Rapport annuel 2016

TUNISIE

République tunisienne
Chef de l’État : Béji Caïd Essebsi
Chef du gouvernement : Habib Essid (a remplacé Mehdi Jomaa en janvier)

Les autorités ont renforcé les restrictions à la liberté d’expression et de réunion, etnotamment interdit certaines manifestations. De nouvelles informations ont fait état d’actes de torture et de mauvais traitements. Les femmes et les filles, ainsi que les personnes LGBTI, faisaient l’objet de discrimination dans la législation et dans la pratique. Cette année encore, les tribunaux ont prononcé des sentences capitales ; aucune exécution n’a eu lieu.

CONTEXTE
Des combattants affiliés semble-t-il à des groupes armés islamistes ont mené des attaques armées au musée du Bardo, dans la capitale, Tunis, en mars, et dans la station balnéaire de Sousse en juin ; 61 personnes – des touristes étrangers pour la plupart – ont été tuées, et de nombreuses autres ont été blessées. En novembre, un attentat perpétré dans le centre de Tunis contre un bus de la Garde présidentielle a fait 12 morts. Des affrontements entre les forces de sécurité et des combattants armés ont eu lieu le long des frontières de la Tunisie avec l’Algérie et la Libye.

Le gouvernement a proclamé l’état d’urgence dans l’ensemble du pays au début de juillet, à la suite de l’attaque de Sousse. Il l’a prolongé à la fin de juillet, puis levé début octobre. Réinstauré le 24 novembre à la suite du second attentat perpétré à Tunis, l’état d’urgence restait en vigueur à la fin de l’année. Les autorités ont par ailleurs imposé un couvre-feu dans le Grand Tunis jusqu’au 12 décembre, et maintenu la frontière avec la Libye fermée pendant deux semaines.

L’Instance Vérité et Dignité créée pour examiner les crimes politiques, économiques et sociaux et enquêter sur les violations des droits humains commises depuis le 1er juillet 1955 a commencé à recueillir des témoignages en mai ; en décembre, elle a fait savoir qu’elle avait reçu plus de 22 600 dossiers et qu’elle repoussait de six mois la date limite pour la soumission de cas. Ses travaux ont cependant été éclipsés par la démission de plusieurs de ses membres, par des allégations de corruption visant sa présidente, et par les critiques des médias. Leprésident Essebsi a annoncé en juillet l’approbation d’un projet de loi organique relative aux dispositions particulières concernant la réconciliation dans les domaines économique et financier. Le texte accorderait l’amnistie et l’immunité de poursuites aux fonctionnaires et dirigeants d’entreprise accusés de corruption et de détournement de fonds sous le régime de l’ancien président Ben Ali s’ils restituent les sommes volées. Si ce projet de loi était adopté, il entraverait les enquêtes futures de l’Instance Vérité et Dignité. Le texte a suscité dans tout le pays des mouvements de protestation organisés par le mouvement Manich Msamah (« Je ne pardonnerai pas »), dont certains ont été dispersés par les forces de sécurité qui ont fait un usage excessif de la force. Le projet de loi était en instance d’adoption à la fin de l’année.

Une loi portant création d’un Conseil supérieur de la magistrature (CSM) chargé de superviser le fonctionnement du système judiciaire et de renforcer son indépendance par rapport au pouvoir exécutif a été adoptée en mai. Bien que contenant des améliorations, elle présentait des lacunes graves s’agissant de la composition du Conseil. L’instance provisoire chargée du contrôle de constitutionnalité des lois a conclu en juin qu’elle était contraire à la Constitution, et a pareillement rejeté en décembre une nouvelle version du texte.

Le prix Nobel de la paix a été décerné en octobre au Quartet du dialogue national en Tunisie, une coalition de syndicats et d’organisations de la société civile, dont des associations de défense de droits humains, formée en 2013 dans le but de promouvoir la paix, la démocratie et les droits humains en Tunisie pendant la période de transition.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ
Après l’attentat au musée du Bardo et les attaques menées par des groupes armés contre les forces de sécurité, le gouvernement a déposé en mars un projet de loi sur la répression des attaques contre lesforces armées. Ce texte, s’il était adopté, permettrait d’engager des poursuites pénales contre les journalistes, les défenseurs des droits humains et quiconque critique les forces de sécurité et l’armée ; il donnerait aux forces de sécurité des pouvoirs excessifs d’utilisation de la force meurtrière. Le projet de loi n’avait pas été adopté à la fin de l’année.

