Rapport annuel 2017

Espagne

Royaume d’Espagne
Chef de l’État : Felipe VI
Chef du gouvernement : Mariano Rajoy

Cette année encore, des personnes ont été poursuivies en justice pour apologie du terrorisme alors qu’elles n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression. De nouveaux cas de torture, d’autres mauvais traitements, de recours excessif à la force et d’expulsions collectives imputés à la police ont été signalés. Étaient notamment visées des personnes qui tentaient d’entrer clandestinement dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla depuis le Maroc. Les allégations de torture et d’autres mauvais traitements ne faisaient pas toujours l’objet d’enquêtes sérieuses. Les autorités ont accepté la réinstallation et la relocalisation sur le territoire espagnol de quelques centaines de réfugiés seulement, ce qui était bien en deçà de leurs engagements. Elles ont persisté dans leur refus de coopérer avec la justice argentine pour enquêter sur les crimes commis pendant la guerre d’Espagne et sous le régime de Franco.

Liberté d’expression et de réunion

Tout au long de l’année, les droits à la liberté d’expression, d’information et de réunion ont été restreints de façon indue, sur la base de modifications de la Loi relative à la sécurité publique et du Code pénal qui avaient été adoptées en 2015.

Le 5 février, Alfonso Lázaro de la Fuente et Raúl García Pérez, deux marionnettistes professionnels, ont été maintenus en détention pendant cinq jours après avoir joué un spectacle dans lequel, notamment, une religieuse était poignardée, un juge était pendu, et des policiers et des femmes enceintes étaient passés à tabac. L’une des marionnettes brandissait également une pancarte avec le slogan « Gora ALKA-ETA » (« Vive ALKA-ETA »). Plusieurs personnes s’étant dites offusquées par le spectacle, les marionnettistes ont été arrêtés et inculpés d’apologie du terrorisme et d’incitation à la haine. En septembre, l’Audience nationale a relaxé les deux hommes du chef d’apologie du terrorisme, mais ils étaient toujours poursuivis pour incitation à la haine à la fin de l’année.

En avril, le ministre de l’Intérieur a engagé le Conseil général du pouvoir judiciaire à prendre des mesures contre José Ricardo de Prada, qui siège à l’Audience nationale. Lors d’une table ronde organisée par le conseil municipal de Tolosa (province du Guipúscoa), ce juge avait dit partager les préoccupations d’organisations internationales de défense des droits humains, qui s’inquiétaient des obstacles entravant l’efficacité des enquêtes sur les affaires de torture en Espagne. En outre, le ministère public a soutenu une requête introduite par l’Association des victimes de terrorisme demandant qu’il soit dessaisi de deux affaires pénales du fait de son manque présumé d’impartialité. L’Audience nationale a rejeté les deux demandes de mesures à l’encontre du magistrat en juin.

En 2016, l’Audience nationale a rendu 22 jugements de culpabilité contre 25 personnes accusées d’apologie du terrorisme. La plupart de ces décisions faisaient suite à l’opération « Araignée », axée notamment sur l’interception de messages publiés sur les réseaux sociaux. Entre avril 2014 et avril 2016, 69 personnes ont été arrêtées dans le cadre de cette opération. Certaines ont été détenues au secret, régime de détention dont l’utilisation par l’Espagne a été critiquée par des organes des droits humains de l’ONU, car le pays l’appliquait pendant une durée excessive et en l’absence des garanties adéquates.

Torture et autres mauvais traitements

Des cas de torture et d’autres mauvais traitements, notamment de recours excessif à la force de la part d’agents de la force publique, ont de nouveau été signalés tout au long de l’année. Les enquêtes ouvertes sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements n’étaient pas toujours efficaces ni approfondies.

En janvier, le juge d’instruction chargé du dossier de Juan Antonio Martínez González, mort à Cadix le 4 avril 2015 des suites des blessures subies alors que des agents des forces de l’ordre le maîtrisaient, a rendu sa décision. Il a conclu que rien ne venait étayer les accusations portées contre les agents, soupçonnés d’avoir eu recours à des moyens de contrainte interdits ou outrepassé leurs prérogatives durant l’intervention. À la fin de l’année, un appel interjeté contre cette décision devant le tribunal provincial de Cadix avait été déclaré recevable.

En mai, dans l’affaire Beortegui Martinez c. Espagne, la Cour européenne des droits de l’homme a une nouvelle fois jugé que l’Espagne avait enfreint l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements, parce qu’elle n’avait pas enquêté de façon efficace et exhaustive sur les allégations de tortures infligées à des personnes détenues au secret. Il s’agissait du 7e arrêt en ce sens rendu contre l’Espagne.

En mai, dans l’affaire concernant Ester Quintana, qui a perdu un œil en novembre 2012 après avoir été touchée par une balle en caoutchouc tirée par la police autonome de Catalogne lors d’une manifestation à Barcelone, deux policiers ont été jugés par le tribunal provincial de Barcelone. À l’issue du procès, ils ont tous les deux été acquittés, le tribunal n’ayant pas réussi à identifier l’auteur du tir.

En juillet, la Cour suprême a partiellement annulé la déclaration de culpabilité prononcée par l’Audience nationale contre Saioa Sánchez en décembre 2015.

Saioa Sánchez et deux autres accusés avaient été déclarés coupables d’infractions terroristes par l’Audience nationale. Dans le recours qu’elle avait présenté devant la Cour suprême, Saioa Sánchez affirmait que l’Audience nationale avait refusé d’enquêter pour savoir si les déclarations l’incriminant faites par l’un des coaccusés, Iñigo Zapirain, avaient été extorquées sous la contrainte. La Cour suprême a ordonné la tenue d’un nouveau procès, demandant que soit respecté le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) afin d’évaluer la véracité du témoignage d’Iñigo Zapirain. Cette décision tenait compte des préoccupations exprimées par des organes internationaux de protection des droits humains, qui s’inquiétaient d’une certaine impunité, de l’inefficacité et du manque de rigueur des enquêtes, ainsi que des problèmes de qualité et de fiabilité des expertises médicolégales.

