Rapport Annuel 2016

Amériques - Résumé régional


Les événements de l’année 2015 ont souligné l’ampleur de la crise en matière de droits humains sur le continent américain. Discriminations, violences, inégalités, conflits, insécurité, pauvreté, atteintes à l’environnement et absence de justice pour les victimes de violations des droits humains sont autant de facteurs qui ont menacé la protection des droits humains et les libertés fondamentales dans l’ensemble de la région.
Bien que la plupart des États aient soutenu et ratifié les normes et traités relatifs aux droits humains, ces engagements sont restés lettre morte pour des millions de personnes, ce qui a confirmé la tendance à la régression qui s’est installée depuis deux ans sur le continent en matière de droits fondamentaux.

Une culture généralisée de l’impunité a permis aux responsables d’atteintes aux droits humains d’agir sans crainte des conséquences, privant les victimes de leur droit à la vérité et à des réparations et affaiblissant l’état de droit. Cette impunité a souvent été aggravée par la corruption qui régnait au sein des systèmes de justice et de sécurité, leur faiblesse et leur manque de ressources, ainsi que par le manque de volonté politique pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces institutions.
Durant l’année, les autorités ont à plusieurs reprises eu recours à des interventions militaires pour faire face à certains problèmes sociaux et politiques, notamment à l’influence croissante des réseaux criminels et aux répercussions des activités des entreprises multinationales sur les droits de la population.
Dans le même temps, les niveaux de violence meurtrière sont restés extrêmement élevés dans l’ensemble de la région. Huit des 10 pays les plus violents du monde se trouvaient en Amérique latine et dans les Caraïbes, et un meurtre violent sur quatre au niveau mondial était commis dans quatre d’entre eux (le Brésil, la Colombie, le Mexique et le Venezuela). Seuls 20 % des homicides commis en Amérique latine ont débouché sur des condamnations ; dans certains pays ce pourcentage était encore plus faible. Les crimes violents étaient particulièrement nombreux au Guyana, au Honduras, en Jamaïque, à Trinité-et-Tobago, au Salvador et au Venezuela.
L’influence croissante des entreprises multinationales et leur implication dans des atteintes aux droits humains – en particulier les entreprises extractives ou autres liées à l’accaparement de terres et de ressources naturelles sur des territoires appartenant en général (ou revendiqués comme tels) aux peuples indigènes, à d’autres minorités ethniques et à des petits paysans – ont continué de menacer les droits humains d’un bout à l’autre du continent.
Les conflits sociaux et environnementaux, de plus en plus nombreux, ont engendré des actes de violence et des violations des droits humains. Les défenseurs et militants des droits humains travaillant sur les questions liées à la protection de la terre, des territoires et des ressources naturelles ont été de plus en plus exposés à des meurtres, à des disparitions forcées et à d’autres actes criminels. Au Honduras, des organisations locales de la société civile ont été victimes de violentes attaques et de menaces de la part d’agents de sécurité privés à la solde de puissants propriétaires fonciers. Au Brésil, des dizaines de personnes ont été tuées dans le cadre de conflits liés aux terres et aux ressources naturelles.
Les discussions menées au sein de l’OEA pour finaliser le projet de déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones ont été freinées du fait d’obstacles à la participation effective de ces peuples et des efforts déployés par certains pays pour affaiblir le texte. Des représentants des peuples indigènes se sont retirés des négociations après que plusieurs États eurent insisté pour inclure des dispositions qui auraient eu pour effet concret d’avaliser certaines lois nationales qui négligent la protection des droits de ces peuples.

