Rapport Annuel 2016

Moyen Orient et Afrique du nord — Résumé régional


L’année 2015 a apporté désolation et souffrances implacables à des millions de personnes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Comme les années précédentes, les conflits armés en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye ont causé d’innombrables morts et blessés dans la population civile, et des déplacements forcés qui, dans le cas de la Syrie, ont atteint une ampleur inouïe. Dans d’autres pays, les autorités ont réprimé la dissidence et renforcé les contrôles en invoquant la menace pour la sécurité publique représentée par les groupes armés. Ces derniers ont mené une série d’attentats à l’explosif et d’autres attaques, dans des pays de la région et au-delà.

CONFLITS ARMÉS

Dans le cadre des conflits armés qui se sont poursuivis en Syrie, au Yémen et dans de vastes zones de l’Irak et de la Libye, les forces gouvernementales et les acteurs non étatiques ont régulièrement commis des crimes de guerre et des atteintes graves aux droits humains en toute impunité, tuant et blessant des milliers de civils et forçant des millions de personnes à quitter leur foyer pour vivre dans le désespoir et le dénuement. Les forces en présence faisaient peu de cas de la vie des populations et ne respectaient pas l’obligation légale de toutes les parties – gouvernementales et non étatiques – d’épargner les civils.
Le plus meurtrier de ces conflits armés continuait de faire rage en Syrie, provoquant d’importantes destructions et la perte de très nombreuses vies humaines tout en affectant gravement les pays voisins de la Syrie ainsi que d’autres États, dans la région et au-delà. Selon l’ONU, à la fin de l’année, plus de 250 000 personnes avaient été tuées en Syrie depuis le déclenchement, en 2011, de la répression brutale par le gouvernement des manifestations populaires et des demandes de réforme. Les civils continuaient de payer le plus lourd tribut au conflit. Cette année encore, des millions de personnes ont dû quitter leur foyer ; à la fin de 2015, un million de personnes étaient venues s’ajouter à celles qui avaient quitté la Syrie au cours des années précédentes, portant à 4,6 millions le nombre de réfugiés. La grande majorité se trouvaient en Turquie, au Liban et en Jordanie. Des milliers d’autres ont cherché à gagner les rivages de l’Europe et tenté une traversée périlleuse de la Méditerranée depuis la Turquie. Plus de 7,6 millions de personnes étaient déplacées sur le sol syrien. Certaines avaient été déplacées de force à plusieurs reprises.
Les forces fidèles au président syrien Bachar el Assad ont continué tout au long de l’année à bombarder sans relâche des zones civiles contrôlées par l’opposition, tuant et blessant des milliers de personnes. Elles auraient également utilisé, dans certains cas, des agents chimiques. Elles continuaient à prendre pour cible des établissements médicaux et à maintenir en état de siège des zones civiles aux mains de groupes armés d’opposition. Les civils qui y étaient restés se retrouvaient pris au piège, condamnés à la famine et au dénuement absolu, exposés à des bombardements et à des tirs d’artillerie réguliers. Dans le même temps, des groupes armés non étatiques se sont livrés eux aussi à des homicides illégaux et à des tirs d’artillerie sans discrimination contre des zones tenues par le gouvernement. De vastes zones de la Syrie, à l’instar de la plus grande partie du nord de l’Irak, étaient contrôlées par le groupe armé qui se donnait le nom d’État islamique (EI), dont les forces ont continué également à commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, tout en faisant connaître effrontément leurs atrocités en les mettant en ligne sur Internet pour servir d’outils de propagande et de recrutement. Dans les régions sous son contrôle, telles Raqqa, en Syrie, et Mossoul, en Irak, l’EI imposait impitoyablement sa propre interprétation étroite de l’islam et dissuadait toute opposition par des exécutions sommaires, entre autres châtiments cruels. En Irak tout particulièrement, l’EI continuait de prendre pour cible les musulmans chiites et les yézidis, entre autres membres de minorités ; plus d’une douzaine de fosses communes contenant les restes de yézidis exécutés sommairement par des membres de l’EI ont été retrouvées dans des régions de l’Irak qui avaient été tenues par ce groupe. On restait sans nouvelles de nombreuses femmes et filles yézidies capturées par des combattants de l’EI et réduites en esclavage sexuel. En Irak, les forces de l’EI ont pris le contrôle en mai de Ramadi, chef-lieu de la province d’Al Anbar, à majorité sunnite, chassant les forces gouvernementales et forçant des milliers de personnes à fuir vers le sud en direction de Bagdad, la capitale. Après avoir pris la ville, les combattants de l’EI se sont livrés à une série d’homicides de civils et de membres des forces de sécurité ; ils se sont débarrassés des corps de leurs victimes en les jetant dans l’Euphrate. Ils ont imposé des codes vestimentaire et de comportement très stricts, et punissaient les infractions présumées par des homicides en public dans des conditions évoquant une exécution. Ils auraient tué plusieurs dizaines d’hommes qu’ils considéraient comme des homosexuels en les précipitant depuis le toit de bâtiments. Les forces de l’EI ont également détruit des objets religieux et culturels, notamment sur le site de Palmyre, en Syrie, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le gouvernement irakien a tenté de reprendre Ramadi et d’autres zones du nord et de l’est du pays contrôlées par l’EI, en adjoignant dans un premier temps aux forces de sécurité des milices essentiellement chiites qui s’étaient rendues précédemment responsables d’homicides motivés par l’intolérance religieuse, entre autres atteintes graves aux droits humains, et en sollicitant des frappes aériennes de la coalition internationale menée par les États-Unis ainsi qu’une aide de l’Iran. Dans leur progression,
