Rapport annuel 2017

Yémen

République du Yémen
Chef de l’État : Abd Rabbu Mansour Hadi
Chef du gouvernement : Ahmed Obeid bin Daghr (a remplacé Khaled Bahah en avril)

Toutes les parties au conflit armé qui s’est poursuivi ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international, en toute impunité. La coalition emmenée par l’Arabie saoudite et qui soutenait le gouvernement internationalement reconnu a bombardé des hôpitaux et d’autres infrastructures civiles, et mené des attaques aveugles qui ont fait des morts et des blessés parmi les civils. Le groupe armé des Houthis et les forces qui lui sont alliées ont bombardé sans discernement des zones habitées par des civils dans la ville de Taizz ; ils ont mené aussi des attaques transfrontalières, procédant à des tirs d’artillerie aveugles en direction de l’Arabie saoudite, qui ont tué et blessé des civils. Les Houthis et leurs alliés ont imposé des restrictions sévères aux droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique dans les régions sous leur contrôle. Ils ont arrêté de manière arbitraire des personnes qui les critiquaient ou qu’ils considéraient comme leurs opposants, notamment des journalistes et des défenseurs des droits humains, et ont contraint des ONG à fermer. Des détenus ont été victimes de disparition forcée ou soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements. Les femmes et les filles continuaient de subir de profondes discriminations et d’autres atteintes à leurs droits fondamentaux, notamment le mariage forcé et les violences au sein de la famille. La peine de mort a été maintenue. Aucune information n’a été rendue publique sur les condamnations à mort et les exécutions.

Contexte

Le conflit armé opposant le gouvernement internationalement reconnu du président Hadi, soutenu par une coalition internationale emmenée par l’Arabie saoudite, au groupe armé des Houthis et à leurs alliés, parmi lesquels figuraient des unités de l’armée restées fidèles à l’ancien président Ali Abdullah Saleh, s’est poursuivi tout au long de l’année. Les Houthis et les forces loyales à l’ancien président Saleh contrôlaient toujours la capitale, Sanaa, et d’autres régions du pays. Le gouvernement du président Hadi contrôlait des régions du sud du Yémen, notamment les gouvernorats de Lahj et d’Aden.

Le groupe armé Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), qui contrôlait toujours des zones du sud du Yémen, a perpétré des attentats à l’explosif à Aden et dans la ville portuaire de Mukalla, que les forces gouvernementales ont reprise en avril. L’armée des États-Unis a poursuivi ses tirs de missiles contre les combattants de l’AQPA. Le groupe armé État islamique (EI) a également commis des attentats à l’explosif à Aden et à Mukalla visant essentiellement des responsables gouvernementaux et les forces gouvernementales.

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 4 125 civils, dont plus de 1 200 enfants, ont été tués et plus de 7 000 autres blessés depuis le début du conflit, en mars 2015. Faisant le point sur la situation en octobre, le Bureau de l’ONU de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a indiqué que plus de 3,27 millions de personnes avaient été déplacées par le conflit et que près de 21,2 millions, soit 80 % de la population du Yémen, dépendaient de l’aide humanitaire.

Des pourparlers de paix entre les parties au conflit ont débuté en avril au Koweït, sous l’égide des Nations unies ; ils se sont accompagnés d’une brève accalmie dans les combats, qui se sont cependant intensifiés après l’échec des négociations, le 6 août. Le secrétaire d’État américain John Kerry a annoncé le 25 août une « nouvelle approche des négociations », qui n’avait débouché sur aucun résultat clair à la fin de l’année.

Les Houthis et leurs alliés ont désigné un Conseil politique suprême de 10 membres pour gouverner le Yémen, lequel, à son tour, a chargé l’ancien gouverneur d’Aden, Abdulaziz bin Habtoor, de former un gouvernement de « salut national ». En septembre, le président Hadi a ordonné le transfert de la Banque centrale de Sanaa à Aden, ce qui a aggravé la crise fiscale due à la diminution de ses réserves – ainsi que la crise humanitaire, en réduisant la capacité du gouvernement de facto des Houthis à Sanaa d’importer des denrées alimentaires essentielles, du carburant et des fournitures médicales.

