Rapport Annuel 2014/2015

THAÏLANDE

Royaume de Thaïlande

Chef de l’État : Bhumibol Adulyadej

Chef du gouvernement : Prayuth Chan-ocha (a remplacé Niwattumrong Boonsongpaisan le 22 mai, qui avait remplacé Yingluck Shinawatra le 7 mai)

Les tensions politiques ont prévalu tout au long de l’année et la protection des droits humains s’est affaiblie. La violence armée s’est poursuivie dans les provinces frontalières du sud. La liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique a été sérieusement restreinte, ce qui a donné lieu à l’arrestation de nombreuses personnes, parmi lesquelles un certain nombre sont devenues des prisonniers d’opinion.

CONTEXTE

L’impasse politique entre le gouvernement et les manifestants a dominé les cinq premiers mois de l’année. L’armée a organisé un coup d’État en mai. La loi martiale était toujours en vigueur à la fin de l’année.
Le Comité populaire de réforme démocratique, emmené par l’ancien vice- Premier ministre démocrate, a pris la tête de manifestations de masse réclamant le remplacement du gouvernement par un conseil populaire chargé de mettre en œuvre des réformes politiques. En mars, la Cour constitutionnelle a invalidé les élections anticipées qui avaient eu lieu en février. La Commission électorale a reporté le scrutin prévu pour juillet en raison des violences politiques ininterrompues. Les élections de février avaient été boycottées par le Parti démocrate (opposition) et les manifestants du Comité populaire de réforme démocratique avaient bloqué des bureaux de vote et empêché des milliers d’électeurs d’aller aux urnes. Le 7 mai, la Cour constitutionnelle a ordonné à la Première ministre, Yingluck Shinawatra, de démissionner. Le lendemain, la Commission nationale de lutte contre la corruption a lancé un processus d’inéligibilité à son encontre.
Le 20 mai, le commandant en chef des forces armées a décrété la loi martiale. Le 22 mai, il a pris le contrôle du pays lors d’un coup d’État militaire et suspendu presque toutes les dispositions de la Constitution de 2007. Les personnes à la tête du coup d’État ont formé le Conseil national pour la paix et l’ordre (CNPO) et annoncé un processus de réforme et une feuille de route, sans toutefois prévoir d’élections à une date précise. Après la promulgation d’une Constitution provisoire en juillet, le CNPO a nommé un organe législatif, qui a élu en août le général Prayuth Chan-ocha, dirigeant dudit Conseil, au poste de Premier ministre1.

