Rapport Annuel 2014/2015

AMÉRIQUES — RÉSUMÉ RÉGIONAL

Confrontés à des inégalités croissantes, à des discriminations, à la dégradation de l’environnement, à l’impunité dont jouissent les auteurs de crimes passés, à une insécurité de plus en plus forte et à des conflits, les habitants du continent américain ne pouvaient toujours pas jouir pleinement de leurs droits fondamentaux. Ceux et celles qui se trouvaient en première ligne dans la promotion et la défense de ces droits devaient faire face à des violences redoutables.
L’année 2014 a cependant été marquée par une vaste mobilisation contre les violations des droits humains dans l’ensemble des Amériques, depuis le Brésil jusqu’aux États-Unis, en passant par le Mexique et le Venezuela. Un peu partout, les citoyens sont descendus dans la rue pour protester contre les pratiques répressives des États. Ces manifestations ont été un véritable défi public visant à dénoncer les degrés élevés d’impunité et de corruption ainsi que des politiques économiques privilégiant une petite minorité. Des centaines de milliers de personnes se sont jointes à ces actions spontanées, en se servant des nouvelles technologies et des réseaux sociaux pour se rassembler rapidement, échanger des informations et dénoncer les atteintes aux droits humains.
Ces manifestations massives d’insatisfaction de la part d’hommes et de femmes qui exigeaient que les droits humains soient respectés se sont déroulées alors que l’espace démocratique ne cessait de se rétrécir et que la dissidence restait sanctionnée par de nombreuses lois. La violence exercée par des acteurs aussi bien étatiques que non étatiques contre la population en général, et plus particulièrement contre les organisations sociales et leurs militants, était en progression. Les agressions contre des défenseurs des droits humains se sont multipliées dans la plupart des pays de la région, de même que s’est accentuée la gravité des actes commis.
Cette augmentation de la violence était le signe d’une militarisation des pouvoirs publics, engagée depuis quelques années face aux défis sociopolitiques. Dans de nombreux pays du continent, les autorités ont désormais recours de façon courante à la force publique en réaction aux activités des réseaux criminels et aux tensions sociales, y compris dans le cas de conflits qui ne sont pas formellement reconnus comme tels.
Dans certaines zones, le pouvoir croissant des réseaux criminels et d’autres acteurs non étatiques (groupes paramilitaires, multinationales, etc.) constituait une menace durable pour l’autorité de l’État, pour l’état de droit et pour les droits humains.
Des dizaines de milliers d’habitants des Amériques ont cette année encore été victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux. Au lieu de progresser sur la voie de la promotion et de la protection des droits humains pour tous, sans discrimination, la région a semblé régresser, en 2013 comme en 2014.
Selon le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, 40 défenseurs des droits humains auraient été tués dans les Amériques au cours des neuf premiers mois de l’année 2014.
En octobre, la République dominicaine a opposé une fin de non-recevoir à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, après que celle-ci l’eut condamnée pour la manière discriminatoire dont elle traitait les Dominicains d’origine haïtienne et les migrants haïtiens.
