Rapport Annuel 2014/2015

YÉMEN

République du Yémen

Chef de l’État : Abd Rabbu Mansour Hadi

Chef du gouvernement : Khaled Bahah (a pris ses fonctions en octobre après la démission de Mohammed Salim Basindwa en septembre)

Les forces gouvernementales ont commis des violations des droits humains, notamment des homicides illégaux et des disparitions forcées, contre des partisans de la sécession du sud du pays et dans le cadre de la reprise du conflit avec les rebelles huthis. Ces derniers se sont également livrés à des exactions. L’impunité était généralisée et aucun progrès n’a été accompli pour mettre un terme aux assassinats politiques ni pour remédier aux atteintes aux droits humains commises dans le passé. Les forces de sécurité ont utilisé une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques à Sanaa et dans des villes du sud. La liberté d’expression a souffert, dans un climat d’attaques continues, entre autres atteintes aux droits humains, visant des journalistes et des médias. Les femmes continuaient de subir des discriminations et étaient confrontées à un niveau élevé de violence domestique et d’autres violences liées au genre. Des groupes armés d’opposition ont procédé à des bombardements aveugles et commis d’autres exactions. L’armée des États-Unis a procédé à des tirs de drones contre des activistes présumés d’Al Qaïda, faisant des morts et des blessés parmi la population civile.

CONTEXTE

Le processus de transition politique amorcé par le soulèvement populaire de 2011 s’est poursuivi, mais restait fragile. Le 26 février, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2140, mettant en place des sanctions contre des individus et des organisations considérés comme entravant le processus de transition.
La reprise des hostilités entre le gouvernement et les Huthis – un groupe armé chiite zaïdite basé dans les gouvernorats de Saada et d’Amran – faisait peser une lourde menace sur le processus de transition. En septembre, au lendemain de la signature d’un accord négocié par les Nations unies en vue de mettre fin au conflit, les Huthis ont pris le contrôle de la plus grande partie de la capitale, Sanaa.
La Conférence de dialogue national, qui a duré 10 mois et a rassemblé 565 représentants de partis et mouvements politiques rivaux ainsi que des organisations de la société civile, dont des groupes de femmes et de jeunes, s’est achevée le 25 janvier. Plus de 1 800 recommandations ont été formulées, dont certaines prônaient une meilleure protection des droits. La Conférence a conclu que le Yémen devait devenir un État fédéral et se doter d’une nouvelle Constitution.
En juin, lors de l’Examen périodique universel des Nations unies, des représentants du gouvernement ont confirmé que le Yémen allait adhérer au Statut de Rome de la Cour pénale internationale et à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. À la fin de l’année, le Parlement n’avait toujours pas adopté de loi pour donner effet à ces ratifications.
Le gouvernement n’a pas entrepris de réforme en profondeur de l’armée et de deux services de sécurité – la Sécurité nationale et la Sécurité politique – impliqués dans des violations graves des droits humains et qui relevaient directement du président.

CONFLIT ARMÉ

La situation en matière de sécurité n’a cessé de se dégrader dans tout le pays ; l’année a été marquée par des meurtres de responsables gouvernementaux et de militaires de haut rang, des enlèvements (notamment d’étrangers) et la reprise du conflit armé.
Dans le nord du pays, des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées au cours d’affrontements armés qui ont éclaté en 2013 dans la ville de Dammaj (gouvernorat de Saada) entre les Huthis et des partisans du parti islamiste sunnite Al Islah et du parti salafiste Al Rashad. Des milliers de partisans d’Al Rashad originaires de Dammaj, essentiellement les familles d’étudiants de l’institut religieux Dar al Hadith, affilié à ce parti, ont été déplacés de force à la suite d’un accord de cessez-le- feu en janvier 2014. En dépit de cet accord, les combats se sont étendus au sud. À la mi-2014, à l’issue d’affrontements contre leurs opposants et l’armée yéménite, les combattant huthis s’étaient emparés de la plus grande partie des gouvernorats d’Amran, Hajja et Al Jawf. En septembre, ils ont attaqué Sanaa et pris le contrôle d’une grande partie de la capitale après des combats qui ont fait plus de 270 morts et des centaines de blessés. Ils ont pillé des unités de l’armée, des bâtiments officiels, le siège de partis politiques, les locaux de médias et le domicile de membres d’Al Islah. Malgré la conclusion d’un accord de cessez-le-feu et bien qu’elles aient accepté de participer à un nouveau gouvernement formé en novembre, les forces huthis ont ensuite progressé au sud de Sanaa, se heurtant à des unités de l’armée, des membres de tribus et des combattants du groupe armé Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). AQPA a répondu par des attaques à Sanaa et dans d’autres villes, qui ont fait de nombreux morts et blessés parmi la population civile, dont des enfants.
Dans le sud, les forces gouvernementales se sont heurtées à des combattants d’AQPA, qui ont commis des attentats-suicides, entre autres attaques, contre des infrastructures gouvernementales. Le 5 décembre 2013, au moins 57 personnes, membres du personnel et patients, ont trouvé la mort dans une attaque contre un hôpital militaire de Sanaa. En juin, AQPA a attaqué un poste de contrôle de l’armée à Shabwa, tuant huit soldats et six membres des tribus qui les aidaient. Le groupe a affirmé que ces attaques étaient une réponse aux tirs de drones américains contre ses combattants, effectués avec le soutien du gouvernement yéménite. En avril, l’armée yéménite a lancé des offensives contre les positions d’AQPA dans les gouvernorats d’Abyan et de Shabwa. Selon les informations recueillies, les affrontements ont contraint quelque 20 000 personnes à quitter leur foyer. L’armée américaine a elle aussi attaqué AQPA, par des tirs de drones qui ont pris pour cible et tué des membres de ce groupe et auraient également tué et blessé un nombre indéterminé de civils. En décembre, une opération des forces américaines visant à libérer Luke Somers, retenu en otage par AQPA, s’est soldée par la mort de ce journaliste et d’un autre otage.
Malgré les initiatives en vue d’interdire cette pratique, les forces gouvernementales et les groupes armés d’opposition recrutaient et utilisaient des enfants soldats, a indiqué un rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme [ONU] publié en août.