À la suite de l’attentat de Sousse, et de ce que les autorités ont présenté comme une attaque terroriste déjouée à Gafsa, le Parlement a adopté une nouvelle loi antiterroriste en juillet. Ce texte, qui remplaçait une loi de 2003 utilisée par le régime Ben Ali pour réprimer l’opposition politique, érodait davantage encore les droits fondamentaux. Il définissait le terrorisme en des termes généraux et vagues, accordait aux forces de sécurité de vastes pouvoirs de contrôle et de surveillance, et faisait passer de six à 15 jours la période durant laquelle celles-ci peuvent maintenir en garde à vue aux fins d’interrogatoire des suspects d’actes de terrorisme, ce qui augmentait le risque de torture et de mauvais traitements. Il prévoyait la peine de mort pour le viol et les actes de terrorisme ayant entraîné la mort, réduisait les garanties d’équité des procès en autorisant les tribunaux à prononcer le huis clos et à ne pas divulguer l’identité des témoins, et érigeait en infraction pénale toute déclaration considérée comme une « apologie du terrorisme ».

Selon les autorités, les tribunaux avaient prononcé en décembre 28 condamnations dans des affaires de terrorisme, dont trois peines capitales.
Les autorités ont déclaré en juillet qu’elles avaient arrêté plus de 1 000 personnes soupçonnées d’actes de terrorisme depuis l’attentat du musée du Bardo en mars, et empêché 15 000 autres suspects de quitter la Tunisie. Le gouvernement a également annoncé son intention de construire un mur de sécurité le long de la frontière avec la Libye. À la suite de l’attentat perpétré à Tunis en novembre, les autorités ont mené plusieurs milliers d’opérations, procédé à des centaines d’arrestations et placé138 personnes au moins en résidence surveillée. Des proches de personnes soupçonnées de terrorisme auraient été harcelés par des membres des services de sécurité.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
De nouvelles informations ont fait état d’actes de torture infligés à des détenus, dans la plupart des cas pendant les interrogatoires menés dans les jours suivant leur arrestation.

Cinq hommes arrêtés le 27 juillet en lien avec des actes de terrorisme ont affirmé que ceux qui les interrogeaient les avaient battus et soumis à un simulacre de noyade. Ils ont déposé plainte après leur remise en liberté, le 4 août. Des membres de la police antiterroriste les ont à nouveau interpellés le jour même et les ont ramenés dans leur lieu de détention. Après avoir subi un examen médicolégal le 5 août, ils ont été remis en liberté provisoire le 10 août. Une commission parlementaire spéciale a été chargée d’enquêter sur leurs allégations de torture.

Aucune conclusion n’avait été rendue publique à la fin de l’année.
Des milliers de cas de torture datant du régime Ben Ali ont été soumis à l’Instance Vérité et Dignité. La majorité des allégations étaient formulées par des hommes, mais un certain nombre de femmes se sont plaintes d’avoir été battues et torturées et d’avoir subi des sévices sexuels en détention. On ignorait comment l’Instance transmettrait ces cas au parquet en vue de poursuites, et s’ils seraient renvoyés devant des juridictions spécialisées ou devant le procureur de la République.

L’instance nationale pour la prévention de la torture créée par une loi de 2013 ne fonctionnait toujours pas, ses membres n’ayant pas encore été nommés.

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION
Les autorités ont restreint la liberté d’expression en utilisant des lois promulguées sous le régime Ben Ali, notamment la loi antiterroriste de 2003 et des articles du Code pénal érigeant en infraction la diffamation de personnalités publiques.

En vigueur du 4 juillet au 2 octobre, l’état d’urgence a donné au gouvernement le pouvoir de suspendre toutes les grèves et manifestations, d’interdire tous les rassemblements considérés comme une menace pour l’ordre public et de disperser ceux qui se tenaient, et de contrôler et censurer la presse écrite et audiovisuelle, entre autres médias et publications. Les forces de sécurité ont, dans certains cas, fait un usage excessif de la force pour disperser et interpeller des protestataires pacifiques qui avaient enfreint l’interdiction de manifester. Le 8 septembre, le ministre de l’Intérieur a déclaré que même les protestations pacifiques étaient contraires à l’état d’urgence, et il a interdit une manifestation prévue pour le 12 septembre.

En juillet, la police a arrêté Abdelfattah Said, un enseignant qui avait publié sur Facebook une vidéo accusant des responsables des services de sécurité d’être à l’origine de l’attentat qui a coûté la vie à 38 personnes à Sousse. Cet homme a été inculpé de complicité de terrorisme aux termes de la loi antiterroriste de 2003. Il a également été inculpé de diffamation d’un fonctionnaire et diffusion de fausses nouvelles en vertu des articles 128 et 306 du Code pénal, pour avoir mis en ligne une caricature du Premier ministre, Habib Essid. Il a obtenu un non-lieu en novembre pour les charges liées au terrorisme, et a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement assortie d’une amende pour le chef de diffusion de fausses nouvelles. Il a été acquitté du chef de diffamation.

DROITS DES FEMMES
Les femmes continuaient de faire l’objet de discriminations dans la législation et dans la pratique, et elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences, sexuelles et autres. Les victimes de violences sexuelles et liées au genre n’avaient toujours pas un accès suffisant aux services de santé et de soutien, ainsi qu’aux voies de recours judiciaires. Des articles du Code pénaldéfinissaient les violences sexuelles comme un attentat à la pudeur plutôt qu’une violation de l’intégrité physique de la victime. Ce Code permettait aussi au violeur d’une jeune fille âgée de 15 à 20 ans d’échapper aux poursuites pénales s’il épousait sa victime.