En septembre, 43 étudiants d’un institut de formation d’enseignants à Ayotzinapa, au Mexique, ont été victimes d’une disparition forcée. Ils avaient été arrêtés à Iguala, dans l’État de Guerrero, par la police locale agissant en collusion avec des réseaux de la criminalité organisée. Le 7 décembre, le procureur général de la République a annoncé que la dépouille de l’un des étudiants avait été identifiée par des experts médicolégaux indépendants. À la fin de l’année, on ne savait toujours pas ce qu’étaient devenus les 42 autres.
En août, un policier, Darren Wilson, a abattu un Afro-Américain de 18 ans, Michael Brown, qui n’était pas armé, à Ferguson, dans le Missouri (États-Unis). De nombreuses personnes sont descendues dans la rue après cet homicide, puis de nouveau en novembre pour protester contre la décision d’un grand jury de ne pas poursuivre le policier. Le mouvement s’est étendu à d’autres grandes villes du pays, dont New York au mois de décembre, après la décision d’un autre grand jury de ne pas traduire en justice un policier pour la mort d’un autre homme, Eric Garner, en juillet.
Au mois d’août également, au Honduras, Margarita Murillo, dirigeante bien connue d’une communauté de paysans, a été abattue à El Planón, dans le nord-ouest du pays. Au cours des jours précédents, elle avait signalé qu’elle était surveillée et qu’elle avait reçu des menaces.
Quarante-trois personnes, dont des membres des forces de sécurité, sont mortes en février au Venezuela, et des dizaines d’autres ont été blessées lors d’affrontements entre des manifestants hostiles au gouvernement, les forces de l’ordre et des manifestants favorables au régime.
Au Salvador, en 2013, une jeune femme connue sous le nom de Beatriz s’est vu refuser le droit de se faire avorter, alors que sa vie était en danger et que le fœtus qu’elle portait, au cerveau et au crâne incomplets, ne pouvait pas survivre après la naissance. Le cas de Beatriz a suscité un mouvement d’indignation dans l’opinion publique, au niveau aussi bien national qu’international. Après plusieurs semaines de pression sur les autorités, la jeune femme a pu subir une césarienne, pratiquée alors qu’elle était enceinte de 23 semaines. Face à l’interdiction totale de l’avortement au Salvador, les femmes et les jeunes filles se retrouvent en infraction lorsqu’elles veulent faire certains choix en matière de droits sexuels et reproductifs. Cette situation met en péril aussi bien leur vie que leur liberté. En 2014, 17 femmes condamnées à des peines atteignant 40 années d’emprisonnement pour des infractions à la législation sur l’avortement ont déposé des recours en grâce. Ces recours étaient en instance à la fin de l’année.
En mai 2013, le général Efraín Ríos Montt, ancien président du Guatemala, a été reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité. Cette condamnation a cependant été annulée 10 jours plus tard pour vice de forme, une nouvelle consternante pour les victimes et leurs familles, qui attendaient depuis plus de 30 ans d’obtenir enfin justice. Ríos Montt était président de la République et commandant en chef de l’armée guatémaltèque en 1982-1983, période pendant laquelle 1 771 indigènes mayas ixils ont été déplacés, victimes de violences sexuelles, torturés ou tués au cours du conflit armé interne qui sévissait alors dans le pays.
Cette longue liste d’atteintes graves aux droits fondamentaux montre que le respect des droits humains reste une notion bien abstraite pour beaucoup sur le continent américain, malgré la ratification et la promotion active par les États américains de la plupart des normes et des traités régionaux et internationaux relatifs à ces droits.

SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DROITS HUMAINS

Les manifestations contre les politiques gouvernementales ont été à maintes reprises réprimées avec brutalité par les forces de sécurité. Au Brésil comme au Canada, au Chili, en Équateur, aux États-Unis, au Guatemala, en Haïti, au Mexique, au Pérou ou encore au Venezuela, les forces de sécurité ont bafoué les normes internationales encadrant le recours à la force, au nom du maintien de l’ordre public. Or, loin de proclamer sans ambiguïté que le recours à une force excessive ne saurait être toléré, les gouvernements de la région n’ont pas remis en cause la violence exercée ni même émis des doutes sur sa légitimité.
Début 2014, le Venezuela a été le théâtre de vastes manifestations pour ou contre le régime en place, qui se sont déroulées dans diverses régions du pays. Ces mouvements et la manière dont les autorités ont réagi reflétaient la polarisation croissante de la société vénézuélienne depuis une dizaine d’années. Le malaise social qui s’est largement manifesté et les violents affrontements qui ont eu lieu entre les manifestants et les forces de sécurité ont donné lieu à de très nombreuses atteintes aux droits humains (homicides, détentions arbitraires, torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, etc.).
Des milliers de manifestants ont été arrêtés, souvent de façon arbitraire, et des cas de torture et d’autres mauvais traitements ont été signalés. Au moins 43 personnes ont été tuées et 870 blessées, dont des membres des forces de sécurité, sur fond de manifestations et de répression.
Au Brésil, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre la politique de leur gouvernement à l’approche de la Coupe du monde de football de 2014. Les manifestants entendaient dénoncer l’augmentation des tarifs des transports publics, ainsi que les dépenses engagées pour la Coupe du monde, alors que les investissements dans les services publics étaient insuffisants. Les manifestations ont pris une ampleur jamais vue au Brésil : des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans des dizaines de villes.
La police a souvent réagi avec violence à cette mobilisation, commettant des abus en 2013 comme en 2014, y compris pendant la Coupe du monde. Des unités de la police militaire ont fait usage de gaz lacrymogène sans discernement (même, dans un cas, à l’intérieur d’un hôpital), ont tiré des balles en caoutchouc contre des personnes qui ne représentaient aucune menace et ont roué des manifestants de coups de matraque. La répression a fait des centaines de blessés, dont le photographe Sérgio Silva qui, touché par une balle en caoutchouc, a perdu son œil gauche. Des centaines d’autres personnes ont été interpellées sans discernement et placées en détention, certaines au titre de lois réprimant la criminalité organisée, en l’absence de tout élément susceptible d’indiquer qu’elles avaient effectivement participé à des activités criminelles.
Aux États-Unis, la mort par balle de Michael Brown et la décision d’un grand jury de ne pas poursuivre le policier auteur du coup de feu mortel ont déclenché un mouvement de protestation qui a duré plusieurs mois, à Ferguson et dans les environs. Les citoyens venus exercer leur droit à la liberté de réunion se sont retrouvés face à des forces de sécurité équipées de matériel antiémeute lourd et d’armes de type militaire, destinés à les intimider. Manifestants et journalistes ont été blessés par les forces de sécurité, qui ont fait usage de balles en caoutchouc, de gaz lacrymogène et d’autres procédés de dispersion agressifs dans des situations où ceux-ci ne s’avéraient pas nécessaires.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

La région des Amériques dispose de lois et de mécanismes nationaux et régionaux de lutte contre la torture qui sont parmi les plus solides au monde. Pourtant, sur l’ensemble du territoire, la torture et les autres mauvais traitements restent monnaie courante et les responsables de tels actes ne sont que rarement traduits en justice.
Dans un rapport intitulé Hors de toute mesure. La torture et les autres mauvais traitements au Mexique , Amnesty International dénonçait l’inquiétante progression de la torture et des autres mauvais traitements dans ce pays. Ce document soulignait également qu’une culture de la tolérance et de l’impunité en matière de torture avait été prédominante au Mexique au cours de la dernière décennie.
Seuls sept tortionnaires ont été déclarés coupables par la justice fédérale et, au niveau des États, le nombre de personnes poursuivies pour des faits de ce genre était encore plus faible.
Les investigations partielles et limitées menées sur les violations des droits humains dans l’affaire des 43 étudiants disparus soulignent les graves carences du gouvernement mexicain, qui n’a pas su enquêter sur la corruption généralisée et profondément enracinée dans le système ni sur la collusion entre responsables publics et criminalité organisée. Elles mettent également en évidence l’impunité révoltante régnant dans ce pays.
La torture et les autres mauvais traitements ont été fréquemment utilisés à l’encontre de suspects de droit commun, pour leur extorquer des informations ou des « aveux », voire pour les punir. Daniel Quintero, un étudiant de 23 ans arrêté pour avoir participé, selon la police, à une manifestation contre le gouvernement vénézuélien, en février 2014, a été roué de coups de pied et de poing, au visage et dans les côtes, et menacé de viol. En République dominicaine, Ana Patricia Fermín a reçu des menaces de mort en avril 2014 , après avoir signalé que deux de ses proches avaient été torturés lors d’une garde à vue à Saint-Domingue, la capitale du pays.
Son mari et l’un des hommes qui avaient été torturés ont été abattus par la police en septembre.

