Rapport annuel 2016

SOUDAN DU SUD

République du Soudan du Sud
Chef de l’État et du gouvernement : Salva Kiir Mayardit

Après plus de 20 mois de négociations par intermittence, les parties au conflit ont finalement accepté, en août, les conditions d’un accord de paix de large portée.

Toutefois, malgré cet accord de paix et la proclamation ultérieure d’un cessez-le-feu, le conflit s’est poursuivi dans plusieurs régions du pays, avec toutefois une intensité moindre qu’auparavant. Toutes les parties ont bafoué le droit international humanitaire et relatif aux droits humains lors des combats, mais aucune n’a été amenée à rendre des comptes pour les crimes au regard du droit international commis dans le cadre du conflit armé interne. Environ 1,6 million de personnes étaient toujours déplacées à l’intérieur du pays et quelque 600 000 autres avaient trouvé refuge dans les pays voisins. Au moins quatre millions de personnes étaient confrontées à des pénuries alimentaires. Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour donner effet au droit à la santé. Des agents des services de sécurité ont réprimé les voix indépendantes et critiques émanant de l’opposition, des médias et de la société civile.

CONTEXTE
Le conflit armé, qui a éclaté en décembre 2013, opposait les forces fidèles au président Salva Kiir et celles qui soutenaient l’ancien vice-président Riek Machar. Des milices armées alliées à chacune des parties participaient aux combats, qui se sont poursuivis tout au long de l’année, toutefois plus sporadiquement qu’en 2014.

L’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), une organisation associant huit pays d’Afrique de l’Est, est intervenue en janvier 2014 à titre de médiateur entre le gouvernement du Soudan du Sud et le Mouvement/Armée populaire de libération du Soudan-Opposition (MPLS/APLS-Opposition). Les combats n’ont pas cessé en 2014 et 2015 malgré de nombreux accords de cessez-le-feu.

Le 3 mars, le Conseil de sécurité [ONU] a instauré un régime de sanctions contre le Soudan du Sud, comportant notamment une interdiction de voyager et un gel des avoirs pour les individus qui étaient soupçonnés de crimes au regard du droit international et d’atteintes aux droits humains, ou qui menaçaient la paix, la sécurité ou la stabilité du pays.

L’IGAD a dévoilé le 12 mars un nouveau mécanisme destiné à exercer une pression concertée sur les parties en vue de trouver une solution au conflit. Ce mécanisme regroupait les trois médiateurs de l’IGAD ainsi que cinq représentants de l’Union africaine (Afrique du Sud, Algérie, Nigeria, Rwanda et Tchad), les Nations unies, l’Union européenne, la Chine, le Forum des partenaires de l’IGAD et la troïka (États-Unis, Norvège et Royaume-Uni).

Le président Kiir a signé, le 27 août, un accord de paix qui avait été signé 10 jours plus tôt par le chef de l’opposition et ancien vice-président Riek Machar. Cet accord fournissait aux parties un cadre pour mettre fin aux hostilités et abordait toute une série de questions, telles que le partage du pouvoir, des dispositions en matière de sécurité, l’aide humanitaire, des accords économiques, la justice et la réconciliation, et les paramètres d’une constitution permanente1.

Les Forces de défense populaires de l’Ouganda (FDPO), qui combattaient pour le compte du gouvernement, ont commencé à retirer leurs troupes en octobre conformément à l’accord de paix.

Le 3 novembre, le gouvernement et le MPLS/APLS-Opposition ont conclu un accord de cessez-le-feu permanent et se sont entendus sur des dispositions de sécurité transitoires par lesquelles les deux parties s’engageaient à démilitariser la capitale, Djouba, et d’autres villes importantes.

LeMPLS/APLS-Opposition a envoyé, en décembre, une délégation à Djouba à titre de première équipe chargée de préparer la mise en œuvre de l’accord de paix.

Le mandat de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) a été renouvelé en décembre ; il comprend la protection des civils, la surveillance et les enquêtes en matière de droits humains, l’instauration des conditions nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire et l’appui à la mise en œuvre de l’accord de paix.

