Rapport Annuel 2016

Espagne

Royaume d’Espagne
Chef de l’État : Felipe VI
Chef du gouvernement : Mariano Rajoy


Une nouvelle législation est venue entraver la liberté de réunion. De nouveaux cas de mauvais traitements et de recours excessif à la force par des agents de police ont été signalés. Les forces de sécurité ont également procédé à des expulsions collectives et ont fait usage d’une force excessive contre des personnes qui tentaient d’entrer clandestinement dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla depuis le Maroc. L’impunité demeurait un grave motif de préoccupation.

CONTEXTE

Les élections législatives de décembre ont installé un Parlement très morcelé. Le Parti populaire, dirigé par le Premier ministre sortant Mariano Rajoy, est arrivé en tête mais n’a pas remporté suffisamment de sièges pour former seul un nouveau gouvernement. Bien que le gouvernement ait continué d’appliquer des mesures d’austérité, aux conséquences néfastes pour les droits humains, les manifestations de protestation contre ce régime de rigueur ont été moins nombreuses que les années précédentes.

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION

Des réformes de la Loi relative à la sécurité publique et du Code pénal sont entrées en vigueur en juillet. Elles prévoyaient des infractions qui pourraient limiter de manière excessive l’exercice légitime des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. La Loi relative à la sécurité publique restreignait les moments et les lieux où les manifestations pouvaient se dérouler et prévoyait de nouvelles sanctions pour ceux qui tiendraient des manifestations spontanées devant certains bâtiments publics. Elle donnait toute latitude aux policiers pour infliger des amendes aux personnes qui faisaient preuve de « manque de respect » à leur égard. Elle érigeait également en infraction la diffusion d’images de policiers dans certains cas. En juin, le Comité des droits de l’homme [ONU] a exprimé sa préoccupation à propos de cette législation.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

En mai, le Comité contre la torture [ONU] a fait part de son inquiétude quant au maintien du régime de détention au secret. Il a recommandé à l’Espagne de modifier la définition de la torture dans sa législation nationale et de mener de véritables enquêtes sur toutes les allégations de torture ou d’autres formes de mauvais traitements.
Des cas de mauvais traitements infligés par des agents des forces de l’ordre aux frontières et dans des lieux de détention ont été signalés. Des préoccupations ont émergé au sujet des retards et de l’inefficacité des enquêtes sur ces cas. Les poursuites ont été abandonnées dans de nombreuses affaires, notamment quand il était impossible d’identifier les policiers impliqués, faute de plaque d’identification sur leur uniforme.
Le procès qui devait se tenir au pénal contre deux agents des forces de l’ordre pour coups et blessures graves à l’encontre d’Ester Quintana, qui a perdu un œil après avoir été touchée par un projectile en caoutchouc tiré par la police lors d’une manifestation à Barcelone en novembre 2012, n’avait pas commencé à la fin de l’année. En septembre, le gouvernement catalan a accepté de verser un dédommagement de 260 000 euros à Ester Quintana dans le cadre d’un règlement à l’amiable.

DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES MIGRANTS

Le 3 février, six hommes originaires d’Afrique subsaharienne ont été sommairement renvoyés de Ceuta vers le Maroc. D’autres expulsions collectives similaires, au cours desquelles des gardes civils ont renvoyé de force vers le Maroc des groupes de personnes qui étaient sous leur contrôle, sans évaluer individuellement leur situation ni leur laisser la possibilité de demander l’asile, ont été fréquemment signalées ces dernières années, en particulier à Melilla.
En mars, la Loi relative aux étrangers a été modifiée de manière à légaliser l’expulsion automatique et collective de migrants et de réfugiés aux frontières des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Cette disposition ouvrait la voie à de nouvelles expulsions collectives, qui sont interdites par le droit international. Le nombre de tentatives de franchissement des clôtures qui séparent Melilla du Maroc a baissé après février, quand plusieurs camps de fortune au nord du Maroc ont été démantelés par les autorités marocaines.
En mai, le Comité contre la torture s’est inquiété de la pratique des « renvois à chaud » dans les villes autonomes de Ceuta et Melilla, où ces rejets à la frontière (rechazo) empêchaient tout accès aux procédures d’asile.
En juillet, le Comité des droits de l’homme a appelé l’Espagne à respecter le principe de « non-refoulement » et à garantir l’accès à de véritables procédures d’asile.
En août, l’enquête menée à Melilla sur le passage à tabac, par des gardes civils, d’un migrant qui avait tenté de franchir la frontière entre le Maroc et Melilla avant d’être renvoyé de force au Maroc en octobre 2014 a été classée sans suite. Le tribunal n’est pas parvenu à recueillir les témoignages d’autres migrants, car ils avaient eux aussi été expulsés collectivement au cours de la même opération de police. Cet homme avait été frappé par des gardes civils, puis transporté jusqu’au côté marocain de la barrière, alors qu’il était inconscient. Malgré des éléments de preuve vidéo, le ministère de l’Intérieur a affirmé qu’il était impossible d’identifier les policiers impliqués. Un recours contre la décision de classer l’enquête sans suite était en instance à la fin de l’année.
En octobre, l’enquête sur le recours excessif à la force par des gardes civils sur la plage de Tarajal en février 2014 a été classée, sans qu’aucune poursuite n’ait été engagée. Des gardes civils avaient utilisé des projectiles en caoutchouc et des fumigènes pour empêcher environ 200 personnes de rejoindre à la nage le côté espagnol de la plage depuis le Maroc. Vingt-trois personnes avaient été renvoyées de force vers le Maroc et au moins 14 s’étaient noyées en mer.
Cette année encore, le droit des demandeurs d’asile de circuler librement a été restreint, puisqu’ils devaient toujours obtenir l’autorisation de la police pour quitter les enclaves en direction du continent. Cette pratique est contraire à la législation espagnole et a été jugée illégale par plusieurs tribunaux en Espagne.
Le Centre d’hébergement provisoire pour migrants de Melilla était fortement surpeuplé. À Melilla, les demandeurs d’asile attendaient en général deux mois, voire plus dans certains cas, avant d’être transférés sur le continent. Le délai d’attente était encore plus long à Ceuta.
Fin novembre, 12 500 demandes d’asile avaient été déposées en Espagne. En octobre, le pays a accepté d’accueillir 14 931 demandeurs d’asile en provenance d’autres pays de l’Union européenne d’ici à 2016 au titre du programme européen de relocalisation. Toutefois, il n’a proposé 130 places de réinstallation en 2015.
Près de 750 000 migrants sans papiers vivaient en Espagne sans accès suffisant aux soins de santé. Plusieurs organes de l’ONU ont recommandé à l’Espagne de garantir un accès universel aux soins médicaux.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ

En octobre, les modifications apportées au Code de procédure pénale n’ont pas supprimé le recours à la détention au secret, malgré les préoccupations exprimées par plusieurs organes internationaux de protection des droits humains, qui s’inquiétaient de ce que ce type de détention était contraire aux obligations internationales de l’Espagne. La seule amélioration apportée dans ce domaine a été l’interdiction de cette pratique pour les mineurs de moins de 16 ans. En juillet, le Comité des droits de l’homme a une nouvelle fois recommandé à l’Espagne d’offrir une voie de recours utile à Ali Aarrass pour les actes de torture et d’autres mauvais traitements qu’il a subis au Maroc. Ali Aarrass a été extradé par l’Espagne vers le Maroc en 2010, malgré les craintes qu’il n’y soit torturé et alors que le Comité avait demandé l’application de mesures provisoires pour empêcher qu’il ne soit expulsé pendant que son cas était en cours d’examen. En juillet, des articles du Code pénal relatifs aux actes terroristes ont été modifiés, introduisant une définition plus large de ce qui constitue un acte de terrorisme. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression a fait remarquer que ces modifications pourraient conduire à ériger en infraction des comportements qui, auparavant, n’auraient pas été considérés comme du terrorisme, et qu’elles pourraient entraîner des restrictions disproportionnées de l’exercice légitime de la liberté d’expression, entre autres limitations.

