Rapport annuel 2018

Indonésie

République d’Indonésie
Chef de l’État et du gouvernement : Joko Widodo

L’Indonésie n’a pas fait la lumière sur les violations des droits humains commises par le passé. Les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ont cette année encore fait l’objet de restrictions arbitraires. Des dispositions sur le blasphème ont été utilisées pour emprisonner des personnes exerçant pacifiquement leur droit à la liberté de religion et de conviction. Au moins 30 prisonniers d’opinion étaient toujours en détention pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression ou de religion et de conviction. Les forces de sécurité ont commis des homicides illégaux et ont eu recours à une force excessive pendant des manifestations et des opérations de sécurité. Deux hommes ont été fustigés en public dans la province de l’Aceh après avoir été déclarés coupables par un tribunal islamique local d’avoir eu des relations sexuelles consenties avec une personne du même sexe.

CONTEXTE

En mai, le bilan de l’Indonésie en matière de droits humains a été examiné dans le cadre de l’Examen périodique universel de l’ONU. Bien qu’il ait accepté 167 des 225 recommandations, le pays a, entre autres, refusé d’enquêter sur des violations des droits humains commises par le passé et d’abroger les dispositions sur le blasphème dans ses lois et règlements, notamment plusieurs articles du Code pénal et de la Loi n° 1/PNPS/1965, qui imposaient des restrictions à l’exercice du droit à la liberté d’expression, de religion et de conviction [1].

IMPUNITÉ

Bien que le président s’y soit engagé, l’Indonésie n’avait pas traité les affaires de violations des droits humains commises par le passé. En février, le tribunal administratif siégeant à Djakarta, la capitale, a annulé la décision de la Commission d’information publique ordonnant au gouvernement de rendre publiques les conclusions de l’enquête sur le meurtre de Munir Said Thalib en 2004, qui faisaient semble-t-il état de l’implication de hauts responsables des services du renseignement. Le tribunal a justifié cette décision par le fait que le gouvernement actuel n’avait pas reçu le rapport de son prédécesseur. En août, la Cour suprême a confirmé la décision du tribunal administratif.
Pendant l’Examen périodique universel, l’Indonésie a promis que le procureur général bouclerait une enquête pénale sur des atteintes flagrantes aux droits fondamentaux qui auraient été commises à Wasior en 2001 et à Wamena en 2003, deux villes de Papouasie, et qu’il transmettrait le dossier au tribunal des droits humains établi au titre de la Loi n° 26/2000. Cela n’avait cependant toujours pas été fait à la fin de l’année.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION

Cette année encore, des personnes qui participaient à des activités politiques pacifiques ont été poursuivies en justice, en particulier dans des régions marquées par des mouvements indépendantistes comme la Papouasie. Bien qu’il ait purgé les deux tiers de sa peine d’emprisonnement et qu’il remplisse les critères d’octroi d’une libération conditionnelle, le prisonnier d’opinion Oktovianus Warnares était toujours en détention, car il avait refusé de signer un document dans lequel il déclarait prêter allégeance à l’État indonésien. Cet homme avait été déclaré coupable de « rébellion » (makar) en 2013 après avoir participé à des activités pacifiques de commémoration du 50e anniversaire de la cession de la Papouasie au gouvernement indonésien par l’Autorité exécutive temporaire de l’ONU.
En août, Novel Baswedan, un enquêteur de la Commission pour l’éradication de la corruption, a été dénoncé à la police par le directeur des enquêtes de cette même commission, pour des accusations relevant de l’article 27(3) de la Loi relative aux informations et aux échanges électroniques, qui porte sur la diffamation en ligne. Les accusations de diffamation étaient liées à un courriel dans lequel cet homme, en qualité de représentant syndical du personnel, critiquait la direction de la Commission. Novel Baswedan a été victime d’une attaque à l’acide à Djakarta le 11 avril ; ses deux cornées ont été gravement atteintes. À l’époque, il dirigeait une enquête sur un détournement de fonds alloués à un projet de cartes d’identité électroniques, dans lequel des hauts fonctionnaires étaient impliqués.
Le 10 juillet, le président Joko Widodo a approuvé la Loi réglementaire gouvernementale (Perppu) n° 2/2017 portant modification de la Loi de 2013 sur les organisations de masse, pour en retirer les garanties juridiques accompagnant la procédure d’interdiction des ONG et d’autres organisations. Le texte révisé, adopté par le Parlement en octobre, imposait des restrictions aux droits à la liberté d’association, d’expression, de religion et de conviction encore plus drastiques que celles imposées par la Loi relative aux organisations de masse en vigueur jusqu’alors. Il entravait déjà le travail des défenseurs des droits humains et se faisait l’écho de comportements discriminatoires envers certains groupes [2].
Les forces de sécurité et des groupes d’autodéfense ont interrompu des débats privés et des événements publics concernant les graves violations des droits humains commises en 1965. Le 1er août, des membres de la police locale et des militaires de Djakarta-Est ont interrompu un atelier organisé à Djakarta pour partager les conclusions du Tribunal international des peuples 1965, une initiative de la société civile visant à sensibiliser l’opinion internationale aux atteintes aux droits fondamentaux commises à grande échelle en 1965.
Le 16 septembre, la police a interdit la tenue d’un séminaire privé dans les bureaux de l’Institut d’aide juridictionnelle d’Indonésie et de Djakarta, au cours duquel était prévue une intervention de victimes des violations de 1965. Dans la nuit du 17 septembre, environ un millier de personnes affirmant être « anticommunistes » ont encerclé les bureaux, prenant ainsi au piège des dizaines d’artistes et de militants qui participaient à un événement à propos de la récente répression des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Tôt le lendemain matin, la foule a lancé des pierres sur les bureaux et saccagé la clôture du bâtiment. Des centaines de policiers ont eu recours à du gaz lacrymogène pour la disperser [3].

LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION

Des dispositions relatives au blasphème, à savoir les articles 156 et 156(a) du Code pénal et l’article 28(2) de la Loi n° 19/2016 portant modification de la Loi de 2008 relative aux informations et aux échanges électroniques, ont été utilisées pour emprisonner des personnes exerçant pacifiquement leurs droits à la liberté de religion et de conviction. Au moins 11 personnes ont été déclarées coupables aux termes des lois sur le blasphème. Des personnes dont la religion, les convictions ou les croyances étaient minoritaires faisaient souvent l’objet de poursuites. Le 9 mai, le gouverneur de Djakarta, Basuki Tjahaja Purnama, d’origine chinoise et de confession chrétienne, a été condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir « insulté l’islam » dans une vidéo publiée sur Internet. Connu sous le surnom d’« Ahok », il est le premier haut représentant de l’État déclaré coupable de blasphème en Indonésie [4].
Le 7 mars, Ahmad Mushaddeq, Mahful Muis Tumanurung et Andry Cahya, tous trois dirigeants du Fajar Nusantara, groupe religieux aujourd’hui dissous et connu sous le nom de « Gafatar », ont été déclarés coupables de blasphème par le tribunal du district de Djakarta-Est. Leur déclaration de culpabilité a été confirmée par la haute cour de Djakarta le 3 juillet.
À la fin de l’année, au moins 30 prisonniers d’opinion demeuraient incarcérés pour avoir exercé de manière pacifique leur droit à la liberté d’expression ou de religion et de conviction.
Le 4 juin, la municipalité de Depok (province de Java-Ouest) a fermé une mosquée de la minorité religieuse ahmadie, que de nombreux groupes islamiques considèrent comme « déviante et contraire à l’islam ». Elle a empêché les Ahmadis d’accéder à la mosquée pendant le ramadan. Le maire de Depok a affirmé que cette décision reposait sur un décret ministériel et un règlement de la province interdisant aux membres de la communauté ahmadie de faire la promotion de leurs activités et de propager leurs enseignements religieux. Il a également déclaré que la fermeture de la mosquée était nécessaire pour protéger les Ahmadis vivant à Depok contre de violentes attaques par d’autres groupes de la région.

POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ

Des groupes de défense des droits humains ont signalé des homicides illégaux et d’autres graves violations des droits humains par les forces de sécurité, principalement dans le cadre d’un recours excessif à la force lors de manifestations de masse ou d’opérations de sécurité. À la connaissance d’Amnesty International, personne n’avait eu à répondre de ces actes, notamment de ceux très nombreux commis en Papouasie.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE

Entre septembre 2016 et janvier 2017, les forces conjointes de la police et de l’armée ont mené des opérations de sécurité dans le district de Dogiyai (province de Papouasie) à l’approche des élections locales de 2017. Le 10 janvier, des policiers ont arrêté de façon arbitraire Otis Pekei lorsqu’il a refusé de remettre un couteau à un poste de contrôle de police, et l’ont placé en garde à vue au commissariat du sous-district de Moanemani. Plus tard dans la journée, la police a amené le corps d’Otis Pekei au domicile de sa famille. Ses proches ont accusé la police de l’avoir torturé pendant sa détention. Aucune enquête ne semble avoir été menée.
Le 1er août, toujours dans le district de Dogiyai, des policiers ont ouvert le feu arbitrairement et sans sommation sur un rassemblement de manifestants, faisant au moins 10 blessés, dont des enfants. Neuf d’entre eux ont fait l’objet de sanctions disciplinaires, mais aucune poursuite pénale n’avait, semble-t-il, été engagée.