les forces gouvernementales ont bombardé de manière indiscriminée des zones contrôlées ou disputées par l’EI, tuant et blessant des civils. L’armée irakienne soutenue par la coalition dirigée par les États- Unis et par des combattants tribaux sunnites, mais sans les milices chiites, a repris Ramadi en décembre. Les autorités irakiennes ont maintenu en détention sans jugement des milliers de personnes – sunnites pour la plupart – soupçonnées d’actes de terrorisme, les soumettant en toute impunité à des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
Beaucoup d’autres ont été condamnées à mort ou à de lourdes peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables devant des tribunaux qui déclaraient le plus souvent les accusés coupables sur la base d’« aveux » extorqués sous la torture.
Au Yémen, diverses forces rivales ont répandu la détresse et le chaos dans tout le pays. Après avoir pris le contrôle de la capitale, Sanaa, en septembre 2014, les Houthis, issus de la minorité chiite zaïdite du nord du pays, ont progressé en début d’année vers le sud avec le soutien des forces fidèles à l’ancien président Ali Abdallah Saleh et menacé les deuxième et troisième villes du Yémen, Taizz et Aden, sur la mer Rouge. Les Houthis ont utilisé sans discrimination des armes explosives dans des zones civiles du Yémen ainsi qu’au-delà de la frontière saoudienne ; attaqué des hôpitaux et des membres du personnel médical ; mis des civils en danger en lançant des attaques à proximité d’habitations, d’hôpitaux et d’écoles sans se soucier des conséquences ; posé des mines terrestres antipersonnel qui représentent un risque permanent pour les civils ; utilisé une force meurtrière contre des manifestants ; fermé des ONG, et enlevé et arrêté des journalistes et d’autres personnes qui les critiquaient.
Le 25 mars, une coalition militaire de neuf pays arabes dirigée par l’Arabie saoudite est intervenue dans le conflit à la demande du président yéménite Abd Rabbu Mansour Hadi, qui s’était réfugié dans la capitale saoudienne, Riyadh, lors de l’avancée des combattants houthis. L’objectif était de le remettre au pouvoir avec son gouvernement. La coalition a lancé une campagne de frappes aériennes contre les Houthis et les régions qu’ils contrôlaient ou revendiquaient ; elle a imposé un blocus aérien et maritime partiel et déployé des troupes au sol pour soutenir les forces yéménites opposées aux Houthis. Certaines attaques de la coalition ont pris pour cible des objectifs militaires, mais beaucoup d’autres ont été disproportionnées, ou menées sans discrimination, ou ont de toute évidence visé délibérément des civils et des biens de caractère civil, dont des écoles, des hôpitaux et des routes, tout particulièrement dans le gouvernorat septentrional de Saada, fief des Houthis.
Dans certaines zones, les avions de la coalition ont également largué des bombes à sous-munitions de fabrication américaine, malgré l’interdiction au niveau international de ces armes non discriminantes par nature, mettant en danger la vie des civils.
Des groupes armés opposés aux Houthis, y compris l’EI, ont exécuté sommairement des combattants houthis qu’ils avaient capturés. Ils ont commis des attentats-suicides, entre autres attaques contre des civils. Plus de 140 personnes – dont la plupart, si ce n’est toutes, étaient des civils – ont trouvé la mort le 20 mars dans des attentats à l’explosif contre deux mosquées chiites, qui ont fait également plusieurs centaines de blessés
À la fin de l’année, le conflit armé au Yémen avait entraîné la mort de plus de
2 700 civils, selon l’ONU, et contraint plus de 2,5 millions de personnes à quitter leur foyer, provoquant une crise humanitaire.
Le conflit yéménite n’était pas le seul auquel des forces internationales ont directement participé. En Irak et en Syrie, une coalition militaire de pays européens et arabes dirigée par les États-Unis a utilisé des avions et des drones contre les forces de l’EI et d’autres groupes armés, ce qui a parfois entraîné des pertes civiles. En Syrie, les forces armées russes sont intervenues pour soutenir le gouvernement de Bachar el Assad, en dépit de son bilan de plus en plus lourd en termes de violations des droits humains. Elles ont mené des frappes aériennes et tiré des missiles de croisière en direction de zones tenues par les forces d’opposition ainsi que contre des cibles de l’EI. Selon certaines sources, ces attaques avaient fait plusieurs centaines de morts parmi la population civile à la fin de l’année.