CONFLIT ARMÉ INTERNE
Le conflit, concentré dans certaines régions des États de Jonglei, d’Unité et du Haut-Nil (dans le nord-est du pays), a été marqué par des périodes de calme et d’autres de violence intense. Les deux camps ont continué de s’affronter malgré l’accord de paix conclu en août, les déclarations de cessez-le-feu permanent et l’accord de novembre sur les dispositions en matière de sécurité. Plus de 20 forces armées différentes participaient aux combats, parmi lesquelles les troupes gouvernementales appuyées par des soldats ougandais d’une part, et une série de factions rebelles d’autre part. Des jeunes armés affrontaient régulièrement les forces gouvernementales dans certaines régions de l’État d’Équatoria occidental.

Les forces gouvernementales et celles de l’opposition ont bafoué le droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Les deux camps ont attaqué délibérément des civils, le plus souvent sur la base de leur appartenance ethnique ou de leur affiliation politique supposée. Les parties au conflit ont attaqué des civils qui avaient trouvé refuge dans des hôpitaux et des lieux de culte, elles ont exécuté des combattants faits prisonniers, enlevé et détenu de manière arbitraire des civils, incendié des habitations, endommagé et détruit des établissements médicaux, pillé des biens publics et privés ainsi que des réserves de nourriture et de l’aide humanitaire, et recruté des enfants pour leurs forces armées. Elles ont aussi régulièrement attaqué, détenu, harcelé et menacé destravailleurs humanitaires et des membres du personnel de la MINUSS.

Les violences dans l’État d’Unité, qui avaient diminué, ont connu une recrudescence à partir d’avril. Les forces gouvernementales et les groupes de jeunes combattants les soutenant ont lancé une offensive contre 28 villages dans les comtés de Rubkona, Guit, Leer et Koch (État d’Unité) à la fin d’avril et au début de mai. Ils ont incendié des villages entiers, tuant et frappant des civils, pillant bétail et autres biens, brûlant vifs des habitants, commettant des actes de violence sexuelle et enlevant des femmes et des enfants. En octobre, les affrontements se sont intensifiés dans le sud et le centre de l’État d’Unité, ce qui a eu des conséquences graves pour les civils. Des milliers de personnes ont dû fuir pour chercher sécurité, protection et assistance ; 6 000 environ sont arrivées sur le site de protection des civils de la MINUSS à Bentiu. D’autres ont fui vers Nyal et Ganyiel, dans le sud de l’État d’Unité, trouvant refuge dans des marécages et des forêts.

Bien que 1 755 enfants soldats aient été libérés en mars par le groupe armé Faction Cobra dans la zone administrative du Pibor, les enlèvements d’enfants se sont poursuivis tout au long de l’année. C’est ainsi que de très nombreux enfants, dont certains n’avaient que 13 ans, ont été enlevés en février à Malakal et que des centaines d’autres auraient été capturés au début de juin dans les villages septentrionaux de Kodok et Wau Shilluk. Selon l’UNICEF, en novembre, jusqu’à 16 000 enfants servaient dans les forces et les groupes armés.

Les violences sexuelles et liées au genre étaient très répandues dans le cadre du conflit. Des cas d’esclavage sexuel et de viol en réunion de filles, dont certaines n’avaient pas plus de huit ans, ont été signalés. Des hommes et des garçons ont également été émasculés.

SYSTÈME JUDICIAIRE
Le système judiciaire manquait cruellement de moyens et avait une capacité techniqueinsuffisante dans des domaines cruciaux tels que les enquêtes et la médecine légale. Il était en outre confronté à l’ingérence ou au manque de coopération des services de sécurité et du gouvernement. Les procédures pour atteintes aux droits humains étaient également entravées par l’absence de programmes de soutien aux victimes et de protection des témoins.
Par ailleurs, le système judiciaire ne garantissait pas une procédure régulière ni des procès équitables. Parmi les violations des droits humains les plus courantes figuraient l’arrestation et la détention arbitraires, la torture et les autres mauvais traitements, la détention provisoire prolongée et le fait de ne pas garantir le droit des accusés d’être assistés d’un avocat.

