Les pouvoirs publics n’ont cessé de renforcer les restrictions pesant sur les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Les manifestations organisées, entre autres, par des personnalités politiques de l’opposition et des militants de la société civile contre la décision du président de briguer un troisième mandat ont été réprimées violemment par les forces de sécurité, en particulier la police et le Service national de renseignement (SNR). La police a utilisé une force excessive face aux manifestants et les personnes détenues par le SNR ont subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements. En outre, les forces de sécurité ont pris pour cible les locaux de médias indépendants et plusieurs opposants supposés au président ont été victimes d’homicides illégaux.
CONTEXTE
En février, le chef du SNR, le général Godefroid Niyombare, a recommandé à Pierre Nkurunziza de ne pas briguer de troisième mandat car cela serait considéré comme une violation des accords d’Arusha et de la Constitution. Le président l’a limogé quelques jours plus tard. En mars, plusieurs cadres dirigeants du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), actuellement au pouvoir, ont appelé publiquement Pierre Nkurunziza à ne pas se porter de nouveau candidat. Ils ont été exclus du parti.
L’Église catholique, la société civile, l’opposition et de nombreux acteurs régionaux et internationaux ont lancé le même appel. Malgré cela, le 25 avril, le CNDD-FDD a choisi Pierre Nkurunziza comme candidat à l’élection présidentielle de 2015. Cette décision a déclenché des manifestations à Bujumbura, la capitale, et ailleurs dans le pays. Ces mouvements de protestations ont été réprimés avec brutalité et les manifestants ont réagi par la violence. Le 5 mai, la Cour constitutionnelle a validé la candidature de Pierre Nkurunziza. Son vice-président avait fui le pays la veille, après avoir accusé le gouvernement de faire pression sur les juges.
Le 13 mai, des généraux ont essayé de renverser le régime pendant que le président se trouvait à Dar es Salaam (Tanzanie) pour assister à un sommet régional des chefs d’État au sujet du Burundi. La tentative de putsch a échoué. Plusieurs officiers ont quitté le territoire et d’autres ont été arrêtés par les forces de sécurité loyalistes.
Les élections législatives se sont tenues en juin et l’élection présidentielle a eu lieu en juillet. Pierre Nkurunziza l’a remportée et la cérémonie d’investiture s’est déroulée le 20 août. Les forces de sécurité ont continué de s’en prendre à des opposants supposés. Quatre sites militaires, trois à Bujumbura et un dans la province de Bujumbura Rural, ont été attaqués avant l’aube le 11 décembre.
Des violations systématiques des droits humains ont été commises lors des opérations de ratissage qui se sont ensuivies. La Communauté d’Afrique de l’Est, l’Union africaine (UA) et l’ONU n’ont pas réussi à instaurer un dialogue entre les parties prenantes en vue de résoudre la crise burundaise grâce à une médiation extérieure, les discussions qui avaient repris le 28 décembre s’étant rapidement retrouvées au point mort. La décision du Conseil de paix et de sécurité de l’UA de déployer sur place une mission de prévention et de protection a été rejetée par le gouvernement burundais.
Pendant cette période d’instabilité de plusieurs mois, la situation politique, sociale et économique s’est détériorée. Le Fonds monétaire international (FMI) a déclaré que l’économie connaîtrait une contraction de plus de 7 % en 2015 ; le service de collecte des impôts – l’Office burundais des recettes – a enregistré des pertes en raison de la crise.
De nombreux partenaires de développement, notamment la Belgique, les États-Unis et les Pays-Bas, ont arrêté tout ou partie de leurs projets. Dans le cadre de l’article 96 de l’Accord de Cotonou, l’Union européenne a amorcé un dialogue avec les autorités burundaises en vue de réévaluer sa coopération future avec l’État. Or, selon l’UNICEF, les ministères à vocation sociale étaient auparavant financés à 80 % par l’aide extérieure.
Plus de 230 000 personnes se sont réfugiées dans les pays voisins. La crise politique a entamé la cohésion fragile entre les groupes ethniques que la mise en œuvre des accords d’Arusha avait rendue possible. Les propos incendiaires de hauts responsables en fin d’année ont aggravé les tensions.
LIBERTÉS DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION
À l’approche des élections, les activités des partis d’opposition et des organisations de la société civile ont fait l’objet de restrictions. En mars, le maire de Bujumbura a émis une directive au titre de laquelle les seules réunions publiques autorisées étaient celles du parti au pouvoir. Le 17 avril, plus d’une centaine de personnes ont été arrêtées lors d’un rassemblement de protestation contre la candidature de Pierre Nkurunziza. Le 24 avril, le ministre de l’Intérieur a interdit toutes les manifestations. Le CNDD-FDD devait désigner son candidat à l’élection présidentielle le lendemain.
Malgré ces mesures, de nombreuses personnes ont manifesté dans les rues de Bujumbura contre la volonté de Pierre Nkurunziza de briguer un nouveau mandat. Les manifestations des formations politiques d’opposition ont été réprimées violemment par les forces de sécurité, tandis que celles organisées par le parti au pouvoir ou pour soutenir la candidature du président se sont déroulées sans entrave.
