Rapport annuel 2017

Colombie

République de Colombie
Chef de l’État et du gouvernement : Juan Manuel Santos Calderón

Un accord de paix entre le gouvernement et le mouvement de guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a été ratifié par le Congrès en novembre. Conclu à l’issue de plus de quatre ans de négociations, il marquait officiellement la fin du conflit armé qui opposait les deux parties depuis cinq décennies. Toutefois, le nombre d’homicides de défenseurs des droits humains, notamment de dirigeants indigènes, afro-colombiens et paysans, a augmenté. Le processus de paix avec le deuxième plus grand mouvement de guérilla du pays, l’Armée de libération nationale (ELN), n’avait pas encore commencé à la fin de l’année. Il restait difficile de savoir si, aux termes de l’accord de paix avec les FARC, toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre auraient véritablement à rendre des comptes, conformément au droit international.

Processus de paix

En juin, le gouvernement et les FARC ont signé un accord bilatéral de cessez-le-feu et de cessation des hostilité. Cet accord est entré en vigueur le 29 août, mais un cessez-le-feu était en place de fait depuis 2015. Le 24 août, les deux parties se sont entendues sur un accord de paix, qu’elles ont signé le 26 septembre à Carthagène. Cependant, le 2 octobre, cet accord a été rejeté lors d’un référendum, en partie en raison des inquiétudes quant au caractère trop laxiste de ses dispositions en matière de justice.

Le 12 novembre, les deux parties ont annoncé un nouvel accord de paix, qu’elles ont signé le 24 novembre. Cet accord a été ratifié par le Congrès le 30 novembre. À partir de cette date, il était prévu que les FARC entament un processus de démobilisation et de désarmement sur six mois, sous le contrôle et la vérification d’observateurs des Nations unis non armés, entre autres. À la fin de l’année, les combattants des FARC n’étaient pas encore arrivés dans les zones de rassemblement où devait débuter le processus de démobilisation, en raison de retards pris dans l’aménagement de ces zones pour les rendre habitables.

Le 28 décembre, le Congrès a adopté une loi prévoyant l’amnistie ou la grâce des combattants des FARC et l’arrêt des poursuites pénales contre les membres des forces de sécurité, à condition que les bénéficiaires ne soient pas sous le coup d’une inculpation ou d’une condamnation pour des crimes relevant du droit international. Le texte permettait aussi à ceux qui avaient passé au moins cinq ans derrière les barreaux pour de tels crimes de bénéficier, dans certaines circonstances, d’une libération conditionnelle. Les ambiguïtés de cette loi risquaient de permettre à de nombreux auteurs d’atteintes aux droits humains d’échapper à la justice.

Les modifications apportées à l’accord de paix n’ont pas véritablement renforcé les droits des victimes. Cependant, une disposition imposant aux FARC de fournir un inventaire des biens qu’elles ont acquis durant le conflit, qui seraient utilisés pour indemniser les victimes, constituait une avancée positive, sous réserve qu’elle soit véritablement mise en œuvre.

L’accord de paix prévoyait la mise en place d’une juridiction spéciale pour la paix chargée d’enquêter sur les crimes de droit international et d’en punir les responsables (juridiction qui entrera en vigueur après approbation par le Congrès), d’une commission vérité et d’un mécanisme de localisation et d’identification des personnes portées disparues à la suite du conflit.

Toutefois, malgré des points positifs, cet accord ne respectait pas le droit international et les normes y afférentes en matière de droits des victimes. Par exemple, les sanctions prévues ne semblaient pas proportionnelles à la gravité de certains crimes, et la définition de la responsabilité hiérarchique pourrait rendre difficile l’engagement de poursuites contre des commandants des FARC et des forces de sécurité pour les crimes commis par leurs subordonnés.

Le 30 mars, le gouvernement et l’ELN ont annoncé qu’ils allaient s’engager dans des négociations de paix. Cependant, ce processus n’avait toujours pas démarré à la fin de l’année car l’ELN n’avait pas libéré l’un de ses otages les plus en vue.

Le Prix Nobel de la paix a été attribué au président Santos le 7 octobre pour son rôle dans la signature de l’accord de paix.

Conflit armé interne

Au 1er décembre 2016, l’Unité gouvernementale d’aide aux victimes avait recensé près de huit millions de victimes du conflit depuis 1985, parmi lesquelles près de 268 000 avaient été tuées (essentiellement des civils), plus de sept millions déplacées de force, environ 46 000 soumises à une disparition forcée, au moins 30 000 prises en otage, plus de 10 000 soumises à la torture et quelque 10 800 victimes de mines antipersonnel ou de munitions non explosées. Ces crimes étaient imputables aux forces de sécurité, aux groupes paramilitaires et aux mouvements de guérilla.

