Rapport annuel 2018

Colombie

Les civils demeuraient les principales victimes du conflit armé, les plus exposés étant les indigènes, les Afro-Colombiens, les petits paysans et les défenseurs des droits humains. Les chiffres officiels ont fait état d’une baisse du nombre de civils tués dans des actions militaires impliquant les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et les forces de sécurité colombiennes entre le début des négociations et la signature de l’accord de paix en 2016, mais le conflit armé s’est poursuivi en 2017 et semblait même s’être intensifié dans certaines régions du pays. On craignait toujours que les crimes perpétrés durant le conflit armé demeurent impunis. Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive, provoquant dans certains cas la mort de civils. Les violences contre les femmes, en particulier les violences sexuelles, persistaient.

conflit armé interne processus de paix

La Cour constitutionnelle a validé le 11 octobre l’accord de paix signé par le gouvernement colombien et le mouvement de guérilla des FARC le 24 novembre 2016. À la fin de l’année, cependant, l’application de la plupart des points de l’accord restait suspendue à la mise en œuvre de la loi.
Lors de négociations distinctes organisées à Quito (Équateur) entre l’Armée de libération nationale (ELN, groupe de guérilla) et le gouvernement colombien, les parties ont indiqué, le 4 septembre, qu’un cessez-le-feu bilatéral serait appliqué du 1er octobre jusqu’à début 2018. Le cessez-le-feu était déclaré pour une période de quatre mois en principe, à l’issue de laquelle l’ELN et le gouvernement colombien devaient entamer des discussions en vue d’un éventuel accord de paix. Toutefois, à partir du mois d’octobre, différentes sources ont fait état d’attaques perpétrées par l’ELN contre des civils en violation de l’accord de cessez-le-feu. Le groupe de guérilla a revendiqué une de ces attaques : l’homicide d’Aulio Isaramá Forastero, un dirigeant indigène du Chocó, le 24 octobre. Des organisations de la société civile du département du Chocó ont lancé un appel demandant au gouvernement national et aux membres de la guérilla de conclure un « accord humanitaire maintenant » pour que des actions humanitaires concrètes puissent être menées et que les communautés ethniques du Chocó ne soient plus mises en danger par des affrontements sur leur territoire.
Avec le soutien de la Mission de vérification des Nations unies en Colombie, établie par la résolution 2261 (2016) du Conseil de sécurité de l’ONU, 6 803 combattants des FARC ont gagné des zones de démobilisation entre le 28 janvier et le 18 février. Le processus de vérification du désarmement des FARC, censé être achevé dans un délai de 180 jours, a débuté le 1er mars. Le processus de dépôt individuel des armes s’est terminé le 27 juin ; celui d’enlèvement des armes et des munitions présentes dans les 26 camps des FARC a pris fin le 15 août. Conformément à l’accord de paix, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2377 (2017) approuvant une deuxième mission de vérification sur la réintégration politique, économique et sociale des membres des FARC, qui a débuté le 26 septembre.
Des voix se sont fait entendre à propos de l’absence de garanties concernant la participation effective des populations indigènes et afro-colombiennes à la mise en œuvre de l’accord, en dépit des dispositions du « chapitre ethnique » de l’accord de paix. Le 21 septembre, des membres de la Table ronde permanente de concertation avec les peuples et les organisations indigènes se sont déclarés en alerte et en assemblée permanente, pour obtenir que les dispositions de l’accord de paix soient pleinement respectées.