Le conflit armé interne a exacerbé des problèmes préexistants du système judiciaire, tout particulièrement dans les États de Jonglei, d’Unité et du Haut-Nil. La capacité de faire respecter la loi était gravement compromise par la militarisation et par la défection de nombreux policiers.

OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES
Le gouvernement n’a pas obligé les responsables de crimes relevant du droit international commis dans le cadre du conflit à rendre compte de leurs actes ni mené d’enquêtes approfondies et impartiales sur ces agissements.

L’accord de paix d’août prévoyait la mise en place de trois mécanismes : une Commission vérité, réconciliation et guérison, une Autorité en charge des réparations et de l’indemnisation des victimes, et un Ttribunal hybride pour le Soudan du Sud. Le mandat de la Commission vérité, réconciliation et guérison couvre le processus de consolidation de la paix et comprend les crimes liés au genre et les violences sexuelles. Celui de l’Autorité en charge des réparations et de l’indemnisation consiste à indemniser les victimes pour les pertes matérielles subies durant le conflit. Le tribunal hybride serait compétent pour juger les crimes au regard du droit international et ceux prévus par les loisen vigueur au Soudan du Sud.

En 2014, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) avait désigné une Commission d’enquête sur le Soudan du Sud, présidée par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et chargée de mener des investigations sur les atteintes aux droits humains commises dans le cadre du conflit armé au Soudan du Sud. Cette Commission avait notamment pour mandat de formuler des recommandations en vue de garantir l’obligation de rendre des comptes et la réconciliation. Amnesty International était au nombre des organisations qui ont fait campagne tout au long de l’année pour que le Conseil de paix et de sécurité de l’UA publie le rapport de cette enquête2.

Ce document a été rendu public le 27 octobre. Il a mis au jour des éléments probants d’atteintes systématiques aux droits humains et de crimes relevant du droit international commis par les deux parties au conflit, dans la plupart des cas avec une extrême cruauté. Il a relevé des preuves flagrantes d’exécutions extrajudiciaires, notamment d’homicides à motivation ethnique. Des témoignages récurrents recueillis par la Commission ont révélé que 15 000 à 20 000 Nuers avaient été tués durant les trois premiers jours du conflit, du 15 au 18 décembre 2013. Le rapport a également mis en évidence des preuves de torture, de mutilation de cadavres, d’enlèvements, de disparitions forcées et de pillages, et il a démontré que des victimes avaient été forcées de commettre des actes de cannibalisme ou de sauter dans les flammes. Des preuves solides étayant des allégations de violences sexuelles systématiques, trait commun des atrocités commises par les deux camps, ont été trouvées. La Commission d’enquête a conclu qu’il était très probable que le viol ait été utilisé comme arme de guerre.

La Commission a recommandé d’engager des poursuites contre les principaux responsables des atrocités et de répondre aux besoins des victimes, notamment en leur accordant des réparations. Elle a préconisé lacréation d’un mécanisme juridique africain ad hoc sous l’égide de l’UA ainsi que d’autres mécanismes de justice de transition similaires aux dispositions de l’accord de paix conclu en août. Elle a recommandé enfin la réforme des systèmes judiciaires civil, pénal et militaire en vue de garantir l’obligation de rendre des comptes.

DROIT À LA SANTÉ – SANTÉ MENTALE
Les atteintes massives aux droits humains que la population a subies ou dont elle a été témoin au Soudan du Sud ont eu des conséquences graves pour la santé mentale de nombre de personnes. Il en est de même pour le nombre élevé de cas de déplacement forcé, de deuil, de destruction ou de perte des moyens de subsistance, de perte de la famille et de l’entourage ainsi que d’insuffisance de nourriture et d’absence de logement satisfaisant. Des études récentes ont révélé un taux extrêmement élevé de syndrome de stress post-traumatique et de dépression parmi les populations du Soudan du Sud. Or, malgré l’ampleur des besoins, les services de santé mentale étaient pratiquement inexistants.

