Rapport annuel 2016

MYANMAR

République de l’Union du Myanmar
Chef de l’État et du gouvernement : Thein Sein

Les autorités n’ont rien fait pour lutter contre l’intolérance religieuse croissante ni contre l’incitation de plus en plus forte à la discrimination et à la violence à l’égard des musulmans, laissant ainsi les groupes nationalistes bouddhistes radicaux gagner du pouvoir et de l’influence en amont des élections législatives de novembre. La situation des Rohingyas, minorité persécutée, a continué à se détériorer. Le gouvernement a renforcé les restrictions imposées à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Cette année encore, des informations ont fait état d’atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains dans les zones de conflit armé interne. Les membres des forces de sécurité soupçonnés de violations des droits fondamentaux continuaient de jouir d’une impunité quasi totale.

CONTEXTE
Le 8 novembre, le Myanmar a tenu des élections législatives très attendues, à l’issue desquelles la Ligue nationale pour la démocratie, parti d’opposition, a remporté la majorité des sièges au Parlement. Un nouveau gouvernement devait être mis en place à l’horizon de fin mars 2016. Même si la crédibilité et la transparence des élections ont largement été saluées, le processus électoral a été entaché par le déni des droits de minorités et par les restrictions toujours imposées à la liberté d’expression.

En juin, l’armée a bloqué une tentative de modification de la Constitution de 2008 visant à supprimer le droit de veto sur tout changement constitutionnel dont elle jouissait, ainsi que la disposition interdisant l’élection à la présidence de la dirigeante de l’opposition Aung San Suu Kyi par le Parlement.

Le Myanmar a ratifié la Convention sur les armes chimiques et signé le PIDESC en juillet.

DISCRIMINATION
On a assisté à une montée inquiétante de l’intolérance religieuse, à l’encontre notamment des musulmans, les groupes nationalistes bouddhistes radicaux élargissant leur influence. Les autorités n’ont rien fait face aux incitations à la discrimination et à la violence fondées sur la haine nationale, raciale ou religieuse.

Entre mai et août, le Parlement a adopté quatre lois visant à « protéger la race et la religion ». Initialement proposés par des groupes nationalistes bouddhistes radicaux, ces textes – la Loi relative à la conversion religieuse, la Loi relative au mariage spécial des femmes bouddhistes, la Loi relative à la santé et au contrôle de la population et la Loi relative à la monogamie – ont été votés alors qu’ils incluaient des dispositions enfreignant les droits humains, sources en particulier de discriminations fondées sur le genre et la religion. On craignait qu’ils ne renforcent encore les pratiques discriminatoires déjà répandues et n’exacerbent les violences contre les minorités1.

Celles et ceux qui dénonçaient la discrimination et l’intolérance religieuse croissante étaient en butte à des représailles de la part d’acteurs étatiques et non étatiques. Le 2 juin, l’écrivain Htin Lin Oo a été condamné à deux ans de travaux forcés pour « insulte à la religion » après avoir prononcé, en octobre 2014, un discours dans lequel il critiquait le fait d’invoquer le bouddhisme pour promouvoir la discrimination et les préjugés. Les défenseurs des droits humains, en particulier des droits des femmes, qui se sont élevés contre les quatre lois « protégeant la race et la religion » ont été victimes d’actes de harcèlement et de manœuvres d’intimidation, y compris de menaces à caractère sexuel.

La minorité rohingya
La situation des Rohingyas a continué à se détériorer. La plupart des membres de cette minorité restaient de fait privés de nationalité au titre de la Loi sur la citoyenneté de 1982. Ils subissaient toujours des restrictions draconiennes à leur liberté de mouvement, n’avaient qu’un accès limité aux soins de santé susceptibles de leur sauver la vie et se voyaient privés de leurs droits à l’éducation et à l’égalité des chances en matière d’emploi. Cette année encore, des informations ont régulièrement fait état d’arrestations arbitraires, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés à des détenus rohingyas, ainsi que de morts en détention, aux mains des forces de sécurité. Les observateurs internationaux n’avaient toujours qu’un accès très limité à l’État d’Arakan.

