Rapport annuel 2016

KIRGHIZISTAN

République kirghize
Chef de l’État : Almaz Atambaïev
Chef du gouvernement : Temir Sariev (a remplacé Djoomart Otorbaïev en mai)

Les crimes contre l’humanité et les autres violations des droits humains perpétrés lors des violences de juin 2010 et pendant la période qui a suivi n’ont fait l’objet d’aucune enquête impartiale et approfondie. Les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour mettre fin à la torture et aux autres mauvais traitements, ni pour traduire en justice les auteurs présumés de tels actes. L’espace réservé à la société civile continuait de se rétrécir, dans un climat d’intolérance croissante envers les minorités, notamment les minorités ethniques et sexuelles. Une loi limitant la liberté d’expression et d’association a été soumise au Parlement, avant d’être retirée « pour consultation ». Le prisonnier d’opinion Azimjan Askarov était toujours en détention. Des agents des services de sécurité sont par ailleurs intervenus au domicile d’avocats et dans les locaux d’une ONG travaillant en faveur de membres de la communauté ouzbèke, dont Azimjan Askarov.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
La torture et les autres mauvais traitements restaient monnaie courante et l’impunité en la matière était toujours la règle, en dépit de l’adoption, fin 2014, d’un programme de surveillance des lieux de détention mis en place dans le cadre du mécanisme national de prévention, ainsi que de consignes données au personnel médical par le ministère de la Santé sur la manière de faire un constat d’actes de torture – consignes s’inspirant du Manuel des Nations unies pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).
Dans un arrêt en date du 16 juin 2015 concernant l’affaire Khamrakoulov c. Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le retour forcé, de la Russie vers le Kirghizistan, de requérants d’origine ouzbèke exposait ceux-ci à des risques de torture et d’autres mauvais traitements.
Le Kirghizistan a accepté les recommandations formulées en juin à l’issue de l’Examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’homme [ONU] et visant à lutter contre la torture et les autres mauvais traitements. Ces recommandations portaient notamment sur l’investigation des allégations (notamment celles formulées par des personnes appartenant à des minorités ethniques) concernant les violences de juin 2010 et sur la nécessité de faire en sorte que le Centre national de prévention de la torturedispose des moyens nécessaires à sa mission et reste indépendant.
IMPUNITÉ
Seule une minorité d’allégations de torture et de violences liées au genre ont donné lieu à une véritable enquête. Les cas de poursuites engagées contre les auteurs présumés de tels actes étaient encore plus rares.
L’ONG Coalition contre la torture au Kirghizistan a recueilli au cours du premier semestre 2015 des informations sur 79 affaires de torture et autres mauvais traitements. Une unité spéciale d’investigation mise en place en juin par le Parquet général a ouvert des enquêtes judiciaires sur trois affaires de torture. Au mois d’octobre, 35 affaires pénales concernant plus de 80 responsables de l’application des lois accusés d’actes de torture étaient en instance devant les tribunaux. Ces mêmes tribunaux n’ont cependant rendu un verdict de culpabilité que dans quatre affaires, remontant à 2011.
Les autorités n’ont pas vraiment cherché à enquêter sur les violences à caractère ethnique survenues en juin 2010 à Och et à Djalal-Abad, où de graves crimes ont été commis, aussi bien par des membres de la communauté kirghize que par des personnes appartenant à la communauté ouzbèke (cette dernière enregistrant toutefois la plupart des morts, des blessés et des dégâts matériels). Depuis ces événements, la justice s’en prend de façon disproportionnée aux personnes d’origine ouzbèke. Le Kirghizistan a néanmoins rejeté les recommandations faisant suite à l’EPU et concernant la nécessité de remédier au manque de représentation des minorités ethniques dans la police et les forces de sécurité et d’adopter une législation réprimant tous les types de discrimination. Des avocats défendant des membres de la communauté ouzbèke placés en détention à la suite des violences de juin 2010 ont cette année encore fait l’objet d’actes de harcèlement dans le cadre de leur travail.
