Rapport annuel 2016

KENYA

KENYA
République du Kenya
Chef de l’État et du gouvernement : Uhuru Muigai Kenyatta

Les attaques menées par le groupe armé Al Shabab, basé en Somalie, se sont poursuivies, conduisant le Kenya à renforcer ses opérations de lutte contre le terrorisme. Ces opérations se sont soldées par une augmentation des exécutions extrajudiciaires, des cas de disparition forcée et d’autres violations des droits humains. Les organisations de défense des droits humains qui recensaient les violations commises par les services de sécurité au cours de ces opérations ont fait l’objet d’un nombre croissant d’actes de harcèlement. Certaines organisations de la société civile ont été fermées ou menacées de fermeture par le biais de mesures judiciaires ou administratives.
CONTEXTE
Des opérations de lutte antiterroriste ont été menées et la situation en matière de sécurité était précaire ; c’est dans ce contexte que plusieurs centaines de personnes ont été victimes de disparition forcée ou exécutées de manière extrajudiciaire. Des organisations de la société civile, en particulier celles qui recensaient des informations sur les violations des droits humains liées aux opérations de sécurité, ont été accusées de ne pas se conformer à leurs obligations fiscales et légales, ou de fournir un soutien aux terroristes. Des ONG ont été menacées de se voir retirer leur accréditation par le Bureau de coordination des ONG ; ces manœuvres ont été contestées devant les tribunaux.
Le Kenya a continué de demander à la Cour pénale internationale (CPI) d’abandonner les poursuites visant le vice- président William Ruto, arguant que certains témoins avaient été désignés par le Bureau du procureur par l’intermédiaire d’organisations locales de la société civile. En amont de l’Assemblée des États parties de la CPI, des députés affiliés à la coalition au pouvoir ont également fait monter la pression pour que l’affaire soit classée. Aucune mesure n’a été prise pour garantir justice et réparations pour les victimes des violences post-électorales de 2007-2008. Le président a annoncé dans son discours sur l’état de la nation, le 26 juin, que le Kenya allait constituer un fonds d’indemnisation pour les victimes mais que ce fonds ne serait pas uniquement destiné aux victimes des violences post-électorales de 2007-2008.
POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ
Le 2 avril, des hommes armés ont attaqué l’université de Garissa, dans le nord-est du Kenya, à proximité de la frontière somalienne. Les assaillants ont tué 147 étudiants et blessé 79 autres avant de déclencher leurs ceintures d’explosifs, une fois encerclés par les forces de sécurité. Al Shabab a revendiqué la responsabilité de cet attentat. Le gouvernement a publié la liste des membres présumés d’Al Shabab les plus recherchés, demandant à la population de lui communiquer toute information qui faciliterait leur arrestation.
Le 14 juin, 11 membres supposés d’Al Shabab et deux militaires kenyans ont été tués dans l’attaque d’une base militaire à Lamu, une ville proche de la frontière somalienne. Ces faits se sont déroulés un an après une attaque similaire au cours de laquelle des membres présumés d’Al Shababavaient tué au moins 60 personnes à Mpeketoni.
RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE
Des dirigeants politiques et communautaires ont accusé les réfugiés somaliens d’être à l’origine de l’attaque de l’université de Garissa. Ils ont déclaré publiquement que le camp de réfugiés de Dadaab, dans le comté de Garissa, était un vivier du terrorisme. Le camp de Dadaab accueillait au moins 600 000 réfugiés et demandeurs d’asile, pour la plupart originaires de Somalie.
En avril, le vice-président a demandé la fermeture de ce camp sous trois mois1. Lors d’une réunion du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Genève le 4 octobre, le ministre de l’Intérieur kenyan s’est dit préoccupé par « l’éventuelle implication ou complaisance de certains personnels du HCR qui facilitent les activités terroristes » dans le pays.
Près de 350 000 réfugiés somaliens risquaient d’être renvoyés de force vers la Somalie, ce qui serait contraire aux obligations du Kenya en vertu du droit international, et mettrait des centaines de milliers de vies en danger. Le Kenya accueillait également au moins 250 000 réfugiés venus d’autres pays que la Somalie. Les renvoyer de force leur aurait fait courir le risque de subir des violations des droits humains, telles que des viols et des meurtres. Le Kenya est partie à la Convention relative au statut des réfugiés [ONU], ainsi qu’à la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique [Union africaine]. Ces deux instruments consacrent le principe de « non-refoulement », qui interdit aux États de renvoyer une personne de force dans un pays où elle courrait un risque réel de voir ses droits fondamentaux bafoués.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Le 19 décembre 2014, le président avait approuvé une loi portant modification de la législation en matière de sécurité, dont deux articles contenaient des dispositions restreignant la liberté d’expression et la liberté des médias. Dès promulgation de cette loi, une coalition rassemblant notamment des partis d’opposition avait déposé une requête auprès de la Haute Cour, à Nairobi, pour contester de nombreuses dispositions du texte, invoquant le non-respect du droit à la liberté d’expression.
