Rapport annuel 2018

Résumé régional - Amériques

Les discriminations et les inégalités restaient la norme sur le continent. Les Amériques étaient toujours en proie à des niveaux de violence importants, accompagnés de vagues d’homicides, de disparitions forcées et de détentions arbitraires. Les défenseurs des droits humains étaient de plus en plus souvent la cible de violences. L’impunité demeurait généralisée. Les politiques de diabolisation et de division se sont multipliées. Les peuples indigènes faisaient l’objet de discriminations et étaient toujours privés de leurs droits économiques, sociaux et culturels, notamment de leur droit à la terre et à un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause sur les projets les concernant. Les États n’ont guère progressé dans la protection des droits des femmes et des filles, ainsi que des lesbiennes, des gays et des personnes LGBTI.

Dans l’ensemble de la région, un très grand nombre de personnes étaient confrontées à une crise des droits humains de plus en plus grave, exacerbée à la fois par la dévaluation des droits humains en droit, en politique et en pratique, et par le recours croissant aux politiques de diabolisation et de division. Menaçant de devenir endémique dans de nombreux pays, ce recul des droits fondamentaux a renforcé la méfiance à l’égard des autorités - ce qui s’est traduit par de faibles taux de participation aux élections et référendums - et des institutions telles que les systèmes judiciaires nationaux.

Au lieu de s’appuyer sur les droits humains pour rendre l’avenir plus juste et supportable, beaucoup de gouvernements sont revenus à des politiques répressives, utilisant de manière abusive leurs forces de sécurité et leur appareil judiciaire pour faire taire la contestation et les critiques, laissant la pratique généralisée de la torture et d’autres mauvais traitements se poursuivre en toute impunité, et ne faisant rien pour lutter contre les inégalités, la pauvreté et la discrimination omniprésentes et entretenues par la corruption, l’absence d’obligation de rendre des comptes et les défaillances de la justice.

Le grave recul des droits humains a également été favorisé par une série de décisions prises par le président des États-Unis, Donald Trump, notamment son décret dit " antimusulmans " et son projet de construire un mur le long de la frontière avec le Mexique.

Certains pays, dont le Brésil, le Honduras, le Mexique, le Salvador et le Venezuela, étaient le théâtre d’une violence extrême et persistante. Dans l’ensemble de la région, les actes de violence étaient souvent favorisés par la prolifération des armes illicites de petit calibre et la progression de la criminalité organisée. La violence à l’égard des personnes LGBTI, des femmes, des filles et des peuples indigènes était fréquente.

Selon un rapport de l’ONU, l’Amérique latine et les Caraïbes demeuraient la région la plus violente du monde pour les femmes, en dépit de lois draconiennes adoptées pour résoudre cette crise. À l’échelle mondiale, elle affichait le nombre le plus élevé d’actes de violence infligés à des femmes par une personne autre que leur partenaire, et le deuxième taux de violences conjugales.

Le Mexique a connu une vague d’homicides de journalistes et de défenseurs des droits humains. Le Venezuela a subi la plus grave crise des droits humains de son histoire moderne. En Colombie, les homicides d’autochtones et de dirigeants afro-colombiens ont révélé les lacunes de la mise en oeuvre du processus de paix engagé par le pays.

Des militants des droits fonciers ont été la cible de violences et d’autres violations de leurs droits dans de nombreux pays. La région continuait d’afficher une augmentation inquiétante du nombre de menaces et d’attaques visant des défenseurs des droits humains, des dirigeants de communautés et des journalistes, y compris par le biais d’une utilisation abusive de l’appareil judiciaire.

Un très grand nombre de personnes ont fui leur foyer pour échapper à la répression, la violence, la discrimination et la pauvreté. Beaucoup ont subi d’autres atteintes aux droits humains pendant leur périple ou à leur arrivée dans d’autres pays de la région. La grâce accordée à l’ancien président péruvien Alberto Fujimori, condamné en 2009 pour crimes contre l’humanité, a semé le doute quant à la volonté du Pérou de lutter contre l’impunité et de respecter les droits des victimes.