Victimes civiles du conflit armé

L’Unité chargée de l’assistance et de la réparation pour les victimes, instaurée en 2011 par la Loi no 1148, a comptabilisé un total de 8 532 636 victimes pendant les 50 ans qu’a duré le conflit. Ce chiffre comprend 363 374 victimes de menaces, 22 915 victimes d’infractions à caractère sexuel, 167 809 victimes de disparition forcée, 7 265 072 personnes contraintes de quitter leur foyer et 11 140 victimes de mines antipersonnel. Entre janvier et octobre 2017, l’Unité a recensé 31 047 infractions contre des victimes du conflit armé.
Les crimes de droit international et les violations des droits humains se sont poursuivis dans les départements du Chocó, du Cauca, d’Antioquia et du Norte de Santander, entre autres. Homicides ciblés de membres des communautés afro- colombiennes et indigènes, déplacements forcés de populations, confinement de communautés dans leur territoire (ce qui restreignait leur liberté de circulation et leur accès à la nourriture et aux services essentiels), recrutement forcé d’enfants, violences sexuelles et utilisation de mines antipersonnel ont notamment été recensés. En dépit de la signature de l’accord de paix, le conflit armé s’est intensifié dans certaines zones du pays, où combattants de l’ELN, groupes paramilitaires et forces gouvernementales s’affrontaient pour s’emparer du pouvoir laissé vacant par la démobilisation des FARC. Le 27 novembre, 13 personnes ont été tuées à la suite d’un affrontement entre des combattants des FARC et des membres de l’ELN à Magüí Payán (département de Nariño). Des préoccupations ont été exprimées concernant la faible présence de l’État dans des secteurs auparavant aux mains des FARC, ce qui favorisait les incursions d’autres groupes armés et leur prise de contrôle, et mettait ainsi en danger les Afro-Colombiens, les populations indigènes et les communautés paysannes.
Théoriquement démantelées, en application des dispositions de la Loi no 975 adoptée en 2005, des structures paramilitaires continuaient d’opérer dans plusieurs parties du pays. Des informations ont fait état de menaces et d’attaques perpétrées par des paramilitaires contre la communauté de paix de San José de Apartadó, dans le département d’Antioquia [1] [2]. Le 29 décembre, des individus armés ont tenté de tuer Germán Graciano Posso, le représentant légal de la communauté. D’autres membres de la communauté les ont désarmés, mais ont été blessés. Dans une démarche volontaire en vue de se tenir à distance du conflit armé, la communauté de paix avait officiellement interdit aux forces gouvernementales, aux groupes de guérilla et aux groupes paramilitaires de pénétrer sur son territoire. En dépit de leurs initiatives pour faire valoir la neutralité, les habitants de San José de Apartadó continuaient de subir des attaques, des actes de torture, des violences sexuelles et des déplacements forcés, imputables à toutes les parties
au conflit.
Des incursions de paramilitaires ont été signalées dans le département du Chocó, dans le nord-ouest du pays ; des zones habitées par des populations afro- colombiennes ou indigènes ont été tout particulièrement touchées. Le 8 février, des paramilitaires appartenant au groupe Autodefensas Gaitanistas de Colombia (AGC) ont pénétré dans la zone humanitaire de Nueva Esperanza en Dios, située dans le bassin du fleuve Cacarica (département du Chocó). Ils étaient à la recherche de plusieurs personnes qui figuraient, ont-ils déclaré, sur une « liste d’individus à abattre [3] ». Des informations ont fait état d’un raid paramilitaire le 6 mars dans la ville de Peña Azul (municipalité d’Alto Baudó, dans le Chocó). L’opération a contraint de nombreuses familles à quitter leur foyer et obligé un grand nombre d’habitants des localités proches à rester confinés sur leur territoire [4]. Le 18 avril, des habitants de Puerto Lleras (localité située dans le territoire collectif de Jiguamiandó, département du Chocó) ont signalé qu’ils avaient reçu des menaces et que des paramilitaires avaient pénétré dans la zone humanitaire de Pueblo Nuevo, mettant en danger tous les habitants [5].
Les indigènes et les Afro-Colombiens étaient toujours en danger en raison de la présence sur leurs territoires de mines antipersonnel, dont la pose constitue une violation grave du droit international humanitaire. Le 11 juillet, Sebastián Carpio Maheche, un jeune homme de la communauté indigène wounaan de Juuin Duur, dans la réserve embera-wounaan Katio de Quiparadó (municipalité de Riosucio, département du Chocó), a été blessé par l’explosion d’une mine antipersonnel [6].
Les affrontements entre les guérilleros de l’ELN, les forces de sécurité et des groupes paramilitaires mettaient sérieusement en danger les populations indigènes et afro-colombiennes [7]. Selon l’Organisation nationale indigène de Colombie, 3 490 personnes indigènes ont été victimes de déplacements massifs de population entre le 1er novembre 2016 et le 31 juillet 2017. L’organisation a recensé en outre durant cette période 827 personnes soumises à un confinement forcé, 115 qui ont reçu des menaces et 30 qui ont été tuées, parmi lesquelles des dirigeants communautaires.
Enlevés par l’ELN le 19 juin dans la zone d’El Tarra (département du Norte de Santander), deux journalistes néerlandais ont été remis en liberté le 24 juin. Selon le Bureau du médiateur, l’ELN continuait de procéder à des prises d’otage.

