Rapport annuel 2018

Kenya

République du Kenya
Chef de l’État et du gouvernement : Uhuru Muigai Kenyatta

La police a eu recours à une force excessive contre des manifestants de l’opposition à la suite des élections ; plusieurs dizaines de personnes sont mortes. Le parti au pouvoir a fait des déclarations portant atteinte à l’indépendance de la justice, après que la Cour suprême a annulé les résultats du scrutin. Des organisations travaillant sur les droits humains et la gouvernance ont été menacées de fermeture et d’autres mesures punitives par le Bureau de coordination des ONG, parce qu’elles avaient critiqué le processus électoral. Des grèves prolongées des professionnels de la santé ont eu des répercussions sur l’accès aux soins dans le secteur public, que les plus pauvres ont subies de manière disproportionnée.

CONTEXTE

Les résultats des élections générales tenues le 8 août ont été contestés par le Jubilee Party, parti actuellement au pouvoir et dirigé par le président en exercice Uhuru Kenyatta, ainsi que par la coalition de l’opposition, la Super alliance nationale (NASA), sous la houlette de l’ancien Premier ministre Raila Odinga. Le 11 août, la Commission électorale indépendante (IEBC) a déclaré que le président Kenyatta avait remporté 54 % des suffrages et Raila Odinga 44 %. La NASA a rejeté ces chiffres, invoquant des irrégularités dans le dépouillement et la transmission des résultats. Elle a saisi la Cour suprême à ce sujet le 18 août.
Le 1er septembre, la Cour suprême a statué que les résultats devaient être invalidés, car ils étaient erronés, nuls et non avenus, et a ordonné la tenue d’une nouvelle élection présidentielle. La NASA a indiqué qu’elle n’y participerait pas, à moins qu’il ne soit donné suite à ses demandes, parmi lesquelles figuraient la nomination de nouveaux présidents de bureau de vote dans les 291 circonscriptions et le recrutement d’experts internationaux indépendants pour surveiller le fonctionnement du système informatisé de collecte et de transmission des données électorales. Le 10 octobre, Raila Odinga a annoncé qu’il se retirait parce que l’IEBC n’avait pas accompli les réformes nécessaires.
Un nouveau scrutin a été programmé le 26 octobre. Le 30, l’IEBC a déclaré Uhuru Kenyatta vainqueur avec 98 % des voix pour un taux de participation inférieur à 40 % (soit moins de la moitié de la participation enregistrée en août). Le 31 octobre, Raila Odinga a appelé les Kenyans à s’engager dans un « mouvement de résistance nationale » et à constituer une « assemblée populaire » qui réunirait des groupes de la société civile en vue de « restaurer la démocratie ».

JUSTICE

Des cadres du Jubilee Party ont tenu des propos acerbes à l’égard de la Cour suprême après qu’elle eut décidé, le 1er septembre, d’annuler la victoire du président sortant en août. Le 2 septembre, ce dernier a déclaré que le Kenya avait un « problème » avec son système judiciaire. Un relevé des appels téléphoniques passés par un juge siégeant à la Cour suprême a été diffusé dans les médias, ce qui a poussé le magistrat à engager une action en diffamation à l’encontre du Directeur général de l’innovation, du numérique et de la communication avec la diaspora au sein du cabinet présidentiel.
Le 24 octobre, un tireur inconnu a blessé le chauffeur de la présidente adjointe de la Cour suprême à Nairobi, la capitale. Les faits ont eu lieu la veille de la décision de cette instance sur l’organisation d’un deuxième scrutin présidentiel le 26 octobre.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE

À l’approche du scrutin du 8 août, la police a classé les bastions de l’opposition à Nairobi, notamment le quartier de Mathare, parmi les « zones sensibles » où des violences étaient susceptibles d’éclater dans le contexte électoral.
Pendant la période qui a suivi l’élection présidentielle d’août et la décision de la Cour suprême de l’invalider, des sympathisants des deux partis sont descendus dans la rue pour manifester.
La police a fait usage d’une force excessive, recourant notamment à des balles réelles et à du gaz lacrymogène, pour disperser les partisans de l’opposition qui protestaient contre le déroulement du processus électoral. Plusieurs dizaines de personnes sont mortes durant ces violences. Au moins 33 d’entre elles, dont deux enfants, ont été abattues par la police. Pendant ce temps, celles et ceux qui soutenaient le gouvernement ont pu se rassembler sans que la police intervienne.
Le 19 septembre, des sympathisants du Jubilee Party ont manifesté devant la Cour suprême, à Nairobi, contre la décision d’invalider l’élection ; ils lui reprochaient de leur « voler » leur victoire.
Ils ont bloqué une route principale et brûlé des pneus. Des mouvements de contestation similaires ont été observés dans les villes de Nakuru, Kikuyu, Nyeri et Eldoret. Les manifestants, des jeunes pour la plupart, accusaient les juges d’avoir rendu un arrêt illégal.
Le 28 septembre, des affrontements ont opposé des étudiants de l’université de Nairobi et des policiers de l’Unité des services généraux (GSU) lors d’une manifestation organisée devant le campus contre l’arrestation du député et ancien leader étudiant Paul Ongili. Cet homme avait été interpellé le jour même pour des propos injurieux qu’il aurait tenus à l’égard du président Kenyatta au sujet de l’élection. À la suite de la manifestation, la police a mené un raid dans les bâtiments de l’université et frappé des étudiants à coups de matraque ; elle en a blessé 27. L’inspecteur général de la police a affirmé que le personnel avait invité les agents à entrer après que les étudiants protestataires eurent jeté des cailloux sur des automobilistes. Le 3 octobre, l’université a fermé ses portes sur décision de son conseil d’administration et n’avait pas rouvert à la fin de l’année.
À la suite de l’élection du 26 octobre, de nouvelles victimes ont été déplorées lorsque la police a tiré à balles réelles sur des manifestants. On ignorait le nombre exact de personnes ayant perdu la vie pendant cette période, étant donné que les familles des victimes ne signalaient pas les homicides par peur des représailles policières.

LIBERTÉ D’ASSOCIATION

Les autorités ont continué à prendre des mesures juridiques et administratives pour restreindre les activités des organisations de la société civile spécialisées dans les droits humains et la gouvernance. En mai, la Haute Cour a ordonné à l’État de publier au journal officiel la date d’entrée en vigueur de la Loi de 2013 relative aux organisations d’utilité publique. Si ce texte était appliqué, il pourrait améliorer l’environnement de travail des organisations de la société civile et des ONG. Il contient des dispositions qui s’inscrivent dans le droit fil de la Constitution et garantissent le droit à la liberté d’association. Cependant, les autorités utilisaient encore la Loi relative aux ONG, qui empêchait la pleine jouissance de ce droit.
Entre le 14 et le 16 août, le Bureau de coordination des ONG, placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et de la Coordination du gouvernement national, a accusé deux organisations de défense des droits humains – la Commission kenyane des droits humains (KHRC) et le Centre africain pour une gouvernance ouverte (AfriCOG) – d’irrégularités financières et réglementaires. Il a appelé le fisc, la Direction des enquêtes criminelles et la Banque centrale du Kenya à prendre des mesures à leur encontre, notamment à geler leurs comptes et à arrêter et poursuivre la direction et le conseil d’administration d’AfriCOG [1]. Le 16 août, le Bureau de coordination des ONG a menacé d’arrêter les responsables des deux organisations, ainsi qu’un ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, qui faisait partie du conseil d’administration d’AfriCOG. Le jour même, des agents du fisc, escortés par des policiers et munis d’autorisations de perquisition irrégulières, ont tenté de mener une opération dans les locaux d’AfriCOG. Ils ont mis un terme à leur intervention sur ordre d’un représentant du ministère de l’Intérieur et de la Coordination du gouvernement national, qui a également suspendu pour une durée de 90 jours la procédure susceptible d’entraîner la fermeture de l’organisation. AfriCOG et la Commission kenyane des droits humains avaient joué un rôle de premier plan dans la mise au jour des irrégularités électorales.