En parallèle, l’insécurité, la violence et les difficultés économiques au Mexique et en Amérique centrale ont conduit un nombre croissant de personnes, notamment d’enfants non accompagnés, à quitter leur foyer et à traverser les frontières dans le but d’améliorer leurs conditions de vie et d’échapper aux violences.
Cette année encore, les défenseurs des droits humains ont été pris pour cible.
Défendre les droits humains constituait souvent une activité dangereuse, voire mortelle, de nombreux gouvernements ayant conduit des politiques visant à restreindre l’espace civique et à criminaliser la dissidence.
La crise des droits humains n’a pas épargné le Mexique ; des milliers de plaintes pour torture et autres mauvais traitements, ainsi que des cas d’exécutions extrajudiciaires, ont été recensés dans l’ensemble du pays. De plus, on ignorait toujours ce qu’il était advenu d’au moins 27 000 personnes à la fin de l’année. Le mois de septembre a été marqué par le premier anniversaire de la disparition forcée de 43 étudiants de l’Institut de formation des enseignants d’Ayotzinapa, l’un des cas de violations des droits humains les plus inquiétants survenus au Mexique ces dernières années. Le processus d’enquête sur ces événements était entaché d’irrégularités.
Au Venezuela, un an après les manifestations massives qui avaient fait 43 morts et des centaines de blessés, et à la suite desquelles des dizaines de personnes avaient été victimes d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements, aucune condamnation n’avait été prononcée et les charges retenues contre les personnes arrêtées arbitrairement par les autorités n’avaient pas été abandonnées. Malgré une baisse du nombre de manifestations à la fin de l’année, l’intolérance du gouvernement à l’égard de la dissidence s’est souvent traduite par des menaces, des actes de harcèlement et des agressions contre les défenseurs des droits humains, et les forces de sécurité ont continué à utiliser une force excessive pour réprimer les protestations. Les agressions visant des personnalités politiques et des militants de l’opposition ont soulevé des doutes quant à l’équité des élections législatives. Luis Manuel Díaz, membre d’un parti d’opposition dans l’État de Guárico, a été abattu au cours d’un rassemblement avant les élections.
La situation des droits sexuels et reproductifs au Paraguay – en particulier le cas d’une fillette de 10 ans tombée enceinte après avoir été violée à plusieurs reprises, apparemment par son beau-père – a attiré l’attention internationale, soulignant la nécessité d’abroger les lois draconiennes de ce pays interdisant l’avortement. Les autorités ont refusé d’autoriser un avortement alors que des éléments prouvaient que cette grossesse mettait en danger la vie de la fillette.
À Cuba, la situation en matière de droits humains se trouvait à la croisée des chemins. L’année a été marquée par un réchauffement des relations internationales, avec la première participation du pays au Sommet des Amériques, des rencontres historiques entre les présidents cubain et américain et la visite d’État du pape François. D’autres progrès ont également été notés, tels que la libération de prisonniers d’opinion. Cependant, les autorités ont muselé la dissidence et continué de placer en détention arbitrairement des milliers de personnes n’ayant fait qu’exprimer pacifiquement leurs opinions.
Au Brésil, la construction des infrastructures des Jeux olympiques de 2016 a entraîné des expulsions à Rio de Janeiro, où des personnes étaient souvent chassées de chez elles sans préavis suffisant ni compensations financières ou solutions de relogement adéquates. Ces expulsions se poursuivaient.
Le continent a également connu des évolutions positives. En Colombie, les pourparlers de paix entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont continué de progresser de façon significative, ce qui laissait espérer une issue prochaine au conflit armé qui sévissait dans le pays depuis 50 ans.
Le gouvernement jamaïcain a finalement mis en place une commission d’enquête sur les violations des droits humains commises durant l’état d’urgence en 2010 : les forces de sécurité avaient alors tué 76 personnes et 44 d’entre elles auraient été victimes d’une exécution extrajudiciaire. Le président péruvien a ratifié un mécanisme national pour la prévention de la torture et mis en place un registre national pour les femmes victimes de stérilisation forcée au cours des années 1990.
Les États-Unis ont accepté de nombreuses recommandations émises dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU) à la suite de l’évaluation du bilan du pays en matière de droits humains : ils ont réitéré leur soutien aux demandes qui leur ont été adressées de fermer le centre de détention américain de Guantánamo (à Cuba), de ratifier la Convention relative aux droits de l’enfant [ONU] et la Convention sur les femmes [ONU], et d’amener les responsables d’actes de torture à rendre des comptes.
Aucune de ces recommandations n’avait toutefois été mise en œuvre à la fin de l’année.

SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DROITS HUMAINS

La violence et l’influence accrues de certains acteurs non étatiques, notamment de réseaux criminels et d’entreprises multinationales agissant en toute impunité, ont continué de compromettre la capacité des gouvernements à protéger les droits humains. Les efforts mis en œuvre pour contrôler les réseaux criminels, notamment le recours occasionnel aux forces armées, ont entraîné de graves violations des droits humains et des restrictions injustifiées des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Des cas de recours excessif à la force par la police et d’autres forces de sécurité ont été signalés dans des pays tels que les Bahamas, le Brésil, le Chili, l’Équateur, le Guyana, la Jamaïque, la République dominicaine, Trinité-et-Tobago et le Venezuela.
Les forces de sécurité brésiliennes ont souvent utilisé une force excessive ou injustifiée pour réprimer les manifestations. Le nombre de meurtres commis au cours d’opérations policières demeurait élevé, et ces actes ont rarement fait l’objet d’enquêtes. Un manque de transparence empêchait souvent de déterminer le nombre exact de personnes tuées. Des policiers auraient commis des homicides illégaux en dehors de leurs heures de service, agissant au sein d’escadrons de la mort actifs dans plusieurs villes du Brésil. Au Mexique, un certain nombre de fusillades impliquant des policiers ou des militaires et s’apparentant à des exécutions extrajudiciaires ont été signalées.
En Équateur, des manifestations antigouvernementales qui ont eu lieu tout au long de l’année dans l’ensemble du pays ont été marquées par des affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité, qui auraient utilisé une force excessive et procédé à des arrestations arbitraires.
Au Pérou, les opposants à des projets d’industrie extractive ont été victimes d’actes d’intimidation, d’un recours excessif à la force et d’arrestations arbitraires. Sept manifestants ont été abattus dans des circonstances laissant à penser que les agents des forces de sécurité ont eu recours à une force excessive.
Aux États-Unis, l’utilisation de pistolets Taser par la police a provoqué la mort d’au moins 43 personnes. Des manifestations pour protester contre l’utilisation excessive de la force par la police ont été organisées dans plusieurs villes du pays. Les autorités n’ont toujours pas communiqué le nombre exact de personnes tuées chaque année par des responsables de l’application des lois.
Au Venezuela, les opérations de sécurité publique visant à lutter contre la forte criminalité ont fait craindre une utilisation excessive de la force, notamment d’éventuelles exécutions extrajudiciaires, ainsi que des arrestations arbitraires et des expulsions forcées ciblant des criminels présumés et leurs familles