LIBERTÉ D’EXPRESSION – JOURNALISTES ET MÉDIAS
Les pouvoirs publics ont restreint la possibilité pour les journalistes internationaux de couvrir les manifestations. À plusieurs reprises, des représentants de l’État ont menacé des employés de médias internationaux.
Attaques contre des médias
Le 26 avril, des agents du gouvernement s’en sont pris à la Radio publique africaine (RPA), qui émettait en direct du lieu des manifestations. Le même jour, les autorités ont empêché quatre stations de radio privées d’émettre au-delà de Bujumbura. Le 27 avril, elles ont fermé le studio de la Maison de la presse, un espace commun où les médias réalisaient ensemble des émissions à certaines occasions.
Les 13 et 14 mai, les forces de sécurité ont partiellement ou entièrement détruit les locaux de quatre médias privés : la RPA, la radio-télévision Renaissance, Radio Bonesha et Radio Isanganiro. Le régime les accusait d’être favorables à la tentative de coup d’État. Les locaux de la radio-télévision Rema, un diffuseur progouvernemental, ont été partiellement détruits par des inconnus armés.
Harcèlement visant des journalistes
Des journalistes burundais ont été pris pour cible et menacés par les autorités1. La plupart d’entre eux ont trouvé refuge dans les pays voisins. Bob Rugurika, directeur de la RPA et célèbre journaliste, a été arrêté et placé en détention le 20 janvier 2015. Il avait évoqué à l’antenne un rapport d’enquête sur l’homicide de trois nonnes italiennes d’un certain âge, commis en septembre 2014 à Bujumbura.
Inculpé de complicité d’assassinat, d’obstruction à la justice par violation du secret de l’instruction, de recel d’un criminel et de manquement à la solidarité publique, il a été libéré sous caution le 18 février 20152.
Une commission d’enquête sur les manifestations contre un éventuel troisième mandat de Pierre Nkurunziza, établie par les pouvoirs publics, a rendu un rapport dans lequel elle accusait des journalistes travaillant pour des médias privés d’avoir des liens avec les instigateurs de la tentative de putsch. En novembre, le procureur général a réclamé l’extradition de cinq journalistes. Les avoirs de la RPA ont été gelés et les voitures appartenant à la radio ont été saisies en décembre.
RECOURS EXCESSIF À LA FORCE
La réaction des pouvoirs publics face aux manifestations n’était pas conforme aux normes régionales et internationales3. La police a utilisé une force excessive, voire meurtrière, contre les manifestants, notamment en tirant à balles réelles.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), au moins 3 496 personnes ont été arrêtées pour des motifs liés à la crise politique, souvent en raison de leur participation aux manifestations contre un éventuel troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Beaucoup de détenus n’étaient pas autorisés à recevoir de visites de leur famille ou de leur avocat.
Des Imbonerakure, membres de la ligue de jeunes du parti au pouvoir, ont participé aux arrestations de plusieurs opposants supposés au président, notamment de manifestants. Parmi les détenus, l’UNICEF a recensé 66 mineurs inculpés d’appartenance à des groupes armés.
IMPUNITÉ
L’année 2015 a été caractérisée par une tolérance accrue à l’égard de l’impunité.
Forces de sécurité
Il était à craindre que les agents des forces de sécurité soupçonnés d’avoir commis des violations des droits humains lors de manifestations publiques ne soient pas amenés à rendre des comptes. En juillet, le directeur général de la police a déclaré que cinq de ses agents faisaient l’objet d’une enquête. Le procureur général a par la suite annoncé l’ouverture d’une enquête sur des allégations selon lesquelles des exécutions extrajudiciaires auraient eu lieu lors des opérations de recherche du 11 décembre.
Imbonerakure
Les pouvoirs publics n’ont pas diligenté d’enquête sur les manœuvres d’intimidation et les actes de harcèlement dont les Imbonerakure se seraient rendus coupables, notamment ceux dénoncés par le HCDH.
Exécutions extrajudiciaires
Les pouvoirs publics n’ont pas diligenté d’enquêtes sur les agents des forces de sécurité accusés d’exécutions extrajudiciaires et ne les ont pas suspendus.
L’Appui pour la protection des institutions (API), une unité de la garde présidentielle, a perpétré des violations des droits humains, y compris des exécutions extrajudiciaires d’opposants politiques. Cette unité serait notamment impliquée dans l’homicide de Zedi Feruzi, président de l’Union pour la paix et la démocratie-Zigamibanga (UPD- Zigabimanga), un parti d’opposition. Cet homme et un de ses gardes du corps ont été tués le 23 mai. Le 7 septembre, Patrice Gahungu, porte-parole de l’UPD- Zigabimanga, a été abattu par des inconnus armés.
