Rapport Annuel 2016

Cameroun

République du Cameroun
Chef de l’État : Paul Biya
Chef du gouvernement : Philémon Yang

Le groupe armé Boko Haram a bouleversé la vie de milliers de personnes dans le nord du Cameroun en se rendant coupable de crimes au regard du droit international, notamment d’homicides illégaux, d’attaques contre des biens à caractère civil, de détournements de biens et d’actifs, de pillages et d’enlèvements. Dans leur volonté d’empêcher Boko Haram de gagner du terrain, les forces de sécurité se sont livrées à des arrestations arbitraires, des placements en détention, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires visant des membres présumés de ce groupe. Des centaines de milliers de réfugiés venus du Nigeria et de la République centrafricaine vivaient toujours dans des conditions précaires. Les libertés d’expression, d’association et de réunion restaient soumises à des restrictions. Des défenseurs des droits humains ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation et de harcèlement, y compris de la part d’agents gouvernementaux. Les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées étaient toujours en butte à la discrimination, à des manœuvres d’intimidation et au harcèlement, bien que les arrestations et les poursuites aient été moins nombreuses que les années précédentes. Une loi antiterroriste promulguée le 23 décembre 2014 bafouait les droits et libertés fondamentaux et élargissait le champ d’application de la peine de mort.

CONTEXTE

Un climat d’instabilité perpétuelle régnait dans le pays du fait des répercussions dans le sud-est du Cameroun des violences en République centrafricaine, ainsi que du conflit armé opposant Boko Haram aux forces de sécurité dans la région de l’Extrême-Nord. Un déploiement considérable de forces de sécurité dans cette région a empêché Boko Haram de prendre le contrôle d’une partie du territoire camerounais. Toutefois, les forces de sécurité n’ont pas toujours protégé la population civile contre les attaques et ont elles-mêmes commis des crimes au regard du droit international et des violations des droits humains.

EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS

Le groupe Boko Haram s’est rendu coupable de crimes relevant du droit international et d’atteintes aux droits humains, dont des attentats-suicides dans des zones civiles, des exécutions sommaires, des actes de torture, des prises d’otages, des enlèvements, le recrutement d’enfants soldats, ainsi que le pillage et la destruction de biens publics, privés ou religieux. Ces exactions semblaient s’inscrire dans le cadre d’une attaque visant la population civile de manière systématique dans tout le nord-est du Nigeria et l’Extrême- Nord du Cameroun. Selon les Nations unies, 770 civils ont été tués et quelque
600 femmes et filles ont été enlevées par Boko Haram au Cameroun depuis 2013. Par ailleurs, le groupe a pris pour cible de nombreuses écoles, empêchant ainsi 35 000 enfants d’avoir accès à l’éducation depuis 2014.
Le 4 février, Boko Haram a attaqué le village de Fotokol, tuant au moins 90 civils et 19 militaires et incendiant des dizaines de bâtiments. Le 17 avril, le groupe a attaqué le village de Bia, causant la mort d’au moins 16 civils, dont deux enfants. Plus de 150 maisons ont également été incendiées à cette occasion. Entre le 22 et le 25 juillet, trois attentats-suicides ont eu lieu à Maroua dans des zones civiles très fréquentées, faisant au moins 33 morts et plus de 100 blessés. Au moins 23 attentats-suicides perpétrés entre juillet et décembre 2015 ont causé la mort d’environ 120 civils. Boko Haram a utilisé des filles parfois âgées de 13 ans seulement pour commettre ces attentats-suicides.

ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

Dans l’Extrême-Nord, les forces de sécurité ont arrêté au moins 1 000 personnes qui étaient accusées de soutenir Boko Haram, notamment lors d’opérations de ratissage visant plusieurs dizaines d’hommes et de garçons. Les forces de sécurité ont déployé une force excessive durant ces opérations et ont commis des violations des droits humains, telles que des arrestations arbitraires, des homicides illégaux – notamment celui d’une fillette de sept ans – et des destructions de biens. Elles se sont également rendues coupables de disparitions forcées, de morts en détention et de mauvais traitements infligés à des prisonniers.
Quatre-vingt-quatre enfants ont été détenus sans inculpation pendant six mois dans un centre pour mineurs, à Maroua, après une descente, le 20 décembre 2014, des forces de l’ordre dans les écoles coraniques de la ville de Guirvidig.
Des journalistes ont encore été arrêtés et détenus sans inculpation par les forces de sécurité dans le cadre des opérations contre Boko Haram. Simon Ateba, un journaliste camerounais, a été arrêté le 28 août au camp de réfugiés de Minawao et détenu par des représentants de l’État pendant quatre jours. Il s’était rendu dans ce camp pour y enquêter sur les conditions de vie des réfugiés nigérians, mais il a été accusé d’espionnage pour le compte de Boko Haram. Ahmed Abba, un correspondant de Radio France Internationale, a été arrêté à Maroua le 30 juillet et maintenu en détention au secret pendant plus de trois mois avant d’être inculpé d’« apologie ou justification du terrorisme ».
Le 27 avril, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a dénoncé le caractère arbitraire de la détention de l’avocate franco-camerounaise Lydienne Yen Eyoum.