L’incapacité des États à faire respecter les droits humains a laissé plus de latitude aux acteurs non étatiques pour commettre des crimes de droit international et d’autres violations. Parmi ces acteurs figuraient des organisations criminelles, qui contrôlaient parfois des territoires entiers, souvent avec la complicité ou l’assentiment des forces de sécurité. Des entreprises nationales et multinationales ont essayé de s’emparer des terres et des territoires de communautés, notamment indigènes et, dans des pays comme le Nicaragua et le Pérou , paysannes.

L’absence de protection des droits économiques, sociaux et culturels a fait souffrir énormément de personnes. Le changement de discours politique des États-Unis depuis que Donald Trump a accédé à la présidence a réduit les chances de voir le Congrès américain adopter une loi levant l’embargo économique contre Cuba - perpétuant ainsi les désastreuses conséquences de cette mesure sur les Cubains. Les autorités paraguayennes n’ont pas garanti le droit à un logement convenable à la suite d’expulsions forcées. Des milliers de nouveaux cas de choléra sont apparus en Haïti.

Des dizaines de milliers de personnes ont dû quitter leur domicile et se sont retrouvées face à des infrastructures gravement endommagées dans plusieurs pays des Caraïbes - la République dominicaine et Porto Rico notamment - après le passage de deux puissants ouragans, entre autres catastrophes naturelles. Au Mexique, deux séismes dévastateurs qui ont fait des centaines de victimes ont compromis les droits de la population à un logement convenable et à l’éducation.

Lors de l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains (OEA), qui s’est déroulée en juin à Cancún (Mexique), les responsables politiques ont clairement manqué de détermination à traiter certains des problèmes de droits humains les plus urgents de la région. Plusieurs pays ont tenté de condamner la crise au Venezuela, sans reconnaître qu’ils étaient eux-mêmes incapables de respecter et de protéger les droits humains. Après la crise financière de l’année précédente, l’OEA a pris une mesure positive en doublant le budget alloué au système interaméricain des droits humains - même si les fonds devaient être versés sous certaines conditions qui risquaient de limiter la capacité de la Commission interaméricaine et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme à amener les États à rendre des comptes pour les violations des droits fondamentaux.

Aux États-Unis, le président Trump n’a guère attendu pour mettre en pratique ses propos hostiles aux droits, discriminatoires et xénophobes, faisant planer la menace d’un recul considérable de la justice et des libertés. Il a notamment signé une série de décrets répressifs qui hypothéquaient les droits humains de millions de personnes dans le pays et à l’étranger. Ces mesures se sont traduites par des pratiques abusives à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, telles que l’augmentation des placements en détention de demandeurs d’asile et de leur famille ; des restrictions considérables de l’accès des femmes et des jeunes filles aux services de santé sexuelle et reproductive sur le territoire américain et à l’étranger ; la suppression de dispositifs de protection pour les personnes LGBTI au travail et les étudiants transgenres ; et l’autorisation de relancer le projet d’oléoduc Dakota Access - qui menace les ressources en eau de la tribu sioux de Standing Rock et d’autres populations autochtones et bafoue leur droit à un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Cependant, le déni croissant des droits fondamentaux n’a pas été synonyme de désengagement. Le malaise social naissant a incité des personnes à descendre dans la rue, à défendre leurs droits et à réclamer la fin de la répression, de la marginalisation et de l’injustice. Cette mobilisation a par exemple pris la forme de rassemblements de grande ampleur en soutien au militant Santiago Maldonado - retrouvé mort après avoir disparu lors d’une manifestation marquée par des violences policières dans une communauté mapuche en Argentine - ou du vaste mouvement social Ni Una Menos (" Pas une de moins ") qui a eu lieu dans plusieurs pays de la région pour dénoncer les féminicides et les violences faites aux femmes et aux filles.

Aux États-Unis, une opposition populaire et politique massive s’est dressée contre certaines des orientations et décisions du gouvernement Trump qui mettaient en péril les droits humains, notamment contre les tentatives visant à interdire l’entrée sur le territoire américain des ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane et à réduire le nombre de réfugiés pouvant être admis aux États-Unis ; les menaces d’augmentation du nombre de prisonniers envoyés au centre de détention de Guantánamo ; et une tentative de suppression de la couverture maladie de millions de personnes dans le pays.

SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DROITS HUMAINS

Crise vénézuélienne

Le Venezuela a été confronté à l’une des pires crises des droits humains de son histoire récente, alimentée par une escalade des violences encouragées par le gouvernement. Les manifestations ont pris de plus en plus d’ampleur en raison de la hausse de l’inflation et d’une crise humanitaire provoquée par des pénuries de nourriture et de fournitures médicales. Plutôt que de s’employer à résoudre la crise alimentaire et sanitaire, les autorités ont instauré une politique préméditée visant à réprimer avec brutalité toute forme de dissidence. Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive et injustifiée contre des manifestants ; elles ont notamment lancé des grenades lacrymogènes et tiré des balles en caoutchouc, entraînant la mort de plus de 120 personnes. Des milliers d’autres ont été arrêtées de façon arbitraire, et de nombreux cas de torture et d’autres mauvais traitements ont été signalés. Les autorités ont utilisé l’appareil judiciaire pour museler l’opposition, y compris en traduisant des civils en justice devant des juridictions militaires, ainsi que pour attaquer et harceler des défenseurs des droits humains.

Violence et impunité au Mexique

La crise mexicaine des droits humains s’est poursuivie, exacerbée par une multiplication des violences et des homicides ; un nombre record d’assassinats de journalistes a notamment été recensé. Les arrestations et détentions arbitraires demeuraient répandues et occasionnaient souvent d’autres violations des droits humains, qui faisaient rarement l’objet de véritables enquêtes. On restait sans nouvelles de plus de 34 000 victimes de disparition forcée et les exécutions extrajudiciaires étaient monnaie courante. Toujours aussi fréquents, les actes de torture et les autres formes de mauvais traitements étaient commis en toute impunité par les forces de sécurité, qui forçaient régulièrement des personnes à signer de faux " aveux ".

Cependant, l’approbation par le Sénat d’une nouvelle loi concernant les disparitions forcées à la suite du scandale national suscité par l’affaire des 43 étudiants disparus, dont on ignorait encore le sort, représentait potentiellement une avancée, même si sa mise en oeuvre nécessitera une réelle volonté politique pour que les victimes obtiennent justice, vérité et réparation. Le Congrès a en outre adopté une nouvelle loi générale contre la torture. Il a en revanche voté une loi relative à la sécurité intérieure permettant aux forces armées d’exercer de manière prolongée des fonctions de maintien de l’ordre. Or, cette stratégie a donné lieu à un accroissement des violations des droits humains.

Homicides illégaux

Les autorités du Brésil n’ont pas tenu compte de l’aggravation de la crise des droits humains qu’elles avaient elles-mêmes provoquée. À Rio de Janeiro, une flambée de violence a donné lieu à une multiplication soudaine des homicides illégaux aux mains de policiers, tandis que le nombre d’homicides et d’autres violations des droits humains est monté en flèche ailleurs dans le pays. Rien n’a été fait ou presque pour réduire le nombre d’homicides, contrôler le recours à la force par les policiers ou garantir le respect des droits des populations autochtones. En raison de la très forte surpopulation, de la dangerosité et du chaos régnant dans les prisons brésiliennes, plus de 120 détenus sont morts au cours d’émeutes qui ont éclaté en janvier.

Malgré une baisse du taux d’homicides au Honduras, l’insécurité y demeurait forte et le niveau de violence élevé. L’impunité généralisée continuait de saper la confiance de la population envers les autorités et la justice. Un vaste mouvement de contestation qui a eu lieu dans tout le pays pour dénoncer le manque de transparence de l’élection présidentielle tenue en novembre a été violemment réprimé par les forces de sécurité. Au moins 31 personnes ont été tuées, plusieurs dizaines ont été placées en détention arbitraire et d’autres ont été blessées.

De nombreux homicides illégaux imputables aux forces de sécurité ont été recensés en République dominicaine, où le taux d’homicides demeurait élevé. La police jamaïcaine a, cette année encore, perpétré impunément des homicides illégaux, dont certains pourraient constituer des exécutions extrajudiciaires.

MANIFESTATIONS

Les autorités de plusieurs pays, dont la Colombie, le Paraguay et Porto Rico, ont réagi à des manifestations par un recours excessif et injustifié à la force.

Le Paraguay a été le théâtre d’une vague de contestation après la révélation d’une tentative secrète des sénateurs de modifier la Constitution en vue de permettre la réélection du président. Des manifestants ont mis le feu au bâtiment du Congrès, et un militant de l’opposition, Rodrigo Quintana, a été tué par la police. Des dizaines de personnes ont été blessées, plus de 200 ont été arrêtées, et des organisations locales ont signalé des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements par les forces de sécurité.