ACCÈS À LA JUSTICE ET LUTTE CONTRE L’IMPUNITÉ

De très nombreuses personnes, en particulier parmi les populations défavorisées et marginalisées, ont été privées d’un véritable accès à la justice, ce qui a gravement porté atteinte à leurs droits humains.
L’impunité endémique au Honduras était exacerbée par l’inefficacité du système de justice pénale, ce qui a entraîné, avec d’autres facteurs comme la corruption et les violations des droits humains perpétrées par des policiers, un manque de confiance en l’application des lois et dans les institutions judiciaires. Le gouvernement a annoncé qu’il s’attaquerait à la corruption et à l’impunité en mettant en place une initiative avec l’OEA pour réformer le système judiciaire.
Au Chili, les enquêtes sur les cas de violences policières et d’atteintes aux droits humains impliquant des membres des forces de sécurité étaient toujours confiées à la justice militaire, malgré des doutes sur l’impartialité et l’indépendance de ses tribunaux et sur la volonté des autorités de réformer le système de justice militaire.
Le manque de volonté politique persistait pour élucider les cas non résolus de violations de droits humains, notamment les milliers d’assassinats politiques et de disparitions forcées perpétrés au cours de la deuxième moitié du 20e siècle, et pour garantir les droits à la vérité, à la justice et à des réparations.
La Bolivie a adopté des mesures limitées afin de garantir la vérité, la justice et des réparations complètes pour les victimes des violations des droits humains commises sous les régimes militaires et autoritaires du passé. Les autorités se sont toutefois engagées à mettre en place une commission vérité. Des procès publics ont été organisés en Argentine pour juger les crimes contre l’humanité perpétrés sous le régime militaire entre 1976 et 1983 ; huit condamnations ont été prononcées. Cependant, les personnes appartenant aux secteurs civil, de la justice et du monde des affaires qui s’étaient rendues complices de violations des droits humains et de crimes de droit international n’avaient toujours pas été déférées à la justice à la fin de l’année 2015.
Au Chili, plus d’un millier d’affaires de violations des droits humains commises dans le passé étaient toujours en cours d’examen. Les associations de victimes ont déploré la lenteur des progrès accomplis pour établir la vérité sur les milliers de victimes de disparitions forcées. Cependant, plusieurs anciens militaires ont été mis en accusation, notamment pour l’enlèvement et le meurtre du chanteur et militant politique Víctor Jara en 1973.
Une cour d’appel de la ville de Guatemala a estimé qu’un décret d’amnistie datant de 1986 ne pouvait s’appliquer aux crimes contre l’humanité et au génocide dans le pays. Le procès visant l’ancien président et commandant en chef des armées, José Efraín Ríos Montt, a ainsi pu se poursuivre.
Au Panama, le procès contre Manuel Noriega portant sur la disparition forcée d’Heliodoro Portugal a été suspendu après que l’avocat de l’ancien président eut fait appel des accusations portées contre son client, au motif qu’un procès violerait les conditions de son extradition. On ignorait si le procès allait pouvoir reprendre.
En Haïti, après la mort en 2014 de l’ancien président Jean-Claude Duvalier, l’enquête sur les allégations de crimes contre l’humanité commis lorsqu’il était au pouvoir (1971-1986) a peu progressé.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Malgré l’existence de lois et de mécanismes solides pour lutter contre la torture dans l’ensemble de la région, les actes de torture et les autres mauvais traitements restaient monnaie courante, et les autorités n’ont pas poursuivi en justice les responsables de tels agissements, ni accordé de réparations adéquates aux victimes. Les détenus subissaient fréquemment des traitements cruels, inhumains et dégradants lors de leur arrestation ou pendant leur incarcération. Ces méthodes étaient essentiellement utilisées pour punir des personnes soupçonnées d’infractions pénales ou leur soustraire des aveux.

En Argentine, des cas signalés de torture, notamment des cas d’utilisation d’aiguillons à électrochocs, de quasi-asphyxie à l’aide de sacs en plastique, de submersion et de maintien à l’isolement prolongé, n’ont fait l’objet d’aucune enquête, et aucun système n’avait été mis en place pour protéger les témoins. Les victimes d’actes de torture en Bolivie ont été dissuadées de demander justice et réparations car il n’existait pas de mécanisme indépendant pour enregistrer les allégations d’abus et enquêter sur ces actes.
Le Mexique a été placé sous le regard de la communauté internationale en mars, lorsque le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a présenté un rapport au Conseil des droits de l’homme [ONU] détaillant le recours généralisé à la torture dans le pays, et l’impunité dont bénéficiaient la police et d’autres forces de sécurité.
La torture et les autres formes de mauvais traitements étaient endémiques dans les prisons brésiliennes, et les jeunes, filles et garçons, n’étaient pas épargnés.
Les conditions carcérales étaient particulièrement épouvantables aux Bahamas, en Bolivie, au Brésil, aux États- Unis, en Haïti, en Jamaïque et au Venezuela, notamment en raison de la surpopulation, des violences et du manque d’eau et de nourriture.