MORTS EN DÉTENTION ET DISPARITIONS FORCÉES

Plus de 200 hommes et garçons avaient été arrêtés le 27 décembre 2014 au cours d’une opération de ratissage dans les villages de Magdémé et Doublé. Au moins 25 hommes étaient morts pendant la nuit dans une cellule improvisée, tandis que 45 autres avaient été emmenés à la prison de Maroua le lendemain. On restait donc sans nouvelles d’au moins 130 personnes, considérées comme victimes de disparitions forcées. Des éléments portaient à croire que d’autres personnes seraient mortes en détention. Les agents chargés de l’enquête interne n’ont pas encore identifié les victimes, révélé l’emplacement de leurs corps ni interrogé les principaux témoins.

CONDITIONS DE DÉTENTION

Les conditions de détention demeuraient désastreuses : surpopulation chronique, nourriture insuffisante, soins médicaux limités, et conditions sanitaires et d’hygiène déplorables. Les vagues d’arrestations de personnes soupçonnées de soutenir Boko Haram n’ont fait qu’aggraver ces conditions. La prison de Maroua comptait 1 300 détenus à la fin de l’année, soit plus de trois fois la capacité prévue (350) ; plus de 40 prisonniers sont morts entre mars et mai. La prison centrale de Yaoundé accueillait quant à elle 4 100 détenus, pour une capacité de 2 000. Plusieurs facteurs expliquent la forte augmentation de la population carcérale observée récemment, notamment les vagues d’arrestations de personnes soupçonnées d’appartenir à Boko Haram, le grand nombre de personnes détenues sans inculpation et l’inefficacité du système judiciaire. Face à cette situation, les pouvoirs publics ont débloqué des fonds pour la construction de cellules supplémentaires à la prison de Maroua et se sont engagés à bâtir de nouvelles prisons dans tout le pays.

DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES MIGRANTS

Au moins 180 000 réfugiés provenant de République centrafricaine vivaient dans des camps surpeuplés situés le long de la zone frontalière du sud-est du Cameroun, dans des conditions très difficiles. Du fait de l’escalade de la violence dans le nord-est du Nigeria en 2013, des centaines de milliers de personnes ont passé la frontière pour se rendre au Cameroun. Le camp de réfugiés de Minawao, dans l’Extrême-Nord, accueillait plus de 50 000 réfugiés en décembre 2015, dont 75 % avaient entre huit et 17 ans. L’armée a renvoyé dans leur pays d’origine des Nigérians qui résidaient de longue date au Cameroun, les accusant de soutenir Boko Haram. Ces mesures étaient contraires aux dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés [ONU] et constituaient un motif de préoccupation.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES

La discrimination, les manœuvres d’intimidation, le harcèlement et les violences visant des personnes LGBTI demeuraient un motif de préoccupation, bien que le nombre d’arrestations et de poursuites ait diminué par rapport aux années précédentes. Les relations sexuelles entre personnes de même sexe étant toujours érigées en infraction, les personnes concernées étaient victimes de harcèlement et de chantage en raison de leur sexualité supposée, notamment de la part des forces de sécurité. Deux personnes – dont une en instance de jugement – restaient derrière les barreaux pour des motifs liés à leur identité sexuelle. Une manifestation pacifique organisée par une organisation LGBTI pour commémorer la mort du militant LGBTI Éric Lembembe et réclamer une enquête approfondie s’est déroulée le 14 juillet.

DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

Des défenseurs des droits humains ont cette année encore été victimes de manœuvres d’intimidation, de harcèlement et de menaces. En février, à la suite d’une déclaration publiée par le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC) sur la mort en détention de plus de 50 personnes à Maroua, des menaces de mort ont été proférées à la télévision et dans la presse à l’encontre de Maximilienne Ngo Mbe et Alice Nkom, respectivement directrice exécutive et présidente de ce réseau. Maximilienne Ngo Mbe a fait régulièrement l’objet de menaces en raison de son travail en faveur des droits humains.
Alhadji Mei Ali, responsable de l’organisation de défense des droits humains OS-Civile, a été menacé à plusieurs reprises par des agents de l’État depuis juillet. Ces menaces étaient liées à la campagne qu’il a menée contre l’impunité dans l’affaire de l’homicide d’un défenseur des droits humains qui avait contesté la nomination de deux dirigeants traditionnels en 2011.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION

Des opposants au régime, réels ou supposés, ont été privés du droit d’organiser des activités et des manifestations pacifiques. Le 15 septembre, cinq membres de Dynamique citoyenne, un réseau regroupant plusieurs organisations de la société civile, ont été arrêtés alors qu’ils animaient un séminaire sur la gouvernance électorale et le changement démocratique. Ils ont été détenus sans inculpation pendant sept jours.
Des journalistes ont déclaré pratiquer l’autocensure afin de ne pas subir les conséquences de critiques qui viseraient le régime, en particulier sur les questions de sécurité. Le Conseil national de la communication a sanctionné plus de 20 médias au cours de l’année ; certaines de ses décisions ont été contestées par le Syndicat national des journalistes du Cameroun. À la fin de l’année, les journalistes Rodrigue Tongué, Félix Ebolé et Baba Wamé attendaient toujours de comparaître devant un tribunal militaire pour « non-divulgation » de sources.

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