Rapport annuel 2016

SOMALIE

République fédérale de Somalie
Chef de l’État : Hassan Sheikh Mohamud
Chef du gouvernement : Omar Abdirashid Ali Sharmake (a remplacé Abdiweli Sheikh Ahmed en décembre 2014)
Président de la République du Somaliland : Ahmed Mohamed Mahamoud Silyano

Le conflit armé opposant les forces du gouvernement fédéral somalien, la Mission de l’Union africaine en Somalie (MUASOM) chargée du maintien de la paix et le groupe armé Al Shabab s’est poursuivi dans le centre et le sud du pays. Les forces gouvernementales et celles de la MUASOM ont étendu les zones sous leur contrôle en repoussant Al Shabab en dehors des villes importantes des régions du Sud-Ouest et du Jubaland. Plus de 500 personnes ont été tuées ou blessées dans le contexte du conflit armé et de la violence généralisée, et au moins 50 000 ont été déplacées. Toutes les parties au conflit se sont rendues responsables de crimes au regard du droit international et d’atteintes aux droits humains, en toute impunité. Les groupes armés ont continué de recruter des enfants et d’enlever et torturer des civils, ou de commettre des homicides illégaux contre la population civile. Le viol et les autres formes de violences sexuelles étaient des pratiques répandues. L’accès des organisations humanitaires à certaines régions a été entravé par la poursuite des combats, l’insécurité et les restrictions imposées par les parties au conflit. Trois journalistes ont été tués ; d’autres ont été agressés, harcelés ou condamnés à de lourdes peines d’amende.

CONTEXTE
Le gouvernement fédéral somalien et la MUASOM ont gardé le contrôle de la capitale, Mogadiscio, et étendu les zones sous leur contrôle en établissant des administrations fédérales dans les États du Galmudug, du Sud-Ouest et du Jubaland. Une offensive conjointe de la MUASOM et des Forces armées nationales somaliennes a chassé Al Shabab de villes des régions du Hiraan, de Bay, de Bakool, de Gedo et du Bas-Shabelle. Le groupe armé restait néanmoins maître de nombreuses régions rurales. L’offensive a entraîné de nouveaux déplacements de populations alors que des affrontements armés et les attaques d’Al Shabab contre les civils continuaient, en particulier dans les villages contrôlés tantôt par certaines forces, tantôt par d’autres.
Les forces de sécurité gouvernementales et les milices alliées, ainsi que la MUASOM, étaient toujours soutenues par la communauté internationale. La situation humanitaire est restée précaire : à la date du 9 octobre, plus de 3,2 millions de personnes avaient besoin d’assistance et plus de 855 000 étaient exposées à l’insécurité alimentaire. Les personnes déplacées, soit 76 % de celles qui souffraient d’insécurité alimentaire, étaient parmi les plus vulnérables.

Le pays a été confronté à une crise politique en août après que le Parlement eutprésenté une motion de censure contre le président Hassan Sheikh Mohamud. En juillet, le président du Parlement fédéral, Mohamed Osman Jawari, a annoncé que les élections de 2016 n’auraient pas lieu au suffrage universel bien que ce principe ait été inscrit dans la « Nouvelle donne pour la Somalie ». Des députés de l’opposition ont protesté contre cette décision, dans laquelle ils voyaient un stratagème pour prolonger le mandat du président. Le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé jusqu’au 30 mars 2016 le mandat de la Mission d’assistance des Nations unies en Somalie (MANUSOM) chargée de surveiller la situation des droits humains et d’établir des rapports à ce sujet.

Al Shabab a été confronté à des dissensions internes portant sur la question de savoir s’il fallait continuer de prêter allégeance à Al Qaïda ou opter pour le groupe armé État islamique (EI). La situation est restée tendue dans la ville de Jilib, située à 97 kilomètres au nord de Kismaayo, après que le chef adjoint d’Al Shabab, Mahad Karate, eut fait pression sur le chef du groupe, Abu Ubaidah, pour l’amener à faire allégeance à l’EI. En octobre, des chefs d’Al Shabab plutôt favorables à Al Qaïda ont arrêté dans le Jubaland 30 personnes supposées avoir rejoint l’EI.

ATTEINTES AUX DROITS HUMAINS PERPÉTRÉES PAR LES FORCES GOUVERNEMENTALES ET DES GROUPES ARMÉS

Attaques menées sans discernement
Cette année encore, des civils ont été tués et d’autres blessés sans discernement lors d’échanges de coups de feu dans des affrontements armés, d’attentats-suicides et d’attaques dans lesquelles étaient utilisées des grenades ou des bombes artisanales. Al Shabab a conservé sa capacité à commettre des attentats meurtriers dans les secteurs les mieux gardés de Mogadiscio et d’autres villes, faisant des centaines de morts et de blessés parmi la population civile. Des cibles très en vue étaient exposées à ce type d’attaques.