ASSASSINATS POLITIQUES

Cette année encore des personnalités politiques et des responsables des forces de sécurité ont été assassinés. Le 21 janvier, Ahmed Sharaf el Din, l’un des dirigeants huthis les plus éminents, a été assassiné alors qu’il se rendait à la Conférence de dialogue national. En novembre, des tireurs masqués ont abattu dans une rue de Sanaa Mohammad Abdul Malik al Mutawwakkil, professeur d’université et personnalité politique de premier plan. Plus de 100 militaires et membres des forces de sécurité ont été assassinés entre la mi-2012 et la fin de 2014 ; des dizaines d’autres ont survécu à des tentatives d’assassinat. Les responsables de la plupart de ces homicides n’ont pas été identifiés et Amnesty International n’a reçu aucune information faisant état de poursuites contre les responsables présumés de ces actes.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE

Le 9 septembre, des soldats ont ouvert le feu à Sanaa sur des manifestants huthis qui réclamaient un changement de gouvernement ; sept personnes au moins ont été tuées et plusieurs autres ont été blessées. Deux jours plus tôt, les forces de sécurité avaient tiré en direction de manifestants huthis sur la route de l’aéroport à Sanaa, tuant au moins deux manifestants pacifiques. Les autorités ont annoncé l’ouverture d’enquêtes sur des cas d’utilisation excessive de la force pour disperser des manifestations, dans le sud du pays (voir plus loin) et à Sanaa, le 9 juin 2013. Treize protestataires au moins avaient été tués et plus de 50 autres blessés. On ignorait les conclusions de ces enquêtes à la fin de l’année.

RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE – SUD DU YÉMEN

Aden et les régions environnantes étaient toujours en proie à des troubles graves. Des factions du Mouvement du sud (Al Hirak Al Janoubi) ont participé à la Conférence de dialogue national. À Aden et dans d’autres villes, des manifestants continuaient d’appeler à la sécession de cette région. Ils ont organisé des grèves et d’autres mouvements de protestation, contre lesquels l’armée est intervenue en utilisant dans certains cas une force excessive et meurtrière. C’est ainsi que le 21 février, les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive pour disperser des manifestations à Al Mukallah et Aden.
Deux manifestants ont été tués et plus de 20 autres ont été blessés.
Le 27 décembre 2013 à Al Sanah (gouvernorat d’Ad Dali), la 33e brigade blindée de l’armée yéménite a tué plusieurs dizaines de personnes qui participaient pacifiquement à des funérailles. Le président a annoncé l’ouverture d’une enquête, dont les conclusions n’avaient pas été rendues publiques à la fin de l’année. La même brigade aurait tué et blessé d’autres civils par des tirs d’artillerie menés sans discrimination, entre autres attaques, au début de 2014.
Dix civils, dont deux enfants, ont notamment été tués le 16 janvier, et 20 autres ont été blessés lors d’une opération menée selon toute apparence en représailles à une attaque du Mouvement du sud contre un poste de contrôle de l’armée à Ad Dali.
Les forces de sécurité ont arrêté à Aden et dans d’autres villes des militants du Mouvement du sud. Certains ont été soumis à une disparition forcée. Le 31 août, Khaled Al Junaidi a été battu puis embarqué de force dans une voiture par des hommes armés non identifiés qui, selon des témoins, étaient probablement des membres des forces de sécurité. Cet homme a ensuite disparu. Les autorités n’ont pas reconnu le détenir et sa famille n’a pas réussi à obtenir des informations sur son sort ni sur l’endroit où il se trouvait. Khaled al Junaidi avait déjà été arrêté par les forces de sécurité, à quatre reprises au moins ; il avait notamment été détenu en novembre 2013, pendant trois semaines au cours desquelles il avait été maintenu à l’isolement. Remis en liberté le 27 novembre, il a été tué par balle le 15 décembre, par un membre des forces de sécurité semble-t-il.

ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, CONSTITUTIONNELLES OU INSTITUTIONNELLES

Des modifications de la Loi relative à l’autorité judiciaire ont été adoptées en novembre 2013. En vertu des nouvelles dispositions, des pouvoirs exercés précédemment par le ministre de la Justice ont été transférés au Conseil judiciaire suprême, ce qui a renforcé l’indépendance du pouvoir judiciaire. De nouvelles initiatives ont été prises en 2014, notamment l’élaboration d’un projet de loi visant à créer une Commission nationale des droits humains et d’un autre projet relatif aux droits de l’enfant. Entre autres réformes, ce texte aborderait le problème du mariage précoce en fixant l’âge minimum du mariage à 18 ans, interdirait l’application de la peine de mort aux mineurs de moins de 18 ans et érigerait en infraction pénale les mutilations génitales féminines. Les deux projets de loi étaient en instance d’adoption à la fin de l’année.
Le chef de l’État a promulgué le 8 mars les décrets présidentiels 26/2014 et 27/2014, portant création de la Commission de rédaction de la Constitution et désignant ses 17 membres. Aux termes de ces décrets, la Commission disposait d’un délai d’un an pour mener à bien la rédaction d’un projet de Constitution, qui devait être suivie de consultations publiques et d’un référendum.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Des journalistes et d’autres professionnels des médias ont été menacés et attaqués par des membres des forces gouvernementales et par des hommes armés non identifiés. Le 11 juin, la Garde présidentielle a fait une descente dans les locaux de la chaîne de télévision par satellite Yemen Today et l’a contrainte à cesser d’émettre ; elle a également fermé le journal Yemen Today, apparemment sans autorisation du procureur. Des organisations locales de défense de la liberté de la presse ont déclaré avoir recensé, au cours des six premiers mois de 2014, 146 cas de menaces, d’agressions et d’autres atteintes aux droits des journalistes. À Sanaa, des combattants huthis armés ont fait des descentes dans les locaux de plusieurs organes de presse et les ont contraints à fermer.

IMPUNITÉ

Les autorités n’ont guère progressé sur la question des atteintes généralisées aux droits humains commises au cours des années précédentes.
Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour élucider le sort des centaines de militants politiques et d’autres personnes victimes de disparitions forcées sous le régime précédent, dirigé pendant plusieurs décennies par le président Ali Abdullah Saleh, ni pour traduire en justice les responsables de ces actes ; un certain nombre de personnes victimes de disparition forcée depuis plusieurs décennies ont toutefois « réapparu ».
Justice de transition Après de nombreux projets qui étaient loin de garantir la justice et l’obligation de rendre des comptes pour les crimes commis dans le passé, un projet de loi sur la justice de transition et la réconciliation nationale élaboré à la demande de la Conférence de dialogue national a été soumis au gouvernement pour approbation en mai ; la loi n’avait pas été adoptée à la fin de l’année. De même, le président n’avait toujours pas désigné fin 2014 les membres d’une commission chargée d’enquêter sur les violations des droits humains commises durant le soulèvement de 2011, dont il avait annoncé la mise en place en septembre 2012. Deux autres commissions dont il avait annoncé la création en 2013 étaient submergées de demandes. La première, chargée de la question de la confiscation de terres dans le sud du Yémen dans les années 1990, avait reçu plus de 100 000 réclamations en mai ; la seconde, qui devait examiner le licenciement de fonctionnaires du sud, avait enregistré 93 000 demandes à la même période. Aucune ne semblait toutefois disposer de moyens suffisants pour traiter les dossiers ouverts.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Les femmes et les filles continuaient d’être victimes de discrimination, dans la législation et dans la pratique, notamment en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d’héritage. Elles étaient également confrontées à un niveau élevé de violence domestique, entre autres formes de violence liée au genre. Le mariage précoce et le mariage forcé restaient répandus et, dans certaines régions, les mutilations génitales féminines étaient une pratique courante.
La Conférence de dialogue national a recommandé aux universités et aux autres établissements d’enseignement supérieur de réserver 30 % des places aux femmes. Elle a également préconisé que la nouvelle Constitution exige des organes gouvernementaux qu’ils mettent en place un système de quota de 30 % pour le recrutement des femmes.

DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES MIGRANTS

Le Yémen a accueilli au cours de l’année un grand nombre de réfugiés, demandeurs d’asile et migrants en quête de sécurité, de protection ou d’opportunités économiques. Beaucoup sont entrés au Yémen après une traversée en bateau depuis l’Éthiopie et la Somalie. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et ses partenaires locaux géraient entièrement des centres de transit et d’accueil, sans que le gouvernement ne joue un rôle actif.

PEINE DE MORT

La peine de mort était maintenue pour toute une série de crimes. Les tribunaux ont prononcé des sentences capitales et des exécutions ont eu lieu. Parmi les prisonniers sous le coup d’une condamnation à mort figuraient semble-t-il plusieurs dizaines de mineurs délinquants condamnés pour des crimes commis alors qu’ils avaient moins de 18 ans.

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