CONFLIT ARMÉ INTERNE

Dans le sud, les violences armées continuaient de sévir dans les trois provinces de Pattani, Yala et Narathiwat, ainsi que dans certaines zones de la province de Songkhla.
Les forces de sécurité étaient impliquées dans des homicides illégaux, des actes de torture et d’autres mauvais traitements. En novembre, les autorités ont annoncé que 2 700 fusils d’assaut semi-automatiques seraient fournis à des paramilitaires civils.
Des attaques ciblant des civils auraient été menées par des groupes armés tout au long de l’année, et notamment des attentats à l’explosif dans des lieux publics. Quarante- deux membres de l’administration civile et neuf professeurs de l’enseignement public figuraient parmi les 162 civils tués par balles. À plusieurs reprises, les agresseurs ont mutilé les cadavres en les brûlant et en les décapitant. Lors d’un certain nombre d’attaques, des notes laissées sur les lieux présentaient ces meurtres comme des actes de représailles à la suite d’homicides et d’arrestations imputables au gouvernement ou aux forces paramilitaires. En novembre, des affiches critiquant les politiques officielles et faisant planer la menace de nouveaux homicides de civils, fonctionnaires et professeurs bouddhistes ont été placardées dans les trois provinces. En octobre, six écoles de la province de Pattani ont été détruites lors d’incendies criminels.
Deux paramilitaires soutenus par le gouvernement ont reconnu avoir tué trois garçons musulmans d’origine malaise âgés de six, neuf et 11 ans, et avoir blessé leur père et leur mère, qui était enceinte, lors d’une attaque en février contre le foyer familial à Bacho (province de Narathiwat). L’un des miliciens a déclaré qu’il avait mené cette attaque car l’enquête sur le meurtre de son frère et de sa belle-sœur, en août 2013, piétinait. Le père des enfants, un insurgé présumé, pourrait être impliqué dans les faits.
Entre janvier et mai, des affrontements sporadiques entre partisans du gouvernement et soutiens du Comité populaire de réforme démocratique, ainsi que des attaques ciblées avec des armes et des explosifs lors de manifestations, ont fait 28 morts et 825 blessés2. Des attaques ciblées contre des personnalités politiques et des observateurs de premier plan issus des deux camps ont également été menées par des personnes non identifiées.
En première ligne de la protestation antigouvernementale, Suthin Tarathin a été tué le 26 janvier alors qu’il participait à une marche destinée à empêcher la tenue des élections anticipées dans le district de Bang Na, à Bangkok, la capitale.
La résidence de Somsak Jeamteerasakul, professeur d’histoire et éminent analyste de la loi thaïlandaise sur le crime de lèse- majesté, a été attaquée le 12 février par des agresseurs non identifiés, qui ont fait feu et lancé des bombes artisanales sur sa maison et sa voiture.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Des accusations de torture et de mauvais traitements ont continué d’être formulées tout au long de l’année contre la police et les forces armées. Les cas intervenaient en particulier durant la détention au secret au titre de la loi martiale ; de tels actes ont également été commis par les agents du Comité populaire de réforme démocratique lors des manifestations politiques du premier semestre.
Un projet de loi érigeant la torture et les disparitions forcées en infractions pénales était toujours en cours de rédaction à la fin de l’année.
En mai, le Comité contre la torture [ONU] a exprimé sa préoccupation quant aux nombreuses allégations faisant état de la pratique généralisée de la torture et d’autres formes de mauvais traitements dans le pays, et quant aux dispositions insatisfaisantes en matière de réparations3.
Yuem Nillar, un agent de sécurité, a déclaré qu’il avait été interpellé le 24 février par deux membres du service d’ordre du Comité populaire de réforme démocratique, et détenu pendant cinq jours sur un lieu de protestation. Selon son témoignage, il a été ligoté, privé de nourriture et passé à tabac, avant d’être jeté dans une rivière.
En février, les proches d’un soldat battu à mort alors qu’il participait à un camp d’entraînement militaire en 2011 ont accepté une indemnisation de quelque 7 millions de bahts (environ 215 000 dollars des États- Unis). Le soldat Wichean Puaksom est mort après avoir été torturé parce qu’il s’était absenté sans autorisation.

DISPARITIONS FORCÉES

Le militant écologiste Pholachi Rakchongcharoen aurait été soumis par des agents de l’État à une disparition forcée en avril, du fait de son action en justice contre des violations des droits humains commises dans le parc national de Kaengkrachan, dans la province de Petchaburi. Il a été vu pour la dernière fois le 17 avril, alors qu’il avait été interpellé par le responsable et trois autres fonctionnaires du parc national.

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION

Les ordonnances de loi martiale imposées après le coup d’État de mai étaient toujours en vigueur à la fin de l’année. La liberté d’expression et de réunion pacifique était sévèrement limitée, notamment par une interdiction des rassemblements « politiques » de plus de cinq personnes. Après le coup d’État, les autorités ont bloqué des sites Internet et fermé des radios locales pendant des semaines, voire des mois. Elles ont pris des mesures réglementaires pour censurer dans les médias toute critique contre le CNPO.
Dans les semaines qui ont suivi le coup d’État, des manifestants ont été jugés devant des tribunaux militaires pour des actes de protestation non violente, y compris pour un salut à trois doigts popularisé par les films Hunger Games. Les arrestations de dissidents pacifiques se sont poursuivies tout au long de l’année. Après le coup d’État, les agents de l’État ont continué d’annuler ou d’entraver par des restrictions des réunions et des séminaires privés, publics et universitaires, notamment en interpellant les participants et en exigeant des personnes et des organisations une autorisation officielle préalable.

ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

Des centaines d’arrestations et de placements en détention ont été menés arbitrairement au titre de la loi martiale, visant notamment des responsables politiques, des universitaires, des journalistes et des militants. Dans la plupart des cas, les personnes étaient convoquées par les autorités militaires et alors placées en détention sans inculpation ni procès pendant une période allant jusqu’à sept jours. Beaucoup de gens ont été déclarés coupables d’infractions pénales parce qu’ils ne s’étaient pas présentés. Pour obtenir leur remise en liberté, les personnes convoquées devaient en général signer un engagement de ne pas participer à des activités politiques. À la fin de l’année, des agents de l’État continuaient de convoquer personnellement certains particuliers, notamment des étudiants, des avocats et des militants de la société civile, pour qu’ils signent de telles déclarations.
Les arrestations, poursuites pénales et condamnations à des peines d’emprisonnement au titre de l’article 112 du Code pénal – la loi abusive sur le crime de lèse-majesté en Thaïlande – pour des actes relevant de l’expression pacifique ont considérablement augmenté après le coup d’État de mai, avec au minimum 28 nouvelles arrestations et huit condamnations. Les personnes accusées de crime de lèse-majesté se voyaient systématiquement refuser la mise en liberté sous caution pendant la détention provisoire et la procédure d’appel4.
Pornthip Mankong et Patiwat Saraiyam ont été arrêtés en août et accusés de crime de lèse-majesté en raison d’une pièce qu’ils avaient mise en scène à l’université de Thammasat en octobre 2013, et dans laquelle ils jouaient.

PROCÈS INÉQUITABLES

Le CNPO a étendu la compétence des tribunaux militaires, qui pouvaient désormais juger les civils accusés de désobéissance aux mesures réglementaires du Conseil, d’atteintes à la monarchie ou d’infractions mettant en cause la sécurité intérieure.
Le droit de recours n’existait pas dans ces affaires.

IMPUNITÉ

Aucun progrès réel n’a été fait sur la question de l’impunité généralisée des agents de l’État responsables de violations des droits humains5. La Constitution provisoire proclamée en juillet a affranchi le CNPO et ses agents de toute responsabilité pénale pour leurs atteintes aux droits humains.
Le 28 août, la Cour criminelle a rejeté les chefs d’accusation pour meurtre portés contre l’ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva et son vice-Premier ministre, Suthep Thaugsuban, après la mort de manifestants en 2010. La Cour s’est déclarée incompétente dans cette affaire.

DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

Au nom de la loi martiale, de nombreuses restrictions ont été imposées à la liberté d’expression, entre autres droits fondamentaux, ce qui a sérieusement entravé le travail des défenseurs des droits humains. Beaucoup d’entre eux ont subi des violations des droits humains en raison de leurs activités légitimes – disparitions forcées, homicides, agressions, arrestations arbitraires6 et poursuites judiciaires, notamment.
En mai, l’armée royale de Thaïlande a déposé plainte au pénal contre Pornpen Khongkachonkiet et son organisation, la Fondation transculturelle, pour avoir « porté atteinte à la réputation » de l’Unité 41 des forces paramilitaires Taharn Pran, dans la province de Yala, car elle avait réclamé l’ouverture d’une enquête sur une allégation d’agression.

TRAITE D’ÊTRES HUMAINS

La Thaïlande a été rétrogradée dans le rapport annuel du département d’État américain sur la traite des êtres humains, publié en juin, pour son incapacité à remédier convenablement au problème persistant et généralisé de la traite de personnes pour le travail forcé et le commerce du sexe.
Plusieurs centaines de personnes, notamment des Rohingyas du Myanmar, ont été secourues durant l’année dans des camps où elles étaient détenues par des trafiquants dans des conditions déplorables, dans certains cas depuis six mois, et où elles avaient été victimes de graves violences.

RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE

Le droit d’asile n’étant pas protégé par la législation, les réfugiés et les demandeurs d’asile restaient menacés d’arrestation, de détention arbitraire et illimitée, de renvoi en tant que migrants en situation irrégulière et d’expulsion vers un pays où ils risquaient d’être victimes de persécutions.
Les hommes et les femmes placés en rétention, parmi lesquels figuraient des réfugiés reconnus par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), étaient toujours détenus dans de mauvaises conditions, dans des installations n’étant pas construites pour servir d’hébergement durable.
Craignant des mesures répressives contre la main-d’œuvre illégale, quelque 220 000 travailleurs migrants, des Cambodgiens pour la plupart, ont quitté le pays en juin ; beaucoup sont revenus par la suite.

PEINE DE MORT

Des sentences capitales ont été prononcées. Aucune exécution n’a été signalée. Dans le cadre d’un projet pilote lancé en 2013, les condamnés à mort de la prison de haute sécurité de Bangkwang, à Bangkok, ne portaient plus de fers. Cette initiative n’avait pas été étendue à d’autres prisons à la fin de l’année.

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