Rapport annuel 2017

Ukraine

Ukraine
Chef de l’État : Petro Porochenko
Chef du gouvernement : Volodymyr Hroïsman (a remplacé Arseniy Iatseniouk en avril)

Des combats de faible intensité se sont poursuivis dans l’est de l’Ukraine, les deux camps se rendant responsables de violations de l’accord de cessez-le-feu. Les forces ukrainiennes et les combattants séparatistes pro-russes jouissaient toujours de l’impunité pour les atteintes au droit international humanitaire – y compris des crimes de guerre – commises, telles que les actes de torture. Les autorités ukrainiennes et celles contrôlant les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Louhansk se sont livrées à des arrestations illégales de personnes considérées comme favorables au camp adverse, notamment pour les utiliser dans le cadre d’échanges de prisonniers. Destiné à enquêter sur les violations commises par l’armée et les responsables de l’application des lois, le Bureau national d’enquête a enfin été officiellement créé, mais il n’était toujours pas opérationnel à la fin de l’année. La presse et les militants indépendants ne pouvaient pas travailler librement sur les territoires des républiques populaires de Donetsk et de Louhansk. Dans les territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien, les médias considérés comme pro-russes faisaient l’objet d’actes de harcèlement. Kiev, la capitale, a accueilli la plus importante marche des fiertés de son histoire. Cette manifestation en faveur des droits des personnes LGBTI a obtenu le soutien de la ville et a bénéficié d’une protection effective de la police. En Crimée, le pouvoir en place a poursuivi sa campagne de répression de toute dissidence pro-ukrainienne. S’appuyant de plus en plus sur la législation russe de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, il a engagé des poursuites pénales contre des dizaines de personnes coupables à ses yeux de ne pas lui être favorables.

Contexte

Le 12 avril, après deux mois d’une crise politique marquée par la démission au sein du gouvernement de plusieurs responsables politiques réformateurs, en raison, selon eux, d’une corruption généralisée, le Parlement a accepté la démission d’Arseniy Iatseniouk. Celui-ci a été remplacé par Volodymyr Hroïsman.

Des combats sporadiques et des échanges de tirs ont continué de se produire entre les forces gouvernementales et les combattants séparatistes soutenus par la Russie. Des civils ont cette année encore été tués ou blessés par balle ou par des éclats d’obus ou des munitions qui n’avaient pas explosé. Selon les estimations de la Mission de surveillance des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine, depuis 2014, le conflit avait fait plus de 9 700 morts, dont environ 2 000 civils, et au moins 22 500 blessés.

La Cour pénale internationale (CPI) a publié le 14 novembre son premier examen préliminaire de la situation en Ukraine. Elle concluait que « la situation au sein du territoire de la Crimée et de Sébastopol constitu[ait] un conflit armé international entre l’Ukraine et la Fédération de Russie » et que la somme des renseignements disponibles « laiss[ait] supposer l’existence d’un conflit armé international dans le contexte des hostilités survenues dans l’est de l’Ukraine ». Un amendement à la Constitution différant pour une période de trois ans la ratification du Statut de Rome de la CPI a été adopté au mois de juin.

Les autorités ukrainiennes continuaient de limiter très sévèrement les déplacements des personnes habitant dans les régions tenues par les séparatistes de Donetsk et de Louhansk et souhaitant se rendre en territoire contrôlé par le gouvernement.

Les autorités russes ont organisé en Crimée des élections législatives, dont la légitimité n’a pas été reconnue par la communauté internationale.

Affectée par le conflit, l’économie a néanmoins connu un timide redémarrage, avec une progression de 1 % du PIB. Les prix des prestations et des services de base, comme le chauffage et l’eau, ont continué d’augmenter, aggravant la baisse du niveau de vie de la majorité de la population. Dans les secteurs contrôlés par les séparatistes, les conditions de vie ont également continué de se dégrader.

Torture et autres mauvais traitements

La procédure visant à traduire en justice les responsables de l’application des lois à l’origine de l’usage abusif de la force lors des manifestations de l’Euromaïdan, qui avaient eu lieu à Kiev en 2013-2014, avançait très lentement. L’enquête se heurtait à des obstacles administratifs. Le 24 octobre, le procureur général a réduit les effectifs et les prérogatives du service spécialement chargé d’enquêter sur les abus commis dans le cadre de l’Euromaïdan, et a mis en place une nouvelle unité exclusivement chargée de mener des investigations sur le rôle de l’ancien président de la République Viktor Ianoukovitch et de son proche entourage.