Au Nicaragua, des policiers ont empêché des communautés rurales et des populations autochtones de participer à des manifestations pacifiques contre la construction du grand canal interocéanique.

En Argentine, plus de 30 personnes ont été arrêtées arbitrairement par la police dans la capitale, Buenos Aires, pour avoir participé à une manifestation après la mort du militant Santiago Maldonado. En décembre, la police a fait usage d’une force excessive lors de vastes mouvements de protestation organisés à Buenos Aires en réaction aux réformes proposées par le gouvernement.

ACCÈS À LA JUSTICE ET LUTTE CONTRE L’IMPUNITÉ

Omniprésente, l’impunité constituait toujours l’un des principaux facteurs alimentant les atteintes aux droits humains dans de nombreux pays.

Au Guatemala, la persistance de l’impunité et de la corruption entamait la confiance du public à l’égard des autorités et entravait l’accès à la justice. Des manifestations de masse ont eu lieu en août et en septembre, et le pays a été confronté à une crise politique lorsque plusieurs membres du gouvernement ont démissionné à la suite de la tentative du président Jimmy Morales de destituer le chef de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala, un organe indépendant créé en 2006 par les Nations unies et le gouvernement pour renforcer l’état de droit après le conflit.

L’impunité pour les violations des droits humains passées et présentes demeurait un motif de préoccupation au Chili. La clôture de l’enquête sur l’enlèvement et les actes de torture dont aurait été victime le dirigeant mapuche Víctor Queipul Hueiquil, alors qu’aucune investigation exhaustive et impartiale n’avait semble-t-il été réalisée, a envoyé un signal inquiétant aux défenseurs des droits humains du pays. La machi (autorité spirituelle traditionnelle) Francisca Linconao et 10 autres Mapuches qui avaient été inculpés de terrorisme ont été acquittés, faute d’éléments prouvant leur implication dans la mort de deux personnes en janvier 2013. La Cour d’appel a néanmoins annulé ce jugement en décembre. Un nouveau procès devait débuter en 2018.

VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS COMMISES PAR LE PASSÉ

Les efforts visant à traiter les affaires de violations des droits humains non résolues demeuraient souvent lents et poussifs, entravés notamment par un manque de volonté politique.

Au Pérou, le président Pedro Pablo Kuczynski a accordé une grâce pour raisons médicales à l’ancien président Alberto Fujimori, qui avait été condamné en 2009 à 25 ans d’emprisonnement pour son rôle dans des crimes contre l’humanité commis par ses subordonnés et qui faisait toujours l’objet d’autres poursuites pour sa responsabilité présumée dans d’autres violations des droits humains pouvant s’apparenter à des crimes contre l’humanité. Des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre cette décision.

En Uruguay, des défenseurs des droits humains enquêtant sur les atteintes aux droits fondamentaux commises sous le régime militaire (1973-1985) ont affirmé avoir reçu des menaces de mort ; aucune enquête n’a été menée pour identifier l’origine de ces menaces. En novembre, la Cour suprême a estimé que les crimes perpétrés pendant cette période ne constituaient pas des crimes contre l’humanité et étaient, par conséquent, sujets à prescription.

Des progrès ont toutefois été accomplis. En Argentine, 29 personnes ont été condamnées à la réclusion à perpétuité pour des crimes contre l’humanité commis entre 1976 et 1983, sous le régime militaire, et une juridiction fédérale a rendu une décision historique en condamnant à cette même peine quatre anciens membres de l’ordre judiciaire en raison de leur participation à la commission de crimes contre l’humanité durant ces années.

En Bolivie, une Commission vérité a été créée pour enquêter sur les graves violations des droits humains perpétrées sous les régimes militaires, entre 1964 et 1982.

Des progrès ont été constatés dans les poursuites judiciaires engagées pour les crimes contre l’humanité commis pendant le conflit armé interne au Guatemala (1960-1996). Cinq anciens membres de l’armée ont notamment comparu devant la justice pour crimes contre l’humanité, viols et disparitions forcées. Après plusieurs vaines tentatives depuis 2015, les procès de José Efraín Ríos Montt, ancien président et commandant en chef des armées, et de Rodríguez Sánchez, ancien chef du renseignement militaire, ont repris en octobre.