ACCÈS À LA JUSTICE ET LUTTE CONTRE L’IMPUNITÉ

De nombreux habitants des Amériques ne pouvaient pas avoir réellement accès à la justice, en particulier ceux qui appartenaient aux groupes les plus défavorisés de la société. Ils se heurtaient entre autres à des systèmes inefficaces, à un manque d’indépendance de l’appareil judiciaire, et à la détermination de certains secteurs prêts à tout pour ne pas avoir à rendre de comptes et pour protéger des intérêts politiques, économiques ou criminels particuliers.
Les difficultés d’accès à la justice étaient exacerbées par les attaques dont faisaient l’objet les défenseurs des droits humains, les témoins, les avocats, les procureurs et les juges. Bien souvent, les journalistes qui tentaient de dénoncer les abus de pouvoir, les atteintes aux droits fondamentaux et la corruption étaient eux aussi pris pour cible. De plus, un certain nombre de pays persistaient à traduire les membres des forces de sécurité soupçonnés de violations des droits humains devant des tribunaux militaires, dont l’indépendance et l’impartialité étaient sujettes à caution. C’était notamment le cas au Chili, en Équateur et aux États-Unis.
Les enquêtes et les poursuites ouvertes dans les affaires de violations des droits humains commises au siècle dernier par des régimes militaires ont quelque peu progressé, notamment en Argentine et au Chili. Cependant, alors que des milliers de personnes ont été victimes de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires dans la région au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, l’impunité restait très largement la règle, en raison, en grande partie, de l’absence de volonté politique d’en traduire les responsables en justice. Des milliers de victimes et de proches de victimes continuaient d’exiger que la vérité soit faite et que justice leur soit rendue, entre autres en Bolivie, au Brésil, au Guatemala, en Haïti, au Mexique, au Paraguay, au Pérou, au Salvador et en Uruguay.

CONDITIONS CARCÉRALES

Alors que les taux d’incarcération ont explosé ces 20 dernières années dans toute la région, les groupes de défense des droits humains ont pu constater que les prisons d’Amérique latine étaient devenues des lieux cauchemardesques, où purger une peine relevait de la lutte pour la survie. Des dizaines de milliers de personnes passaient un temps considérable en détention provisoire, en raison des retards accumulés au sein des différents systèmes judiciaires.
Dans la plupart des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, les prisons étaient effroyablement surpeuplées, en proie à la violence et parfois privées des services les plus élémentaires. Dans de nombreux pays des Amériques, des carences graves ont été signalées : manque de nourriture et d’eau potable, conditions insalubres, absence de soins médicaux, absence fréquente de transport pour conduire les détenus au tribunal et permettre que leur affaire avance. Des agressions entre détenus, parfois mortelles, ont également eu lieu. Bien que plusieurs des dirigeants de la région aient eux-mêmes par le passé été emprisonnés, les conditions de vie dans les lieux de détention ne figuraient toujours pas parmi les priorités des politiques.
Aux quatre coins des États-Unis, des dizaines de milliers de prisonniers étaient toujours maintenus à l’isolement dans des prisons fédérales et des États, confinés dans leurs cellules entre 22 et 24 heures par jour et dans des conditions les coupant de la société et les privant de toute stimulation environnementale.
Les gouvernements n’ont pas pris les mesures nécessaires pour répondre au besoin urgent de programmes qui permettraient de lutter contre ces problèmes graves. Rien ou presque n’a été fait pour mettre les établissements pénitentiaires en conformité avec les normes internationales en matière de droits humains et pour garantir les droits des prisonniers à la vie, à l’intégrité physique et à la dignité.