Destiné à enquêter sur les violations commises par l’armée et les responsables de l’application des lois, le Bureau national d’enquête a été officiellement créé en février, mais la désignation de son directeur, qui devait se faire dans le cadre d’une procédure de recrutement ouverte, n’avait toujours pas eu lieu à la fin de l’année.

Le Sous-comité pour la prévention de la torture [ONU] a suspendu le 25 mai sa visite en Ukraine, après le refus des services de sécurité ukrainiens (SBU) de l’autoriser à visiter certains de ses centres situés dans l’est du pays – centres où, selon certaines informations, des personnes étaient secrètement détenues, et torturées ou autrement maltraitées. Le Sous-comité a repris et terminé sa visite en septembre, et a rédigé un rapport dont les autorités ukrainiennes n’ont pas autorisé la publication.

Disparition forcée

L’avocat Iouri Grabovski a disparu le 6 mars. Son corps a été retrouvé le 25 du même mois. Avant sa disparition, il s’était plaint d’actes d’intimidation et de harcèlement dont il aurait été victime de la part des autorités ukrainiennes, qui cherchaient apparemment à le faire renoncer à défendre l’un de ses clients. Ce dernier avait été capturé avec un autre homme dans l’est de l’Ukraine par les forces régulières ukrainiennes ; ces deux individus étaient accusés d’être des militaires russes. Le procureur militaire en chef de l’Ukraine a annoncé lors d’une conférence de presse, le 29 mars, que deux suspects avaient été arrêtés dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de Iouri Grabovski. À la fin de l’année, ces deux hommes étaient toujours en détention provisoire et l’enquête était en cours.

Arrestations et détentions arbitraires

Les autorités ukrainiennes et les forces séparatistes de l’est de l’Ukraine se sont livrées à des détentions illégales dans les territoires qu’elles contrôlaient respectivement. Les civils soupçonnés d’être favorables au camp adverse étaient utilisés pour des échanges de prisonniers. Ceux dont personne ne voulait restaient en détention, souvent clandestine, pendant des mois, sans le moindre recours juridique ni la moindre perspective de libération.

Enlevé et placé en détention secrète, Kostiantin Bezkorovaïnyi est rentré chez lui le 25 février. Son cas avait fait l’objet d’une campagne internationale, qui avait débouché sur la reconnaissance officielle indirecte de sa détention. Le procureur militaire en chef de l’Ukraine a promis en juillet qu’une enquête digne de ce nom serait menée sur ses allégations selon lesquelles il aurait été victime d’une disparition forcée, de torture et de détention secrète pendant 15 mois aux mains du SBU. L’enquête n’avait toutefois produit aucun résultat concret à la fin de l’année.

Des dizaines de personnes ont été placées en détention secrète dans les locaux du SBU à Marioupol, Pokrovsk, Kramatorsk, Izioum et Kharkiv, ainsi, peut-être, que dans d’autres localités. Certaines d’entre elles ont été échangées contre des prisonniers détenus par les séparatistes. Amnesty International et Human Rights Watch ont reçu de trois sources distinctes les noms de 16 personnes présentées indépendamment par chacune de ces trois sources comme étant détenues secrètement par le SBU à Kharkiv depuis 2014 ou 2015. La liste de ces noms a été communiquée aux autorités ukrainiennes. Au moins 18 personnes, parmi lesquelles figuraient ces 16 prisonniers, ont été discrètement relâchées par la suite, sans que leur détention n’ait jamais été reconnue officiellement. Trois d’entre elles, Viktor Achykhmine, Mykola Vakarouk et Dmytro Koroliov, ont décidé de protester publiquement et de porter plainte.

Les « ministères de la Sûreté de l’État » mis en place dans les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Louhansk ont fait usage des pouvoirs que leur conféraient les « décrets » pris par les autorités locales pour placer en détention arbitraire certaines personnes pour une durée pouvant atteindre 30 jours, en reconduisant plusieurs fois cette mesure. Igor Kozlovskyi (arrêté le 27 janvier) et Volodymyr Fomitchev (arrêté le 4 janvier) ont été tous deux accusés de détention illégale d’armes, ce qu’ils niaient, et de « soutien » au « camp ukrainien ». Le 16 août, un tribunal de Donetsk a condamné Volodymyr Fomitchev à deux ans d’emprisonnement. À la fin de l’année, Igor Kozlovskyi était toujours en détention provisoire.