PERSONNES RÉFUGIÉES, MIGRANTES OU APATRIDES

Refus de protection par les États-unis

Dans le contexte d’une crise mondiale des réfugiés qui a vu plus de 21 millions de personnes contraintes de fuir leur foyer à cause de la guerre et des persécutions, les États-Unis ont pris des mesures extrêmes pour refuser leur protection à celles et ceux qui en avaient besoin. Dès ses premières semaines au pouvoir, le président Trump a signé des décrets suspendant le programme américain d’accueil des réfugiés pendant 120 jours, interdisant sine die la réinstallation de réfugiés syriens aux États-Unis et réduisant à 50 000 le nombre de réfugiés pouvant être admis dans le pays au cours de l’année.

Il a également pris un décret prévoyant la construction d’un mur le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Ce texte, qui promettait 5 000 gardes-frontières supplémentaires, comportait le risque de voir encore plus de migrants - dont beaucoup nécessitant une protection internationale - faire l’objet de renvois forcés illégaux (push-backs) à la frontière ou d’expulsion vers des lieux où leur vie est menacée. L’injustice des actions du président Trump a été mise en évidence par la crise des réfugiés en Amérique centrale et par la situation dramatique au Venezuela, qui a entraîné une hausse du nombre de Vénézuéliens sollicitant l’asile dans un pays étranger. Face à la dégradation des conditions d’accueil des réfugiés et des migrants aux États-Unis, le nombre de demandeurs d’asile franchissant illégalement la frontière entre ce pays et le Canada a nettement augmenté.

Crise des réfugiés

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 57 000 personnes originaires du Honduras, du Guatemala et du Salvador ont sollicité l’asile à l’étranger. Beaucoup ont été renvoyées de force dans leur pays d’origine, où elles se sont retrouvées exposées aux dangers et conditions qu’elles avaient cherché à fuir, faute de système efficace pour les protéger. Des milliers de familles et de mineurs isolés ayant émigré aux États-Unis depuis ces pays en passant par le Mexique ont été appréhendés à la frontière américaine.

Le Mexique a reçu un nombre record de demandes d’asile, émanant principalement de ressortissants du Salvador, du Honduras, du Guatemala et du Venezuela, mais n’a bien souvent pas accordé de protection à celles et ceux qui en avaient besoin - préférant renvoyer de force ces personnes vers des situations extrêmement dangereuses, où leur vie était parfois menacée.

En Argentine, le système d’accueil des demandeurs d’asile restait lent et insuffisant, et aucun plan d’intégration n’était en place pour aider les demandeurs d’asile et les réfugiés à accéder à des droits fondamentaux tels que ceux à l’éducation, au travail et à des soins de santé. Les Cubains étaient toujours aussi nombreux à quitter leur pays en raison des bas salaires et des restrictions illégitimes de la liberté d’expression.

Personnes déplacées ou apatrides

La crise de l’apatridie en République dominicaine a continué de toucher des dizaines de milliers de personnes d’origine haïtienne nées dans le pays mais devenues apatrides après avoir été privées de la nationalité dominicaine de manière rétroactive et arbitraire en 2013. Les personnes concernées voyaient certains de leurs droits fondamentaux bafoués ; l’accès à l’enseignement supérieur ou à des emplois officiels leur était refusé, et elles ne pouvaient pas bénéficier de soins médicaux adéquats.

En Haïti, près de 38 000 personnes demeuraient déplacées à l’intérieur du pays à la suite du séisme de 2010. Une augmentation des cas d’expulsion à la frontière dominico-haïtienne a été signalée.

DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES

Les droits des peuples autochtones ont cette année encore été bafoués dans plusieurs pays, notamment l’Argentine, la Bolivie, le Canada, le Chili, la Colombie, l’Équateur, le Honduras, le Nicaragua et le Pérou.

Violences contre les populations autochtones

Les peuples indigènes continuaient d’être considérés comme des délinquants et de faire l’objet de pratiques discriminatoires en Argentine, où les autorités engageaient des poursuites en justice afin de les harceler. Des agressions aux mains de policiers, notamment des coups et des actes d’intimidation, ont également été signalées. Rafael Nahuel, membre de la communauté mapuche, a été tué en novembre lors d’une opération d’expulsion menée par les forces de sécurité.