Quatre ans après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye était, elle aussi, toujours en proie à un conflit armé. Deux gouvernements et parlements rivaux se disputaient le contrôle du pays. L’un, basé dans l’est du pays, était reconnu par la communauté internationale et soutenu par la coalition militaire de l’opération Dignité ; l’autre, installé dans la capitale, Tripoli, et soutenu par la coalition Aube de la Libye, regroupait des milices armées et d’autres forces basées dans l’ouest du pays. Dans d’autres régions, des groupes armés qui défendaient leurs propres intérêts idéologiques, régionaux, tribaux, économiques et ethniques, y compris des éléments locaux affiliés à l’EI et à Al Qaïda, se disputaient le contrôle du territoire.
Les différentes forces ont commis des violations graves des lois de la guerre, notamment des attaques visant directement des civils, dont des membres du personnel médical, et des attaques aveugles ou disproportionnées, ainsi que des homicides illégaux, des enlèvements, des détentions arbitraires et des actes de torture, entre autres exactions graves. Les groupes affiliés à l’EI dans les villes de Syrte et de Derna ont procédé à des exécutions, des flagellations et des amputations publiques ; ils s’en sont pris à des étrangers non musulmans. En février, un groupe armé affilié à l’EI a mis en ligne sur Internet une vidéo insoutenable qui montrait le massacre de 21 migrants, chrétiens coptes égyptiens pour la plupart, enlevés quelques semaines auparavant. L’armée égyptienne a procédé à une frappe aérienne à titre de représailles.
En décembre, des représentants des deux gouvernements rivaux libyens ont signé un accord de paix sous l’égide de l’ONU par lequel ils s’engageaient à mettre fin aux violences et à former un gouvernement d’unité nationale. Bien que cet accord ait exclu différents groupes armés et milices et qu’il n’ait pas mis un terme aux combats, il a apporté au moins un peu d’espoir à la population libyenne assiégée, à la fin d’une année au cours de laquelle environ 600 civils ont trouvé la mort dans le conflit armé et alors que près de 2,5 millions de personnes avaient besoin d’aide humanitaire et de protection.
Ailleurs dans la région, des problèmes graves et profondément enracinés persistaient. Aucun progrès n’a été accompli au cours de l’année vers une solution du conflit israélo-palestinien – qui n’a certes pas de nouveau dégénéré en guerre ouverte.
Israël a maintenu le blocus terrestre, aérien et maritime ininterrompu de Gaza, ce qui a asphyxié les efforts de reconstruction après la dévastation provoquée par le conflit armé de 2014. En Cisjordanie occupée, Israël a continué de promouvoir les colonies illégales et a strictement restreint la liberté de mouvement des Palestiniens par toute une série de postes de contrôle militaires et de barrages, ainsi que par le mur/barrière qui s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres. Des milliers de Palestiniens qui s’opposaient à l’occupation militaire israélienne ou participaient à des mouvements de protestation pour la dénoncer ont été arrêtés et incarcérés. Plusieurs centaines étaient maintenus en détention en vertu d’ordres de détention administrative qui conféraient aux autorités le pouvoir de les détenir pour une durée illimitée sans inculpation ni jugement ; d’autres ont été abattus par des soldats israéliens, qui avaient régulièrement recours à une force excessive contre les manifestants palestiniens. Les tensions se sont exacerbées au cours des trois derniers mois de l’année à la suite d’une vague d’attaques, notamment au couteau, perpétrées par des Palestiniens isolés contre des Israéliens. La police et l’armée israéliennes ont réagi par la force meurtrière, y compris dans des cas où les individus visés ne représentaient pas une menace imminente pour la vie d’autrui. Les forces israéliennes ont tué au moins 156 Palestiniens des territoires palestiniens occupés, dont des enfants, dans la plupart des cas au cours des trois derniers mois de l’année ; certains de ces homicides étaient selon toute apparence des exécutions extrajudiciaires.
En janvier, le président palestinien Mahmoud Abbas a déposé l’instrument d’adhésion de la Palestine au Statut de Rome et accepté la compétence de la Cour pénale internationale pour les crimes relevant de son mandat et commis dans les territoires palestiniens occupés depuis juin 2014.
Toutefois, ni le gouvernement palestinien d’unité nationale dépendant du président Abbas ni l’administration de facto du Hamas à Gaza n’ont pris d’initiative pour enquêter sur les crimes de guerre, y compris les tirs aveugles de roquette et de mortier et les exécutions sommaires, entre autres exactions graves commises par des groupes armés palestiniens durant le conflit armé de 2014 avec Israël, et pour obliger les agents des services de sécurité palestiniens responsables de détention illégale et d’actes de torture à rendre compte de leurs actes. De même, Israël n’a pas ordonné d’enquête indépendante sur les crimes de guerre de grande ampleur et les autres violations du droit international commis par les forces israéliennes à Gaza pendant le conflit armé de 2014, et n’a pas amené les responsables d’homicides illégaux en Cisjordanie et d’actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés aux détenus à rendre des comptes.

