Rapport Annuel 2014/2015

MOYEN-ORIENT ET AFRIQUE DU NORD — RÉSUMÉ RÉGIONAL DES DROITS HUMAINS

Alors que 2014 s’achevait, le constat fait par la communauté internationale était celui d’une année catastrophique pour des millions de personnes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Une année où le conflit armé et les violations abjectes se sont poursuivis sans discontinuer en Syrie et en Irak, où les civils de Gaza ont été frappés de plein fouet par les combats les plus meurtriers entre Israël et le Hamas, où la Libye ressemblait de plus en plus à un État défaillant pris dans un début de guerre civile. La société yéménite restait elle aussi profondément divisée, le pouvoir central étant confronté à une insurrection chiite dans le nord, un puissant mouvement sécessionniste dans le sud et une poursuite de l’insurrection dans le sud-ouest.
Au terme de ces 12 mois, le bel espoir de changement qui avait porté les soulèvements populaires dans le monde arabophone en 2011 et provoqué la chute de dirigeants établis de longue date en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Yémen semblait un lointain souvenir. L’exception a été la Tunisie : les nouvelles élections législatives organisées en novembre s’y sont déroulées sans heurts et les autorités ont pris au moins quelques mesures pour poursuivre les responsables des violations flagrantes des droits humains commises dans le passé. Par contre, la situation en Égypte suscitait moins d’optimisme. Le général ayant renversé en 2013 le premier président élu après le soulèvement a été élu président et a conduit une vague de répression qui a visé les Frères musulmans et leurs alliés, mais aussi des militants politiques de toutes sortes de tendances, des professionnels des médias et des militants des droits humains. Des milliers ont été emprisonnés, et des centaines condamnés à mort. Dans le Golfe, les autorités de Bahreïn, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ont inlassablement muselé la dissidence et réprimé tout signe d’opposition au pouvoir, avec la conviction que leurs principaux alliés dans les démocraties occidentales ne risquaient guère de soulever des objections.
L’année 2014 a également été marquée par la sauvagerie des groupes armés engagés dans les conflits armés en Syrie et en Irak, en particulier le groupe qui se donne le nom d’État islamique (EI, anciennement EIIL).
En Syrie, les combattants de l’EI et d’autres groupes armés contrôlaient de vastes zones du pays, notamment une grande partie de la région entourant Alep, la plus grande ville de Syrie, et infligeaient des « châtiments » tels que des exécutions publiques, des amputations et des flagellations pour punir ce qu’ils considéraient comme des transgressions de leur version de la loi islamique. L’EI a étendu son influence dans les zones sunnites de l’Irak, faisant régner la terreur en exécutant sommairement des centaines de soldats de l’armée régulière capturés, membres de minorités, musulmans chiites et autres personnes, dont des membres de tribus sunnites qui s’opposaient à lui. L’EI a également pris pour cible les minorités religieuses et ethniques, chassant de chez eux les chrétiens et forçant des milliers de yézidis et d’autres groupes minoritaires à fuir leurs habitations et leurs terres. Les forces de l’EI ont abattu des hommes et des garçons yézidis dans des conditions évoquant une exécution et enlevé des centaines de femmes et de filles yézidies qu’ils ont réduites en esclavage, obligeant un grand nombre d’entre elles à devenir les « épouses » de combattants de l’EI, qui comptaient des milliers de volontaires étrangers venant d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Australie, d’Afrique du Nord, du Golfe et d’ailleurs.
Contrairement à ceux qui commettent des homicides illégaux mais tentent de perpétrer leurs crimes en secret, l’EI revendiquait ses actes de la manière la plus brutale. Il veillait à ce que ses propres cameramen soient présents pour filmer certains de ses actes les plus atroces, notamment la décapitation de journalistes, de travailleurs humanitaires et de soldats libanais ou irakiens capturés. Il montrait ensuite les assassinats dans des vidéos sophistiquées et macabres, mises en ligne sur Internet pour servir d’outils de propagande, de négociation d’otages et de recrutement.