DROITS DES MIGRANTS ET DE LEURS DESCENDANTS

Poussés par l’insécurité et l’absence de perspectives sociales dans leurs pays d’origine, de plus en plus de migrants, dont des mineurs non accompagnés, quittent l’Amérique centrale pour tenter de gagner les États-Unis en traversant le Mexique. Au Mexique, de nombreux dangers les guettent (meurtres, enlèvements et extorsion aux mains de bandes criminelles, qui opèrent souvent avec la complicité de représentants des pouvoirs publics). Ils se retrouvent également en butte aux mauvais traitements des autorités mexicaines. Les femmes et les enfants sont plus particulièrement menacés par les violences sexuelles et la traite d’êtres humains. L’immense majorité des violences dont ils sont victimes ne donnent lieu à aucune enquête et leurs auteurs ne sont pas inquiétés. Les expulsions sont de plus en plus nombreuses et la détention administrative reste la norme pour les personnes en attente d’être expulsées.
Entre octobre 2013 et juillet 2014, 52 193 enfants migrants non accompagnés ont été appréhendés aux États-Unis, soit près de deux fois plus qu’au cours des 12 mois précédents. Le gouvernement des États-Unis estimait que le nombre total de mineurs non accompagnés arrêtés dans les États frontaliers du Texas, de l’Arizona et de la Californie pourrait dépasser les 90 000 à la fin du mois de novembre 2014. Nombre de ces enfants fuyaient l’insécurité et la pauvreté dont ils étaient victimes dans leur pays d’origine. Qui plus est, le niveau sans précédent des violences dues aux activités des gangs et des organisations criminelles dans des pays comme le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua ou le Salvador poussait des milliers de mineurs à tenter seuls le voyage vers les États-Unis.
Les migrants et leurs descendants étaient victimes de discriminations de tous les instants et les États ne semblaient guère disposés à s’attaquer aux causes de l’exclusion si profondément enracinée dont ils faisaient l’objet. En septembre 2013, la Cour constitutionnelle de la République dominicaine a rendu un arrêt très critiqué qui a eu pour effet de priver de façon rétroactive et arbitraire de leur citoyenneté les Dominicains d’origine étrangère nés entre 1929 et 2010. Cette décision touchait essentiellement les personnes d’origine haïtienne. Elle a suscité un véritable tollé, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, y compris de la part des autorités haïtiennes.
Membre de la communauté d’ascendance africaine garifuna du Honduras, Ángel Colón a été remis en liberté sans condition en octobre 2014, après avoir passé cinq ans dans une prison mexicaine. Il avait été arrêté en 2009 par la police à Tijuana, alors qu’il tentait de se rendre aux États-Unis depuis le Honduras. Il avait été passé à tabac par la police, contraint de marcher sur les genoux, frappé à coups de pied et de poing dans le ventre. Les policiers lui avaient aussi mis un sac en plastique sur la tête, pour l’amener au bord de l’asphyxie. Il avait été déshabillé et contraint de nettoyer les chaussures d’autres détenus en les léchant et d’accomplir d’autres actes humiliants. Amnesty International le considérait comme un prisonnier d’opinion, arrêté, torturé et poursuivi en justice de façon discriminatoire, uniquement en raison de ses origines et de son statut de migrant sans papiers.

DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES

Après plus de 20 ans de lutte pour récupérer leurs terres ancestrales, les membres de la communauté indigène sawhoyamaxa du Paraguay ont obtenu gain de cause en juin 2014, grâce à l’adoption d’une loi d’expropriation en leur faveur. Les peuples autochtones de la région restaient cependant soumis à des menaces sociales, politiques et économiques qui risquaient de compromettre leur bien-être collectif et leur existence même. Leur patrimoine culturel, leurs terres ancestrales et leur droit à l’autodétermination étaient en permanence remis en cause. Ils continuaient d’être chassés de leurs terres au nom du développement socioéconomique par des acteurs aussi bien étatiques que non étatiques (entreprises, grands propriétaires terriens, etc.). Les projets de développement se traduisaient bien souvent par des dommages aussi bien environnementaux que culturels et par des déplacements de populations. Les groupes vivant volontairement isolés du reste du monde étaient tout particulièrement menacés, surtout en Amazonie.
Le droit des peuples indigènes d’être réellement consultés et de donner ou non leur accord libre, préalable et éclairé pour tout projet de développement les concernant, notamment en cas d’activités d’extraction minières, n’était toujours pas respecté, alors même que tous les États de la région ont entériné la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007).
Le non-respect des droits des peuples indigènes avait des répercussions négatives non seulement sur les moyens de subsistance de ces peuples, mais aussi sur les communautés elles-mêmes, dont les membres étaient menacés, harcelés, expulsés ou déplacés de force, attaqués ou tués, à mesure que l’exploitation des ressources s’intensifiait dans les régions où elles vivaient. Lorsqu’elles entendaient faire valoir leur droit de donner ou de refuser leur accord préalable et éclairé, elles se heurtaient à des actes d’intimidation, à des agressions, à des actions marquées par un recours abusif à la force, à la détention arbitraire et à une justice discriminatoire. Ainsi, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a estimé en juillet que la condamnation au Chili de huit Mapuches avait été fondée sur des stéréotypes discriminatoires et des préjugés.
Les femmes indigènes continuaient d’être victimes de manière disproportionnée de violences et de discriminations. En mai, la Gendarmerie royale du Canada a reconnu que 1 017 femmes et filles autochtones avaient été victimes de meurtre entre 1980 et 2012, soit un taux au moins quatre fois supérieur à celui qui prévalait dans le reste de la population. En janvier 2014, le parquet de Lima (Pérou) a clos les dossiers de plus de 2 000 femmes indigènes et paysannes qui avaient été stérilisées dans les années 1990 sans avoir donné leur consentement total et éclairé. Ces 2 000 cas ne représentaient qu’une petite partie des femmes stérilisées au Pérou dans les années 1990, dont on estime le nombre à plus de 200 000. Aucun des représentants de l’État responsables de la mise en œuvre du programme qui a donné lieu à ces stérilisations forcées n’a été poursuivi.

DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS EN DANGER

Les défenseurs des droits humains ont continué d’être en butte à des attaques et à des violences du fait de leur action légitime en faveur de ces droits dans de nombreux pays, notamment au Brésil, en Colombie, à Cuba, en Équateur, au Guatemala, en Haïti, au Honduras, au Mexique, au Pérou, en République dominicaine et au Venezuela. Ils étaient confrontés à toute une série de violations de leurs droits, dont l’atteinte à leur vie et à leur intégrité physique et la négation de leur droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Ils étaient aussi calomniés dans la presse et par des représentants des pouvoirs publics, ou encore victimes d’une utilisation abusive du système judiciaire visant à faire tomber sous le coup de la loi ceux qui défendent les droits humains. Il est très inquiétant de noter que, dans certains pays, comme la Colombie ou le Guatemala, les organisations locales de défense des droits humains ont signalé une recrudescence des attaques contre les défenseurs. De plus, les auteurs de ces actes n’ont pour ainsi dire jamais été traduits en justice.
Les défenseurs se battant contre l’impunité, pour les droits des femmes ou sur des sujets relatifs aux droits humains en matière de terres, de territoires et de ressources naturelles étaient tout particulièrement visés.
Même dans les pays où des mécanismes destinés à protéger les défenseurs des droits humains ont été mis en place (Brésil, Colombie et Mexique notamment), les mesures de protection prévues n’étaient souvent pas appliquées, ou du moins pas assez vite ni de manière suffisamment efficace. Cette situation était due en particulier à un manque de volonté politique et de moyens susceptibles de permettre une application véritable des mesures nécessaires. On pouvait en outre regretter qu’une approche différenciée en matière de mesures de protection tenant compte notamment de la dimension de genre n’ait pas été adoptée.
Malgré les conditions d’insécurité et d’hostilité dans lesquelles ils évoluaient, les défenseurs des droits humains continuaient de lutter dans toute la région avec courage, dignité et persévérance pour le respect des droits fondamentaux de tous.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Les États de la région n’ont accordé aucune priorité sur le plan politique à la protection des femmes et des filles contre le viol, les menaces et les homicides. La mise en œuvre, lente et très partielle, des lois visant à combattre les violences liées au genre constituait un sujet de préoccupation majeur. De plus, devant le manque de ressources disponibles pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites en lien avec ces crimes, on s’interrogeait sur l’existence d’une volonté véritable, de la part des pouvoirs publics, de s’attaquer au problème. Le manque de détermination à traduire en justice les responsables de ces crimes a contribué à perpétuer l’impunité des auteurs de violences liées au genre et favorisé un climat de tolérance envers les violences faites aux femmes et aux filles.
En août 2013, les États de la région ont semblé vouloir avancer sur la bonne voie lorsqu’ils sont parvenus, à Montevideo (Uruguay), à un accord historique dans lequel ils reconnaissaient que la criminalisation de l’avortement était la cause d’une mortalité et d’une morbidité maternelles accrues et ne s’accompagnait pas d’une diminution du nombre des interruptions volontaires de grossesse. En République dominicaine, l’avortement a été dépénalisé en décembre.
Toutefois, fin 2014, les droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles continuaient d’être bafoués, avec des conséquences dévastatrices pour leur avenir et pour leur santé. Le Chili, Haïti, le Honduras, le Nicaragua, le Salvador et le Suriname interdisaient toujours toute forme d’avortement, quelles que soient les circonstances, y compris pour les jeunes filles et les femmes enceintes à la suite d’un viol ou pour lesquelles la poursuite de la grossesse représentait un risque mortel. Quiconque pratiquait ou sollicitait un avortement s’exposait à une lourde peine d’emprisonnement.
En prenant ses fonctions, en mars 2014, la présidente chilienne Michelle Bachelet a promis de faire de l’abrogation de l’interdiction totale de l’avortement l’une des priorités de son mandat. Au Salvador, l’avenir semblait toujours sombre. Au moins 129 femmes ont été incarcérées pour des faits liés à une grossesse au cours des 10 dernières années. Dix-sept d’entre elles attendaient à la fin de l’année l’issue d’un recours en grâce qu’elles avaient déposé. Elles purgeaient des peines allant jusqu’à 40 années d’emprisonnement, auxquelles elles avaient été condamnées pour homicide avec circonstances aggravantes, après avoir été dans un premier temps inculpées d’avortement.
Dans la plupart des pays où l’accès à des services d’avortement était garanti par la loi sous certaines conditions, des procédures judiciaires interminables rendaient tout avortement sans danger quasiment impossible, en particulier pour les femmes n’ayant pas les moyens de recourir à des structures privées. Les difficultés d’accès à la contraception et à l’information sur les questions liées à la sexualité et à la procréation demeuraient un motif de préoccupation, surtout pour les femmes et les filles les plus marginalisées de la région.
Dans certains pays, on assistait progressivement à une dépénalisation de l’avortement en cas de viol. En Bolivie, le Tribunal constitutionnel plurinational a jugé en février qu’il était contraire à la Constitution d’exiger une autorisation judiciaire pour un avortement qui était consécutif à un viol. Au Pérou, un projet de loi visant à dépénaliser l’avortement lorsque la grossesse était due à un viol était en cours d’examen au Congrès à la fin de l’année. En Équateur, une initiative analogue a quant à elle été bloquée en 2013 par le président Rafael Correa.
La plupart des pays de la région ont adopté des lois visant à lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles dans la sphère aussi bien privée que publique.
Malheureusement, il n’existait pas en général de mécanismes effectifs et dotés de moyens suffisants pour protéger les femmes et les filles des violences dont elles étaient la cible, en particulier dans les communautés pauvres et marginalisées.
Une augmentation de la violence contre les femmes a été signalée un peu partout dans la région. La Cour et la Commission interaméricaines des droits de l’homme se sont inquiétées de la gravité du phénomène de la violence contre les femmes et de l’impunité dont jouissaient les responsables de cette violence. Elles estimaient que la vision sociétale de la femme comme étant un être inférieur était à l’origine d’une culture de la discrimination au sein des institutions judiciaires et chargées de l’application des lois – une culture ayant pour conséquence que les enquêtes étaient souvent bâclées et les auteurs des violences rarement sanctionnés.