L’apaisement des tensions entre les forces de sécurité et les FARC durant l’année a entraîné pour les civils une réduction importante des violences liées aux affrontements. Cependant, les communautés indigènes, afro-colombiennes et paysannes ont continué de subir des violations des droits humains et d’autres violences, en particulier dans les régions suscitant l’intérêt du secteur agro-industriel ou de l’industrie extractive, ou dans les zones concernées par des projets d’infrastructures.

En août, quatre indigènes awás ont été abattus par des hommes non identifiés lors de trois attaques distinctes dans le département de Nariňo. Parmi les victimes se trouvait Camilo Roberto Taicús Bisbicús, responsable de la réserve indigène awá de Hojal La Turbia, dans la municipalité de Tumaco.

En mars, plus de 6 000 personnes, pour la plupart issues de communautés indigènes et afro-colombiennes, ont été déplacées de force de trois vallées fluviales du département de Chocó à cause d’affrontements entre groupes armés.

Forces de sécurité

Cette année encore, des cas d’homicides illégaux imputables aux forces de sécurité ont été signalés, et des allégations de recours excessif à la force au cours de manifestations, en particulier par l’unité antiémeute de la police, ont été formulées.

Le 29 février, des militaires ont tué Gilberto de Jesús Quintero, un paysan du hameau de Tesorito, dans la municipalité de Tarazá (département d’Antioquia). L’armée a dans un premier temps affirmé qu’il était membre de l’ELN et qu’il avait été tué au cours d’affrontements. Cependant, des témoins ont raconté avoir vu des soldats tenter de rhabiller son cadavre avec une tenue militaire, et l’armée a ensuite reconnu l’avoir tué par erreur.

Les enquêtes pénales sur les exécutions extrajudiciaires impliquant des membres des forces de sécurité progressaient lentement. Un rapport du Bureau du procureur de la Cour pénale internationale rendu public en novembre a indiqué que, en juillet, le parquet colombien enquêtait sur 4 190 cas d’exécutions extrajudiciaires. En février, 961 condamnations avaient été prononcées, dont très peu concernaient des officiers supérieurs. Selon un rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme [ONU] paru en mars, 7 773 membres des forces de sécurité faisaient l’objet d’une enquête concernant des exécutions extrajudiciaires à la fin de 2015. En novembre, un juge a déclaré plus d’une douzaine de militaires coupables des homicides illégaux de cinq jeunes hommes de Soacha, dans le département de Cundinamarca, en 2008.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Groupes de guérilla

L’ELN et les FARC ont continué de perpétrer des violations des droits humains, bien que le nombre de cas imputables aux FARC ait diminué au fur et à mesure que le processus de paix progressait.

Des dirigeants indigènes et des journalistes ont été menacés de mort. Par exemple, en juin, un homme prétendant appartenir à l’ELN a téléphoné à María Beatriz Vivas Yacuechime, dirigeante du Conseil régional indigène de Huila, la menaçant de la tuer et de faire subir le même sort à ses proches. En juillet, le journaliste Diego D’Pablos et le caméraman Carlos Melo ont reçu des menaces de mort par SMS provenant d’une personne qui se revendiquait de l’ELN. Les deux hommes et leur collègue journaliste Salud Hernández-Mora avaient été retenus en otages plus tôt dans l’année par l’ELN dans la région de Catatumbo, dans le nord du pays.

Le 24 mars, deux hommes se revendiquant des FARC ont téléphoné au domicile du dirigeant indigène Andrés Almendras, dans le hameau de Laguna-Siberia (municipalité de Caldono, département du Cauca). Andrés Almendras n’étant pas chez lui, les deux hommes ont demandé à sa fille où se trouvait son « mouchard de père » car ils voulaient qu’il quitte la région.

Groupes paramilitaires

Les groupes paramilitaires restaient actifs dans le pays, malgré leur démobilisation supposée il y a 10 ans. Agissant seuls ou avec la complicité d’agents de l’État, ces groupes se sont rendus coupables de nombreuses violations des droits humains, notamment d’homicides et de menaces de mort.

En avril, des ONG locales ont signalé qu’un groupe armé composé d’environ 150 paramilitaires du groupe Autodefensas Gaitanistas de Colombia (AGC) était entré dans la communauté afro-colombienne de Teguerré, située sur le territoire afro-colombien de Cacarica (département du Chocó). D’autres intrusions de l’AGC dans la région de Cacarica ont été signalées tout au long de l’année. Certains dirigeants communautaires ont été menacés par l’AGC, qui les a désignés comme des « cibles militaires ».