Personnes déplacées

Dans son examen de la situation en Ukraine en 2016, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a fait part de sa préoccupation concernant les difficultés que rencontraient les personnes déplacées. Il déplorait notamment le fait que le versement des prestations sociales, telles que les retraites, soit conditionné au statut de personne déplacée et de résident dans les régions contrôlées par le gouvernement ukrainien.

Liberté d’expression – journalistes

Les organes de presse considérés comme pro-russes ou favorables aux séparatistes, notamment ceux qui critiquaient tout particulièrement les autorités, étaient soumis à des actes de harcèlement, y compris à des menaces de fermeture ou à des violences physiques. La chaîne de télévision Inter a été menacée à plusieurs reprises de fermeture par le ministère de l’Intérieur. Le 4 septembre, une quinzaine d’hommes masqués ont tenté, sans succès, de pénétrer de force dans les locaux de la chaîne, à laquelle ils reprochaient d’avoir une couverture de l’actualité trop favorable aux Russes. Ils ont ensuite lancé des cocktails Molotov dans le bâtiment, provoquant un début d’incendie.

Le permis de travail du très populaire présentateur de télévision Savik Shuster (qui possède la double nationalité italienne et canadienne) a été invalidé par les services ukrainiens de l’immigration, en violation de la procédure en vigueur. La cour d’appel de Kiev l’a rétabli le 12 juillet. L’administration fiscale a ensuite engagé des poursuites pénales contre 3STV, la chaîne de télévision de Savik Shuster. Le 1er décembre, ce dernier a finalement décidé de fermer cette chaîne, en raison des pressions subies et par manque d’argent.

Rouslan Kotsaba, journaliste indépendant et blogueur originaire d’Ivano-Frankivsk, a été condamné le 12 mai à trois ans et demi d’emprisonnement pour « obstruction aux activités légitimes des forces armées ukrainiennes pendant l’état d’exception ». Il avait été arrêté en 2015 après avoir mis en ligne sur YouTube une vidéo dans laquelle il demandait l’arrêt immédiat des combats dans le Donbass et appelait les hommes ukrainiens à l’insoumission à la conscription. Le 12 juillet, il a été acquitté en appel de tous les chefs d’accusation et immédiatement remis en liberté.

Le 20 juillet, à Kiev, le journaliste Pavel Cheremet a été tué par l’explosion d’une bombe dissimulée dans la voiture qu’il conduisait. Les coupables n’avaient pas été identifiés à la fin de l’année. L’enquête sur l’assassinat du journaliste Oles Bouzina, abattu en 2015 par deux hommes masqués, n’avait pas non plus donné de résultat.

Les journalistes exprimant des opinions pro-ukrainiennes ou travaillant pour des organes de presse ukrainiens ne pouvaient pas exercer ouvertement leur métier dans les zones contrôlées par les séparatistes et en Crimée. Une équipe de la chaîne de télévision russe indépendante Dojd TV a été arrêtée à Donetsk et renvoyée en Russie par le ministère de la Sûreté de l’État après avoir enregistré une interview avec un ancien commandant séparatiste.

En Crimée, les journalistes indépendants ne pouvaient pas travailler ouvertement. Les journalistes venant de l’Ukraine continentale ne pouvaient pas se rendre dans la péninsule et étaient refoulés à la frontière de facto. Les journalistes et les blogueurs locaux qui dénonçaient l’occupation russe et l’annexion illégale de la Crimée s’exposaient à des poursuites. Rares étaient d’ailleurs ceux qui osaient s’exprimer sur la question. Mykola Semena, un journaliste chevronné, faisait l’objet d’une information judiciaire pour « extrémisme » – il risquait jusqu’à sept ans d’emprisonnement – et d’une mesure de restriction de ses déplacements. Il avait publié en ligne sous un pseudonyme un article dans lequel il se disait favorable au « blocus » de la Crimée par les militants pro-ukrainiens, qu’il considérait comme une mesure nécessaire pour obtenir le « retour » de la péninsule dans le giron ukrainien. Il a été qualifié officiellement de « sympathisant de l’extrémisme », et son compte en banque a été bloqué. L’enquête le concernant était toujours en cours à la fin de l’année.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées

Le 19 mars, un tribunal de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, a estimé que le Festival de l’égalité LGBTI ne pouvait pas se tenir dans la rue, pour des raisons de sécurité publique. Les organisateurs ont alors décidé de maintenir la manifestation, mais dans une salle. Cette salle a été attaquée le 20 mars par un groupe de militants d’extrême droite masqués. Cette agression n’a apparemment fait aucun blessé, mais les organisateurs ont été contraints d’annuler l’événement.