Réparation pour les victimes

Le cinquième point de l’accord de paix a mis en place un « système de justice, de vérité, de réparation et de non-répétition », comprenant une juridiction spéciale pour la paix et des mécanismes judiciaires tels qu’une unité d’enquête et de démantèlement des organisations criminelles ayant succédé aux organisations paramilitaires. Le point 5 énonçait également les dispositions concernant les réparations pour les victimes du conflit armé. Dans ce contexte, les victimes du conflit réclamaient que soient garantis aux indigènes, aux Afro-Colombiens et aux membres des communautés paysannes l’accès à la justice, le droit à la vérité et à des réparations et, tout particulièrement, le droit à la non-répétition des violations des droits humains telles que le déplacement forcé et les violences sexuelles. Ces garanties n’avaient toujours pas été mises en place, et la pérennité de l’accord de paix risquait d’être compromise si les auteurs de crimes de droit international, notamment de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de violations des droits humains, n’étaient pas déférés à la justice. En avril, l’Acte législatif no 1 de 2017 a été adopté pour veiller à ce que le Congrès vote une loi de mise en œuvre du point 5 de l’accord de paix. Ce texte prévoyait notamment un traitement distinct – et privilégié – des agents de l’État, au détriment des droits des victimes de crimes perpétrés par l’État dans le cadre du conflit armé. Il établissait aussi la possibilité pour l’État de ne pas procéder à des poursuites pénales dans certains cas. Cette disposition, dont les modalités de mise en œuvre n’apparaissaient toutefois pas clairement, est potentiellement contraire à l’obligation incombant à l’État d’enquêter sur les violations graves des droits humains, d’engager des poursuites contre les auteurs présumés de ces faits et de sanctionner les coupables, ce qui porterait atteinte au droit des victimes à la vérité et à des réparations complètes. Le 27 novembre, le Congrès a approuvé la mise en place de la Juridiction spéciale pour la paix.

Police et forces de sécurité

Des cas d’homicides délibérés imputables aux forces gouvernementales ont été dénoncés ; des informations ont fait état d’un recours excessif à la force par l’unité antiémeutes de la police (ESMAD) lors de manifestations dans les départements du Chocó, du Valle del Cauca et du Cauca, ainsi que dans la région du Catatumbo.
Des habitants de Buenaventura, une ville de la côte Pacifique, ont dénoncé la répression par la police de manifestations pacifiques organisées dans le cadre de la « grève civique » décrétée le 16 mai pour obtenir du gouvernement colombien qu’il fasse respecter les droits économiques, sociaux et culturels des habitants ainsi que leur droit de prendre part à la mise en œuvre de l’accord de paix conclu avec les FARC. Des policiers et des officiers de l’armée de terre et de la marine étaient présents près des lieux des manifestations. Des protestataires ont dénoncé l’usage de gaz lacrymogène contre des manifestants pacifiques. Le médiateur a indiqué que quelque 205 enfants, 10 femmes enceintes et 19 personnes âgées avaient souffert de problèmes respiratoires à la suite de ces interventions. Au total ce sont 313 personnes qui ont signalé des problèmes de santé consécutifs à l’exposition au gaz lacrymogène ; 16 personnes ont en outre été blessées par balle ou par un objet contondant. La « grève civique » a pris fin le 7 juin.
Selon les informations recueillies, Felipe Castro Basto est mort dans la municipalité de Corinto (nord du département du Cauca) quand l’ESMAD a ouvert le feu en direction de 200 manifestants indigènes.
D’après des informations diffusées par l’Association des conseils municipaux de Mira, Nulpe et Mataje (Asominuma), neuf paysans ont été tués le 5 octobre par les forces de sécurité, qui ont ouvert le feu de manière aveugle contre des manifestants pacifiques rassemblés à Tumaco (Nariño).