RÉFUGIÉS, PERSONNES DÉPLACÉES ET MIGRANTS

Le coût humain des conflits armés en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye était incalculable, bien que l’augmentation continue du nombre de réfugiés fuyant ces pays et le nombre encore plus important de personnes déplacées permettent de s’en faire une idée. À la fin de l’année, ces quatre conflits avaient été à l’origine de plus de cinq millions de réfugiés et de demandeurs d’asile dans le monde et plus de 13,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Ailleurs, par exemple en Iran, la répression exercée par l’État alimentait un flux constant de réfugiés qui cherchaient une protection à l’étranger.
L’impact de la crise des réfugiés était particulièrement lourd pour les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. À la fin de l’année, le Liban hébergeait largement plus d’un million de réfugiés venant de Syrie – soit entre un quart et un tiers de la population libanaise – et la Jordanie en accueillait plus de 641 800. La présence d’un nombre aussi important de réfugiés faisait peser une pression énorme sur les ressources des pays d’accueil, atténuée en partie seulement par l’aide humanitaire et le soutien de la communauté internationale, qui s’essoufflait ; cette présence était source de défis sociaux et sécuritaires considérables.
Les autorités du Liban et de la Jordanie ont pris des mesures pour freiner les nouvelles arrivées : renforcement des contrôles aux points de passage frontaliers officiels et non- officiels, refus d’entrée opposés à certaines catégories de personnes, notamment les Palestiniens réfugiés de longue date en Syrie, et durcissement des critères d’accès au séjour pour ceux qui étaient déjà sur place. Plus de 12 000 réfugiés venant de Syrie et auxquels l’entrée en Jordanie avait été refusée vivaient dans des conditions épouvantables dans une région désertique isolée du côté jordanien de la frontière syrienne. Parallèlement, en décembre, les autorités jordaniennes ont renvoyé, en violation du principe international de « non- refoulement », plus de 500 réfugiés et demandeurs d’asile soudanais dans leur pays d’origine, où ils risquaient de subir des violations de leurs droits fondamentaux.
La vie restait très dure et incertaine même pour ceux qui avaient fui la Syrie et les autres pays plongés dans le conflit armé, en raison des difficultés et de l’insécurité auxquelles ils
ils étaient torturés et maltraités ; d’autres réfugiés, demandeurs d’asile et migrants ont été victimes d’atteintes graves à leurs droits fondamentaux, notamment la discrimination et l’exploitation par le travail. En Israël, les autorités privaient les demandeurs d’asile originaires d’Érythrée et du Soudan de l’accès à une procédure équitable de détermination du statut de réfugié ; plus de 4 200 étaient détenus à la fin de l’année dans des centres situés dans le désert. D’autres étaient mis devant le choix de quitter Israël « volontairement » ou bien d’être placé en détention illimitée.