Le 23 février, se prononçant sur la constitutionnalité de la loi, la division chargée des droits humains et constitutionnels au sein de la Haute Cour a jugé que huit de ses articles étaient anticonstitutionnels. La Haute Cour a notamment invalidé l’article 12 de la loi au motif qu’il violait « la liberté d’expression et la liberté des médias garanties par les articles 33 et 34 de la Constitution ». Cet article réprimait toute action des médias « susceptible de semer l’inquiétude parmi la population, d’inciter à la violence ou de porter atteinte à la paix publique », ou « compromettant les enquêtes ou les opérations de sécurité menées par le service national de police ou les forces de défense kenyanes ». Les contrevenants encouraient une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison ou une amende de cinq millions de shillings (55 000 dollars des États-Unis), ou les deux.
Le 25 octobre, le projet de loi de 2014 sur les pouvoirs et privilèges du Parlement a été adopté. Ce texte érigeait en infraction pénale, entre autres, le fait de publier une information, quelle qu’elle soit, que le président du Parlement ou les présidents des commissions parlementaires considéreraient comme mensongère ou diffamatoire envers le Parlement. Il prévoyait également une amende de 500 000 shillings ou une peine de deux ans d’emprisonnement – ou les deux – pour les journalistes reconnus coupables d’avoir enfreint cette disposition. Les journalistes enquêtant sur certains sujets tels que le versement de pots-de-vin ou des scandales de corruption s’exposaient à des risques pour le simple fait d’exercer leur droit à la liberté d’expression. Le 10 novembre, John Ngirachu, rédacteur en chef du Daily Nation, accrédité auprès du Parlement, a étéinterpellé au Parlement même par des agents du département de la police judiciaire en raison d’un article dénonçant des dépenses contestables du ministère de l’Intérieur. Il lui était reproché d’avoir violé les règles de confidentialité.
Le 7 juillet, Moses Kuria, député de Gatundu-sud, a encouragé publiquement les habitants de sa circonscription à frapper à coups de machette les personnes qui critiquaient le projet local du Service national de la jeunesse. Le 8 juillet, la Commission de l’intégration et de la cohésion nationales a demandé à l’inspecteur général de la police d’arrêter le député et de le poursuivre en justice pour incitation à la violence. Moses Kuria a été placé en détention au poste de police de Kilimani après que le procureur général, Keriako Tobiko, eut engagé des poursuites à son encontre pour avoir incité ses électeurs à la violence. D’autres responsables politiques ont eux aussi été inculpés d’incitation à la violence. C’est notamment le cas de George Aladwa, président de la branche de Nairobi du Mouvement démocratique orange, qui a comparu devant un tribunal le 27 octobre. Le 15 décembre, le procureur général a requis auprès de la Haute Cour le placement en détention de Moses Kuria et de George Aladwa.
RÉPRESSION DES ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
Une semaine après l’attaque contre l’université de Garissa, une liste de 85 entreprises et ONG considérées comme « entités spécifiques », dont Musulmans pour les droits humains (MUHURI) et Haki Africa, a été publiée par l’inspecteur général de la police au journal officiel. Peu de temps après, ces entités ont été qualifiées d’organisations terroristes au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme.
Les 20 et 21 avril, des agents de la Direction des finances publiques ont effectué une descente dans les locaux de MUHURI et de Haki Africa. Ils ont désactivé les serveurs et emporté des disques durs et desdocuments afin de chercher des éléments attestant une éventuelle fraude fiscale. Les disques durs ont été restitués le 23 décembre. La Haute Cour siégeant à Mombasa a estimé, le 12 juin, que les deux ONG n’avaient aucun lien avec le terrorisme, sans toutefois ordonner explicitement le déblocage de leurs comptes bancaires. Les deux organisations ont fait appel du jugement. Le 12 novembre, la Haute Cour a conclu que la décision de l’inspecteur général de la police de geler leurs avoirs était anticonstitutionnelle et donc nulle et non avenue. Le juge a ordonné que leurs comptes soient immédiatement débloqués.
