Résister face à la politique de la haine Par Salil Shetty secrétaire général d’Amnesty International

Il y a peu de temps encore, on trouvait qu’il était trop alarmant de comparer les événements politiques actuels aux jours sombres qu’a connus l’Europe dans les années 1930.

Aujourd’hui, on n’hésite plus à poser ouvertement la question de savoir si nous vivons des temps aussi dangereux que ceux qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale.

Aux États-Unis comme en Hongrie, au Royaume-Uni comme aux Philippines, des dirigeants et des mouvements politiques propagent ouvertement de dangereux discours avançant que certaines personnes sont moins humaines que d’autres.

Le rapport annuel d’Amnesty International ne fait pas seulement état de la montée des propos haineux, il parle aussi de la résistance. Partout dans le monde, des personnes refusent de s’abandonner au fatalisme et réagissent, en se dressant contre les gouvernements et en leur demandant des comptes.

Le rapport annuel d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde montre que nous assistons déjà aux conséquences très concrètes de cette tendance, avec des réfugiés contraints de vivre dans des conditions sordides et des opérations de répression des forces de sécurité échappant à tout contrôle et visant certains groupes de personnes en raison de leur religion ou de leur appartenance ethnique. Parallèlement à cela, nous voyons sur les écrans des atrocités commises massivement, comme les bombardements d’hôpitaux à Alep, mais le monde ne prend pas les mesures nécessaires pour faire face à ces horreurs. Pendant les toutes premières semaines du mandat du président Donald Trump, nous avons vu le plus puissant pays du monde tenter de traduire concrètement dans sa politique la diabolisation des musulmans et des réfugiés.

Ce type de politique pernicieuse et clivante rappelle d’autres temps.
S’il y a une leçon à tirer du passé, c’est qu’il ne faut pas rester silencieux face à de telles tendances. Les responsables d’atteintes aux droits humains comptent souvent sur un petit groupe pour faire la sale besogne, et comptent aussi sur le fait que le reste de la population gardera le silence et ne se mettra pas en travers de leur chemin.

Or, même aux heures les plus sombres de notre histoire, des personnes courageuses se sont dressées contre eux. Si l’on veut faire changer les choses, il faut se dresser contre ces agissements.

Le rapport annuel d’Amnesty International ne fait pas seulement état de la montée des propos haineux, il parle aussi de la résistance. Partout dans le monde, des personnes refusent de s’abandonner au fatalisme et réagissent, en se dressant contre les gouvernements et en leur demandant des comptes.
Sur les côtes méditerranéennes de l’Europe, ce sont des gens ordinaires qui ont fait preuve d’une compassion dont leurs dirigeants étaient dépourvus. Alors que les gouvernements européens abandonnent les réfugiés qui se trouvent en mer, des habitants d’îles grecques, nominés pour le prix Nobel de la paix l’an dernier, ont ouvert les portes de leur maison et laissé parler leur cœur.

En Afrique, des mouvements citoyens ont vu le jour – y compris dans des pays où cela semblait impensable il y a quelques années seulement – encourageant et canalisant les appels de la population en faveur du respect des droits et de la justice. En Gambie, le résultat surprenant des élections a mis fin à 22 années de peur, montrant ainsi ce qu’il est possible d’obtenir quand les gens se dressent pour défendre leurs libertés.

Aux États-Unis, des centaines de milliers de militants pacifiques se sont dressés contre des pratiques intolérables. Le mouvement Black Lives Matter est descendu dans la rue et a fait face à opérations de police militarisées, et les manifestants se définissant comme des protecteurs de l’eau à Standing Rock ont fait preuve de détermination alors qu’il aurait été plus facile de céder face aux matraques et aux véhicules blindés. Et le mois dernier, des milliers de personnes se sont rassemblées dans les aéroports pour s’opposer à une interdiction frappant des réfugiés et des migrants, qu’ils savaient d’instinct indéfendable.

En Chine, malgré des mesures de harcèlement et d’intimidation systématiques, des militants ont trouvé le moyen de commémorer en ligne la répression du mouvement de Tiananmen. Ils ont publié sur Internet une publicité pour un alcool très consommé en Chine, dont l’étiquette indiquait « Souvenez-vous, Huit Alcool Six Quatre », un jeu de mot en chinois faisant référence au 4 juin 1989 (le mot alcool se prononçant comme le chiffre neuf), avec une illustration rappelant la célèbre photo d’un homme se tenant face aux chars.

Cette image d’un homme se dressant face à une colonne de chars illustre parfaitement l’esprit militant dont nous avons actuellement besoin. Iesha Evans, la jeune femme qui l’été dernier, lors des manifestations à Baton Rouge, est restée sereine, debout face à des policiers antiémeutes qui s’apprêtaient à l’arrêter, nous a prouvé que cet esprit de résistance n’a pas disparu.

Nous ne devons pas oublier cette leçon tirée de l’histoire, qui nous enseigne que lorsque des dirigeants tentent de semer la division et de diaboliser et réprimer des groupes de la population, il y aura toujours des personnes qui se dresseront contre ces pratiques. La construction d’un mouvement durable pour le changement commence avec un simple acte de résistance. Il n’a jamais été aussi urgent de réagir et de résister.

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