Cette année encore, les travailleurs migrants, dont beaucoup venaient d’Asie du Sud et du Sud-Est, ont fait l’objet de formes graves d’exploitation et d’abus dans les États du Golfe riches en pétrole et en gaz, où le système de parrainage (kafala) les liait à leur employeur et où ils n’étaient pas suffisamment protégés par le droit du travail local. Au Qatar, où les travailleurs migrants constituaient plus de 90 % de la main- d’œuvre, le gouvernement n’a pour ainsi dire pas mis en œuvre les réformes qu’il avait promises en 2014. De nombreux ouvriers du bâtiment subissaient des conditions précaires de vie et de travail, et des milliers d’employés de maison, des femmes pour la plupart, étaient exposés à des violations de leurs droits fondamentaux – allant d’un salaire insuffisant et d’horaires de travail excessifs à des violences physiques en passant par le travail forcé et la traite d’êtres humains. Au Koweït, toutefois, une nouvelle loi a accordé aux employés de maison étrangers un jour de repos par semaine et 30 jours de congés payés par an.

RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE

Dans toute la région, un certain nombre de gouvernements ne toléraient toujours pas la critique ni la dissidence et limitaient les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. En Algérie et au Maroc, mais aussi en Égypte ainsi qu’à Bahreïn, aux Émirats arabes unis, au Koweït et à Oman, les autorités ont utilisé des lois pénales donnant une définition large de l’injure et/ou de la diffamation pour poursuivre en justice et emprisonner des personnes ayant émis des critiques, sur Internet entre autres. Dans les quatre États du Golfe mentionnés, les personnes prises pour cible étaient accusées d’avoir nui aux relations de leur pays avec l’Arabie saoudite en mettant en ligne des commentaires considérés comme manquant de respect envers l’ancien roi ou critiquant l’intervention militaire saoudienne au Yémen. Au Qatar, un poète continuait de purger une peine de 15 ans d’emprisonnement pour avoir écrit et récité un texte que les autorités jugeaient offensant à l’égard de l’émir. En Jordanie, plusieurs dizaines de journalistes et de militants ont été poursuivis aux termes de dispositions du Code pénal interdisant toute critique du roi et des institutions étatiques, ou en vertu d’une loi antiterroriste modifiée en 2014, qui érige en infraction pénale la critique des dirigeants ou des États étrangers.
En Iran, l’accord international sur le programme nucléaire du pays et l’assouplissement des sanctions financières et économiques n’ont entraîné aucune diminution de la répression exercée par l’État. Les autorités continuaient de restreindre les droits à la liberté de parole, d’association et de réunion, de bloquer l’accès à Facebook, Twitter et d’autres réseaux sociaux et de brouiller les radios étrangères. Elles ont arrêté et emprisonné des journalistes, des défenseurs des droits humains, des syndicalistes et des artistes, entre autres voix dissidentes. Trois dirigeants de l’opposition étaient ainsi détenus sans inculpation ni jugement depuis 2009.
Les autorités saoudiennes ne toléraient aucune critique ni dissidence et elles sanctionnaient durement ceux qui osaient préconiser des réformes ou s’exprimer en faveur des droits humains. Le blogueur Raif Badawi était maintenu en détention. Il purgeait la peine de 10 ans de prison prononcée à son encontre en 2014 par un tribunal qui l’avait déclaré coupable d’« insulte envers l’islam » et d’infraction à la loi sur la cybercriminalité pour avoir créé et géré le site web Free Saudi Liberals (« Libérez les libéraux saoudiens »), que les autorités ont supprimé. Il avait également été condamné à 1 000 coups de fouet. Arrêté en juillet, Zuhair Kutbi a été détenu pendant plusieurs mois avant d’être jugé et condamné à une peine d’emprisonnement pour avoir prôné, lors d’une interview à la télévision, la monarchie constitutionnelle comme forme de gouvernement.