CONFLIT ARMÉ

En Colombie, l’incapacité des autorités à enrayer les conséquences du conflit armé sur les droits humains et à traduire en justice les personnes soupçonnées d’atteintes à ces droits menaçait de compromettre la pérennité de tout accord de paix.
Des progrès ont été enregistrés dans les pourparlers engagés à Cuba entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Jamais depuis plus de 10 ans les chances n’avaient été aussi fortes de mettre un terme définitif au plus long conflit armé interne du continent américain. Toutes les parties en présence continuaient cependant de commettre des exactions et des atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire, dont les principales victimes étaient les peuples indigènes, les personnes d’ascendance africaine, les petits paysans, les défenseurs des droits humains et les syndicalistes.
Le gouvernement continuait de pousser à l’adoption de lois ayant pour effet d’élargir le champ des compétences de l’armée et de permettre à la justice militaire de se saisir plus facilement des affaires dans lesquelles des membres des forces de sécurité étaient soupçonnés de violations des droits humains. Cette politique menaçait de remettre en cause les timides avancées enregistrées par les tribunaux civils en matière de droit des victimes d’obtenir vérité et justice.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ

Le président Barack Obama a reconnu que les États-Unis avaient eu recours à la torture après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, mais il n’a rien dit quant à l’obligation de rendre des comptes et aux réparations. Fin 2014, 127 hommes étaient toujours détenus sur la base militaire américaine de Guantánamo (Cuba). La majorité n’avaient été ni inculpés ni jugés. Pour six d’entre eux, des procédures de jugement étaient en cours devant des commissions militaires, dans le cadre d’un dispositif non conforme aux normes internationales d’équité des procès. La peine de mort avait été requise contre eux.
La Commission spéciale du Sénat des États-Unis sur le renseignement a conclu fin 2012 une enquête commencée en 2009 sur le programme de détention secrète et d’interrogatoires mis en place par la CIA au lendemain du 11 septembre 2001. Elle a voté le 3 avril 2014, par 11 voix contre trois, en faveur de la publication du résumé de son rapport et de ses 20 constatations et conclusions. Ce résumé a finalement été rendu public le 9 décembre. Il donnait des précisions accablantes sur les violations des droits humains perpétrées dans le cadre du programme de la CIA, appliqué sous l’autorité du président des États-Unis. Le rapport dans son ensemble restait néanmoins classé secret, sans que le public puisse en prendre connaissance, dans l’attente « d’une déclassification à une date ultérieure », selon la présidente de la Commission, la sénatrice Dianne Feinstein . Bien que de nombreuses informations circulent depuis des années dans le domaine public sur la nature du programme géré par la CIA, personne n’a pour l’instant été traduit en justice pour les violations des droits humains commises dans le cadre de ce programme, et notamment pour les actes de torture et les disparitions forcées, qui sont des crimes relevant du droit international.

PEINE DE MORT

Les États-Unis étaient le seul pays de la région à appliquer la peine de mort. Même dans ce pays, toutefois, la tendance générale à l’abolition de la peine capitale continuait de gagner du terrain. Ainsi, en février, le gouverneur de l’État du Washington a annoncé qu’il n’autoriserait aucune exécution tant qu’il serait en fonction. En 2013 déjà, le Maryland avait aboli la peine de mort, portant à 18 le nombre d’États abolitionnistes au sein des États-Unis. Il semblait également acquis qu’il n’y aurait pas non plus d’exécutions au Colorado pendant le mandat de l’actuel gouverneur.
Enfin, plusieurs pays des Grandes Antilles ont signalé que, pour la première fois depuis 1980, les quartiers des condamnés à mort de leurs prisons étaient vides.

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