Les avancées militaires rapides de l’EI en Syrie et en Irak, combinées aux exécutions sommaires d’otages occidentaux et d’autres personnes, ont conduit les États-Unis à constituer une alliance contre l’EI en septembre. Elle regroupait plus de 60 États, dont Bahreïn, la Jordanie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui ont ensuite lancé des frappes aériennes contre les positions de l’EI et d’autres groupes armés non étatiques, au cours desquelles des civils ont été tués ou blessés. Ailleurs, les forces américaines ont continué de mener des attaques, à l’aide de drones notamment, contre les filiales d’Al Qaïda au Yémen, tandis que la lutte entre les gouvernements et les groupes armés non étatiques prenait un tournant de plus en plus supranational. De son côté, la Russie continuait de défendre le gouvernement syrien dans l’enceinte de l’ONU tout en lui transférant des armes et des munitions pour soutenir son effort de guerre, sans tenir compte des crimes de guerre et des autres graves violations commises par les autorités syriennes.
Les crimes de l’EI, leur retentissement et le sentiment de crise politique qu’ils suscitaient ont un temps menacé de masquer la brutalité implacable et l’ampleur des actions menées par les forces gouvernementales syriennes, qui se battaient pour garder le contrôle des zones qu’elles détenaient et reconquérir celles tombées aux mains des groupes armés, avec un mépris apparemment total pour la vie des civils et leurs obligations en vertu du droit international humanitaire. Les forces gouvernementales ont mené des attaques aveugles contre des zones abritant des civils, utilisant toute une panoplie d’armes lourdes, dont des barils explosifs, et des tirs d’artillerie et de chars. Elles maintenaient des zones en état de siège illimité, privant ainsi les civils de nourriture, d’eau et de médicaments, et ont attaqué des hôpitaux et des professionnels de santé. Elles ont aussi continué à placer en détention un grand nombre de détracteurs et d’opposants présumés, dont beaucoup ont été torturés et incarcérés dans des conditions terribles, et se sont livrées à des homicides illégaux. En Irak, la réponse du gouvernement à l’avancée de l’EI a consisté à adjoindre aux forces de sécurité des milices chiites pro- gouvernementales, qui étaient libres d’agir à leur guise contre des communautés sunnites perçues comme opposées au gouvernement ou favorables à l’EI, et à mener des attaques aériennes sans discernement contre Mossoul et d’autres centres tenus par les forces de l’EI.
Comme dans la plupart des conflits modernes, les civils ont une nouvelle fois payé le plus lourd tribut lors des combats. Les forces en présence n’ont pas respecté leur obligation d’épargner les civils. Le conflit de 50 jours qui a opposé Israël au Hamas et aux groupes armés palestiniens à Gaza a infligé des destructions et des dégâts terribles aux habitations et aux infrastructures palestiniennes, et causé un nombre effroyable de morts et de blessés dans la population civile palestinienne. Les forces israéliennes ont attaqué des maisons habitées, tuant parfois des familles entières, ainsi que des centres médicaux et des écoles. Les habitations et les infrastructures civiles étaient délibérément détruites. À Gaza, plus de 2 000 Palestiniens ont été tués, dont 1 500 environ étaient identifiés comme des civils, parmi lesquels plus de 500 enfants. Le Hamas et les groupes armés palestiniens ont tiré aveuglément des milliers de roquettes et d’obus de mortier contre des zones civiles israéliennes, tuant six civils, dont un enfant. Par ailleurs, les hommes armés du Hamas ont exécuté sommairement au moins 23 Palestiniens qu’ils accusaient de collaboration avec Israël, notamment des détenus non encore jugés qu’ils ont fait sortir de leur prison. Les deux camps ont commis en toute impunité des crimes de guerre et d’autres atteintes graves aux droits humains durant le conflit, conformément à des modalités déjà observées maintes fois dans le passé. Le blocus aérien, maritime et terrestre de Gaza par Israël, ininterrompu depuis 2007, a exacerbé l’effet dévastateur du conflit de 50 jours et porté un coup sévère aux efforts de reconstruction. Il s’apparentait à un châtiment collectif – un crime au regard du droit international – contre la population gazaouie de 1,8 million d’habitants.
Les tensions, notamment politiques, à l’œuvre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont atteint leur paroxysme en 2014 dans les pays ravagés par un conflit armé, mais les lacunes institutionnelles et autres touchaient toute la région, attisant ces tensions et empêchant une désescalade rapide. On peut citer l’absence générale de tolérance des gouvernements et de certains groupes armés non étatiques à l’égard de la critique ou de la dissidence ; la faiblesse ou l’absence d’organes législatifs susceptibles de faire barrage ou contrepoids aux violations commises par les autorités ; l’absence d’indépendance de la justice et la subordination du système pénal à la volonté de l’exécutif, et l’absence d’obligation de rendre des comptes, notamment en ce qui concerne les engagements des États en vertu du droit international.

RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE

Les gouvernements de toute la région ont continué à réprimer la dissidence, en limitant les droits à la liberté de parole et d’expression, notamment sur les réseaux sociaux. Des lois érigeant en infraction l’expression d’opinions jugées insultantes à l’égard du chef de l’État, de membres du gouvernement, de représentants de la justice, voire de dirigeants étrangers, ont été utilisées pour incarcérer des personnes ayant émis des critiques à Bahreïn – où un tribunal a condamné une militante connue à trois ans d’emprisonnement pour avoir déchiré une photographie du roi – mais aussi en Arabie saoudite, en Égypte, en Jordanie, au Koweït, au Maroc et à Oman. En Iran, des détracteurs ont été jugés pour moharebeh (« inimitié à l’égard de Dieu »), infraction passible de la peine de mort. Aux Émirats arabes unis, les autorités ont continué à condamner des partisans des réformes à de lourdes peines d’emprisonnement au terme de procès inéquitables, et adopté de nouvelles lois antiterroristes dont le champ d’application était si vaste qu’elles assimilaient les manifestations pacifiques au terrorisme, ce qui pouvait être puni de mort.
Les Émirats arabes unis et d’autres États du Golfe, dont Bahreïn, le Koweït et Oman, ont créé ou utilisé des pouvoirs permettant de sanctionner des détracteurs pacifiques en leur retirant leur nationalité, et par conséquent leurs droits de citoyens, au risque de les rendre apatrides. Bahreïn, le Koweït et les Émirats arabes unis ont utilisé ces pouvoirs pendant l’année.
La liberté d’association était très limitée. De nombreux gouvernements n’autorisaient pas les syndicats indépendants ; certains pays, dont l’Algérie et le Maroc et Sahara occidental, exigeaient que les associations indépendantes, et notamment les organisations de défense des droits humains, s’enregistrent auprès des autorités pour fonctionner légalement, mais ils empêchaient leur enregistrement ou harcelaient celles qui étaient déjà enregistrées. En Égypte, les autorités menaçaient l’existence même des ONG indépendantes.
Le droit à la liberté de réunion pacifique, si tangible pendant les manifestations dans la région en 2011, a été considérablement restreint par de nombreux gouvernements en 2014. Les autorités algériennes ont empêché des manifestations en bloquant l’accès aux lieux et en arrêtant des militants. Au Koweït, les autorités ont continué d’interdire les manifestations de la communauté bidun, dont beaucoup de membres se voient toujours refuser la nationalité koweïtienne. Les forces de sécurité de Bahreïn, de l’Égypte et du Yémen ont eu recours à une force excessive contre des manifestants, et notamment à la force meurtrière alors que les circonstances ne le justifiaient pas, tuant ou blessant certains d’entre eux. Des soldats israéliens et des membres de la police des frontières en Cisjordanie ont abattu des Palestiniens qui jetaient des pierres et d’autres personnes qui manifestaient contre les colonies, le mur/ barrière et d’autres aspects de la longue occupation militaire israélienne.
Ailleurs, des hommes armés non identifiés ont commis des homicides illégaux en toute impunité, ciblant parfois ceux qui défendaient les droits humains et l’État de droit. En Libye, Salwa Bughaighis, une avocate qui avait été l’une des principales figures du soulèvement de 2011, a été abattue à son domicile de Benghazi par des hommes armés, peu après avoir critiqué dans une interview les puissants groupes armés criminels du pays.