Conflit armé

Exactions perpétrées par des groupes armés

Les Houthis et leurs alliés, dont les unités de l’armée fidèles à l’ancien président Saleh, ont régulièrement commis des violations du droit international humanitaire, notamment des attaques aveugles et disproportionnées. Ils ont mis en danger les civils dans les régions qu’ils contrôlaient en lançant des attaques à partir des alentours d’écoles, d’hôpitaux et d’habitations, exposant les résidents à des attaques des forces progouvernementales, notamment des frappes aériennes de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Ils ont également utilisé sans discernement des armes explosives à large champ d’action, dont des obus de mortier et d’artillerie, en direction de zones habitées qui étaient contrôlées ou revendiquées par leurs opposants, tout particulièrement à Taizz, tuant et blessant des civils. Selon certaines sources, en novembre, les Houthis et leurs alliés avaient perpétré au moins 45 attaques illégales à Taizz, qui avaient fait de très nombreux morts et blessés parmi les civils. Les Nations unies ont indiqué que 10 civils, dont six enfants, ont été tués et 17 autres blessés à la suite d’une attaque menée le 4 octobre dans une rue proche du marché Bir Basha. Les Houthis et leurs alliés ont également continué de poser des mines terrestres antipersonnel interdites au niveau international, qui ont provoqué des pertes civiles. Cette année encore, ils ont enrôlé et utilisé des enfants soldats. En juin, le secrétaire général des Nations unies a annoncé que les Houthis étaient responsables de 72 % des 762 cas vérifiés de recrutement d’enfants soldats dans le cadre du conflit.

À Sanaa et dans d’autres régions qu’ils contrôlaient, les Houthis et leurs alliés ont arrêté et détenu de manière arbitraire des personnes qui les critiquaient ou qu’ils considéraient comme leurs opposants, ainsi que des journalistes, des défenseurs des droits humains et des membres de la communauté baha’i ; beaucoup ont été victimes de disparition forcée. De nombreuses personnes ont été arrêtées par des hommes armés appartenant à Ansarullah, la branche politique des Houthis, à leur domicile, sur leur lieu de travail, à des postes de contrôle ou dans des lieux publics tels que des mosquées. Ces arrestations ont eu lieu sans mandat judiciaire ni motif officiel, et sans que soit révélé le lieu où les personnes étaient emmenées ou allaient être détenues.

De nombreux détenus ont été retenus dans des lieux non officiels, y compris des habitations privées, sans être informés des motifs de leur détention et sans avoir la possibilité d’en contester la légalité ; ils n’avaient notamment pas la possibilité de consulter un avocat ni de saisir les tribunaux. Certains ont été victimes de disparition forcée et incarcérés dans des lieux tenus secrets. Les Houthis refusaient de reconnaître leur détention, de fournir des informations à leur sujet ou de les autoriser à rencontrer un avocat et leurs proches. Des détenus ont été torturés et maltraités. En février, une famille a raconté qu’elle avait vu des gardes battre l’un de ses proches dans le centre de détention de la Sécurité politique à Sanaa.

Les forces anti-Houthis et leurs alliés ont mené une campagne de harcèlement et d’intimidation contre le personnel des hôpitaux, et mis en danger des civils en stationnant des combattants et en établissant des positions militaires à proximité d’établissements médicaux, en particulier lors des combats dans la ville de Taizz, dans le sud du pays. Trois hôpitaux au moins ont dû fermer en raison des menaces lancées contre leur personnel.

Par ailleurs, les Houthis et leurs alliés ont restreint la liberté d’association dans les zones qu’ils administraient de facto.