Une marche des fiertés LGBTI, organisée avec le soutien des autorités de Kiev et bénéficiant d’une importante protection policière, s’est déroulée dans le centre de la capitale le 12 juin. Quelque 2 000 personnes y ont participé, ce qui en faisait la plus importante manifestation de ce genre jamais organisée en Ukraine6.

Crimée

Aucune des disparitions forcées qui ont eu lieu à la suite de l’occupation russe n’a fait l’objet d’une véritable enquête. Membre du Congrès mondial des Tatars de Crimée, Ervin Ibraguimov, a été victime, le 24 mai, d’une disparition forcée près de son domicile de Bakhtchissaraï, dans le centre de la Crimée. Des images filmées par une caméra de sécurité montrent des hommes en uniforme le faisant monter de force à bord d’un minibus, puis l’emmenant vers une destination inconnue. Une enquête a été ouverte, mais elle n’avait pas progressé à la fin de l’année.

Les restrictions déjà draconiennes pesant sur les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique ont été encore renforcées. Les sites Internet de certains des organes de presse indépendants contraints les années précédentes d’aller s’installer en Ukraine continentale ont été bloqués par les autorités de facto en Crimée. Le 7 mars, le maire de Simferopol, la capitale de la péninsule, a interdit tous les rassemblements publics autres que ceux organisés par les autorités.

Les Tatars de Crimée étaient toujours les premières victimes de la campagne menée par le pouvoir de facto pour faire disparaître les dernières traces de dissidence pro-ukrainienne. Élu lors d’une rencontre informelle ayant eu lieu à Kouroultaï, le Mejlis du peuple des Tatars de Crimée, destiné à représenter la communauté tatare, a été suspendu le 18 avril, pour être finalement interdit le 26 avril par une décision de justice le qualifiant « d’extrémiste ». Cette interdiction a été confirmée le 29 septembre par la Cour suprême de la Fédération de Russie.

Le procès du vice-président du Mejlis, Ahtem Tchiïgoz, s’est poursuivi. Celui-ci était accusé, sur la base d’éléments forgés de toutes pièces, d’avoir organisé des « troubles de grande ampleur » le 26 février 2014, à Simferopol (il s’agissait en fait d’un rassemblement essentiellement pacifique qui avait eu lieu à la veille de l’occupation russe, et qui avait été marqué par quelques affrontements entre manifestants pro-russes et pro-ukrainiens). Il était interné dans un centre de détention provisoire situé à proximité du tribunal, et n’était autorisé à participer aux audiences que par liaison vidéo, sous prétexte qu’il représentait un « danger ». Ahtem Tchiïgoz continuait de figurer au nombre des prisonniers d’opinion détenus en Crimée. Ali Assanov et Moustafa Deguermendji étaient eux aussi maintenus en détention provisoire parce qu’ils auraient participé à ces mêmes « troubles de grande ampleur » le 26 février 2014.

Les autorités russes se sont livrées à des perquisitions et à des arrestations dans la communauté des Tatars de Crimée (qui sont dans leur majorité musulmans), accusant les personnes visées de détenir des « documents extrémistes » ou d’appartenir à l’organisation islamiste Hizb ut-Tahrir. Au moins 19 hommes ont été arrêtés pour appartenance présumée à cette organisation. Quatre d’entre eux, originaires de Sébastopol, ont été traduits devant un tribunal militaire siégeant en Russie, en violation des règles de droit international humanitaire relatives aux territoires occupés. Ils ont été condamnés à des peines allant de cinq à sept ans d’emprisonnement. Pendant leur procès, presque tous les témoins à charge ont tenté de se rétracter, affirmant que leurs déclarations initiales avaient été extorquées par les services de sécurité russes, qui les auraient menacés de poursuites judiciaires.

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