Dans le contexte de l’élection présidentielle, les autorités ont interdit les manifestations et les forces de sécurité ont fait usage à plusieurs reprises d’une force excessive contre des manifestants. Des arrestations arbitraires ont de nouveau eu lieu cette année, touchant notamment des membres de l’opposition. Des personnes ont été arrêtées en raison de leur orientation sexuelle supposée. L’impunité pour des violations des droits humains a persisté.
CONTEXTE
Le président Alpha Condé a été réélu en octobre avec 57,84 % des voix. L’opposition a contesté le résultat du scrutin, invoquant des irrégularités. Les violences entre membres de partis d’opposition et les affrontements avec les forces de sécurité ont fait au moins
20 morts, et des centaines de personnes ont été blessées tout au long de l’année lors de heurts liés à l’élection.
SURVEILLANCE INTERNATIONALE
En janvier, le bilan de la Guinée en matière de droits humains a été examiné dans le cadre de l’Examen périodique universel des Nations unies. Parmi les motifs de préoccupation évoqués figuraient les restrictions à l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique, le recours excessif à la force pour disperser des manifestations et la culture de l’impunité au sein des forces de sécurité. La Guinée n’a pas accepté les recommandations préconisant l’abolition de la peine de mort et la dépénalisation des relations sexuelles librement consenties entre personnes de même sexe1.
RECOURS EXCESSIF À LA FORCE
Au moins 20 personnes sont mortes lors de violences commises autour de l’élection présidentielle ; la moitié d’entre elles au moins ont été tuées par les forces de sécurité 2. D’autres personnes, dont des enfants, ont été blessées par des tirs à balles réelles ou du fait d’un usage inapproprié d’équipement antiémeute, ou encore dans des accidents impliquant des véhicules des forces de sécurité. En mai, trois journalistes ont été passés à tabac par la police à Hamdallaye, dans la région de Boké.
En juin, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi précisant les circonstances dans lesquelles la force peut être utilisée, ou non, en vue de maintenir l’ordre lors des manifestations, et la manière dont elle doit être utilisée. Ce texte pourrait restreindre le droit de réunion pacifique car il n’autoriserait pas les rassemblements publics spontanés, et les forces de sécurité resteraient habilitées à disperser des groupes de manifestants pacifiques si elles soupçonnent au moins une personne d’avoir une arme. De telles dispositions pourraient aussi être invoquées pour interdire ou réprimer des manifestations pacifiques.
DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Des membres de formations d’opposition, des syndicalistes et d’autres personnes ayant exprimé une opinion dissidente ont été arrêtés de façon arbitraire à l’approche de l’élection3. Jean Dougo Guilavogui, dirigeant syndical et militaire à la retraite, a été arrêté à Conakry, la capitale, le 19 septembre et détenu sans être présenté devant une autorité judiciaire jusqu’à son inculpation, le 25 septembre. La durée de sa détention est contraire au droit international et au droit guinéen. Quatre autres membres de son syndicat ont été arrêtés en octobre. Ils ont tous été inculpés d’outrage au chef de l’État et de diffamation et se trouvaient toujours en détention à la fin de l’année4.
En mai, le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a estimé que le général Nouhou Thiam, l’adjudant Mohamed Kaba, le lieutenant Mohamed Condé, le colonel Saadou Diallo et le lieutenant Kémo Condé étaient détenus de manière arbitraire. Ces hommes avaient été arrêtés en 2011, à la suite d’une attaque contre le domicile du président Alpha Condé. Le groupe de travail a demandé à la Guinée de les remettre en liberté mais, à la fin de l’année, ils étaient toujours en détention.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES
L’article 325 du Code pénal qualifie d’infraction pénale les relations sexuelles entre personnes consentantes de même sexe. Trois personnes au moins ont été arrêtées en raison de leur orientation sexuelle supposée. Deux hommes ont été arrêtés le 22 avril à Conakry. En mai, le tribunal de Mafanco les a condamnés à trois mois d’emprisonnement.
IMPUNITÉ
L’enquête sur le massacre perpétré au Grand Stade de Conakry s’est poursuivie. En 2009, les forces de sécurité avaient tué plus d’une centaine de manifestants pacifiques et en avaient blessé au moins 1 500. Des dizaines de femmes avaient été violées et d’autres avaient disparu. Moussa Dadis Camara, à l’époque à la tête de la junte militaire, a été inculpé en juillet. Mamadouba Toto Camara, alors ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a été inculpé en juin.
D’autres violations des droits humains commises par des membres des forces de sécurité sont restées impunies. Les gendarmes et les policiers soupçonnés d’être pénalement responsables du recours à une force excessive contre des manifestants pacifiques, qui a fait blessés entre 2011 et 2015, n’ont toujours pas été déférés à la justice, et aucune avancée n’a été enregistrée dans ce sens.
Aucune enquête n’a été menée sur les policiers, les gendarmes et les militaires impliqués dans des actes de pillage systématiques et dans la contamination des sources d’eau à Womey, dans la région de N’Zérékoré, en septembre 2014. Les forces de sécurité avaient été déployées dans ce secteur à la suite du meurtre de sept membres d’une équipe d’information sur le virus Ebola et d’une huitième personne qui assistait à la scène, à Womey. Plusieurs personnes arrêtées ont dit avoir été torturées, et au moins six femmes ont été violées alors qu’elles tentaient de retourner dans leur village pour aller chercher de la nourriture ou des objets de valeur. Deux hommes sont morts en détention, en décembre 2014 et en mai 2015. En avril, le tribunal de N’Zérékoré a condamné 11 villageois à la réclusion à perpétuité pour meurtre.
En mars, la cour d’assises de Kankan a renvoyé à une date ultérieure le procès de quatre membres des forces de sécurité accusés d’avoir tué six personnes pendant un mouvement de grève à la mine de Zogota, en 2012. Les accusés ne s’étaient pas présentés à leur procès.
En juin, des membres de la communauté de Saoro, un village de la région de N’Zérékoré, ont déposé une plainte auprès de la Cour de justice de la CEDEAO, affirmant que les autorités guinéennes n’avaient rien fait pour poursuivre en justice les forces de sécurité accusées de faits d’arrestation arbitraire, torture, viol et exécution extrajudiciaire à l’encontre de villageois qui protestaient contre leur expulsion forcée en 2011.
1.Guinée. The culture of excessive use of force threatens civil and political rights ahead of the presidential elections
(AFR 29/1950/2015)
2.Guinée. Empêcher le recours excessif à la force et respecter le droit à la liberté de réunion pacifique avant et après les élections de 2015 - Appel à l’action (AFR 29/2160/2015) ; Guinée. Coups de feu tirés dans le dos et tabassage à mort par les forces de sécurité à Conakry (communiqué de presse, 22 octobre)
3.Guinée. Urgence – Craintes pour la santé de deux détenus
(AFR 29/1868/2015) ; Deux détenus libérés pour raisons médicales (AFR 29/1889/2015)
4.Guinée. Arrestation de quatre autres syndicalistes (AFR 29/2660/2015)