateur- vedette de télévision, a affirmé que les Services du renseignement de l’armée pakistanaise (ISI), service de renseignement le plus puissant du pays, étaient responsables d’une tentative d’assassinat à laquelle il avait échappé de justesse à Karachi le 19 avril.
Les émissions de la chaîne de télévision Geo TV, pour laquelle travaillait Hamid Mir, ont été suspendues le 6 juin pour 15 jours après que cette chaîne eut diffusé ces allégations au niveau national. Plusieurs journalistes travaillant pour Geo TV ont reçu des menaces et ont été harcelés quotidiennement, par téléphone ou en personne, par des individus non identifiés. Beaucoup refusaient de se rendre à leur bureau ou de dire qu’ils travaillaient pour Geo TV ou des médias du même groupe par crainte d’être attaqués.
Le 20 octobre, la chaîne ARY News, principale rivale de Geo TV, a également été suspendue après que la haute cour de Lahore eut considéré la chaîne et certains de ses journalistes coupables d’entrave au bon fonctionnement de la justice pour avoir diffusé une interview d’un homme qui comparaissait devant cette juridiction.
En mars, le Premier ministre a promis de nommer des procureurs spéciaux chargés d’enquêter sur les attaques contre les journalistes et il s’est rendu au chevet de Hamid Mir à l’hôpital après la tentative d’assassinat dont ce dernier avait été victime. Personne n’avait été traduit en justice à la fin de l’année pour cette tentative d’assassinat ni pour d’autres attaques contre des journalistes4.
DISCRIMINATION - MINORITÉS RELIGIEUSES
Cette année encore, les membres des minorités religieuses subissaient des lois et des pratiques sources de discrimination et de persécutions. Plusieurs dizaines de Hazaras ont été tués dans des attaques perpétrées à Quetta et dans d’autres régions du Baloutchistan. Beaucoup de ces attaques ont été revendiquées par le Lashkar-e Jhangvi, un groupe armé, qui les justifiait par le fait que les Hazaras sont des musulmans chiites.
Des membres de la communauté sikhe ont organisé plusieurs manifestations au cours de l’année pour dénoncer les homicides, les enlèvements et les attaques contre leurs lieux de culte dans différentes régions du pays. Ils se plaignaient du fait que les autorités ne leur accordaient pas une protection idoine contre ces attaques et ne traduisaient pas en justice les responsables de tels actes.
Les lois sur le blasphème étaient toujours en vigueur, ce qui constituait une violation des droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ainsi qu’à la liberté d’opinion et d’expression. Des atteintes aux droits fondamentaux liées aux lois sur le blasphème ont été régulièrement commises au cours de l’année, ainsi que le démontrent plusieurs cas hautement médiatisés. L’avocat Rashid Rehman, éminent défenseur des droits humains, a été abattu le 7 mai sous les yeux de ses confrères dans son bureau à Multan, une ville de la province du Pendjab. Avant son assassinat, Rashid Rehman avait reçu régulièrement des menaces de mort car il assurait la défense de Junaid Hafeez, un professeur d’université poursuivi pour blasphème. Le 18 septembre, le professeur Muhammad Shakil Auj, dignitaire religieux renommé et doyen de la faculté d’études islamiques de l’université de Karachi, a été abattu par des hommes non identifiés alors qu’il se rendait à une réunion. Il avait reçu des menaces de mort et avait été accusé de blasphème par des dignitaires religieux rivaux au cours des mois précédant son assassinat.
Dans la soirée du 27 juillet, une foule a incendié les habitations d’une petite communauté ahmadie dans la province du Pendjab après qu’un habitant eut été accusé de blasphème. Deux enfants et leur grand-mère sont morts après avoir inhalé de la fumée et plusieurs autres personnes ont été grièvement blessées. Le 16 octobre, la chambre d’appel de la haute cour de Lahore a débouté Asia Bibi, une chrétienne, de son appel en annulation de la sentence capitale prononcée à son encontre en 2010 pour blasphème5. En mars, Savan Masih, un balayeur chrétien, a été condamné à mort pour blasphème après qu’un de ses amis l’eut accusé d’avoir tenu des propos blasphématoires au cours d’une dispute. Ces accusations ont déclenché une émeute qui a duré deux jours dans son quartier de Joseph Colony, à Lahore. Une foule de 3 000 personnes a incendié quelque 200 habitations chrétiennes. La police, qui avait été avertie de l’attaque imminente, n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger la communauté.
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
Quelques cas très médiatisés de meurtres au nom de « l’honneur » ont mis en évidence le danger auquel les femmes étaient exposées de la part de leur propre famille pour avoir voulu épouser l’homme de leur choix. Le 27 mai, Farzana Parveen a été blessée par balle et battue à mort à coups de brique par des membres de sa famille, dont son père et son ex-mari, devant l’entrée de la haute cour de Lahore. Elle s’était enfuie et avait épousé un homme de son choix. Plusieurs hommes de sa famille ont été arrêtés à la suite de cet homicide ainsi que, dans le cadre d’une procédure distincte, Mohammad Iqbal, le mari de Farzana Parveen, lequel avait reconnu avoir tué sa première épouse pour se marier avec elle.
Les femmes étaient également exposées à des mauvais traitements lorsqu’elles voulaient exercer leurs droits. C’est ainsi qu’en septembre une jirga (organe traditionnel de décision) de notables tribaux uthmanzais du Waziristan du Nord a menacé des femmes de violence car elles avaient tenté de bénéficier de l’aide humanitaire dans les camps de déplacés du district de Bannu (province de Khyber Pakhtunkhwa), où la très grande majorité des personnes fuyant le conflit dans la zone tribale avaient trouvé refuge.
PEINE DE MORT
Les exécutions ont repris après la levée du moratoire qui était en place depuis six ans. Le Premier ministre Muhammad Nawaz Sharif a annoncé cette décision à la suite de l’attentat du 16 décembre contre l’école de Peshawar, précisant que 500 personnes condamnées pour des infractions liées au terrorisme seraient exécutées. Sept hommes déjà condamnés avant l’attentat ont été pendus en décembre, dans une série d’exécutions réalisées à la hâte, après le rejet sommaire de leurs recours par le président Hussain. Le gouvernement a aussi annoncé son intention, début 2015, de recourir aux tribunaux militaires pour juger les terroristes présumés, dans le cadre de son Plan national d’action contre le terrorisme.
Des condamnations à mort ont continué d’être prononcées. Shoaib Sarwar, un condamné à mort reconnu coupable de meurtre en 1998, devait être exécuté en septembre après avoir épuisé toutes les voies de recours. Les autorités ont toutefois reporté son exécution à plusieurs reprises à la suite de pressions de militants abolitionnistes au Pakistan et à l’étranger6.