La bataille juridique engagée à propos de la chaîne de télévision favorable à l’opposition Roustavi 2 a suscité un certain nombre de questions concernant la liberté d’expression. Des allégations de pressions sur l’appareil judiciaire de la part du pouvoir politique, ainsi que de justice à deux vitesses, ont de nouveau été formulées, en particulier après la nouvelle arrestation et la condamnation d’un ancien responsable politique, vingt- quatre heures seulement après que la Cour constitutionnelle eut ordonné sa libération. La police a interdit ou entravé à plusieurs reprises des rassemblements pacifiques. Les enquêtes sur les accusations de mauvais traitements par des responsables de l’application des lois étaient toujours aussi lentes et inefficaces. Un projet de création d’un mécanisme d’enquête indépendant a bien été proposé, mais le Parlement n’a pas encore légiféré à ce sujet.
CONTEXTE
Les tensions politiques ont été ravivées, en fin d’année, par certains commentaires incendiaires du Premier ministre Irakli Garibachvili à l’égard du Mouvement national uni (MNU), désormais dans l’opposition, par la diffusion de vidéos prises clandestinement et montrant un viol perpétré en prison à l’époque où le MNU était au pouvoir, et par des fuites concernant des contacts entre l’ex- président de la République, aujourd’hui en exil, et des responsables de la chaîne de télévision favorable à l’opposition Roustavi 2. Plusieurs bureaux du MNU, situés dans diverses villes du pays, ont été saccagés par des groupes d’individus obéissant à des motivations politiques.
La devise nationale a été dévaluée de 26 % par rapport au dollar des États-Unis, ce qui a durement affecté de nombreux foyers ayant contracté des prêts les années précédentes et a placé beaucoup de Géorgiens dans une situation de précarité accrue.
Cette année encore, les déplacements entre les territoires séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et le reste du pays ont été soumis à des restrictions. Les conflits latents dans ces deux régions ont continué de susciter des inquiétudes en termes de sécurité et de situation humanitaire. Il y a eu une recrudescence des tensions le 10 juillet, lorsque les postes frontières ont été déplacés unilatéralement de plusieurs centaines de mètres, agrandissant d’autant le territoire de l’Ossétie du Sud. Plusieurs civils auraient été interpellés et se seraient vu infliger une amende pour avoir pénétré « illégalement » en Ossétie du Sud, en franchissant une frontière de fait, qui n’était généralement pas matérialisée.
En octobre, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) s’est rendue en Géorgie, peu après avoir demandé que la CPI soit autorisée à enquêter sur la situation au cours de la guerre russo-géorgienne d’août 2008.
JUSTICE
Cette année encore, l’équité du système judiciaire a suscité des préoccupations, certains dénonçant l’existence d’une justice à deux vitesses et de procès politiques.
Le 17 septembre, la Cour constitutionnelle a ordonné la libération de Guigui Ougoulava, militant d’opposition et ancien maire de la capitale, Tbilissi. Elle a estimé que son maintien en détention provisoire depuis 2013, dans l’attente de son procès pour détournement de fonds publics et blanchiment d’argent, était illégal, dans la mesure où ladite détention avait dépassé la limite de neuf mois fixée par la loi. La décision des juges de la Cour a été vigoureusement dénoncée par plusieurs hauts responsables du gouvernement. Les magistrats ont été menacés de violences par certains groupes favorables au pouvoir en place. Guigui Ougoulava a été condamné le 18 septembre à quatre ans et demi de prison pour les faits qui lui étaient reprochés. Il a été réarrêté le jour même.
Le 25 décembre, contre toute attente, le Conseil supérieur de la justice a renouvelé le mandat arrivé à expiration d’un juge qui avait présidé un procès très controversé en 2006. Ce juge avait été critiqué pour sa gestion de cette affaire d’homicide dans laquelle, selon l’arrêt rendu en 2011 par la Cour européenne des droits de l’homme, les « différentes branches de l’État […] ont toutes œuvré de concert pour empêcher que justice soit faite ».