En Égypte, les autorités ont continué sans relâche de s’en prendre à la confrérie des Frères musulmans. Entamée en 2013 lorsque le président Mohamed Morsi a été renversé, cette répression a été élargie à d’autres détracteurs et opposants ainsi qu’aux défenseurs des droits humains et aux partisans des réformes politiques. Des milliers de personnes ont été incarcérées pour des motifs politiques ; à la fin de l’année, au moins 700 étaient maintenues en détention sur décision de justice depuis plus de deux ans – la durée maximale légale. Des milliers d’autres ont été jugées dans le cadre de procès collectifs devant des tribunaux pénaux ou militaires, qui ont prononcé des peines d’emprisonnement en masse et des sentences capitales. Des détenus ont été soumis à une disparition forcée. Les autorités rejetaient toute critique de la répression de la dissidence, en invoquant la menace représentée par les groupes armés, qui lançaient des attaques de plus en plus meurtrières contre les forces de sécurité, les responsables gouvernementaux et les civils.
Dans toute la région, les systèmes judiciaires nationaux étaient faibles, manquaient d’indépendance et ne respectaient pas les garanties d’une procédure régulière, particulièrement dans les procès intentés aux personnes considérées comme étant des opposants ou des détracteurs du gouvernement. Cette année encore, des tribunaux en Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis, en Irak, en Iran et en Jordanie ont prononcé, comme les juridictions égyptiennes, des peines d’emprisonnement et des condamnations à mort contre des personnes déclarées coupables à l’issue de procès inéquitables. Loin d’être les garants impavides de la justice, ces tribunaux fonctionnaient comme de simples instruments de la répression de l’État.

PEINE DE MORT

La peine de mort restait souvent prononcée dans toute la région, y compris dans des pays comme l’Algérie, le Liban, le Maroc et la Tunisie, qui n’ont procédé à aucune exécution depuis des années. L’Arabie saoudite, l’Irak et l’Iran, eux, figuraient toujours parmi les pays du monde pratiquant le plus grand nombre d’exécutions – l’Iran étant au premier rang d’une augmentation inquiétante du nombre d’exécutions. À eux trois, ces pays ont procédé à plusieurs centaines d’exécutions, alors même que nombre des suppliciés avaient de toute évidence été condamnés à l’issue d’un procès inéquitable ou bien pour des infractions – en matière de stupéfiants par exemple – qui n’avaient pas entraîné la perte de vies humaines ou n’atteignaient pas le seuil des « crimes les plus graves ». Des mineurs délinquants figuraient parmi les personnes mises à mort en Iran et d’autres étaient en instance d’exécution en Arabie saoudite.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Le recours à la torture et aux mauvais traitements contre les détenus restait très répandu dans toute la région. La torture était utilisée pour obtenir des informations et des « aveux », ainsi que pour punir et terroriser des victimes et intimider d’autres personnes. Les tortionnaires agissaient presque toujours en toute impunité. Il était rare que les tribunaux prennent en compte sérieusement les allégations de prévenus faisant état d’actes de torture perpétrés pendant la détention provisoire. Alors que la plupart des pays de la région avaient ratifié la Convention contre la torture, les gouvernements n’ordonnaient presque jamais d’enquête indépendante sur des cas de torture et ne prenaient guère de mesures pour protéger les

détenus. Les forces gouvernementales syriennes ont continué de recourir systématiquement à la torture, provoquant la mort d’un nombre incalculable de détenus. En Égypte, les forces de sécurité infligeaient souvent des brutalités au moment de l’interpellation, puis soumettaient les détenus à des coups, des décharges électriques et des positions douloureuses. Les tribunaux iraniens continuaient d’imposer des châtiments qui violaient l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment la flagellation, l’aveuglement, la lapidation et les amputations.