JUSTICE

Les arrestations et détentions arbitraires, les détentions prolongées sans procès, les disparitions forcées et les procès inéquitables étaient fréquents dans toute la région. Ils venaient rappeler quotidiennement que les systèmes pénaux, corrompus, sont des outils de répression pour les autorités. Des milliers de personnes étaient incarcérées en Syrie, en Égypte, en Irak et en Arabie saoudite ; certaines n’avaient été ni inculpées ni jugées, d’autres purgeaient une peine d’emprisonnement prononcée à l’issue d’une procédure inéquitable. Des personnes étaient également détenues, en moins grand nombre, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis, en Iran et ailleurs ; certaines étaient victimes de disparition forcée. Les autorités israéliennes retenaient environ 500 Palestiniens en détention administrative sans procès, et des milliers d’autres Palestiniens purgeaient une peine de prison en Israël. Les autorités palestiniennes, en Cisjordanie comme à Gaza, continuaient de détenir des opposants politiques ; à Gaza, des tribunaux militaires et d’autres juridictions ont condamné à mort des « collaborateurs » présumés avec Israël.
En Libye, les milices rivales détenaient des milliers de personnes, parfois depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Ces détenus vivaient souvent dans des conditions difficiles et dégradantes, sans perspective de libération prochaine.
Dans une grande partie de la région, les tribunaux ont jugé et condamné des accusés sans respecter les garanties d’une procédure régulière. Ils ont souvent prononcé de lourdes peines d’emprisonnement, et parfois des condamnations à mort, sur la base d’« aveux » extorqués sous la torture et d’accusations si vagues que la déclaration de culpabilité était quasiment certaine. En Égypte, un juge a prononcé des condamnations à mort préliminaires contre des centaines de personnes accusées de participation à des attaques meurtrières contre des postes de police, après deux procès entachés de graves irrégularités ; un autre juge a condamné trois professionnels des médias de premier plan à de lourdes peines d’emprisonnement en l’absence d’éléments probants ; enfin, le nouveau chef de l’État a accru par décret les pouvoirs conférés aux tribunaux militaires, notoirement iniques, pour juger les civils accusés de terrorisme et d’autres infractions. À Bahreïn et aux Émirats arabes unis, les tribunaux étaient aux ordres des gouvernements lorsqu’ils jugeaient des personnes accusées d’une infraction liée à la sécurité ou d’insulte à l’égard des responsables au pouvoir ; dans ces deux pays, ils ont prononcé des peines d’emprisonnement contre des personnes qui se mobilisaient pour faire libérer un membre de leur famille injustement emprisonné.
En Iran, les tribunaux révolutionnaires ont continué à condamner des personnes sur la base d’accusations très floues et ont prononcé des peines sévères, y compris la peine capitale. En Arabie saoudite, les personnes prises pour cible et condamnées à des peines d’emprisonnement étaient notamment des avocats qui étaient intervenus dans des procès liés aux questions de sécurité et avaient critiqué l’iniquité de la procédure.
L’Arabie saoudite, l’Iran et l’Irak restaient les pays de la région qui pratiquaient le plus grand nombre d’exécutions. Ils ont exécuté d’innombrables condamnés, dont beaucoup avaient eu un procès inéquitable. Parmi les personnes exécutées en Arabie saoudite se trouvaient un homme déclaré coupable de sorcellerie et d’autres personnes déclarées coupables d’infractions non violentes à la législation sur les stupéfiants. Les victimes – 26 pour le seul mois d’août – étaient généralement décapitées en public. L’Égypte a repris les exécutions en juin après une interruption de plus de 30 mois, ce qui pouvait présager une augmentation massive des exécutions une fois que les centaines de partisans des Frères musulmans et d’autres personnes condamnées à mort pendant l’année auraient épuisé les voies de recours. La Jordanie a également repris les exécutions en décembre après une suspension de huit ans. Au Liban, les tribunaux continuaient de prononcer des condamnations à mort mais les autorités s’abstenaient de procéder aux exécutions, tout comme celles de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, qui maintenaient depuis de longues années un moratoire de fait sur les exécutions.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Dans toute la région, les forces de sécurité ont torturé et maltraité des détenus placés sous leur responsabilité, parfois à une échelle industrielle. En Syrie, des enfants figuraient parmi les victimes et un grand nombre de décès en détention dus à la torture et aux mauvais traitements a été signalé, mais ces informations étaient souvent difficiles à vérifier. En janvier, des photographies ont révélé la mort de milliers de détenus ; dans de nombreux cas, ceux-ci ont manifestement succombé à des coups ou à d’autres tortures ou sont morts de faim pendant leur détention par l’État syrien. La torture était endémique en Égypte, où les victimes étaient aussi bien des personnes soupçonnées d’infractions mineures que des militants des Frères musulmans pris dans la répression gouvernementale. Les méthodes de torture fréquemment signalées dans ces pays et dans d’autres consistaient notamment à infliger des coups sur la plante des pieds, à frapper la victime suspendue par les bras ou les jambes, à la faire rester debout ou accroupie pendant une période prolongée dans une position douloureuse, à infliger des décharges électriques sur les parties génitales ou d’autres zones sensibles, à menacer le détenu et sa famille, et dans certains cas à commettre des viols et d’autres violences sexuelles. Souvent, la torture était utilisée pour obtenir des informations permettant d’arrêter d’autres suspects ou pour extorquer des « aveux » grâce auxquels les tribunaux condamnaient à des peines d’emprisonnement des détracteurs du gouvernement ou des opposants. Elle avait également un autre objectif, celui d’avilir, d’humilier et de marquer mentalement et physiquement la victime. En général, les tortionnaires agissaient en toute impunité, dans la mesure où les gouvernements violaient fréquemment leur obligation juridique internationale d’enquêter de manière indépendante sur les allégations de torture et engageaient rarement des poursuites contre les tortionnaires présumés. Même lorsqu’ils étaient poursuivis, ces derniers n’étaient presque jamais condamnés.