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Plusieurs ONG géorgiennes et un certain nombre de commentateurs politiques se sont inquiétés d’une possible atteinte à la liberté d’expression concernant les poursuites engagées par un ancien actionnaire de Roustavi 2 contre les actuels propriétaires de la chaîne. Cette action en justice pourrait en effet avoir été initiée, selon eux, à la demande du gouvernement, dans le souci de priver l’opposition de son principal moyen d’expression. Le directeur de Roustavi 2 a déclaré le 21 octobre avoir fait l’objet d’un chantage. Il a affirmé que les services de sécurité avaient menacé de rendre publiques des images vidéo intimes le concernant s’il ne démissionnait pas. Le tribunal municipal de Tbilissi s’est prononcé en faveur du plaignant (l’ancien actionnaire de la chaîne) et les dirigeants de Roustavi 2 ont été remplacés d’office le 5 novembre par des administrateurs favorables au gouvernement, contre l’avis de la Cour constitutionnelle, qui estimait que l’affaire devait d’abord être jugée en appel.
LIBERTÉ DE RÉUNION
La police a, à plusieurs reprises, entravé ou empêché de façon abusive des rassemblements pacifiques. Parallèlement, elle s’est abstenue de façon répétée d’intervenir pour empêcher des affrontements entre adversaires politiques.
Le 15 mars, dans la ville de Zougdidi, une cinquantaine de sympathisants de la coalition au pouvoir, le Rêve géorgien, armés de pierres et de bâtons, ont pénétré de force dans les locaux du MNU et d’une organisation liée à celui-ci et ont brisé plusieurs fenêtres. Neuf personnes auraient été blessées, dont l’un des policiers qui avaient tenté d’intervenir mais qui avaient été débordés par le nombre des assaillants.
Le 12 juin, 15 militants ont tenté d’organiser une manifestation sur la place Gueïdar Aliev de Tbilissi, pour protester contre la situation en Azerbaïdjan en matière de droits humains, à la veille des premiers Jeux européens, qui devaient se tenir à Bakou, la capitale de ce pays. La police a bloqué l’accès à la place avant que les manifestants n’aient pu se mettre en place et leur a interdit de passer, sans fournir la moindre raison.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES
La Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie s’est déroulée sans incidents à Tbilissi le 17 mai, dans un lieu discret. Les autorités avaient refusé de garantir la sécurité de la manifestation, sauf si elle était organisée dans un endroit précis et si elle n’était pas annoncée publiquement au préalable.
Le 12 mai, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, dans le cadre de l’affaire Identoba et autres c. Géorgie, que la police n’avait pas assuré la protection des participants au défilé de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie 2012, ce qui constituait un acte de discrimination et une atteinte au droit des participants à la liberté de réunion.
Un individu a été reconnu coupable le 7 août, par le tribunal municipal de Tbilissi, d’incendie volontaire et de coups et blessures, pour avoir agressé une femme transgenre et avoir mis le feu à l’appartement d’une autre, après l’avoir tuée. Il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement. Le tribunal a néanmoins estimé que l’homicide avait été commis en situation de légitime défense et l’accusé a donc été acquitté de ce chef d’inculpation.
Le 23 octobre, le tribunal municipal de Tbilissi a acquitté quatre hommes accusés de s’en être pris aux participants d’un rassemblement pour la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie 2013, qui avait eu lieu dans la capitale géorgienne. Le tribunal a estimé que les éléments de preuves étaient « insuffisants » alors que, selon certaines informations, les quatre hommes étaient identifiables sur des images vidéo et sur des photos de cette agression.
Un cinquième homme, qui apparaissait également sur ces images, avait été acquitté un peu plus tôt. Plusieurs dizaines d’hommes avaient pris part à cette attaque, mais aucun n’a été condamné.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Les organisations locales de défense des droits humains ont signalé plusieurs nouveaux cas de mauvais traitements impliquant des responsables de l’application des lois. Les enquêtes menées par l’Inspection générale du ministère des Affaires intérieures à propos des violations présumées avançaient lentement, sans résultats probants.
Le médiateur des droits humains et un certain nombre d’ONG ont soumis un projet de création d’un mécanisme d’enquête indépendant sur les infractions pénales mettant en cause des responsables de l’application des lois. Le projet de loi nécessaire à la mise en place d’un tel dispositif n’avait toutefois pas été examiné à la fin de l’année.