RÉFUGIÉS, DEMANDEURS D’ASILE ET MIGRANTS

Dans un contexte d’aggravation de la crise humanitaire, les migrants et les réfugiés, en particulier de nombreux enfants et adolescents non accompagnés, ont subi de graves violations des droits humains en traversant l’Amérique centrale et le Mexique pour tenter d’entrer sur le territoire des États- Unis, et ils étaient souvent détenus dans des conditions déplorables. En chemin, nombre d’entre eux ont été tués, enlevés ou se sont fait racketter par des bandes criminelles qui agissaient souvent avec la complicité des autorités. Les femmes et les filles étaient particulièrement exposées à la violence sexuelle et à la traite des êtres humains.
Aux États-Unis, au cours de l’année, des dizaines de milliers de familles et d’enfants non accompagnés ont été appréhendés alors qu’ils franchissaient la frontière méridionale du pays. Des familles ont été détenues pendant plusieurs mois, nombre d’entre elles sans accès adéquat à des installations sanitaires, à l’eau, à des soins médicaux et aux services d’un avocat, alors qu’elles avaient engagé des démarches pour rester sur le territoire.
Dans d’autres pays, les migrants et leurs descendants étaient en butte à une discrimination généralisée, les autorités n’ayant guère pris de mesures pour lutter contre cette exclusion tenace.
En République dominicaine, malgré l’application d’une loi visant à améliorer leur situation, de nombreuses personnes d’origine haïtienne demeuraient apatrides à la suite d’une décision arbitraire et rétroactive, rendue par la Cour constitutionnelle en 2013, qui les a privées de la nationalité dominicaine. Après l’annonce des autorités dominicaines selon laquelle les expulsions de migrants en situation irrégulière reprendraient en juin, des dizaines de milliers de migrants haïtiens ont décidé de rentrer dans leur pays, principalement par crainte d’être confrontés à des violences, à des expulsions ou à des actes xénophobes de la part de leurs employeurs ou de leurs voisins. Des centaines d’entre eux se sont installés dans des camps de fortune à la frontière.
Aux Bahamas, des migrants auraient fait l’objet d’arrestations arbitraires et de mauvais traitements. Le Parlement a approuvé des réformes en matière de migration qui pourraient empêcher les enfants de migrants irréguliers nés aux Bahamas d’obtenir la nationalité bahamienne, au risque d’en faire des apatrides.
En juillet, le Comité des droits de l’homme [ONU] a demandé au Canada de lui rendre compte sous un an de l’évolution de certaines questions préoccupantes en matière de droits humains liées aux migrants et aux réfugiés.
Le nouveau gouvernement a pris une initiative allant dans le bon sens en annonçant qu’il renonçait à réduire les soins offerts aux réfugiés et aux demandeurs d’asile dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire, et que leur couverture médicale serait rétablie.
Près de 2 000 Colombiens, parmi lesquels des réfugiés et des demandeurs d’asile, ont été expulsés du Venezuela en août, sans possibilité de contester leur expulsion ou de rassembler leurs affaires. Des enfants ont parfois été séparés de leurs parents. De très nombreuses personnes ont été expulsées de force de leur logement ou ont vu leur maison détruite, et certains détenus ont subi des mauvais traitements.
En décembre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a exprimé ses préoccupations quant à la vulnérabilité de plus de 4 500 migrants cubains bloqués à la frontière entre le Costa Rica et le Nicaragua, sur fond d’allégations selon lesquelles les autorités nicaraguayennes violaient les droits de ces migrants. La Commission a appelé les États d’Amérique centrale à autoriser les migrants cubains se dirigeant vers les États-Unis à traverser leur territoire en toute légalité et en toute sécurité.

DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES

Bien que tous les États de la région aient apporté leur soutien à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007), les violations des droits humains, notamment les agressions, les recours excessifs à la force et les meurtres, restaient monnaie courante pour l’ensemble des peuples autochtones du continent. Leur droit de disposer de leurs terres, territoires et ressources naturelles, ainsi que leur culture et leur existence même ont été menacés.
Des milliers d’autochtones étaient toujours en butte à la pauvreté, à l’exclusion, aux inégalités et aux discriminations, notamment en Argentine, en Bolivie, au Canada, au Chili, en Colombie, au Mexique, au Paraguay et au Pérou. Des peuples indigènes ont continué à être déplacés de force et chassés de leurs terres par des acteurs étatiques et non étatiques, notamment des entreprises et des propriétaires fonciers, pour des questions de développement économique.
Leur droit d’être véritablement consultés et de donner préalablement leur consentement libre et éclairé a été bafoué à maintes reprises par les responsables de projets de développement, notamment dans le secteur des industries extractives, ce qui a mis en danger leur culture et leur environnement et entraîné le déplacement forcé de communautés entières.
Les agressions visant les membres de communautés indigènes étaient fréquentes au Brésil, et les responsables de ces actes n’étaient que rarement déférés à la justice. Un amendement de la Constitution brésilienne transférant la responsabilité en matière de délimitation des terres indigènes du pouvoir exécutif au pouvoir législatif risquait d’avoir un effet négatif sur l’accès des peuples indigènes à leurs terres.
L’amendement était en attente de validation par le Sénat à la fin de l’année.
La Cour suprême du Paraguay a rejeté une seconde tentative faite par un propriétaire foncier d’annuler la loi d’expropriation qui avait été adoptée par le pays en 2014 pour restituer aux Sawhoyamaxas leurs terres ancestrales. L’issue de la plainte déposée par la communauté indigène contre l’occupation de ses terres par les employés du propriétaire terrien n’était toujours pas connue à la fin de l’année.
Les autorités équatoriennes n’ont toujours pas pleinement mis en œuvre la décision rendue en 2012 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en faveur des Kichwas de Sarayaku. Entre autres, elles n’avaient toujours pas achevé l’enlèvement des explosifs laissés sur le territoire de la communauté, ni adopté de législation pour garantir le droit des peuples indigènes de donner librement leur consentement préalable et éclairé concernant les lois, politiques et mesures qui affectent leurs moyens de subsistance.

DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS EN DANGER

Dans l’ensemble de la région, des défenseurs des droits humains, des avocats, des juges, des témoins et des journalistes ont continué de faire l’objet de menaces et agressions en nombre, et le système judiciaire avait tendance à être de plus en plus instrumentalisé pour réprimer les défenseurs des droits humains. Il était rare que des enquêtes soient menées sur ces actes et que les responsables soient déférés à la justice.
Ceux qui défendaient les droits humains s’exposaient à des risques de mauvais traitements et de violences dans de nombreux pays du continent américain. Le fait de dénoncer l’impunité ou de défendre les droits des femmes ou des peuples indigènes faisait tout particulièrement courir le risque de subir des représailles.
En Colombie, les défenseurs des droits humains risquaient fortement de subir des agressions, principalement de la part des paramilitaires.
Au Venezuela, ils faisaient fréquemment l’objet d’agressions verbales de la part des autorités. Les autorités cubaines ont imposé des restrictions sévères aux libertés fondamentales, et des milliers de cas de harcèlement contre des détracteurs du gouvernement et d’arrestations et de détentions arbitraires ont été recensés. Des défenseurs des droits humains et d’autres personnes qui ont osé critiquer ouvertement les politiques du gouvernement en Équateur ont fait l’objet d’agressions, de peines d’amende et de poursuites pénales infondées ; des médias ont cette année encore été condamnés à des peines d’amende au titre d’une loi sur la communication susceptible d’être utilisée pour porter atteinte à la liberté d’expression. Les autorités boliviennes ont discrédité le travail d’ONG, notamment d’associations de défense des droits humains, et appliqué une réglementation stricte concernant l’enregistrement des ONG.
Au Guatemala, des défenseurs des droits humains, en particulier des dirigeants et des manifestants indigènes qui défendaient l’environnement et leurs droits à la terre en s’opposant à des mégaprojets hydroélectriques et miniers, ont été agressés, menacés, harcelés et intimidés tout au long de l’année.
Au Honduras, dans un contexte de violences et de crimes généralisés, des défenseurs des droits humains, en particulier des femmes, ont été victimes de menaces et d’agressions qui ont rarement fait l’objet d’enquêtes, ainsi que de harcèlement judiciaire. Le Congrès a approuvé une loi qui pourrait faire avancer la protection des défenseurs des droits humains et des journalistes, entre autres. Une coalition d’organisations de la société civile a toutefois exprimé ses préoccupations quant au manque de précision et de transparence des projets de règlements d’application, et demandé que leur approbation soit reportée de plusieurs mois.
Les mesures visant à protéger les défenseurs des droits humains étaient souvent faiblement appliquées, voire totalement ignorées. Au Brésil, le Programme national de protection des défenseurs des droits humains n’a pas rempli les objectifs de protection escomptés, et sa mise en œuvre était compromise par des moyens insuffisants. Les cas de menaces, d’agressions et de meurtres visant des défenseurs des droits humains ont rarement fait l’objet d’enquêtes et sont largement restés impunis. Au Mexique, le Mécanisme fédéral de protection des défenseurs des droits humains et des journalistes était en butte à un manque de ressources et de coordination, et ne garantissait toujours pas une protection adéquate ; l’impunité était toujours de mise pour les agressions et les actes de violence.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Les violences contre les femmes étaient en augmentation et constituaient toujours l’un des principaux problèmes en matière de droits humains dans l’ensemble de la région. Peu de progrès ont été accomplis à ce propos, les États n’ayant pas fait une priorité de la protection des femmes et des filles contre le viol, les menaces et les meurtres, ni de la poursuite des responsables de ces actes en justice. L’application des lois dans ce domaine était laborieuse.
Les chiffres relatifs aux violences liées au genre étaient élevés au Guatemala, au Guyana, en Jamaïque, au Salvador et à Trinité-et-Tobago, entre autres. La mise en œuvre de la législation adoptée en 2007 par le Venezuela pour ériger ces actes en infractions pénales était freinée par un manque de ressources. Aux États-Unis, les femmes amérindiennes et autochtones de l’Alaska étaient toujours en butte à une violence disproportionnée : elles couraient 2,5 fois plus de risques d’être victimes d’un viol ou d’une autre agression sexuelle que les autres femmes du pays. Au Salvador, 475 femmes ont été victimes de meurtre entre janvier et octobre, contre 294 en 2014.
Les atteintes aux droits sexuels et reproductifs avaient de lourdes répercussions sur la santé des femmes et des filles. À la fin de l’année, sept pays de la région (le Chili, Haïti, le Honduras, le Nicaragua, la République dominicaine, le Salvador et le Suriname) interdisaient toujours toute forme d’avortement ou ne disposaient d’aucune disposition juridique explicite pour protéger la vie des femmes. Au Chili, un projet de loi visant à dépénaliser l’avortement dans certains cas était en cours d’examen devant le Congrès à la fin de l’année. En République dominicaine, la Cour constitutionnelle a annulé des réformes du Code pénal portant dépénalisation de l’avortement dans certaines circonstances. Au Pérou, un projet de loi visant à dépénaliser l’avortement pour les victimes de viol a été rejeté par une commission constitutionnelle du Congrès.
En Argentine, les femmes et les filles se heurtaient à des obstacles pour recourir à un avortement légal. Au Brésil, des modifications législatives et constitutionnelles menaçaient les droits sexuels et reproductifs et d’autres droits des femmes. Certains projets législatifs visaient à ériger l’avortement en infraction pénale en toutes circonstances, ou auraient empêché dans les faits les femmes d’obtenir un avortement sûr et légal.
Même dans des pays où l’accès à des services d’interruption de grossesse était garanti par la loi dans certains cas, des procédures judiciaires interminables rendaient quasiment impossible l’accès à un avortement sûr, en particulier pour les femmes n’ayant pas les moyens de recourir à des structures privées. L’accès restreint à la contraception et à l’information sur les questions liées à la sexualité et à la procréation demeurait un motif d’inquiétude, en particulier pour les femmes et les filles les plus marginalisées.
En Bolivie, le taux élevé de mortalité maternelle, en particulier dans les zones rurales, restait préoccupant.
Toutes les parties au conflit en Colombie – les forces de sécurité, les groupes paramilitaires et les groupes de guérilla – ont commis des crimes de violences sexuelles. Rares sont les responsables présumés qui ont été déférés à la justice.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES

Les personnes LGBTI ont cette année encore subi des discriminations et des violences dans l’ensemble de la région, bien que des progrès aient été accomplis dans certains pays sur le plan législatif pour interdire la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
En Argentine, plusieurs femmes transgenres ont été victimes de meurtres violents qui n’ont pas été élucidés, et des informations ont fait état de crimes de haine, notamment de viols et de meurtres, contre des personnes LGBTI en République dominicaine. La violence et la discrimination à l’encontre des personnes LGBTI demeuraient un sujet de préoccupation au Guyana, au Honduras, au Salvador, à Trinité- et-Tobago et au Venezuela.
En Jamaïque, les relations sexuelles consenties entre hommes demeuraient une infraction pénale ; de jeunes LGBTI continuaient d’être victimes de déplacements et se retrouvaient sans abri, et des menaces et des actes de harcèlement contre des LGBTI ne faisaient l’objet d’aucune enquête. Cependant, une avancée a été notée avec l’organisation, pour la première fois dans le pays, d’une marche des fiertés, à l’occasion de laquelle le ministre de la Justice a appelé à la tolérance et déclaré son soutien en faveur du droit des personnes LGBTI de s’exprimer pacifiquement.

CONFLIT ARMÉ

En Colombie, les pourparlers de paix en cours entre le gouvernement et les FARC offraient les meilleures perspectives depuis plus d’une décennie de mettre un terme définitif au conflit armé interne le plus long qu’ait connu le continent. Cependant, au cours de l’année, les deux parties ont commis des crimes relevant du droit international, ainsi que de graves violations des droits humains et atteintes à ces droits, principalement contre des communautés indigènes, afro- colombiennes et paysannes, et des défenseurs des droits humains.
Les forces de sécurité, les groupes de guérilla et les paramilitaires se sont rendus coupables d’homicides illégaux, de déplacements forcés, de disparitions forcées, de menaces de mort et de violences sexuelles, dans une impunité presque totale. Des enfants étaient toujours enrôlés en tant que combattants par des groupes de guérilla et des groupes paramilitaires. Les proches de victimes de violations des droits humains qui réclamaient justice, ainsi que des membres d’organisations de défense des droits humains qui les aidaient, ont été la cible de menaces de mort et d’autres graves atteintes aux droits humains.
Le cessez-le-feu déclaré par les FARC en juillet et la décision du gouvernement de suspendre les bombardements aériens contre leurs positions ont, semble-t-il, atténué certains des pires effets du conflit sur les civils dans les zones rurales.
En septembre, les deux parties ont annoncé être parvenues à un accord sur la justice de transition, et ont déclaré qu’un accord de paix serait signé à l’horizon de mars 2016. Cependant, des doutes subsistaient quant au fait que cet accord, qui n’a été rendu public qu’en décembre associé à une législation qui pourrait permettre aux responsables présumés de violations des droits humains d’échapper à la justice –, puisse garantir le droit des victimes d’obtenir vérité, justice et réparations conformément au droit international.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ

À la fin de l’année, personne n’avait été déféré à la justice pour les violations des droits humains, notamment les actes de tortures, les autres mauvais traitements et les disparitions forcées, commises dans le cadre du programme de détentions et d’interrogatoires secrets mis en œuvre par la CIA à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
Plus d’un an après la publication du résumé déclassifié d’un rapport sur le programme de la CIA établi par la Commission du Sénat sur le renseignement, la version intégrale du rapport restait classée strictement confidentielle, ce qui facilitait l’impunité. La plupart des personnes détenues dans le cadre de ce programme, sinon toutes, ont été soumises à une disparition forcée, ainsi qu’à des conditions de détention ou des méthodes d’interrogatoire contraires à l’interdiction de la torture et de toute autre forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant.
Des personnes continuaient d’être détenues à Guantánamo, la plupart sans inculpation ni jugement, et certaines devaient encore être jugées par des commissions militaires, dans le cadre de procédures qui n’étaient pas conformes aux normes internationales en matière d’équité des procès.

PEINE DE MORT

Les États-Unis ont une fois de plus été le seul pays du continent à procéder à des exécutions. Cependant, des signes indiquaient que la tendance mondiale vers l’abolition de la peine de mort progressait aussi dans ce pays, lentement mais sûrement. Le corps législatif du Nebraska a voté en faveur de l’abolition de la peine capitale, mais le processus d’abrogation était en suspens à la fin de l’année après que des opposants eurent demandé que la mesure soit soumise au vote populaire en 2016. Le gouverneur de Pennsylvanie a annoncé un moratoire sur les exécutions, et des moratoires étaient toujours en place dans les États de Washington et de l’Oregon.

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