Le 15 mai, un groupe spécial mis en place en 2014 par la ministre de la Décentralisation et de la Planification pour consulter les parties prenantes sur le projet de modification de la Loi de 2013 relative aux organisations de bienfaisance, a publié son rapport. Entre autres recommandations clés, le groupe a demandé la mise en place d’un contrôle des bailleurs de fonds, des bénéficiaires et des organisations de bienfaisance en matière de transparence et d’obligation de rendre des comptes. Il a également recommandé que ces organisations soient tenues de divulguer leurs sources de financement et de préciser comment elles comptaient utiliser ces fonds. Des organisations de la société civile se sont opposées à ces recommandations qui, pour nombre d’entre elles, n’avaient jamais été abordées au cours des auditions publiques organisées en 2014.
Le 28 octobre, le directeur du Bureau de coordination des ONG a notifié à 957 ONG leur obligation de présenter leurs comptes bancaires certifiés sous deux semaines, sous peine de se voir retirer leur statut officiel. Le Bureau de coordination a accusé les ONG de malversations, de financement du terrorisme, de blanchiment d’argent, de détournement des fonds des donateurs et de non-respect de l’obligation légale de présenter leurs comptes bancaires certifiés. Le 30 octobre, la ministre de la Décentralisation et de la Planification a ordonné l’annulation de la décision concernant la publication de l’avis de retraitdu statut officiel. L’ONG Commission kenyane des droits humains a engagé des poursuites contre les actions illégales et irrégulières du Bureau de coordination.
LIBERTÉ DE RÉUNION
Le 19 janvier, la police a utilisé du gaz lacrymogène contre des élèves de l’école primaire de Langata qui protestaient pacifiquement contre l’intention présumée d’un responsable politique de transformer leur terrain de jeu en parking. Cinq élèves et un policier ont été blessés lors de cet épisode. Le fonctionnaire responsable de l’opération a été suspendu de ses fonctions.
EXPULSIONS FORCÉES
Dans la nuit du 17 mai, des habitants de Jomvu, dans le comté de Mombasa, ont été réveillés par le bruit d’un bulldozer et l’arrivée de policiers armés2. Le bulldozer a démoli les commerces et les logements qui avaient été marqués d’une croix jaune à cette fin, en vue de permettre le prolongement de l’autoroute Mombasa-Mariakani. Les autorités n’avaient pas mené au préalable de consultation en bonne et due forme auprès des habitants de Jomvu au sujet des expulsions et des solutions de relogement. Plus de 100 personnes ont perdu leur logement du jour au lendemain. Quelque 3 000 habitants du quartier informel de Deep Sea à Nairobi, la capitale, ont été menacés d’expulsion à plusieurs reprises au profit du projet routier « Missing Link », qui bénéficie de fonds de l’Union européenne3. La communauté avait contesté les expulsions devant la justice et exprimé ses préoccupations quant au respect de la procédure et aux indemnisations. Le 8 juillet, l’Autorité de la voirie urbaine du Kenya (KURA) a fait savoir aux habitants qu’ils devaient retirer leur plainte pour que les autorités acceptent d’entamer un dialogue.
Le 21 août, plus de 300 habitations ont été démolies, et environ 500 personnes ont été expulsées de force lors d’une opération menée par les pouvoirs publics dans le quartier informel de Mathare, à Nairobi. Les habitants n’avaient reçu aucun préavis, etaucune solution de relogement ne leur a été proposée.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES
Le 24 avril, la Haute Cour a rendu un arrêt autorisant l’enregistrement officiel d’une organisation de défense des droits des LGBTI. Cette décision faisait suite à une demande d’enregistrement déposée par la Commission nationale des droits humains des gays et des lesbiennes au titre de la loi relative au Bureau de coordination des ONG. En mars 2013, le Bureau de coordination avait rejeté la demande d’enregistrement de l’organisation. Les trois juges de la Haute Cour ont conclu que la décision du Bureau avait été contraire à l’article 36 de la Constitution et qu’elle bafouait le droit à la liberté d’association.

Une crise s’annonce pour les réfugiés somaliens après que le Kenya a ordonné la fermeture du camp de réfugiés de Dadaab (communiqué de presse, 16 avril)

Kenya : Driven out for development ; forced evictions in Mombasa, Kenya (AFR 32/2467/2015)
Kenya. Les habitants de Deep Sea sous la menace d’une expulsion forcée (AFR 32/2054/2015)

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