En septembre, six personnes au moins ont trouvé la mort lors de l’explosion d’une voiture piégée devant les grilles du palais présidentiel, qui avait déjà été la cible, en février, d’une attaque au mortier lancée par Al Shabab. En juillet, un attentat-suicide contre l’hôtel Jazeera, où sont installées plusieurs ambassades, a tué au moins 10 personnes. Dans plusieurs cas, il a été difficile d’établir le nombre de civils tués dans les attaques en raison de l’absence d’un système fiable de suivi des données sur les victimes civiles. Les offensives du gouvernement et de la MUASOM ont entraîné des atteintes aux droits humains de la part de toutes les parties au conflit.

Des civils directement pris pour cible
Les civils risquaient toujours d’être directement visés lors des attaques. Des informations parvenues en juillet indiquaient que la MUASOM avait pris directement des civils pour cible et tué au moins 10 personnes à Marka. En août, la MUASOM a ramené ce nombre à sept personnes et a présenté des excuses ; elle a annoncé que trois soldats avaient été inculpés pour ces homicides. Les forces gouvernementales et les milices qui leur sont alliées se sont rendues coupables cette année encore d’exécutions extrajudiciaires, de chantage, d’arrestations arbitraires et de violences liées au genre, dont des viols. Ces actes étaient en partie le résultat de l’absence de discipline stricte et du faible contrôle hiérarchique. Le 20 août, à Baidoa, un soldat des Forces armées nationales somaliennes a blessé par balle un homme souffrant de troubles mentaux, à la suite d’une dispute.

En septembre, près de Doolow (région de Gedo), des soldats du Jubaland ont exécuté au moins quatre personnes, dont une femme, qu’ils soupçonnaient d’être des activistes d’Al Shabab. Cette année encore, des membres d’Al Shabab ont torturé et tué illégalement des personnes qu’ils accusaient d’espionnage ou qui, selon eux, ne se conformaient pas à leur interprétation de la loi islamique. Ils ont procédé à des exécutions en public, notamment par lapidation, ainsi qu’à des amputations et à des flagellations, en particulier dans les régions d’où la MUASOM s’était retirée. À Jamame, dans la région du Bas-Juba, un homme accusé d’avoir « insulté » le prophète Mahomet a été fusillé par un peloton d’exécution d’Al Shabab, le 23 avril. Le 25 juillet, à Mogadiscio, des membres d’Al Shabab ont tué le député Abdulahi Hussein Mohamud et son garde du corps en mitraillant leur voiture. Le 6 septembre, un homme accusé d’espionnage au profit de soldats de la paix éthiopiens a été décapité par Al Shabab dans le village de Qahira, non loin de Toosweyne (région de Bay). Le 1er octobre, des militants d’Al Shabab ont abattu plusieurs personnes qui avaient refusé d’obéir à leurs ordres dans le village de Kunyabarow, à proximité de Barawe (région du Bas-Shabelle).

ENFANTS SOLDATS
Cette année encore, toutes les parties au conflit ont porté atteinte aux droits fondamentaux des enfants. À la date du 5 juin, l’ONU avait recensé 819 cas de recrutement et d’utilisation d’enfants soldats par Al Shabab, par l’armée nationale et les milices alliées, ainsi que par Ahla Sunna W’Jamaa et d’autres groupes armés. La Somalie a ratifié le 1er octobre la Convention relative aux droits de l’enfant [ONU], tout en formulant la réserve qu’elle ne se considérait pas liée par les articles 14, 20 et 21 de la Convention ni par aucune autre disposition contraire aux principes généraux de la charia (droit musulman). Le gouvernement fédéral n’a pas mis en œuvre les deux plans d’action signés en 2012 et visant à mettre un terme au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats, ainsi qu’aux homicides et aux mutilations dont sont victimes des enfants.

PERSONNES DÉPLACÉES, RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE
Plus de 1,3 million de Somaliens ont été déplacés au cours de l’année. Les offensives des Forces armées nationales somaliennes et de la MUASOM ont perturbé les itinéraires des transports commerciaux. De même, Al Shabab a bloqué les voies d’approvisionnement après avoir été chassé des villes par la MUASOM, ce qui a entravé l’accès des organisations humanitaires. La poursuite des combats et les pluies liées à El Niño qui ont débuté en octobre risquaient d’aggraver encore davantage la situation humanitaire.

En janvier et en février, les forces de sécurité ont expulsé plus de 25 700 personnes de terrains publics et privés à Mogadiscio, sans respect des garanties fondamentales ; 21 000 autres ont été expulsées en mars. La plupart de ces personnes se sont installées à la périphérie de la capitale, notamment dans les zones de Sarakusta et de Tabelaha, où elles vivaient dans des conditions déplorables. Le gouvernement intérimaire du Jubaland a également procédé à des expulsions forcées dans les villes de Kismaayo et de Luuq, à la suite d’une attaque contre un poste de police situé près d’un camp de personnes déplacées. À la fin de l’année, le gouvernement fédéral n’avait toujours pas adopté de ligne de conduite concernant les personnes déplacées, bien qu’un projet cadre de référence ait été élaboré en avril 2014.