Des informations de plus en plus nombreuses ont fait état d’incursions paramilitaires dans la communauté de paix de San José de Apartadó (département d’Antioquia), dont certains membres ont été menacés.

Au 30 septembre, seuls 180 des plus de 30 000 paramilitaires censés avoir déposé les armes dans le cadre du processus de démobilisation lancé par le gouvernement avaient été condamnés pour des violations des droits humains au titre de la Loi de 2005 pour la justice et la paix ; la plupart d’entre eux ont fait appel de leur condamnation. Une majorité de paramilitaires ne s’étaient pas soumis au processus Justice et paix et bénéficiaient d’une amnistie de fait.

Impunité

Rares sont les auteurs présumés de crimes de droit international commis au cours du conflit qui ont été traduits en justice. Cependant, dans le cadre du processus de paix, le gouvernement et les FARC ont présenté des excuses officielles pour leur rôle dans plusieurs cas emblématiques de violations des droits humains.

Le 30 septembre, à La Chinita, dans la municipalité d’Apartadó (département d’Antioquia), les FARC se sont excusées d’avoir tué 35 habitants de ce village le 23 janvier 1994.

Le 15 septembre, le président Santos a présenté des excuses officielles pour le rôle joué par l’État, dans les années 1980 et 1990, dans le meurtre de quelque 3 000 membres de l’Union patriotique, une formation fondée par le Parti communiste colombien et les FARC dans le cadre du processus de paix avorté sous le gouvernement de Belisario Betancur.

En février, la Cour constitutionnelle a confirmé la constitutionnalité de la réforme adoptée en 2015 (Acte législatif n° 1) conférant aux tribunaux militaires la compétence à l’égard des affaires liées au service militaire et aux crimes commis en service actif. Cette réforme prévoyait également que le droit international humanitaire, plutôt que le droit international relatif aux droits humains, s’appliquerait dans les enquêtes sur les membres des forces armées impliqués dans des crimes liés au conflit, bien que nombre de ces crimes n’aient pas été perpétrés au cours des affrontements et que les victimes soient en grande majorité des civils. Toutefois, la Cour a estimé que le droit international relatif aux droits humains devait également être appliqué au cours des enquêtes. On craignait cependant que la décision de la Cour n’aide guère à mettre fin à l’impunité, étant donné le bilan désastreux du système de justice militaire en termes de poursuites à l’encontre des membres des forces armées impliqués dans des atteintes aux droits humains.

Défenseurs des droits humains

Cette année encore, de nombreux cas de menaces et d’homicides visant des défenseurs des droits humains, en particulier des dirigeants communautaires, des militants des droits à la terre et des défenseurs de l’environnement, de la paix et de la justice, ont été signalés. Si la plupart des menaces ont été attribuées aux paramilitaires, il était difficile, dans la majorité des cas, d’identifier les groupes responsables des homicides. Selon l’ONG Somos Defensores, au moins 75 défenseurs des droits humains ont été tués entre le début de l’année et le 8 décembre, contre 63 durant toute l’année 2015. En général, ces homicides ont été commis en dehors des affrontements entre belligérants et constituaient des assassinats ciblés. Plusieurs organisations de défense des droits humains se sont par ailleurs fait voler des informations sensibles dans leurs bureaux. Au 20 décembre, l’École nationale syndicale, une ONG, avait recensé 17 homicides de syndicalistes.

Le 29 août, trois responsables de l’ONG Comité d’intégration du massif colombien (CIMA), Joel Meneses, Nereo Meneses Guzmán et Ariel Sotelo, ont été abattus par un groupe d’hommes armés dans la municipalité d’Almaguer (département du Cauca).

En août, Ingrid Vergara, porte-parole du Mouvement national des victimes de crimes d’État (MOVICE), a reçu des menaces téléphoniques après avoir assisté à une réunion publique sur les droits humains au Congrès, dans la capitale Bogotá. Depuis des années, Ingrid Vergara et d’autres membres du MOVICE sont régulièrement menacés et harcelés en raison de leur action en faveur des droits humains.

Droits fonciers

Le processus de restitution des terres, lancé en 2012 pour rendre à leurs occupants légitimes les terres dont ils ont été spoliés pendant le conflit, ne progressait toujours que lentement. D’après l’Unité chargée de la restitution des terres, au 5 décembre, les juges agraires avaient rendu des décisions concernant près de 62 093 hectares revendiqués par des paysans et 131 657 hectares revendiqués par une communauté afro-colombienne et quatre communautés indigènes.