En février, le président a annoncé le retrait de toutes les cartes d’enregistrement temporaires – aussi connues sous le nom de « cartes blanches » –, de nombreux Rohingyas se retrouvant ainsi dépourvus de toute pièce d’identité. Cette mesure a de fait empêché les Rohingyas – et d’autres anciens détenteurs de cartes d’enregistrement temporaires – de voter lors des élections de novembre. Leur exclusion a été renforcée encore par la disqualification de la quasi-totalité de ceux d’entre eux qui s’étaient portés candidats aux élections. De nombreux autres musulmans ont également été disqualifiés pour des motifs discriminatoires.

Face à la dégradation de leur situation, de plus en plus de Rohingyas ont quitté le Myanmar. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 33 000 personnes – des Rohingyas et des Bangladais – sont parties par bateau depuis le golfe du Bengale au cours de l’année. En mai, à la suite d’opérations de répression de la traite menée en Thaïlande voisine, plusieurs milliers de personnes – dont de nombreux Rohingyas fuyant le Myanmar – se sont retrouvées bloquées en mer, à bord d’embarcations surpeuplées contrôlées par des trafiquants et des passeurs. Beaucoup ont été battues et retenues en otages, leur libération dépendant du versement d’une rançon2.

PRISONNIERS D’OPINION
Cette année encore, des personnes qui n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leurs droits humains ont été arrêtées et placées en détention. Parmi elles se trouvaient des manifestants étudiants, des militants politiques, des professionnels des médias et des défenseurs des droits humains, en particulier du droit à la terre et des droits des travailleurs3.. À la fin de l’année, on dénombrait au moins 114 prisonniers d’opinion, et des centaines de personnes libérées sous caution faisaient l’objet de poursuites pénales – et risquaient des peines de prison – alors qu’elles n’avaient fait qu’exercer leurs droits de manière pacifique.

En mars, la police a violemment dispersé une manifestation largement pacifique organisée par des étudiants opposés à la nouvelle Loi relative à l’éducation nationale, à Letpadan (région de Bago). Plus de 100 personnes – des manifestants, des leaders du mouvement étudiant et des sympathisants de celui-ci – ont été inculpées de toute une série d’infractions en raison de leur participation au mouvement de contestation. Parmi elles se trouvait la leader étudiante Phyoe Phyoe Aung, passible de plus de neuf années d’emprisonnement si elle était déclarée coupable du fait de ses activités pacifiques. Au cours des jours et des semaines qui ont suivi, les autorités ont soumis des étudiants et leurs sympathisants à des mesures de surveillance et à d’autres formes de harcèlement, tentant de toute évidence d’intimider et de sanctionner celles et ceux qui étaient liés aux manifestations étudiantes4.

En octobre, un mois avant la tenue des élections législatives, les autorités ont placé en détention plusieurs personnes qui avaient publié des posts ridiculisant l’armée sur les réseaux sociaux. Parmi elles figurait Patrick Kum Jaa Lee, militant kachin pacifiste, dont les multiples demandes de libération sous caution ont été rejetées alors qu’il était en mauvaise santé. Ces personnes ont été inculpées au titre de la Loi de 2013 relative aux télécommunications, ce qui faisait craindre que les autorités n’étendent leur carcan répressif à la sphère numérique.

Sur les 6 966 détenus qui ont été relâchés après avoir bénéficié d’une mesure d’amnistie le 30 juillet, 11 étaient des prisonniers d’opinion. Le prisonnier d’opinion Tun Aung a été remis en liberté en janvier, à la faveur d’une grâce présidentielle.

Le 5 janvier, le président Thein Sein a rétabli la commission qui avait été mise en place en 2013 pour examiner la situation des personnes encore détenues du fait de leurs opinions. D’après les médias officiels, la nouvelle Commission chargée des affaires relatives aux prisonniers d’opinion devait « traiter dans les meilleurs délais et sur le terrain les dossiers des prisonniers d’opinion ». Toutefois, à la fin de l’année, aucune information relative à sa mission, ses ressources ou ses activités n’avait été communiquée et on ignorait si elle était opérationnelle5.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION PACIFIQUE
Des lois vagues et générales ont été utilisées pour réprimer l’opposition et limiter les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Parmi ces textes figuraient entre autres la Loi relative aux rassemblements et aux défilés pacifiques, des dispositions du Code pénal érigeant en infraction les « rassemblements illégaux », l’« insulte à la religion » et la « provocation », et la Loi relative aux associations illégales.
Aucune initiative n’a été prise pour tenter de réviser ou de modifier les lois qui restreignaient ces droits.