IMPUNITÉ

Mais les tortionnaires n’étaient pas les seuls à jouir de l’impunité. C’était aussi le cas des responsables politiques et militaires ayant orchestré ou ordonné les crimes de guerre et autres violations du droit international commis par les forces gouvernementales pendant les conflits en Syrie, en Irak, en Libye et au Yémen ou encore par les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens à Gaza et en Israël, et de tous ceux qui ont présidé aux violations de grande ampleur commises en Arabie saoudite, en Égypte, aux Émirats arabes unis, en Iran et ailleurs. À Bahreïn, le gouvernement s’était engagé en 2011 à mener une enquête indépendante sur la torture à la suite des constats formulés par une commission indépendante composée d’experts internationaux, mais il n’en avait rien fait à la fin de l’année.
En Algérie, les autorités ont persisté dans leur refus d’autoriser des enquêtes sur les homicides illégaux et les autres violations commises dans le passé ; au Yémen, l’ancien président et ses proches associés étaient toujours protégés par l’immunité obtenue lorsqu’ils avaient quitté le pouvoir après les manifestations de 2011, au cours desquelles de nombreux manifestants avaient été tués. En Tunisie, les nouvelles autorités ont certes poursuivi d’anciens hauts responsables et membres des forces de sécurité pour homicide illégal de manifestants pendant le soulèvement, mais une cour d’appel militaire a modifié les chefs d’accusation et réduit les peines à telle enseigne que la plupart des condamnés ont recouvré la liberté.
Compte tenu de l’inertie des systèmes judiciaires nationaux ou de leur incapacité à faire cesser l’impunité en Syrie, des groupes de défense des droits humains, dont Amnesty International, ont lancé des appels répétés au Conseil de sécurité de l’ONU afin qu’il saisisse la Cour pénale internationale (CPI) de la situation syrienne et de celle d’Israël et des territoires palestiniens occupés, mais leurs appels n’ont pas été entendus. La Libye, elle, faisait toujours l’objet d’un examen de la CPI après le renvoi de sa situation par le Conseil de sécurité en 2011, mais la procureure de la Cour n’a pas ouvert de nouvelles enquêtes malgré les très nombreux crimes de guerre commis depuis que le pays a replongé dans la guerre civile.