Cette année encore, des militants des droits fonciers ont été menacés et tués. Le 11 septembre, Néstor Iván Martínez, un dirigeant afro-colombien, a été abattu par des agresseurs non identifiés dans la municipalité de Chiriguaná (département de César). Cet homme militait activement en faveur des droits environnementaux et fonciers, et avait fait campagne contre des activités minières.

Le 29 juillet, le Congrès a approuvé la Loi 1776, qui devrait ouvrir la voie à de grands projets agro-industriels appelés Zones d’intérêt pour le développement rural, économique et social (ZIDRES). D’après ses détracteurs, cette loi pourrait porter préjudice aux droits fonciers des communautés rurales.

En février, la Cour constitutionnelle a jugé anticonstitutionnelle la législation qui prévoyait la non-recevabilité des demandes de restitution de terres situées dans des zones considérées comme des Projets d’intérêt national et stratégique (PINES). La Cour a estimé que ces terres pouvaient être saisies par l’État, mais que les personnes en revendiquant la propriété pourraient bénéficier d’une audience d’expropriation officielle et d’un dédommagement fixé par les tribunaux.

Le 9 juin, la Cour constitutionnelle a rendu publique sa décision de décembre 2015 d’annuler trois résolutions de l’Agence nationale des mines et du ministère des Mines et de l’Énergie, qui déclaraient comme Zones minières stratégiques plus de 20 millions d’hectares de terres, notamment indigènes et afro-colombiennes. La Cour a estimé que la délimitation des Zones minières stratégiques ne pouvait se faire sans le consentement préalable des communautés indigènes et afro-colombiennes qui vivent dans les régions concernées.

Violences faites aux femmes et aux filles

Cette année encore, des allégations de violences sexuelles ont été formulées à l’encontre de toutes les parties au conflit. Au 1er décembre, l’Unité d’aide aux victimes avait recensé plus de 17 500 victimes de crimes contre l’intégrité sexuelle commis dans le cadre du conflit depuis 1985.

En mars, l’ONG Groupe de suivi des arrêts n° 092 de 2008 et n° 009 de 2015 de la Cour constitutionnelle a publié un rapport sur l’application de ces deux arrêts par les autorités. Ceux-ci soulignaient le nombre important de violences sexuelles infligées aux femmes dans le cadre du conflit et ordonnaient à l’État de lutter contre ces crimes et d’en traduire les responsables présumés en justice. Le rapport concluait que, malgré certains progrès dans les enquêtes menées sur ces actes, l’État n’avait pas pris de mesures concrètes pour garantir le droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations. La grande majorité des responsables présumés de ces crimes n’avaient toujours pas été traduits en justice à la fin de l’année.

En août, le gouvernement a publié le décret n° 1314 portant création d’une commission chargée de développer un programme exhaustif de garantie pour les femmes dirigeantes et défenseures des droits humains, qui inclurait notamment des mécanismes de prévention et de protection.

En juin, le ministère public a rendu publique une résolution instaurant un protocole pour les enquêtes sur les crimes de violences sexuelles.

Surveillance internationale

En mars, le haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies a publié un rapport dans lequel il félicitait le gouvernement et les FARC pour les progrès accomplis en vue de parvenir à un accord de paix. Il s’est toutefois inquiété de ce que les groupes paramilitaires (désignés sous le terme de « groupes post-démobilisation » dans le rapport) menacent en permanence les droits humains et la sécurité publique, l’administration de la justice et l’instauration de la paix, y compris la restitution des terres. Il a ajouté que le démantèlement des groupes contrôlant les terres volées par la violence ou la menace de violences était un défi permanent pour la paix.

Dans ses observations finales sur la Colombie, publiées en octobre, le Comité des disparitions forcées [ONU] a reconnu les efforts accomplis par les autorités et souligné la diminution du nombre de cas de disparitions forcées ces dernières années. Cependant, il a exprimé sa préoccupation concernant la persistance de la Colombie à ne pas reconnaître la compétence du Comité des disparitions forcées pour recevoir et examiner les communications présentées par des victimes ou en leur nom, ainsi que l’absence de progrès significatifs en termes d’enquêtes sur ces crimes.

En novembre, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a constaté une réduction considérable des incidences du conflit armé sur la population civile. Il s’est toutefois inquiété de ce que des violations continuaient d’être commises, notamment des privations arbitraires du droit à la vie, des disparitions forcées et des actes de torture, et a déploré la persistance de l’impunité. Il s’est également déclaré préoccupé par les exactions commises par « des groupes armés illégaux apparus après la démobilisation des organisations paramilitaires », ainsi que par les allégations faisant état de cas dans lesquels certains de ces groupes auraient agi en collusion avec des agents de l’État.

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