Les autorités ont intimidé et surveillé des défenseurs des droits humains et des militants pacifiques, les soumettant à diverses formes de harcèlement et de contrôle : ils ont notamment été suivis et pris en photo lorsqu’ils assistaient à des événements ou des réunions, leur bureau et leur domicile ont été fouillés et leur famille, leurs collègues ou leurs amis harcelés et intimidés.

Les journalistes risquaient toujours d’être harcelés, arrêtés, poursuivis en justice et emprisonnés uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs activités. En conséquence, certains se sont autocensurés6.

CONFLIT ARMÉ INTERNE
Le 15 octobre, le gouvernement et huit groupes armés de minorités ethniques ont signé un accord de cessez-le-feu national, qui devait mettre fin à plusieurs dizaines d’années de conflits armés entre l’armée et les nombreux groupes ethniques armés.

Cependant, le gouvernement ayant décidé d’en exclure certains de l’accord, sept autres groupes qui avaient été invités à le signer – dont tous ceux qui combattaient activement l’armée – s’y sont refusés.

Les combats se sont intensifiés dans l’État kachin et dans l’État chan et, cette année encore, des informations ont fait état d’homicides, de disparitions forcées, de viols et d’autres violences sexuelles ainsi que de travaux forcés7. Le gouvernement continuait de refuser que les travailleurs humanitaires puissent accéder totalement et durablement à des communautés déplacées.

En février, plusieurs milliers de personnes ont été déplacées, et des homicides ont été signalés, après la reprise des affrontements entre l’armée myanmar et l’Armée de l’alliance démocratique nationale du Myanmar, un groupe armé, dans la zone autonome de Kokang. Le 17 février, le président a instauré la loi martiale dans la région avant de la lever, neuf mois plus tard, le 17 novembre. En octobre, de nouvelles offensives menées par l’armée dans l’État chan, dans le centre du pays, ont entraîné le déplacement de quelque 6 000 personnes.

Jusqu’à 4 000 personnes étaient toujours déplacées à la fin de l’année.
En septembre, le gouvernement a signé le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés [ONU]. Selon certaines informations, l’armée aurait rendu à la vie civile 146 enfants et jeunes adultes. Cette année encore, il a été signalé que des enfants soldats avaient été enrôlés par l’État et des acteurs non étatiques.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES
Le cadre juridique n’était toujours pas adapté pour empêcher les entreprises de se livrer à des atteintes aux droits humains ou d’y contribuer. Aucune loi n’interdisait les expulsions forcées, et le Myanmar n’avait pas non plus mis en place de garanties environnementales satisfaisantes pour que la population soit protégée contre les conséquences néfastes pour les droits humains de la pollution de l’eau, de l’atmosphère et des sols causées par les industries extractives et manufacturières.

Des milliers de personnes risquaient d’être expulsées par la force de leur domicile et de leur ferme pour faire place à la mine de cuivre de Letpadaung, dans le centre du pays. Le vaste projet minier Monywa, qui englobait l’initiative controversée de la mine de cuivre de Letpadaung, était marqué de longue date par des atteintes aux droits fondamentaux, dont des expulsions forcées, la répression brutale de manifestations par les autorités et des conséquences environnementales qui menaçaient la santé des populations locales et leur accès à une eau salubre. À la fin de l’année, aucune des entreprises concernées n’avait été amenée à rendre des comptes pour ces atteintes aux droits fondamentaux8.

RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], on dénombrait plus de 230 000 personnes déplacées à l’intérieur du Myanmar. Ce chiffre incluait plus de 100 000 personnes déplacées par les combats dans l’État kachin et le nord de l’État chan, et 130 000 personnes, des Rohingyas pour la plupart, déplacées dans l’État d’Arakan depuis que des violences y ont éclaté en 2012. Des inondations de grande ampleur qui ont frappé le pays en juillet ont provoqué le déplacement temporaire de 1,7 million d’habitants.

Neuf camps installés sur la frontière entre le Myanmar et la Thaïlande accueillaient quelque 110 000 réfugiés et autres migrants myanmar, qui étaient dans l’incertitude quant à leur avenir. Beaucoup se sont dits réticents à retourner dans leur pays, évoquant plusieurs obstacles à leur retour volontaire tels que la militarisation et l’impunité persistantes, la présence de mines terrestres et les perspectives limitées sur les plans éducatif et professionnel.