DISCRIMINATION

La nouvelle Loi relative à la sécurité publique imposait aux policiers de s’abstenir de toute discrimination fondée sur des motifs ethniques ou autres lors des contrôles d’identité.
En mai, le gouvernement a mis en place un Observatoire de lutte contre la discrimination liée à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, chargé de recevoir les plaintes des victimes et témoins et d’apporter une réponse rapide aux actes de discrimination fondés sur ces motifs.

VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES

À la mi-décembre, selon les chiffres du ministère de la Santé, de la Politique sociale et de l’Égalité, 56 femmes avaient été tuées par leur partenaire ou ancien partenaire.
En juillet, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes [ONU] a exhorté l’Espagne à veiller à ce que les femmes victimes de violences liées au genre aient accès à des réparations et à une protection, à ce que les agents auxquels elles ont affaire soient correctement formés et à ce que les responsables présumés soient traduits en justice.
À la fin de l’année, le gouvernement refusait toujours d’accorder des réparations à Ángela González Carreño, qui avait été victime de violences liées au genre et dont la fille avait été tuée par son ancien compagnon en 2003. Bien qu’ayant signalé à plusieurs reprises les violences que lui faisait subir cet homme, elle n’avait reçu aucune protection adéquate.

IMPUNITÉ

Les définitions de la disparition forcée et de la torture dans la législation espagnole n’étaient toujours pas conformes au droit international relatif aux droits humains. Des restrictions de l’exercice de la compétence universelle ont entraîné le classement sans suite de plusieurs grandes affaires internationales. En particulier, l’Audience nationale a décidé en juillet de mettre un terme à son enquête sur la torture et les autres mauvais traitements au centre de détention américain de Guantánamo, à Cuba. Des documents indiquant que des agents espagnols avaient été impliqués dans des interrogatoires de détenus au sein de ce centre de détention lui avaient pourtant été soumis en mai. Une procédure en appel était en cours à la fin de l’année.
En juillet également, un tribunal militaire a clos l’enquête sur la torture infligée à deux prisonniers par cinq soldats espagnols sur une base militaire espagnole en Irak en 2004, au motif qu’il n’était pas parvenu à identifier les auteurs, ni les victimes. Des interrogations subsistaient quant à la rigueur de cette enquête de la part du tribunal militaire.
Les victimes de crimes commis pendant la guerre d’Espagne et sous le régime de Franco (1936-1975) continuaient d’être privées de leurs droits à la vérité, à la justice et à des réparations, car les autorités espagnoles ne coopéraient pas suffisamment avec la justice argentine, qui enquêtait sur ces crimes. En mars, le gouvernement a rejeté la demande d’extradition de 17 personnes émise par les tribunaux argentins. Un groupe d’experts des Nations unies a ensuite engagé l’Espagne à respecter ses obligations en extradant ou en poursuivant en justice les responsables présumés de graves violations des droits humains.

DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS

Une loi adoptée en septembre obligeait les jeunes filles de moins de 18 ans et les femmes atteintes de handicap mental à obtenir une autorisation de leurs parents ou de leur tuteur pour avoir recours à un avortement légal. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Groupe de travail chargé de la question de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique [ONU] ont tous les deux appelé l’Espagne à ne pas restreindre l’accès des femmes et des jeunes filles à un avortement sûr et légal. Le Comité des droits de l’homme a également recommandé à l’Espagne de veiller à ce qu’aucun obstacle juridique ne contraigne les femmes à avorter clandestinement, mettant leur vie et leur santé en danger.

DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT

D’après des statistiques publiées en mars par le Conseil général du pouvoir judiciaire,
578 546 procédures de saisie de biens hypothéqués ont été entamées en Espagne entre 2008 et 2014. Au cours des neuf premiers mois de 2015, 52 350 nouvelles procédures de ce type ont été engagées.

Les mesures adoptées les années précédentes par le gouvernement pour améliorer la situation des personnes qui risquaient de perdre leur habitation ne garantissaient pas de recours utile aux personnes en cas de violation de leur droit au logement.
En juin, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] a demandé à l’Espagne de garantir l’accès à des voies de recours aux personnes confrontées à des procédures de saisie de biens hypothéqués.

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