Violations perpétrées par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite

La coalition internationale qui soutenait le gouvernement du président Hadi a commis des violations graves du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, en toute impunité. Le blocus aérien et maritime partiel qu’elle imposait a restreint davantage encore l’importation de nourriture et d’autres produits de première nécessité, ce qui a exacerbé la crise humanitaire due au conflit et empêché les vols commerciaux à destination de Sanaa.

Les frappes aériennes de la coalition visant des régions contrôlées ou revendiquées par les Houthis et leurs alliés, tout particulièrement dans les gouvernorats de Sanaa, d’Hajjah, d’Hodeida et de Saada, ont fait des milliers de morts et de blessés parmi les civils. De nombreuses attaques visaient des cibles militaires, mais d’autres étaient disproportionnées ou aveugles, ou visaient directement des personnes et des biens civils, notamment des rassemblements pour des funérailles, des hôpitaux, des écoles, des marchés et des usines. Certaines attaques de la coalition ont visé des infrastructures stratégiques, comme des ponts, des installations de distribution d’eau et des tours de télécommunications. Le principal pont sur la route reliant Sanaa à Hodeida a été détruit en août. Certaines attaques de la coalition constituaient des crimes de guerre.

En août, l’ONG humanitaire Médecins sans frontières (MSF) a déclaré qu’elle avait perdu « confiance dans la capacité de la coalition d’éviter des attaques meurtrières ». MSF a retiré son personnel de six hôpitaux dans le nord du Yémen après qu’un avion de la coalition eut bombardé pour la quatrième fois en un an une structure de soins qu’elle soutenait ; cette attaque a fait 19 morts et 24 blessés. Début décembre, l’Équipe conjointe d’évaluation des incidents (JIAT) créée par la coalition menée par l’Arabie saoudite pour enquêter sur les allégations de violations commises par ses forces a conclu que cette frappe était « une erreur involontaire ». La déclaration publique de la JIAT était en contradiction avec les résultats de l’enquête menée par MSF, selon lesquels il ne s’agissait pas d’une erreur mais de la conséquence des hostilités menées « dans le mépris total du statut protégé des hôpitaux et des structures civiles ».

Selon les Nations unies, 26 civils, dont sept enfants, ont trouvé la mort et 24 autres ont été blessés le 21 septembre à la suite d’une frappe aérienne de la coalition sur un quartier d’habitation d’Hodeida. Le 8 octobre, plus de 100 personnes qui assistaient à des funérailles à Sanaa ont été tuées et au moins 500 autres blessées par une frappe aérienne de la coalition. Après avoir nié dans un premier temps être à l’origine de cette attaque, la coalition a reconnu sa responsabilité à la suite de la condamnation au niveau international de la frappe aérienne. Elle a affirmé que le bombardement avait été mené sur la base d’« informations erronées » et que les responsables seraient sanctionnés.

Les forces de la coalition ont utilisé des munitions imprécises, dont de grosses bombes de fabrication américaine ou britannique ayant un grand rayon d’action et qui provoquent des pertes humaines et des destructions au-delà de leur point d’impact. Cette année encore, dans les gouvernorats de Saada et d’Hajjah, la coalition a utilisé des bombes à sous-munitions de fabrication américaine et britannique ; il s’agissait d’armes non discriminantes par nature dont l’utilisation était largement interdite au niveau international. Ces armes qui projettent de petites bombes sur une vaste zone représentent un risque permanent pour les civils car, le plus souvent, elles n’explosent pas au premier impact. En décembre, la coalition a admis que ses forces avaient utilisé en 2015 des bombes à sous-munitions de fabrication britannique, et déclaré qu’elle ne le referait plus.

Impunité

Toutes les parties au conflit armé ont commis des violations graves du droit international, en toute impunité. Les Houthis et leurs alliés n’ont pas mené d’enquêtes sur les violations graves perpétrées par leurs combattants, et les responsables de ces agissements n’ont pas eu à rendre compte de leurs actes.