PERSONNES RÉFUGIÉES OU DEMANDEUSES D’ASILE

Le Kenya accueillait encore près de 500 000 réfugiés, qui vivaient pour la plupart dans les camps de Dadaab (comté de Garissa) et de Kakuma (comté de Turkana). D’autres réfugiés étaient installés à Nairobi. Les réfugiés de Dadaab étaient majoritairement originaires de Somalie et ceux de Kakuma, du Soudan du Sud. En septembre, les appels à l’aide internationale lancés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au sujet de la crise régionale des réfugiés n’avaient permis d’obtenir que 27 % des fonds nécessaires.
En février, la Haute Cour a statué que la directive gouvernementale de 2016 ordonnant la fermeture du camp de Dadaab en mai 2017 au plus tard constituait une violation de la Constitution et des obligations du Kenya au regard du droit international concernant le principe de « non-refoulement » et l’interdiction de la discrimination liée à la couleur de peau ou à l’appartenance ethnique. Le camp de Dadaab est donc resté ouvert. La Haute Cour a aussi estimé que la décision du gouvernement de retirer le statut de réfugié prima facie aux Somaliens était inconstitutionnelle et bafouait des droits garantis par des instruments nationaux et internationaux.
Les autorités ont poursuivi le rapatriement volontaire de réfugiés somaliens, qui avait débuté en 2014 dans le cadre de l’Accord tripartite. Entre mai 2016 et septembre 2017, plus de 70 000 réfugiés qui vivaient à Dadaab ont été rapatriés en Somalie.
Le 17 février, la Cour d’appel a confirmé une décision prononcée en 2013 par la Haute Cour, qui annulait les directives gouvernementales ordonnant de rassembler tous les réfugiés installés en zone urbaine pour les envoyer dans des camps, en vue de leur rapatriement.
Le 25 avril, la Haute Cour siégeant à Garissa a ordonné l’expulsion de 29 demandeurs d’asile somaliens vers leur pays d’origine. Ces personnes avaient été arrêtées à Mwingi en mars et inculpées de séjour irrégulier par une juridiction inférieure, qui avait ordonné qu’elles soient conduites au camp de Dadaab et enregistrées par le Secrétariat chargé des réfugiés (RAS), ce que l’agent du RAS avait refusé de faire. La décision de la juridiction inférieure a finalement été annulée par la Haute Cour et les 29 personnes, parmi lesquelles 10 enfants, ont été expulsées vers la Somalie le 4 mai 2017.

DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES

Le 5 avril, un garde forestier a frappé Elias Kimaiyo, dirigeant du peuple autochtone sengwer et défenseur des droits humains, et tiré sur lui dans la forêt d’Embobut ; le militant a eu la clavicule fracturée. Il a été agressé alors qu’il photographiait des gardes en train d’incendier des cases appartenant à ce peuple, en violation d’une injonction émise en 2013 par la Haute Cour siégeant à Eldoret qui ordonnait de cesser les arrestations et les expulsions de Sengwers.
Le 26 mai, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a estimé que l’État avait expulsé illégalement des membres du peuple autochtone ogiek de la forêt Mau sans pouvoir justifier que cette mesure participerait à la conservation de la forêt.

DROIT À LA SANTÉ

La grève des médecins des hôpitaux publics entamée en décembre 2016 s’est terminée en mars 2017. Elle faisait suite à la rupture, après plusieurs années, des pourparlers entre le gouvernement et le Syndicat kenyan des praticiens, pharmaciens et dentistes (KMPDU) au sujet de la convention collective signée en 2013. Elle s’est déroulée sur fond d’allégations de corruption à grande échelle au ministère de la Santé. Elle a été suivie, en juin, par une grève des infirmiers des hôpitaux publics, qui a duré jusqu’à ce que l’État et le Syndicat national des infirmiers kenyans (KNUN) signent, en novembre, la convention collective de 2013.
Les grèves ont perturbé le fonctionnement des services de santé publique sur l’ensemble du territoire et ont entravé de manière disproportionnée l’accès aux soins des personnes qui n’avaient pas les moyens de souscrire une couverture médicale privée, en particulier celles vivant dans des quartiers informels.

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