Dans tout le pays, un seul hôpital public dispensait des soins psychiatriques en 2015, et son service ne comptait que 12 lits. Les personnes atteintes de troubles mentaux graves étaient couramment incarcérées. Les malades mentaux détenus, qui ne recevaient pratiquement pas de soins médicaux, étaient le plus souvent enchaînés, laissés nus ou placés à l’isolement.

LIBERTÉ D’EXPRESSION
L’espace dont disposaient les journalistes, les défenseurs des droits humains et la société civile pour travailler sans intimidation n’a cessé de se réduire depuis le déclenchement du conflit. Les autorités, et en particulier les membres du Service national de la sûreté (NSS), ont harcelé des journalistes et leur ont fait subir des actes d’intimidation, ils les ont convoqués aux fins d’interrogatoire, et les ont arrêtés et détenus de manière arbitraire.

Peter Julius Moi, journaliste, a été abattu àDjouba le 19 août, quelques jours après que le président Kiir eut menacé de tuer les journalistes qui travaillaient contre le pays une déclaration dont il a été dit par la suite qu’elle avait été sortie de son contexte. Deux autres journalistes ont été tués alors qu’ils faisaient leur métier, l’un en mai et l’autre en décembre. George Livio, journaliste à Radio Miraya, a été maintenu en détention sans inculpation ni jugement tout au long de l’année ; arrêté en août 2014, il était accusé de collaboration avec les rebelles.

L’édition imprimée du Nation Mirror a été interdite en janvier 2015 après la publication d’une photo de l’ancien vice-président Machar au-dessus de celle du président Kiir. Le NSS a contraint deux journaux à la fermeture en août : The Citizen, quotidien en langue anglaise, et Al Rai, quotidien en langue arabe. Des éditions de plusieurs journaux ont été saisies – certaines ont été retenues temporairement et d’autres entièrement confisquées. Le NSS a également fait fermer deux stations de radio.

Un maître de conférences de l’université de Djouba a dû quitter le pays car il craignait pour sa sécurité après avoir organisé et animé un débat à propos d’un décret présidentiel controversé, promulgué en octobre, qui créait 28 États.

Cette année encore, les forces de sécurité ont été responsables de disparitions forcées, d’arrestations arbitraires et de détentions prolongées, ainsi que d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. Depuis le début du conflit, des membres du NSS, du service du renseignement militaire et de la police ont exercé une répression contre les dissidents politiques présumés, dont beaucoup ont été incarcérés en violation du droit international.

ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES
En avril, le Soudan du Sud a adhéré à la Convention contre la torture [ONU] et à son protocole facultatif, à la Convention relative aux droits de l’enfant [ONU] et à son protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants,ainsi qu’à la Convention sur les femmes [ONU] et à son protocole facultatif. À la fin de l’année, le Soudan du Sud n’avait toujours pas déposé les instruments de ratification de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples [UA] et de la Convention de l’UA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, bien que le Parlement ait voté en 2014 la ratification de ces traités.

Le ministre de la Justice a annoncé, en mars, que le projet de loi sur la sécurité nationale avait force de loi, le président ayant dépassé le délai de 30 jours énoncé dans la Constitution pour approuver le texte ou le renvoyer devant le Parlement, qui l’avait adopté en octobre 2014. L’adoption de cette loi avait suscité une opposition au niveau national et international et le président ne l’avait pas ratifiée. Ce texte conférait de vastes pouvoirs au NSS, notamment ceux d’arrêter et de détenir des suspects et de procéder à des saisies, en l’absence de supervision indépendante et de garanties contre les abus.

Le président Kiir a renvoyé le projet de loi relatif aux ONG devant le Parlement, qui l’avait approuvé à la fin du mois de mai. La version de ce texte votée par le Parlement contenait des dispositions restrictives. Elle rendait obligatoire la déclaration des ONG et sanctionnait pénalement les activités bénévoles menées sans certificat d’enregistrement.

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