HOMICIDES ILLÉGAUX

Le nombre de trafiquants de drogue présumés tués par la police a fortement augmenté, passant de 18 en 2016 à au moins 98 en 2017. Certains des policiers impliqués avaient été détachés auprès de l’Agence indonésienne de lutte contre les produits stupéfiants. La police a déclaré que tous les homicides avaient été perpétrés en état de légitime défense ou parce que les suspects tentaient de s’enfuir. Aucune enquête indépendante ne semble avoir été menée sur ces homicides. Le nombre de morts a augmenté après que plusieurs hauts responsables indonésiens, dont le président, eurent appelé durant l’année au durcissement des mesures de lutte contre la délinquance liée aux stupéfiants, notamment à l’usage sans retenue de la force meurtrière contre les trafiquants présumés.

MORTS EN DÉTENTION

Des organisations de défense des droits humains ont fait état de décès en détention et d’actes de torture aux mains de la police.
Le 27 août, Rifzal Riandi Siregar a été arrêté dans la région de Batang Toru (province de Sumatra-Nord) après s’être battu avec un policier. Lorsque ses proches lui ont rendu visite au commissariat de Batang Toru, il leur a dit qu’il y avait été roué de coups par quatre policiers, dont celui avec qui il s’était battu. Le 3 septembre, Rifzal Riandi Siregar a été retrouvé mort au commissariat. À la demande de sa famille, le corps a été envoyé dans un hôpital de la police à Medan, où une autopsie a été pratiquée. La police s’est engagée à transmettre le rapport d’autopsie aux proches de Rifzal Riandi Siregar dans un délai d’une semaine. Ils ne l’avaient toujours pas reçu à la fin de l’année.

CHÂTIMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

Au moins 317 personnes ont été fustigées cette année dans la province de l’Aceh pour adultère, jeux d’argent, consommation d’alcool et relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe, entre autres infractions.
En mai, deux hommes ont reçu en public 83 coups de bâton chacun après avoir été déclarés coupables par le tribunal islamique de Banda Aceh d’avoir eu des relations sexuelles consenties avec une personne du même sexe (liwath), ce qui était considéré comme une infraction dans le Code pénal islamique de la province. Bien que des règlements régissant l’application de la charia soient en vigueur en Aceh depuis la promulgation de la Loi spéciale relative à l’autonomie en 2001 et qu’ils soient appliqués par des tribunaux islamiques, c’était la première fois que des hommes gays étaient fustigés au titre de la charia dans la province [5].

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES

Le 25 mai, 141 hommes ont été arrêtés par la police du district de Djakarta-Nord après avoir participé à ce que la police a décrit comme une « partie fine homosexuelle ». Le lendemain, 126 d’entre eux ont été relâchés, mais 10 autres ont été inculpés au titre de la Loi n° 44/2008 relative à la pornographie pour avoir fourni des « services pornographiques ». Le 6 octobre, 51 personnes, dont plusieurs étrangers, ont été arrêtées dans un sauna de Djakarta-Centre. La plupart des clients ont été libérés le lendemain, mais cinq employés étaient toujours en détention à la fin de l’année. La police a accusé six personnes de fournir des services de pornographie et de prostitution [6]f.
Les relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe n’étaient pas érigées en infraction dans le Code pénal indonésien, sauf en Aceh.

DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS – DROIT À L’EAU

Le 10 octobre, la Cour suprême a ordonné au gouvernement de mettre fin à un projet de privatisation de l’eau à Djakarta. Elle a fait droit à un appel interjeté par la Coalition des habitants de Djakarta contre la privatisation de l’eau, qui se plaignait que le prestataire privé « n’avait pas protégé le droit à l’eau » des habitants. La Cour suprême a ordonné au gouvernement de résilier immédiatement ses contrats avec deux entreprises privées de distribution d’eau.

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