DISCRIMINATION – MINORITÉS ETHNIQUES OU RELIGIEUSES

Dans une région minée par les troubles politiques, les fractures religieuses et ethniques et l’intolérance, les gouvernements et les groupes armés non étatiques manifestaient à l’égard des minorités une suspicion et un rejet croissants, comme en témoignaient de la manière la plus brutale les conflits en Irak et en Syrie. Dans ces pays, de nombreuses personnes ont été arrêtées, enlevées, victimes de « nettoyage ethnique » ou tuées en raison de leur lieu d’origine ou de leur religion, mais le phénomène a aussi été observé en Libye, où les homicides pour des motifs ethniques ou tribaux étaient fréquents et en augmentation.
Dans le Golfe, le gouvernement iranien a continué d’emprisonner des baha’is et de leur interdire l’accès à l’enseignement supérieur. Il a encore restreint les droits des autres minorités religieuses et ceux des Azéris, des Kurdes et des autres minorités ethniques, et aurait exécuté en secret des défenseurs des droits des Arabes ahwazis. En Arabie saoudite, les autorités ont poursuivi leur répression contre les détracteurs chiites dans la province de l’Est, riche en pétrole, condamnant des militants à de longues peines d’emprisonnement et, dans un cas au moins, à la peine de mort après des procès inéquitables. Au Koweït, le gouvernement a continué de priver des dizaines de milliers de résidents bidun de la nationalité koweïtienne et des droits qui y sont associés.

RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES

En 2014, la crise syrienne, dépassant toutes les autres crises de ce type, est devenue la plus grave au monde sous l’angle du nombre de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. À la fin de l’année, environ 4 millions de réfugiés avaient fui le conflit en Syrie. D’après le Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la grande majorité – environ 95 % – se trouvaient dans les pays voisins : au moins 1,1 million au Liban, plus de 1,6 million en Turquie, plus de 600 000 en Jordanie, plus de 220 000 en Irak et plus de 130 000 en Égypte. Les fonds alloués à l’aide internationale étaient insuffisants pour répondre aux besoins des déplacés. En décembre, le plan de réponse régional de l’ONU pour les réfugiés syriens pour 2014 n’était financé qu’à hauteur de 54 % et le Programme alimentaire mondial a dû suspendre temporairement par manque de crédits un dispositif d’aide alimentaire en faveur de 1,7 million de Syriens. Dans bien des cas, un afflux aussi massif et rapide de réfugiés grevait les ressources des principaux pays d’accueil et provoquait des tensions entre les réfugiés et les habitants. Les autorités de la Jordanie et du Liban ont pris des mesures pour interdire l’entrée aux réfugiés palestiniens de Syrie et, de plus en plus, à toute personne venant de Syrie et cherchant refuge sur leur territoire ; les autorités égyptiennes ont même renvoyé de force certains réfugiés en Syrie.
Par ailleurs, 7,6 millions de personnes étaient déplacées sur le sol syrien. Beaucoup avaient dû quitter leur foyer à cause des combats ou d’attaques motivées par l’intolérance religieuse, et certaines avaient été déplacées à de multiples reprises.
Elles se trouvaient souvent dans des lieux inaccessibles aux agences humanitaires internationales ou piégées dans des zones assiégées par les forces gouvernementales ou les groupes armés non étatiques. Leur situation était très périlleuse, avec de faibles perspectives d’amélioration.
Alors que la crise syrienne n’avait aucun équivalent du point de vue de son ampleur, elle a en outre eu des répercussions sur le territoire irakien, où l’on assistait au déplacement interne de milliers de personnes, dû en partie à la violence et aux exactions de l’EI mais aussi aux attaques et aux violations commises par les milices chiites pro-gouvernementales. En Libye, les milliers de personnes chassées de la ville de Tawargha en 2011 par les milices armées de Misrata ne pouvaient toujours pas rentrer chez elles et risquaient d’être de nouveau déplacées lorsque la capitale, Tripoli, et d’autres zones se sont enfoncées dans le conflit armé au milieu de l’année. À Gaza, les bombes et autres attaques israéliennes ont détruit des milliers d’habitations, déplaçant plusieurs milliers de personnes pendant le conflit armé qui a commencé le 8 juillet et a duré 50 jours. En Israël même, les autorités ont détenu des demandeurs d’asile qui venaient d’arriver du Soudan, de l’Érythrée et d’autres pays dans un établissement situé dans le désert du Naqab/Néguev. Elles en ont renvoyé d’autres dans leur pays d’origine, en appliquant une procédure présentée comme « volontaire » qui n’offrait aucune garantie pour leur sécurité et pouvait en réalité couvrir des cas de renvoi forcé vers un pays où ils pouvaient craindre des persécutions.