IMPUNITÉ
Des membres des forces de sécurité continuaient de se livrer à des violations des droits humains quasiment en toute impunité. Ces agissements ne faisaient pratiquement jamais l’objet d’une enquête, et quand des investigations étaient menées, celles-ci n’étaient ni transparentes ni indépendantes. Les auteurs de tels actes étaient rarement amenés à rendre des comptes. Les victimes et leurs familles continuaient de se voir refuser le droit à la vérité, à la justice et à des réparations9.

En mai, la Commission nationale des droits humains a annoncé avoir appris qu’une juridiction militaire avait acquitté deux responsables des forces armées, poursuivis dans le cadre de la mort du journaliste Aung Kyaw Naing (dit Par Gyi), abattu en octobre 2014 alors qu’il était détenu par l’armée. Le procès s’est tenu devant la juridiction militaire alors qu’une enquête de police et des investigations visant à rechercher les causes de la mort étaient déjà en cours. La famille du journaliste n’a eu connaissance du procès devant un tribunal militaire qu’à l’annonce de la Commission nationale des droits humains. À la fin de l’année, personne n’avait été jugé responsable de cet homicide.

En vertu de dispositions de la Constitution de 2008, les représentants de l’État, dont les membres des forces de sécurité, jouissaient toujours de l’immunité judiciaire pour les violations des droits humains perpétrées par le passé. En décembre, un projet de loi a été soumis au Parlement visant à accorder aux anciens présidents une immunité de poursuites à vie pour des « actes » commis alors qu’ils étaient au pouvoir – qui pourraient inclure des violations des droits humains, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Ce projet de loi n’avait pas été adopté à la fin de l’année.

PEINE DE MORT
Aucune exécution n’a eu lieu. Dix-sept personnes au moins ont été condamnées à mort au cours de l’année.

SURVEILLANCE INTERNATIONALE
En novembre, la situation des droits humains au Myanmar a été évaluée dans le cadre de l’Examen périodique universel de l’ONU10. Le pays a rejeté des recommandations importantes l’invitant à réviser les lois qui restreignaient les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et a refusé d’admettre la discrimination endémique subie par la minorité rohingya.

La rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains au Myanmar a effectué deux visites officielles dans le pays durant l’année, mais elle a été empêchée de mener à bien sa mission. Enaoût, elle n’a été autorisée à se rendre sur le territoire myanmar que pendant cinq jours, s’est heurtée à des difficultés pour rencontrer des représentants gouvernementaux et s’est vu interdire l’accès à l’État d’Arakan. Elle a également indiqué que des membres de la société civile qu’elle avait rencontrés avaient été surveillés et harcelés. À la fin de l’année, aucun accord n’avait toujours été conclu pour l’ouverture d’un bureau du Haut- Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) au Myanmar. Les membres du personnel du HCDH pouvaient mener leurs activités dans le pays, mais ils ne pouvaient pas travailler correctement car ils n’étaient pas autorisés à accéder librement et de façon durable à tout le territoire.
Amnesty International et la Commission internationale de juristes (CIJ), Parliament must reject discriminatory ‘race and religion’ laws (ASA 16/1107/2015)
Deadly journeys : The refugee and trafficking crisis in Southeast Asia (ASA 21/2574/2015)
« Retour aux vieilles habitudes » : une nouvelle génération de prisonniers d’opinion au Myanmar (ASA 165/2457/2015)
Myanmar : End clampdown on student protesters and supporters (ASA 16/1511/2015)
Amnesty International et Human Rights Watch, Open letter on the establishment of the Prisoners of Conscience Affairs Committee (ASA 16/0007/2015)
Entre censure d’État et autocensure : poursuites judiciaires et intimidations visant les professionnels des médias au Myanmar (ASA 16/1743/2015)
Investigate alleged rape and killing of two Kachin women (ASA 16/0006/2015)
Open for business ? Corporate crime and abuses at Myanmar copper mine (ASA 16/0003/2015)
Myanmar : Four years on, impunity is the Kachin conflict’s hallmark (ASA 16/1832/2015)
Myanmar : Stalled reforms : Impunity, discrimination and ongoing human rights abuses : Amnesty International submission to the Universal Periodic Review (ASA 16/2276/2015)

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