La tentative de coup d’État de 2014 a donné lieu à des arrestations et à de nouvelles violations des droits humains. Les autorités ont continué à réprimer la dissidence. Elles se montraient toujours réticentes à coopérer avec les mécanismes protégeant les droits humains dans le système des Nations unies ou à l’échelon régional, et à se conformer à leurs recommandations.
CONTEXTE
En avril, la Gambie a rejeté 78 des 171 recommandations formulées à l’occasion de l’Examen périodique universel de l’ONU, notamment celles qui l’exhortaient à lever les restrictions pesant sur la liberté d’expression, à ratifier la Convention contre les disparitions forcées et à abolir la peine de mort1.
L’État n’a pas tenu compte des appels de la communauté internationale qui l’incitaient à conduire une enquête conjointe indépendante sur les événements qui ont suivi la tentative de coup d’État de 2014, notamment de la résolution adoptée en février par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples qui sollicitait une invitation à mener une mission d’établissement des faits.
En juin, la Gambie a expulsé la chargée d’affaires de l’Union européenne sans aucune explication, en exigeant qu’elle quitte le territoire dans les 72 heures.
Les modalités de création d’une commission des droits humains ont été établies. En novembre, le président Yahya Jammeh a annoncé que les mutilations génitales féminines seraient interdites ; en décembre, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi érigeant ces pratiques en infraction pénale.
DISPARITIONS FORCÉES
En janvier, des dizaines de parents et amis de personnes accusées d’avoir participé à la tentative de coup d’État de 2014 ont été placés en détention au secret. Les autorités ont nié les détenir et refusé d’indiquer où ils se trouvaient. Des femmes, des personnes âgées et un enfant figuraient parmi ces personnes, qui ont été libérées en juillet après avoir été détenues six mois sans inculpation, ce qui est contraire à la Constitution gambienne. Certaines ont été torturées au siège de l’Agence nationale de renseignement (NIA), et ont subi notamment des passages à tabac, des décharges électriques, des simulacres de noyade et le confinement dans de minuscules cavités creusées à même le sol.
LIBERTÉ D’EXPRESSION – JOURNALISTES ET DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
Des journalistes et des défenseurs des droits humains ont été arrêtés et détenus arbitrairement ; des lois restrictives continuaient de limiter la liberté d’expression. Arrêté le 2 juillet, Alagie Abdoulie Ceesay, directeur de la station de radio Teranga FM, a été maintenu au secret pendant 12 jours. De nouveau interpellé quelques jours après avoir recouvré la liberté, il a été battu et inculpé de plusieurs chefs de sédition ; la libération sous caution lui a été refusée. Il était toujours en détention et son procès était en cours à la fin de l’année2.
Killa Ace, un célèbre rappeur, a fui la Gambie en juin après avoir reçu des menaces de mort. Il avait sorti une chanson dans laquelle il dénonçait la répression et accusait le gouvernement de procéder à des exécutions extrajudiciaires.
En juin également, Lamin Cham, animateur de radio et organisateur d’événements musicaux, a été arrêté à Banjul, la capitale, et détenu au siège de la NIA. Il a été remis en liberté sans inculpation au bout de 20 jours.
Arrêté à Banjul en décembre 2014, le défenseur des droits humains Sait Matty Jaw a été jugé pour le travail qu’il avait réalisé dans le cadre d’une enquête pour Gallup sur la bonne gouvernance et la corruption ; il a été relaxé en avril.
LIBERTÉ DE RÉUNION
La police a fait obstruction à une tournée du Parti démocratique unifié (UDP, opposition) organisée en avril, en installant des barrages routiers. La tournée a finalement pu se poursuivre après quatre jours de confrontation.
En novembre, la police a arrêté plus de 40 personnes pendant et après une manifestation de jeunes et d’habitants de Kartong qui dénonçaient l’extraction de sable. Selon des témoins, la police a utilisé une force excessive, blessant plusieurs personnes. Trente-trois protestataires ont été inculpés de divers chefs : conspiration, troubles à l’ordre public, émeute, blessures volontaires et intervention séditieuse contre un véhicule. Ils ont été libérés sans condition huit jours plus tard, à la suite d’une déclaration présidentielle en ce sens3.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a publié en mars un rapport dans lequel il indiquait que la torture était très répandue et habituelle, en particulier au sein de la NIA en début de détention. Il se disait préoccupé par les conditions carcérales et l’absence de mécanisme de plainte efficace en cas de présomption d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Il notait que la torture pratiquée était brutale et prenait notamment la forme de passages à tabac au moyen d’objets durs ou de câbles électriques, d’électrocutions, d’asphyxies (sac en plastique placé sur la tête et rempli d’eau) et de brûlures par un liquide chaud4.
Le 25 juillet, le président Jammeh a fait libérer au moins 200 détenus de la prison de Mile 2, notamment des personnes incarcérées pour trahison et plusieurs anciens responsables publics, y compris l’ex- directeur de la NIA, Lamin Bo Badjie, et l’ex- chef de la police, Ensa Badjie. Toutefois, d’autres opposants politiques, journalistes et prisonniers d’opinion étaient toujours derrière les barreaux, notamment Amadou Sanneh, trésorier national de l’UDP, et deux autres membres du parti, Alhagie Sambou Fatty et Malang Fatty5.
PEINE DE MORT
Le 30 mars, un tribunal militaire siégeant à la caserne de Fajara, à Bakau, près de la capitale, a condamné trois soldats à mort et trois autres à la réclusion à perpétuité pour leur participation à la tentative de coup d’État de 2014. Le procès s’est déroulé à huis clos ; les médias et les observateurs indépendants n’ont pas été autorisés à y assister6.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES
Trois hommes soupçonnés d’être gays ont été poursuivis pour « actes contre nature ». Deux ont été relaxés en août et le troisième était en instance de jugement à la fin de l’année. Ils avaient été arrêtés en novembre 2014, soit un mois après que la Gambie avait instauré la réclusion à perpétuité pour « homosexualité aggravée ». De nombreuses personnes LGBTI ont fui le pays.
IMPUNITÉ
En mai, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a publié un rapport dans lequel il présentait des informations sur les quelques enquêtes menées par l’État sur des violences policières, dont aucune n’avait abouti à une condamnation. Selon lui, les Gambiens hésitaient à dénoncer les violences, à engager un avocat et à demander réparation, même pour les violations les plus graves, y compris les disparitions, les actes de torture et les exécutions présumées.
Aucun progrès n’a été constaté concernant l’application des arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO sur la disparition forcée du journaliste Ebrima Manneh (2010), les actes de torture infligés au journaliste Musa Saidykhan (2010) et l’homicide illégal de Deyda Hydara (2014).
1.Gambie. La 21e année au pouvoir du président Jammeh est marquée par une nette détérioration de la situation des droits humains (nouvelle, 22 juillet)
2.Gambie. Le directeur d’une radio arrêté de nouveau et détenu au secret (AFR 27/2155/2015)
3.Gambie. Libérez les manifestants pacifiques et les habitants détenus arbitrairement (nouvelle, 30 novembre)
4.Gambia must take immediate steps to address concerns of UN Special Rapporteurs on torture and extrajudicial executions : Amnesty International’s written statement to the 28th session of the UN Human Rights Council (2-27 March 2015) (AFR 27/1100/2015)
5.Gambie. La libération de prisonniers doit s’appliquer à toutes les personnes incarcérées pour avoir exprimé des opinions dissidentes (nouvelle, 24 juillet)
6.Gambie. Des soldats condamnés à mort à l’issue d’un procès secret ne doivent pas être exécutés (communiqué de presse, 1er avril)