En Colombie, une vague d’homicides de membres de communautés indigènes historiquement touchées par le conflit armé a fait ressortir les défaillances de la mise en oeuvre de l’accord de paix. L’assassinat de Gerson Acosta - chef du conseil indigène kite kiwe à Timbío, dans le département du Cauca, qui a été la cible de plusieurs coups de feu alors qu’il sortait d’une réunion - a montré tragiquement que les mesures prises par les autorités pour protéger la vie et garantir la sécurité des dirigeants et membres des communautés indigènes étaient inefficaces.

La Commission interaméricaine des droits de l’homme a recensé les différentes formes de discrimination subies par les femmes autochtones dans les Amériques et souligné que leur marginalisation politique, sociale et économique contribuait à une discrimination structurelle permanente, ce qui les exposait à un risque accru de violence.

Droits fonciers

Au Pérou, de nouvelles lois ont affaibli la protection des droits fonciers et des droits en matière de territoire des populations indigènes et ont fragilisé le principe de leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Le gouvernement a négligé le droit à la santé de centaines d’autochtones dont les seules sources d’eau ont été contaminées par des métaux lourds et qui n’avaient pas accès à des soins médicaux adaptés.

En Équateur, le droit de ces populations de donner préalablement leur consentement libre et éclairé continuait d’être bafoué, y compris par des intrusions de l’État sur leurs territoires pour des projets d’extraction pétrolière.

Les peuples indigènes du Paraguay étaient eux aussi toujours privés de leur droit à la terre et à un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, sur les projets les concernant. Malgré plusieurs arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, le gouvernement n’a pas permis à la communauté yakye axa de se réinstaller sur ses terres, ni réglé une affaire d’expropriation des terres de la communauté sawhoyamaxa.

La Cour suprême du Guatemala a reconnu l’absence de consultation préalable de la population indigène xinca de Santa Rosa et Jalapa, qui a souffert des répercussions négatives d’activités minières.

Au Brésil, les litiges fonciers et l’intrusion de bûcherons et de mineurs pratiquant illégalement leur activité sur le territoire de peuples indigènes ont donné lieu à de violentes attaques contre ces populations.

JOURNALISTES, DÉFENSEURES ET DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

Les risques et dangers extrêmes encourus par les personnes qui défendent les droits humains étaient manifestes dans de nombreux pays de la région. Des défenseurs des droits humains ont notamment été confrontés à des menaces, des actes de harcèlement et des attaques en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Équateur, au Honduras, au Mexique, au Nicaragua et au Paraguay.

Homicides et harcèlement au Mexique

Au Mexique, des défenseurs des droits humains ont été menacés, agressés ou tués ; les attaques et la surveillance numériques étaient particulièrement fréquentes. Au moins 12 journalistes ont été tués en 2017 - un record depuis l’an 2000 - bien souvent en plein jour dans des lieux publics, et aucune avancée notable n’a eu lieu en matière d’enquêtes et de poursuites contre les responsables présumés. Parmi les victimes figurait le journaliste primé Javier Valdez, qui a été assassiné en mai près des locaux du journal Ríodoce, qu’il avait fondé.

Il a été révélé qu’un réseau de personnes utilisait internet pour harceler et menacer des journalistes dans tout le pays. Il a également été démontré que des journalistes et des défenseurs des droits humains étaient surveillés au moyen d’un logiciel qui, savait-on, avait été acheté par le gouvernement.

Défenseurs des droits humains en danger au Honduras

Le Honduras restait l’un des pays les plus dangereux de la région pour les défenseurs des droits humains, en particulier pour les personnes s’employant à protéger les droits liés à la terre, au territoire et à l’environnement. Ces défenseurs ont été la cible de campagnes de dénigrement organisées à la fois par des acteurs étatiques et non étatiques pour discréditer leur travail, et les actes d’intimidation, les menaces et les agressions à leur encontre étaient monnaie courante. La plupart des agressions contre les défenseurs des droits humains signalées aux autorités demeuraient impunies. L’enquête sur l’assassinat en mars 2016 de Berta Cáceres, défenseure indigène de l’environnement, a peu progressé. Depuis son homicide, plusieurs autres militants écologistes et défenseurs des droits humains honduriens ont été harcelés et menacés.