Le mandat de la commission nationale d’enquête instituée par le président Hadi en septembre 2015 a été prolongé d’un an en août. Cette commission a mené des investigations, mais elle n’était ni indépendante ni impartiale ; elle n’a pas pu avoir accès à une grande partie du pays et s’est concentrée presque exclusivement sur les atteintes aux droits humains imputables aux Houthis et à leurs alliés.

La JIAT, créée par la coalition menée par l’Arabie saoudite pour enquêter sur les allégations de violations commises par ses forces, présentait également de graves défauts. Elle n’a fourni aucun détail sur son mandat, sa méthodologie ou ses pouvoirs, notamment sur la manière dont elle détermine les faits qui doivent faire l’objet d’une enquête et mène ses investigations ou vérifie les informations ; elle n’a pas davantage précisé le statut de ses recommandations auprès des commandants de la coalition ou des États qui en sont membres.

Restrictions à l’aide humanitaire

Toutes les parties au conflit ont exacerbé les souffrances des civils en restreignant la distribution d’aide humanitaire. Les Houthis et leurs alliés ont continué d’entraver tout au long de l’année l’acheminement de denrées alimentaires et de fournitures médicales de première nécessité à Taizz, la troisième ville du pays, ajoutant ainsi aux souffrances de milliers de civils. Par ailleurs, les travailleurs humanitaires ont accusé les services de sécurité des Houthis d’imposer des restrictions arbitraires et excessives à la circulation des biens et des personnels dans le but de compromettre l’indépendance des opérations humanitaires, et de fermer par la force des programmes humanitaires.

Des travailleurs humanitaires ont accusé la coalition menée par l’Arabie saoudite d’empêcher la distribution de l’aide en imposant des procédures trop lourdes qui impliquaient de l’informer des opérations prévues afin qu’elles ne soient pas éventuellement prises pour cible.

Personnes déplacées

Le conflit armé a entraîné des déplacements massifs de civils, particulièrement dans les gouvernorats de Taizz, d’Hajjah et de Sanaa. En octobre, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU] a signalé que quelque 3,27 millions de personnes, dont la moitié étaient des enfants, étaient déplacées à l’intérieur du Yémen, soit une augmentation de plus de 650 000 individus depuis décembre 2015.

Surveillance internationale

Le Groupe d’experts des Nations unies sur le Yémen a publié son rapport final le 26 janvier. Il concluait que toutes les parties au conflit avaient régulièrement attaqué des civils et des biens de caractère civil, et recensait « 119 frappes de la coalition liées à des violations du droit international humanitaire », dont beaucoup « comportaient des frappes aériennes multiples sur de nombreux biens de caractère civil ». Un rapport ultérieur d’un nouveau groupe d’experts remis au Conseil de sécurité des Nations unies, qui a fait l’objet d’une fuite en août, accusait toutes les parties au conflit d’atteintes au droit international humanitaire et et du droit international relatif aux droits humains.

En juin, le secrétaire général des Nations unies a retiré la coalition menée par l’Arabie saoudite de la liste annuelle des pays et groupes armés qui portent atteinte aux droits des enfants dans les situations de conflit armé, après que le gouvernement saoudien eut menacé de suspendre son financement de programmes importants de l’ONU.

En août, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a demandé la création d’« un organe d’enquête international et indépendant qui sera chargé de mener des enquêtes approfondies » au Yémen. Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a toutefois décidé en septembre que le Haut-Commissaire continuerait d’apporter une assistance technique à la commission nationale créée en 2015, et il a affecté des experts internationaux supplémentaires à son bureau au Yémen.

Droits des femmes et des filles

Les femmes et les filles ont continué de faire l’objet de discriminations dans la législation et dans la pratique. Elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences sexuelles et autres, notamment les mutilations génitales féminines et le mariage forcé.

Peine de mort

La peine de mort était maintenue pour toute une série de crimes. Aucune information n’a été rendue publique sur les condamnations à mort ni sur les exécutions.

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