Des agents de l’API seraient aussi impliqués dans l’homicide de Vénérant Kayoya et Léonidas Nibitanga, commis le 26 avril dans le quartier de Cibitoke (Bujumbura), et dans la mort de Faustin Ndabitezimana, infirmier et membre du Front pour la démocratie au Burundi, un parti d’opposition. Ce dernier a été tué le 15 mai à Buterere, un autre quartier de Bujumbura.
Le 13 octobre, le caméraman Christophe Nkezabahizi, son épouse et leurs deux enfants, ainsi qu’Evariste Mbonihankuye, un employé de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), ont été tués à Bujumbura. Les conclusions d’une enquête du HCDH indiquent que l’API a peut-être joué un rôle dans ces homicides, bien que le parquet accuse un groupe de jeunes.
À la suite des attaques contre des sites militaires le 11 décembre, les forces de sécurité burundaises ont quadrillé et fouillé des quartiers considérés comme acquis à l’opposition, et ont abattu des dizaines de personnes de façon systématique. Des informations ont fait état de corps enterrés dans des fosses communes. Selon des témoins, l’API et la brigade antiémeute auraient participé à ces opérations aux côtés d’unités classiques de la police4.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Les forces de sécurité ont eu de plus en plus recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, en particulier contre les personnes opposées à une nouvelle candidature du président Nkurunziza. Des actes de torture et d’autres mauvais traitements auraient été infligés dans des centres de détention officiels, principalement au siège du SNR, et dans un centre de détention non officiel surnommé « Chez Ndadaye », à Bujumbura. Les forces de sécurité ont notamment battu des détenus au moyen de barres de fer, de bâtons et de ceinturons. Certaines victimes ont été immergées dans de l’eau sale, d’autres ont été placées dans des cellules couvertes d’éclats de verre ou contraintes à s’asseoir dans de l’acide5.
À la fin de l’année, les autorités n’avaient pas diligenté d’enquêtes et aucun agent du SNR ou de la police n’avait été amené à rendre des comptes pour ces actes.
HOMICIDES ILLÉGAUX
Au moins deux agents de haut rang des forces de sécurité ont été tués par des hommes en uniforme lors d’attaques ciblées. Le 2 août, le lieutenant-général Adolphe Nshimirimana, considéré comme proche du président Nkurunziza, a été abattu à Bujumbura. Après enquête, quatre militaires ont comparu le 2 septembre devant un tribunal de Bujumbura pour ce meurtre.
Le 15 août, Jean Bikomagu, colonel à la retraite et chef d’état-major pendant la guerre civile, a été abattu à son domicile de Bujumbura par des hommes armés. Les pouvoirs publics ont indiqué qu’une enquête était en cours ; aucune conclusion n’avait été rendue publique à la fin de l’année. Le 11 septembre, l’actuel chef d’état-major a échappé de justesse à une attaque contre son convoi à Bujumbura.
Depuis septembre, des corps ont été retrouvés presque tous les jours dans les rues de la capitale et, plus occasionnellement, ailleurs dans le pays. Selon le HCDH, au moins 400 personnes ont été tuées entre avril et mi-décembre, notamment des membres du parti au pouvoir.
DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
L’opposition de la société civile au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, dans le cadre de la campagne Halte au troisième mandat, a conduit à une intensification du harcèlement et des manœuvres d’intimidation visant des défenseurs des droits humains. Selon le régime, il s’agissait de dirigeants ou de partisans d’un mouvement d’insurrection.
Nombre d’entre eux sont mentionnés dans le rapport de la commission d’enquête sur les manifestations. Beaucoup se cachaient au Burundi ou avaient fui le pays à la fin de l’année. En novembre, le gouvernement a suspendu les activités de plusieurs ONG et a gelé leurs comptes, ainsi que ceux de trois militants réputés.
Le 3 août, Pierre Claver Mbonimpa, défenseur des droits humains de premier plan, a survécu à une tentative d’assassinat commise par des inconnus armés alors qu’il rentrait chez lui6. L’un de ses gendres, Pascal Nshimirimana, a été abattu chez lui à Bujumbura le 9 octobre. Le 6 novembre, Welly Fleury Nzitonda, fils de Pierre Claver Mbonimpa, a été tué après avoir été arrêté par la police. À la fin de l’année, les autorités n’avaient pas diligenté d’enquête sur ces attaques ni amené quiconque à rendre des comptes.
1.Burundi. La répression exercée sur les médias s’intensifie après la tentative de coup d’État (nouvelle, 10 juin)
2.Burundi. Libération d’un célèbre journaliste (AFR 16/1134/2015)
3.Burundi : Braving bullets : Excessive force in policing demonstrations in Burundi (AFR 16/2100/2015)
4.« Mes enfants ont peur ». Aggravation de la crise des droits humains au Burundi (AFR 16/3116/2015)
5.Burundi. « Dites-moi juste ce que je dois avouer » – Torture et autres mauvais traitements perpétrés par les forces de police et le service des renseignements burundais depuis avril 2015 (AFR 16/2298/2015)
6.Burundi. L’attaque dont a été victime un militant des droits humains renforce le climat de peur (nouvelle, 6 août)