Multiplication des attaques en Colombie

Le nombre d’attaques perpétrées contre des militants des droits humains en Colombie a augmenté, notamment celles visant des dirigeants communautaires, des défenseurs des terres, des territoires et de l’environnement, et des personnes mobilisées en faveur de l’accord de paix. Selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme [ONU], une centaine de défenseurs des droits fondamentaux ont été tués dans le pays durant l’année. En général, les menaces de mort lancées contre des militants étaient attribuées à des paramilitaires mais, dans la plupart des cas, les autorités ne parvenaient pas à identifier les groupes responsables des homicides faisant suite à ces menaces.

Détentions arbitraires, menaces et harcèlement

À Cuba, de nombreux défenseurs des droits humains et militants politiques continuaient d’être harcelés, intimidés, privés de leur emploi dans la fonction publique et placés arbitrairement en détention, dans le but de faire taire les critiques. Les avancées dans le domaine de l’éducation étaient compromises par la censure sur internet et ailleurs. Parmi les prisonniers d’opinion figurait Eduardo Cardet Concepción, dirigeant du Mouvement chrétien " Libération ", une organisation en faveur de la démocratie, condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir critiqué publiquement l’ancien président Fidel Castro.

Au Guatemala, les défenseurs des droits humains, en particulier ceux qui travaillaient sur les questions liées à la terre, au territoire et à l’environnement, ont cette année encore été visés par des menaces, des attaques et des campagnes de diffamation. L’appareil judiciaire a en outre fréquemment été détourné pour attaquer, harceler et faire taire ces personnes.

La Cour suprême du Pérou a rendu une décision historique pour les défenseurs de l’environnement en confirmant l’acquittement de Máxima Acuña Atalaya. Cette militante des droits humains faisait depuis cinq ans l’objet d’une procédure pénale sur la base d’accusations infondées d’occupation illégale de terres.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Dans toute la région, les femmes et les filles continuaient de subir de multiples atteintes aux droits humains, dont des violences et des discriminations liées au genre ainsi que des violations des droits sexuels et reproductifs.

Violences faites aux femmes et aux filles

Les violences contre les femmes et les filles demeuraient répandues. L’impunité pour des crimes tels que les viols, les meurtres et les menaces était persistante et généralisée, souvent favorisée par un manque de volonté politique, des ressources limitées pour enquêter et traduire en justice les responsables présumés, et une culture patriarcale incontestée.

La violence liée au genre dont était toujours le théâtre la République dominicaine a entraîné une augmentation du nombre de femmes et de filles victimes d’homicide. Les violences à l’égard des femmes et des filles restaient une source de préoccupation majeure au Mexique, et la situation s’est aggravée au Nicaragua.

En Jamaïque, des mouvements de défense des femmes et des victimes de violences sexuelles ou liées au genre ont manifesté pour protester contre l’impunité des auteurs de tels actes.

Les homicides de femmes exerçant des fonctions dirigeantes se sont accrus en Colombie, et aucun progrès manifeste n’a été réalisé pour permettre aux femmes victimes de violences sexuelles d’accéder à la justice. Cependant, grâce à la mobilisation des organisations de défense des droits des femmes, il était prévu dans l’accord de paix que les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes à caractère sexuel devraient comparaître devant des tribunaux de justice transitionnelle.

À Cuba, les Dames en blanc - un groupe de parentes de prisonniers politiques - demeuraient l’une des principales cibles de la répression exercée par les autorités.

Le gouvernement fédéral du Canada a dévoilé une stratégie pour combattre la violence liée au genre et s’est engagé à placer les droits des femmes, l’égalité des genres et les droits sexuels et reproductifs au coeur de sa politique étrangère. Une loi visant à lutter contre la violence faite aux femmes est entrée en vigueur au Paraguay en décembre. On ignorait toutefois comment sa mise en oeuvre serait financée.

DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS

La « règle du bâillon mondial » aux États-Unis

En janvier, deux jours après des manifestations de grande ampleur sur tous les continents en faveur de l’égalité et contre les discriminations, le président Trump a mis en péril la vie et la santé de millions de femmes et de filles dans le monde en rétablissant la " règle du bâillon mondial ". Celle-ci interdisait les aides financières américaines à des hôpitaux ou organisations qui fournissent des informations sur les possibilités d’avortement légales et sans danger, qui permettent d’accéder à de tels services ou qui militent pour la dépénalisation de l’avortement ou le développement des services d’interruption volontaire de grossesse.

Rien qu’en Amérique latine - où certains experts estiment que 760 000 femmes sont traitées chaque année pour des complications dues à un avortement pratiqué dans de mauvaises conditions - la politique du président Trump menaçait de nombreuses vies supplémentaires.

Criminalisation de l’avortement

À la suite de l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel du Chili en faveur de sa dépénalisation dans certaines situations, l’avortement était toujours frappé d’une interdiction totale, même en cas de menace pesant sur la vie ou la santé de la femme ou de la jeune fille enceinte, dans sept pays du monde seulement. Six de ces pays se trouvaient dans les Amériques : Haïti, le Honduras, le Nicaragua, la République dominicaine, le Salvador et le Suriname.

Au Salvador, Evelyn Beatriz Hernández Cruz, 19 ans, a été condamnée à 30 années de prison pour homicide avec circonstances aggravantes, après avoir souffert de complications obstétricales ayant entraîné une fausse couche. En décembre, un tribunal a confirmé la condamnation à la même peine de Teodora, une femme qui avait accouché en 2007 d’un enfant mort-né.

Le Sénat de République dominicaine a voté contre une proposition de dépénalisation de l’avortement dans certaines circonstances. Au Honduras, le Congrès a également décidé de maintenir dans le nouveau Code pénal l’interdiction de l’avortement en toutes circonstances. En Argentine, les femmes et les jeunes filles qui voulaient recourir à un avortement légal lorsque leur grossesse mettait leur santé en danger ou résultait d’un viol se heurtaient à des obstacles ; la dépénalisation totale de l’avortement était toujours en cours d’examen devant le Parlement. En Uruguay, l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive était difficile dans les zones rurales, et les opposants à l’avortement ont continué d’entraver l’accès aux services légaux d’interruption de grossesse.

En octobre, le ministère de l’Éducation et des Sciences du Paraguay a adopté une résolution interdisant l’utilisation de matériel éducatif comportant des informations de base sur les droits humains, les droits sexuels et reproductifs et la diversité, entre autres sujets.

En Bolivie - où les avortements pratiqués dans de mauvaises conditions étaient l’une des principales causes de mortalité maternelle - des modifications du Code pénal ont considérablement élargi l’accès à l’avortement légal.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES

Les discriminations, les actes de harcèlement et les violences visant des personnes LGBTI persistaient dans la région, notamment en Haïti, au Honduras et en Jamaïque.

En Bolivie, la Cour constitutionnelle a invalidé en partie une loi qui autorisait les personnes ayant changé de genre sur leurs papiers d’identité à se marier civilement. Le médiateur du pays a proposé une modification du Code pénal afin d’ériger en infraction les crimes de haine contre les personnes LGBTI.

En République dominicaine, le corps démembré d’une femme transgenre, Jessica Rubi Mori, a été retrouvé sur un terrain vague. À la fin de l’année, personne n’avait été traduit en justice pour cet homicide.

L’Uruguay ne disposait toujours pas de politique exhaustive pour lutter contre la discrimination visant les personnes LGBTI, les protéger des violences dans les établissements scolaires et les espaces publics et leur garantir l’accès aux services de santé.

CONFLIT ARMÉ

En dépit des perspectives qu’offrait l’accord de paix en Colombie, l’application de la plupart de ses points restait suspendue à la mise en oeuvre de la loi, et les crimes perpétrés durant le conflit risquaient fortement de demeurer impunis.

La persistance des atteintes aux droits humains révélait par ailleurs que la guerre civile entre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et les forces de sécurité colombiennes était loin d’être terminée. Elle semblait même s’intensifier dans certaines zones. Les civils demeuraient les principales victimes du conflit armé, les plus exposés étant les indigènes, les Afro-Colombiens, les petits paysans et les défenseurs des droits humains.

L’augmentation brutale du nombre d’homicides de défenseurs des droits humains au début de l’année a mis en évidence les dangers auxquels sont exposées les personnes qui dénoncent des violations en Colombie.

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