Le 21 mai, le tribunal de district deSokolouk a condamné à huit ans d’emprisonnement trois membres du personnel d’un tribunal de première instance de la région de Talas, reconnus coupables de viol collectif sur la personne de Kalia Arabekova. Le crime avait été perpétré en décembre 2013. La juge a cependant refusé de placer en détention les trois hommes dans l’attente de leur procès en appel, bien que la victime se soit plainte à plusieurs reprises d’avoir reçu des menaces. Le 21 juillet, celle- ci a été agressée, menacée et violée à son domicile par deux hommes masqués. L’un d’eux était selon elle l’un des auteurs du premier viol.
PRISONNIERS D’OPINION
Le défenseur des droits humains d’origine ouzbèke Azimjan Askarov était toujours incarcéré. Accusé d’avoir pris part aux violences de 2010, il avait été condamné à la réclusion à perpétuité et était considéré comme un prisonnier d’opinion. Il s’est vu décerner en juillet le Prix des défenseurs des droits humains du Département d’État des États-Unis, ce qui a suscité la colère de plusieurs hauts responsables kirghizes. Le président de la République a notamment qualifié ce prix de provocation et d’incitation au séparatisme. Le gouvernement a annulé un accord de coopération conclu en 1993 avec les États-Unis.
LIBERTÉ D’EXPRESSION ET D’ASSOCIATION
Un projet de loi homophobe soumis au Parlement en 2014 a été adopté en seconde lecture en juin 2015 à une écrasante majorité, dans un climat d’intolérance et de discrimination croissantes envers les personnes LGBTI. Ce texte prévoyait notamment de modifier le Code pénal et diverses autres lois afin de sanctionner le fait « d’encourager une vision positive » des « relations sexuelles non classiques », proposant de punir ce genre de comportement par des peines allant d’une amende à un an d’emprisonnement. Il a été retiré avant son adoption en troisième et dernière lecture, « pour de nouvelles consultations ». Il devrait donc revenir devant le Parlement.
Les défenseurs des droits humains et autres militants de la société civile étaient de plus en plus confrontés à des actes de harcèlement et à des pressions de la part des autorités en raison de leur action. Tous plaignaient de vivre dans un climat d’insécurité croissante.
Le Parlement a de nouveau été appelé à se prononcer sur un projet de loi destiné à contraindre les ONG recevant une aide de l’étranger et se livrant à des « activités politiques » (définies en termes très vagues), quelle qu’en soit la forme, à se désigner et à se présenter publiquement sous l’appellation stigmatisante d’« agents de l’étranger ». Le président de la République et plusieurs autres personnalités politiques de premier plan se sont prononcés avec force en faveur de cette initiative, inspirée d’une loi adoptée en Russie en 2012. Ce projet de loi a été retiré en juin « pour complément de discussion », mais est revenu devant le Parlement pour y être examiné et mis au vote.
Le 27 mars, des agents du Comité d’État pour la sécurité nationale d’Och ont procédé à des perquisitions dans les bureaux de l’ONG de défense des droits humains Bir Duino (« Un Seul Monde ») et au domicile de deux avocats travaillant pour cette organisation, Valerian Vakhitov et Khoussanbaï Saliev. Lors de ces perquisitions, les agents du Comité d’État ont saisi des documents concernant les affaires sur lesquelles travaillaient les deux avocats, ainsi que des ordinateurs et des dispositifs de stockage de mémoire numérique. Valerian Vakhitov et Khoussanbaï Saliev ont contesté ces perquisitions, ainsi que la décision du tribunal local les autorisant. Leur plainte a été examinée par le tribunal de la ville d’Och et par la Cour suprême, respectivement le 30 avril et le 24 juin. Les deux instances ont estimé que ces perquisitions constituaient des actes d’ingérence illégale dans le travail des avocats. L’organisation Bir Duino apporte, entre autres, une assistance juridique aux membres de la communauté ouzbèke faisant l’objet de poursuites en raison des violences ayant éclaté à Och en juin 2010. Elle s’est notamment mobilisée en faveur d’Azimjan Askarov.

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