Rendu public en décembre 2014, un projet de loi générale sur la lutte contre la violence faite aux femmes, qui contenait des dispositions améliorant la protection des victimes de violences sexuelles et liées au genre, était toujours à l’étude à la fin de l’année. En août, le Conseil des ministres a adopté un projet de loi visant à supprimer la discrimination entre les hommes et les femmes en matière de délivrance ou de retrait de documents et d’autorisations de voyage pour leurs enfants. Ce texte a été adopté sous forme de loi par le Parlement en novembre.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES
Les personnes LGBTI étaient en butte à la discrimination dans la législation et dans la pratique, et elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences liées à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre. L’article 230 du Code pénal érigeait en infraction pénale les relations librement consenties entre adultes de même sexe et sanctionnait « la sodomie et le lesbianisme » d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement. Les personnes transgenres risquaient tout particulièrement d’être arrêtées et poursuivies pour atteinte à la morale publique. Les autorités ne menaient pas d’enquêtes sérieuses sur les crimes homophobes et transphobes.

Une lesbienne a sollicité l’asile à l’étranger après avoir été agressée à quatre reprises au cours de l’année par des hommes qui l’ont attaquée dans la rue et l’ont frappée à coups de poing, de pied et de tessons de bouteille. Ils lui ont entaillé le cou avec un couteau lors de l’une de ces attaques. Cette femme a subi au moins huit agressions homophobes sur une période de neuf ans. Elle a signalé lesdernières agressions à la police, qui n’a pas arrêté ni identifié ses agresseurs et l’a avertie qu’en tant que lesbienne elle risquait d’être poursuivie et condamnée à une peine de prison.

Un étudiant a été condamné en septembre à un an d’emprisonnement pour « sodomie ». Il a été soumis à un examen anal à la demande du tribunal, en violation de l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements. L’examen a été effectué par le service de médecine légale de l’hôpital Farhat Hached de Sousse, sans doute pour établir la « preuve » de rapports sexuels anaux. Cet étudiant avait à l’origine été interrogé par la police à propos de sa relation avec un homme qui avait été assassiné. Il a expliqué qu’il avait reconnu avoir eu des relations sexuelles avec cet homme car les policiers l’avaient giflé et menacé de viol, et lui avaient dit qu’il serait inculpé de meurtre s’il refusait d’« avouer ». Il a été remis en liberté sous caution en novembre. En décembre, sa peine a été réduite en appel à deux mois d’emprisonnement, qu’il avait déjà effectués.

Six étudiants ont été condamnés en décembre à une peine de trois ans d’emprisonnement (la peine maximale prévue par la loi) après avoir été déclarés coupables de « sodomie » par un tribunal de Kairouan. Ils ont également été interdits de séjour à Kairouan pendant cinq ans à l’issue de leur peine. Tous les six avaient été soumis à un examen anal.

DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES MIGRANTS
Les autorités autorisaient généralement les Libyens qui fuyaient les combats dans leur pays à entrer en Tunisie. Les autres étrangers, dont des réfugiés et des migrants, n’étaient autorisés à franchir la frontière que s’ils détenaient des documents valables, et devaient quitter la Tunisie après un court transit.
La marine et les gardes-frontières ont secouru des centaines de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants présents à bord d’embarcations en détresse enMéditerranée. Beaucoup étaient partis de Zuwara, en Libye. La plupart de ceux qui ont été sauvés ont été transférés dans le gouvernorat de Médenine, dans le sud du pays, où ils ont été hébergés dans des installations temporaires. Certains sont rentrés dans leur pays d’origine, tandis que d’autres restaient dans une situation incertaine.
Bien que la Tunisie ait signé la Convention relative au statut des réfugiés et son Protocole, elle ne disposait pas d’une loi générale sur l’asile, ce qui contribuait à la vulnérabilité des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants.

En août, les autorités ont arrêté 10 migrants (soudanais, kenyans, nigérians et libériens) qui avaient protesté à Tunis pour demander d’être transférés dans un autre pays d’accueil. Elles les ont conduits au centre de détention pour les réfugiés de Ouardia et ont tenté de les obliger à franchir la frontière algérienne, puis les ont réadmis en Tunisie, où ils ont finalement été remis en liberté. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait rejeté leurs demandes de statut de réfugié en 2012, mais ils étaient restés dans le camp de Choucha, mis en place par le HCR, après sa fermeture officielle en 2013. Tous avaient travaillé en Libye avant le déclenchement du conflit dans ce pays.

PEINE DE MORT
La peine de mort était maintenue pour un certain nombre de crimes, dont le meurtre. La nouvelle loi antiterroriste prévoyait la peine capitale pour certaines infractions. Les tribunaux ont prononcé 11 condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu depuis 1991.

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