Droits des réfugiés et des migrants

Le nombre d’arrivées irrégulières de réfugiés et de migrants qui rejoignaient les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla depuis le Maroc en franchissant les clôtures séparant les deux pays a diminué par rapport à 2015. En revanche, le nombre global des arrivées, dont celles enregistrées aux postes-frontières officiels, a augmenté. Cette année encore, les forces de l’ordre espagnoles de Ceuta et Melilla ont procédé à des expulsions collectives vers le Maroc. Le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile en Espagne n’était toujours pas satisfaisant ; le nombre de places disponibles dans les centres d’accueil officiels était trop faible et l’assistance portée à celles et ceux qui étaient hébergés ailleurs insuffisante. L’Espagne n’avait pas mis en œuvre les directives européennes relatives aux personnes apatrides, aux procédures d’asile et aux conditions d’accueil. Six années après son entrée en vigueur, la Loi relative à l’asile n’était toujours pas appliquée. En conséquence, les personnes en quête d’asile n’avaient pas accès de façon égale partout dans le pays à l’assistance à laquelle elles avaient droit. Entre les mois de janvier et d’octobre, 12 525 demandes d’asile (données d’Eurostat) ont été déposées en Espagne, contre 4 513 en 2013. Le traitement de ces demandes accusait de plus en plus de retard et on dénombrait 29 845 dossiers en attente en août.

Au moins 60 personnes originaires d’Afrique subsaharienne, arrivées sur le territoire espagnol en franchissant les clôtures séparant Ceuta du Maroc, ont été expulsées collectivement le 9 septembre. Avant d’être renvoyées, certaines ont été frappées par des agents marocains qui s’étaient introduits dans la zone située entre les clôtures, qui est en territoire espagnol. Plusieurs de ces personnes expulsées vers le Maroc ont été blessées lors du franchissement des clôtures ou à cause des coups reçus.

Alors que, dans le cadre de dispositifs de réinstallation, l’Espagne avait accepté d’accueillir 1 449 personnes en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, seules 289, toutes syriennes, étaient arrivées sur son sol en décembre. De même, toujours en décembre, on ne recensait que 363 personnes relocalisées dans le pays, alors que l’Espagne s’était engagée à accueillir, au titre du programme de relocalisation de l’UE, 15 888 personnes ayant besoin d’une protection internationale et se trouvant en Italie et en Grèce.

Impunité

Cette année encore, les autorités espagnoles ont refusé de coopérer avec le pouvoir judiciaire argentin dans le cadre des enquêtes menées sur les crimes de droit international commis pendant la guerre d’Espagne et sous le régime de Franco. Elles ont entravé les investigations du parquet argentin dans l’action collective dite de la « querelle argentine », l’empêchant de recueillir les déclarations de certaines victimes et des 19 accusés. Dans une circulaire datée du 30 septembre, le Bureau du procureur général a ordonné aux services territoriaux du ministère public de refuser de procéder aux informations judiciaires demandées par le parquet argentin, au motif qu’il n’était pas possible d’enquêter sur les crimes signalés, notamment les disparitions forcées et les actes de torture, en vertu de la Loi d’amnistie (entre autres textes législatifs) et du fait des délais de prescription.

Discrimination – santé des migrants

Les mesures d’austérité continuaient d’être préjudiciables aux droits humains, en particulier en ce qui concerne l’accès de certains des groupes les plus vulnérables à une protection sociale et aux services de santé. La Cour constitutionnelle a déclaré conforme à la Constitution la loi adoptée en 2012 qui restreignait l’accès gratuit aux soins, y compris aux soins de santé primaires, pour les migrants sans papiers. Ce nouveau texte a privé 748 835 migrants de leur carte de santé, bloquant leur accès au système de santé ou le limitant sévèrement, voire mettant leur vie en danger dans certains cas. Cela a eu un impact particulier sur les femmes, en raison des obstacles à l’information et aux services en matière de santé sexuelle et reproductive.

Droit au logement

Les sommes allouées par l’État au logement ont baissé de plus de 50 % entre 2008 et 2015, tandis que les procédures de saisie de biens hypothéqués étaient toujours aussi nombreuses. D’après des statistiques publiées par le Conseil général du pouvoir judiciaire, on dénombrait en septembre 2016 19 714 expulsions forcées dues à l’exécution d’une hypothèque et 25 688 expulsions pour impayés de loyers. Aucun chiffre officiel sur le nombre de personnes touchées par ces procédures de saisie en Espagne n’était toutefois disponible. Il n’existait pas non plus de données ventilées selon le sexe et l’âge, ce qui rendait impossible l’adoption de mesures de protection des personnes les plus vulnérables. Les propriétaires confrontés à une procédure de saisie immobilière n’avaient toujours pas accès à des voies de recours satisfaisantes pour faire valoir en justice leur droit au logement.

Violences faites aux femmes et aux filles

En décembre, selon les chiffres du ministère de la Santé, des Services sociaux et de l’Égalité, 44 femmes avaient été tuées par leur partenaire ou ancien partenaire. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi relative aux mesures de protection intégrale contre les violences liées au genre et l’établissement de tribunaux spécialisés dans les affaires de violences à l’égard des femmes en 2004, les répercussions de ce texte n’ont pas fait l’objet d’un examen participatif et transparent, en dépit de doutes quant à l’efficacité des poursuites judiciaires et à la pertinence des mesures de protection des victimes.

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