Défenseures et défenseurs des droits humains

Les militants des droits humains étaient toujours en butte à des menaces et des homicides ciblés. Selon le Bureau en Colombie du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, ils étaient au moins 105 à avoir été tués dans le pays durant l’année. Les préoccupations persistaient concernant la hausse du nombre d’attaques perpétrées contre des militants, notamment des dirigeants communautaires, des défenseurs du droit à la terre, des territoires et de l’environnement, et des personnes mobilisées en faveur de la signature de l’Accord final avec les FARC. Les défenseurs des droits des indigènes, des Afro-Colombiens, des petits paysans et des femmes faisaient toujours l’objet d’attaques dans une proportion inquiétante, ce qui faisait douter de la bonne mise en œuvre de l’accord de paix.
Selon l’organisation Somos Defensores, le nombre d’homicides de défenseurs des droits humains a augmenté de 31 % durant les six premiers mois de 2017 par rapport à la même période de l’année précédente. Les homicides de femmes exerçant un rôle de responsabilité (sept au premier semestre) se sont accrus par rapport à 2016.
Plusieurs homicides de dirigeants afro-colombiens ont été signalés. Le militant afro-colombien Bernardo Cuero Bravo, de l’Association nationale des déplacés afro-colombiens de Malambo (département de l’Atlantique), a été tué le 8 juin. Il avait été menacé et attaqué à de multiples reprises en raison de son travail en faveur de la communauté et des personnes déplacées. Malgré ses demandes répétées, il n’avait pas obtenu la protection de l’Unité nationale de protection.
Aux mois de novembre et de décembre, deux dirigeants de communautés afro- colombiennes qui réclamaient la restitution de terres situées sur leurs territoires collectifs ont été tués par des paramilitaires appartenant au groupe Autodefensas Gaitanistas de Colombia (AGC). Selon les informations reçues par Amnesty International, au moins 25 autres dirigeants auraient été menacés par des paramilitaires sur ces territoires durant l’année.
En général, les menaces de mort lancées contre des défenseurs des droits humains et d’autres militants étaient attribuées à des paramilitaires, mais il était difficile dans la plupart des cas d’homicide d’identifier les groupes responsables. On constatait toutefois que plusieurs des victimes, dont beaucoup étaient des responsables locaux ou des militants des droits fonciers et environnementaux, avaient pu être tuées en raison des actions qu’elles menaient. Il apparaissait en outre que le fait de dénoncer des violations était perçu comme une menace par les intérêts économiques et politiques au niveau régional et local, ainsi que par les divers groupes armés, y compris les paramilitaires [8].

Violences faites aux femmes et aux filles

Grâce à la mobilisation des organisations de défense des droits des femmes, il était prévu dans l’accord de paix que les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes à caractère sexuel devraient comparaître devant des tribunaux de justice transitionnelle. L’accord a confirmé en outre que ces crimes ne pourraient faire l’objet d’une mesure d’amnistie ou de grâce. Les organisations de défense des droits humains restaient toutefois très dubitatives quant à la mise en œuvre effective de cette disposition. Les statistiques officielles n’ont pas fait apparaître de progrès en ce qui concerne l’accès à la justice des femmes victimes de violences sexuelles – et pourtant les organisations de défense des droits des femmes n’ont cessé de dénoncer des cas de violences graves durant l’année. Selon l’organisation Sisma Mujer, le médiateur a émis entre le 1er janvier 2016 et le 31 juillet 2017 pas moins de 51 avis mettant en garde contre le risque considérable de violences sexuelles, dont six rapports et notes d’information concernant des militantes ou des dirigeantes d’organisations, dans lesquels il soulignait que ces personnes étaient considérablement exposées.
La faiblesse des mécanismes de protection laissait exister un fort risque de violences liées au genre, en particulier de violences domestiques, dans le contexte de la transition vers la paix. Les chiffres officiels ont montré que la démobilisation, en 2005, des Milices d’autodéfense unies de Colombie (AUC) avait été suivie d’une hausse de 28 % des cas de violences sexuelles dans les localités où les anciens combattants des AUC avaient été placés. Cependant, le gouvernement n’avait toujours pas mis en œuvre de mécanismes pour la prévention, d’une part, et pour la prise en charge, la protection et l’accès à la justice des femmes victimes de violences sexuelles, d’autre part, en particulier dans les localités où les guérilleros des FARC devaient être réintégrés durant l’année. Les mécanismes destinés à faire en sorte que les femmes victimes de violences sexuelles soient entendues et puissent participer dans des conditions égales à tous les organes chargés de la mise en œuvre de l’accord de paix présentaient également des lacunes.

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