On recensait plus de 1,1 million de réfugiés somaliens dans les pays voisins et en diaspora. En avril, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et les gouvernements du Kenya et de la Somalie ont créé une commission chargée de superviser le rapatriement librement consenti de réfugiés somaliens vivant au Kenya, conformément à l’Accord tripartite conclu par le HCR et ces deux gouvernements en septembre 2013. Le HCR a annoncé le 20 septembre que 4 108 réfugiés somaliens du camp de Dadaab, dans le nord du Kenya, avaient été rapatriés. En janvier, on dénombrait237 271 réfugiés somaliens au Yémen. Toutefois, en août, fuyant l’escalade du conflit armé dans ce pays, plus de 28 000 étaient retournés en Somalie. D’autres pays accueillant des demandeurs d’asile et des réfugiés somaliens, dont l’Arabie saoudite, la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, le Royaume-Uni et le Danemark, ont continué d’exercer des pressions sur les Somaliens pour qu’ils rentrent dans leur pays, affirmant que la sécurité s’y était améliorée.

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION
Des journalistes et d’autres professionnels des médias ont cette année encore été victimes d’agressions, de harcèlement, de manœuvres d’intimidation ou d’homicides. En mai, le journaliste Daud Ali Omar et son épouse, Hawo Abdi Aden, ont été abattus par des hommes armés qui s’étaient introduits à leur domicile dans le quartier de Bardaale, à Baidoa. Le 26 juillet deux journalistes, Abdihakin Mohamed Omar et Abdikarim Moallim Adam, qui travaillaient respectivement pour la Société somalienne de radiodiffusion et Universal TV, ont trouvé la mort dans un attentat-suicide à la voiture piégée qui a été perpétré contre un hôtel de Mogadiscio et a coûté la vie à 13 personnes. Salmal Jamal, reporter à Universal TV, a été grièvement blessé dans cette attaque.

La liberté de la presse continuait de faire l’objet de restrictions. Des journalistes ont été arrêtés et des organes de presse ont été fermés. En mai, le gouvernement a ordonné à tous les organes de presse somaliens d’utiliser l’acronyme UGUS (« le groupe qui massacre les Somaliens ») pour désigner Al Shabab. L’Association somalienne des organes de presse indépendants a qualifié cet ordre de menace pour le travail des journalistes. Le 2 octobre, Awul Dahir Salad et Abdilahi Hirsi Kulmiye, journalistes à Universal TV, ont été arrêtés par des membres de l’Agence nationale du renseignement et de la sûreté et détenus pendant six jours à Mogadiscio sans inculpation. Le même jour, des agents de cet organisme ont aussi fait une descente dansles locaux de la chaîne de télévision, qu’ils ont fermée. Al Shabab a continué d’imposer des restrictions aux médias et a maintenu l’interdiction d’Internet dans les zones qu’il contrôlait.

Dans le Somaliland, le gouvernement a restreint la liberté d’expression des personnes qui critiquaient sa politique. Ce territoire ne dispose pas de loi sur les médias qui protégerait les journalistes. Guleid Ahmed Jama, éminent avocat défenseur des droits humains, a été arrêté après avoir contesté l’exécution de six condamnés à mort dans une interview à la BBC Somali (service en langue somalie de la BBC). D’autres défenseurs des droits humains – Otto Bihi et Suldaan Mohamed Muuse Cune – ont eux aussi été arrêtés pour s’être opposés au report de l’élection présidentielle jusqu’en mars 2017. Bihi a été remis en liberté et Cune a passé 12 jours en détention sans être inculpé. Le gouvernement a également imposé des restrictions à la liberté de réunion de l’opposition. Le 11 mai, les forces de sécurité ont refusé au principal parti d’opposition, WADANI, l’autorisation de manifester, pacifiquement, contre la prolongation de 22 mois du mandat du président. Les dirigeants du parti ont été arrêtés et détenus pendant plusieurs heures après que la police eut violemment dispersé des manifestations pacifiques dans les villes de Hargeisa, Berbera et Burao ; les forces de sécurité ont en outre occupé temporairement les bureaux du parti.

PEINE DE MORT
La Somalie a continué de recourir à la peine de mort, alors qu’elle avait soutenu la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en faveur d’un moratoire. Des membres de groupes d’opposition armés somaliens comme Al Shabab, des soldats de l’armée régulière et des personnes déclarées coupables de meurtre ont été passés par les armes. Les tribunaux militaires appliquaient une procédure non conforme aux normes internationales d’équité et les exécutions intervenaient souvent dans la foulée desprocès. Sept soldats déclarés coupables par un tribunal militaire d’avoir tué des civils ont été exécutés en septembre à Kismaayo, au Jubaland. En avril, un tribunal militaire de Mogadiscio a condamné à mort deux hommes accusés du meurtre de deux membres du Parlement fédéral et de trois agents des services de renseignement.

Des tribunaux civils du Somaliland ont prononcé des sentences capitales ; 70 personnes au moins étaient sous le coup d’une condamnation à mort en février. En juillet, un tribunal civil de Sool a condamné à mort un homme souffrant de troubles mentaux qui avait été déclaré coupable du meurtre d’un ami. Le gouvernement a annoncé en février qu’il avait décidé de reprendre les exécutions, après un moratoire de neuf ans. Six condamnés à mort détenus dans la prison de haute sécurité de Mandera ont été fusillés en avril.

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