IMPUNITÉ ET OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES

Les forces gouvernementales et des groupes armés non étatiques ont commis en toute impunité des crimes de guerre, d’autres violations du droit international humanitaire et des atteintes graves aux droits humains en Syrie, en Irak, au Yémen et en Libye. Les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens n’ont pas été amenés à rendre compte des crimes et exactions similaires commis durant le conflit de 2014 et les conflits précédents. En Algérie, faire campagne pour que justice soit rendue aux victimes d’atteintes graves aux droits humains perpétrées par les forces étatiques durant le conflit armé interne des années 1990 constituait toujours une infraction pénale. Au Liban, le sort des milliers de personnes victimes de disparition forcée ou portées disparues pendant et juste après la guerre civile qui a pris fin il y a 20 ans n’avait toujours pas été élucidé, et aucun progrès en ce sens n’a été constaté. Les autorités égyptiennes n’ont mené aucune enquête et n’ont obligé aucun responsable à rendre des comptes pour les homicides de centaines de manifestants commis par les forces de sécurité depuis juin 2013.

En Tunisie, l’Instance de la vérité et de la dignité désignée après la « révolution de Jasmin » de 2011 a commencé, en mai, à recueillir des témoignages dans le cadre dses investigations sur les violations des droits humains commises dans le passé. Cet organe était toutefois affaibli par des allégations de corruption et des démissions. Un projet de loi risquait par ailleurs de faire capoter toute perspective qu’il puisse garantir l’obligation de rendre des comptes pour les crimes économiques commis sous le régime au pouvoir jusqu’en 2011. En Libye, les autorités de Tripoli ont condamné des anciens responsables du régime de Mouammar Kadhafi à de lourdes peines de prison ou à la peine capitale pour des crimes de guerre et d’autres infractions qui auraient été commis durant le soulèvement de 2011 et le conflit armé qui a suivi. Le procès a été entaché d’irrégularités. Les autorités n’ont pas obtempéré à la demande de la Cour pénale internationale (CPI) de lui remettre Saif al Islam Kadhafi, le fils de Mouammar Kadhafi, qu’elles ont jugé et condamné à mort.

DISCRIMINATION – LES MINORITÉS

Les membres des minorités ethniques et religieuses souffraient toujours de discrimination dans plusieurs pays. En Iran, des baha’is, des yarsans (Gens de la vérité), des musulmans sunnites, des musulmans convertis au christianisme et des chiites devenus sunnites ont été emprisonnés ou empêchés de pratiquer librement leur foi. Des militants des droits des minorités appartenant à des groupes ethniques défavorisés – Arabes ahwazis, Turcs azerbaidjanais, Baloutches et Kurdes, notamment – ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement et parfois à la peine capitale – une peine qui leur était infligée de manière disproportionnée. En Arabie saoudite, la discrimination envers la minorité chiite restait bien ancrée ; des dirigeants et des militants chiites ont été emprisonnés et, dans certains cas, condamnés à mort au terme de procès inéquitables. Au Koweït, le gouvernement a continué de priver plus de 100 000 bidun de la nationalité koweïtienne, affirmant qu’ils étaient des résidents illégaux alors que beaucoup étaient nés au Koweït et y avaient vécu toute leur vie. Des militants des droits des bidun ont été arrêtés et poursuivis en justice. Les citoyens palestiniens d’Israël subissaient des discriminations dans de nombreux domaines, tout particulièrement le logement et le droit à la terre.

EXPULSIONS FORCÉES

Les autorités israéliennes ont continué de démolir des habitations palestiniennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, qui avaient été selon elles construites sans un permis israélien – lequel est pratiquement impossible d’obtenir –, et à en expulser de force les habitants. Elles ont détruit à titre punitif les domiciles familiaux de Palestiniens qui avaient lancé des attaques contre des Israéliens. Elles ont également démoli les habitations de citoyens palestiniens d’Israël, dans la plupart des cas dans des villages bédouins de la région du Naqab/Néguev. En Égypte, l’armée a procédé à des expulsions forcées dans le but de créer une « zone tampon » le long de la frontière avec Gaza.