DROITS DES MIGRANTS

Les travailleurs migrants contribuaient à l’économie de nombreux États de la région, et en particulier à celle des États du Golfe riches en pétrole et en gaz, où ils jouaient un rôle vital dans la construction, les services et d’autres secteurs. Malgré leur importance pour l’économie locale, ils restaient insuffisamment protégés par le droit du travail local et faisaient l’objet d’exploitation et d’abus dans la plupart des États. Après le choix du Qatar comme pays hôte de la Coupe du monde de football de 2022, les politiques et pratiques officielles du Qatar à l’égard des travailleurs embauchés pour construire les stades et les autres équipements ont continué de faire l’objet d’un examen attentif. Sous la pression, le gouvernement a d’ailleurs promis des réformes. Cela étant, au Qatar comme dans d’autres pays du Golfe, le système de parrainage (kafala) utilisé pour embaucher des travailleurs migrants et réglementer leur emploi facilitait les abus, qui étaient exacerbés par l’absence générale de mesures officielles visant à faire respecter concrètement les droits des migrants. Dans la région, de nombreux travailleurs migrants se voyaient imposer par leur employeur des horaires de travail excessifs, sans période de repos ni jours de congé, et la menace d’être arrêté et renvoyé les empêchait de quitter un employeur abusif.
Les plus vulnérables de tous étaient peut- être les milliers de femmes, venant surtout d’Asie, qui travaillaient comme domestiques et étaient exposées à des violences physiques et autres, y compris des violences sexuelles et d’autres formes d’exploitation par le travail, sans qu’aucune voie de recours leur soit ouverte ou sans qu’elles aient accès à un recours utile. Les autorités d’Arabie saoudite ont procédé à des expulsions massives de travailleurs migrants « en surplus » vers le Yémen et d’autres pays, généralement après les avoir d’abord détenus dans des conditions pénibles. Ailleurs, dans des pays comme la Libye où régnait le chaos, les travailleurs migrants étaient victimes de discrimination et d’autres violations, telles que des violences et des vols à main armée aux postes de contrôle, aux barrages et dans la rue.
Des milliers de personnes, dont beaucoup étaient la proie de trafiquants d’êtres humains et de passeurs, ont tenté de partir afin de construire une nouvelle vie en embarquant sur des bateaux, souvent surpeuplés et impropres à la navigation, pour traverser la Méditerranée. Certaines ont pu gagner l’Europe, d’autres ont été repêchées en mer par la marine italienne, et au moins 3 000 se seraient noyées.

EXPULSIONS FORCÉES

En Égypte, les autorités ont continué d’expulser les résidents de « quartiers informels » de la ville du Caire, entre autres, sans les informer au préalable ni leur proposer une solution de relogement ni leur verser une indemnisation. Les expulsés étaient notamment des résidents qui s’étaient installés dans des zones jugées « à risque » par les autorités, lesquelles exigeaient le départ des habitants afin d’ouvrir la voie à des projets d’aménagement commercial. L’armée a également délogé de force au moins 1 000 familles vivant le long de la frontière avec Gaza, dans le but de créer une zone « tampon ». Les autorités israéliennes ont elles aussi procédé à des expulsions forcées. En Cisjordanie, et notamment à Jérusalem-Est, elles ont détruit à titre punitif les domiciles familiaux de Palestiniens qui avaient lancé des attaques contre des civils israéliens, et rasé des dizaines de maisons de Palestiniens qui avaient été, selon elles, construites illégalement. En Israël, les autorités ont chassé de chez eux des Bédouins qui vivaient dans des « villages non reconnus » par l’État dans la région du Naqab/Néguev.

DROITS DES FEMMES

Dans toute la région, des femmes de tous âges subissaient des discriminations en raison des lois et des politiques officielles. Elles n’étaient pas correctement protégées contre les violences, sexuelles et autres.
Ces discriminations étaient profondément enracinées et la situation ne s’est à l’évidence guère améliorée en 2014. Alors qu’il y a trois ans les femmes manifestaient avec une visibilité inédite lors des soulèvements populaires qui ont balayé la région en 2011, elles figurent aujourd’hui parmi les grands perdants des changements politiques intervenus depuis cette date. En Égypte, des groupes d’hommes ont attaqué et agressé sexuellement des manifestantes dans les rues qui entourent la place Tahrir, au Caire. La Tunisie était l’exception notable. Dans ce pays, deux policiers reconnus coupables de viol ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement. La Tunisie a par ailleurs levé ses réserves à la Convention sur les femmes [ONU] et chargé un comité d’experts de rédiger une loi-cadre pour lutter contre la violence faite aux femmes et aux filles. Les autorités algériennes et marocaines ont elles aussi adopté des mesures juridiques, limitées mais positives. L’Algérie a fini par reconnaître le droit à l’indemnisation des femmes violées pendant le conflit armé interne des années 1990. Quant au Maroc, il a abrogé une disposition du Code pénal qui permettait aux violeurs d’échapper aux poursuites en épousant leur victime.
Dans le Golfe, malgré leur hostilité mutuelle implacable sur les questions politiques et religieuses, les gouvernements de l’Iran et de l’Arabie saoudite affichaient l’un comme l’autre un bilan désastreux en matière de droits des femmes. En Iran, où de nombreuses militantes des droits des femmes ont été placées en détention ou emprisonnées ces dernières années, les autorités ont incarcéré des jeunes filles et des femmes qui protestaient contre l’interdiction officielle d’assister à certaines manifestations sportives. En Arabie saoudite, les autorités ont arrêté ou menacé des femmes qui osaient braver l’interdiction officielle de conduire. Les deux pays appliquaient également des codes stricts régissant la tenue vestimentaire et le comportement des femmes, et conservaient des lois punissant de mort l’adultère. Au Yémen, des femmes et des filles continuaient de faire l’objet de mariages précoces ou forcés et, dans certaines provinces, les mutilations génitales féminines étaient très fréquentes.
Dans cette région, d’une manière générale, les gouvernements n’accordaient pas aux femmes et aux filles la protection nécessaire contre la violence sexuelle et la violence familiale. Cependant, les exactions des forces de l’EI en Irak – où un très grand nombre de femmes et de filles, peut-être des milliers, appartenant à des minorités ethniques ou religieuses ont été enlevées et vendues comme « épouses » ou esclaves à des membres de groupes armés, dont l’EI – ont atteint un nouveau sommet dans l’horreur, qui n’a toutefois suscité qu’une condamnation feutrée de la part des dignitaires religieux.
L’année 2014 a été une année de souffrances épouvantables dans une grande partie du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Elle a été marquée par certains des pires agissements recensés dans l’histoire récente et elle s’est conclue sans que l’on discerne les signes d’une amélioration prochaine.
Pourtant, au milieu de l’horreur, les acteurs locaux et les militants de tous horizons politiques continuaient par divers moyens d’affronter les puissants, de défier la tyrannie, d’aider les blessés et les plus faibles et de défendre leurs droits et ceux des autres, en payant souvent un prix très élevé sur le plan personnel. L’immense courage de ces personnes, qui méritent le beau nom de défenseurs des droits humains, a peut-être été la caractéristique la plus remarquable et durable de cette année 2014 et constitue le meilleur espoir pour l’avenir des droits humains dans la région.

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