CONDITION DES FEMMES ET DES FILLES

Les femmes et les filles continuaient d’être victimes de discrimination dans la législation et dans la pratique dans tous les pays de la région ; dans nombre d’entre eux, elles étaient également confrontées à un niveau élevé de violences, sexuelles et autres. Les codes du statut personnel accordaient généralement moins de droits aux femmes qu’aux hommes en matière de divorce, de garde des enfants et d’héritage. Dans certains pays, les dispositions législatives en matière de nationalité empêchaient les femmes mariées à un étranger de transmettre leur nationalité à leurs enfants, contrairement aux hommes mariés à une étrangère.
En Jordanie, les femmes étaient toujours insuffisamment protégées contre la violence, y compris les crimes d’« honneur ». Le gouvernement a révisé la loi qui permettait à l’auteur d’un viol d’échapper aux poursuites en épousant sa victime, hormis dans le cas où celle-ci est âgée de 15 à 18 ans. À Bahreïn, une nouvelle loi a accordé une plus grande protection aux victimes de violences au sein de la famille, mais le Parlement avait auparavant rejeté un article qui érigeait le viol conjugal en infraction pénale. En Arabie saoudite, les femmes ont pour la première fois été autorisées à voter et à se porter candidates pour les élections municipales ; il leur était toutefois toujours interdit de conduire. Le Parlement iranien a approuvé les principes généraux d’un projet de loi qui porte atteinte au droit des femmes de décider librement si elles veulent se marier, divorcer et avoir des enfants, et quand. Il a débattu d’autres projets de loi qui menacent de renforcer davantage la discrimination dont souffrent les femmes ; l’un de ces textes bloquerait l’accès à l’information sur la contraception et interdirait la stérilisation volontaire. Les femmes en Iran restaient par ailleurs soumises aux lois rendant le « voile » (hijab) obligatoire ; elles continuaient de subir le harcèlement et les violences exercées par la police et les forces paramilitaires qui faisaient respecter ces lois, et d’être emprisonnées pour les infractions commises.
Alors qu’elles représentaient la moitié de la population de la région et apportaient une contribution énorme à toutes les sociétés qui la composent, les femmes et les filles étaient privées de l’égalité avec les hommes dans presque tous les domaines de la vie. Aucune femme n’était à la tête d’un État. Très peu accédaient à de hautes responsabilités politiques ou diplomatiques. Elles étaient pratiquement, voire totalement, absentes du système judiciaire, particulièrement au sommet de la hiérarchie. Étant donné le maintien des attitudes stéréotypées et discriminatoires à l’égard des femmes et de leurs droits fondamentaux, ceci n’avait rien de surprenant. Les crimes, notamment le viol, le mariage forcé, l’esclavage sexuel et les exécutions sommaires de femmes et de filles imputables aux forces de l’EI, en particulier en Irak, représentaient la manifestation publique la plus extrême de ces préjugés et de la misogynie. Mais dans toute la région, la fréquence des violences liées au genre et l’absence de recours pour les victimes étaient tout sauf exceptionnelles.
À la fin de l’année, les espoirs enthousiastes de réforme politique et en matière de droits humains suscités dans toute la région quatre ans auparavant par les grands soulèvements populaires du Printemps arabe avaient été pratiquement anéantis. Au lieu de la réforme politique et sociale, du progrès économique et d’une meilleure protection des droits humains, la région était en proie au conflit armé, au durcissement de la répression de l’État, aux atteintes aux droits fondamentaux, et à la menace d’attaques lancées par des groupes armés. Dans le désespoir et le pessimisme ambiants, cependant, des milliers de personnes courageuses – défenseurs des droits humains, membres du personnel médical et soignants bénévoles, avocats, journalistes, militants associatifs, et bien d’autres – ont démontré par leurs actions que les espoirs exprimés en 2011, loin d’être une chimère, étaient toujours bien vivants et solidement ancrés.

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