Rapport annuel 2018

Résumé régional Europe et Asie centrale

L’espace dévolu à la société civile a continué de se rétrécir dans toute l’Europe et l’Asie centrale. En Europe de l’Est et en Asie centrale, le discours dominant restait hostile aux droits humains. Les défenseurs des droits humains, les militants, les médias et l’opposition politique ont été fréquemment pris pour cible par les pouvoirs publics. On a assisté dans toute la région à une remise en cause des droits à la liberté d’association et de rassemblement pacifique, ainsi que des droits à la liberté d’opinion et d’expression. Les pouvoirs publics ont répondu à la contestation par une série de mesures répressives et par un recours excessif à la force de la part de la police. Les États ont continué d’appliquer, au nom de la sécurité, diverses mesures antiterroristes qui limitaient de façon disproportionnée les droits des citoyens. Des millions de personnes ont été confrontées à l’érosion de leurs droits économiques, sociaux et culturels, qui s’est traduite par un affaiblissement de la protection sociale, des inégalités accrues et des discriminations systémiques. En de multiples occasions, les États n’ont pas assumé les responsabilités qui étaient les leurs en termes de protection des personnes réfugiées et migrantes. Les femmes et les filles ont cette année encore été victimes de violations des droits humains et d’abus institutionnalisés, y compris d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. Les violences liées au genre étaient toujours très répandues. Les discriminations et la stigmatisation visant des minorités restaient monnaie courante, des groupes entiers de la population se retrouvant victimes de harcèlement et de violences. Des prisonniers d’opinion ont été remis en liberté.

En 2017, pour la première fois en près de 60 ans d’existence, Amnesty International a été confrontée à l’arrestation à la fois du président et de la directrice de l’une de ses sections, qui sont ainsi eux-mêmes devenus des prisonniers d’opinion. Taner Kılıç, le président d’Amnesty International Turquie, a été arrêté en juin. Le mois suivant, 10 autres défenseurs des droits humains, surnommés les " 10 d’Istanbul ", ont été interpellés alors qu’ils participaient à un simple séminaire à Istanbul. Parmi eux se trouvait Idil Eser, la directrice de la section turque. Les 10 d’Istanbul et Taner Kılıç ont été par la suite traduits en justice pour diverses atteintes à la législation antiterroriste. Leur arrestation s’inscrivait dans le cadre plus large de la répression menée contre la société civile depuis le coup d’État manqué de juillet 2016. À la fin de l’année, les 10 d’Istanbul avaient été remis en liberté, mais Taner Kılıç était toujours en détention. Bien que le procureur n’ait apporté aucun élément à charge contre elles, ces 11 personnes restaient menacées : leur procès se poursuivait, fondé sur des accusations absurdes pour lesquelles elles encouraient jusqu’à 15 ans de réclusion.

La répression menée contre les voix dissidentes en Turquie reflétait la tendance plus générale d’un rétrécissement de l’espace accordé à la société civile un peu partout en Europe et en Asie centrale. Les défenseurs des droits humains étaient confrontés à des problèmes considérables et les droits à la liberté d’association et de rassemblement étaient plus particulièrement remis en cause.

Dans l’est de la région, le discours dominant restait hostile aux droits humains. La répression frappait fréquemment les défenseurs des droits humains, l’opposition, les mouvements de contestation, les militants en lutte contre la corruption, ainsi que les minorités sexuelles. Ce discours hostile progressait également plus à l’ouest. Il a trouvé sa première expression législative en Hongrie, où a été adoptée une loi jetant de fait le discrédit sur les ONG qui recevaient des fonds de l’étranger.

Des attentats ont fait des morts et des blessés à Barcelone, Bruxelles, Londres, Manchester, Paris, Stockholm, Saint-Pétersbourg et en divers endroits en Turquie. En réaction, les États ont maintenu toute une série de mesures antiterroristes qui limitaient de façon disproportionnée les droits des citoyens au nom de la sécurité.

Des millions de personnes ont été confrontées à l’érosion de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Dans de nombreux pays, cette érosion s’est traduite par un affaiblissement de la protection sociale, ainsi qu’un accroissement des inégalités et des discriminations systémiques. Les femmes, les enfants, les travailleurs jeunes ou faiblement rémunérés, les personnes handicapées, les migrants et les demandeurs d’asile, les minorités ethniques et les personnes âgées et vivant seules étaient particulièrement touchés par la pauvreté.

Dans toute la région, les gouvernements se sont à de multiples reprises soustraits à leurs responsabilités envers les personnes réfugiées et migrantes. Le nombre d’arrivées de réfugiés et de migrants en situation irrégulière dans l’UE a sensiblement baissé au cours du second semestre, en grande partie en raison des accords de coopération signés avec les autorités libyennes alors même que ces dernières fermaient les yeux sur les violences infligées aux personnes prises au piège dans le pays, voire y participaient. Celles et ceux qui ont réussi à gagner l’UE risquaient de plus en plus d’être renvoyés de force y compris dans des pays comme l’Afghanistan, où leur vie ou leur liberté était menacée.

Au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie a fait usage de son veto pour la neuvième fois, pour que le gouvernement syrien n’ait pas à répondre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dont il était accusé. Le recours systématique au droit de veto par la Russie revenait pour ce pays à donner son assentiment pour les crimes de guerre commis, permettant ainsi à toutes les parties au conflit syrien d’agir en toute impunité, tandis que les civils en payaient le prix fort.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Dans l’est de l’Europe et en Asie centrale, la société civile s’est heurtée au harcèlement et à toute une série de restrictions. Au Bélarus et en Russie, sur fond de mesures législatives limitant les activités des médias et des ONG, ainsi que les rassemblements publics, des dizaines de personnes ont été jetées en prison en raison de leurs activités militantes pacifiques et sont ainsi devenues des prisonniers d’opinion.

Au Tadjikistan, l’érosion de la liberté d’opinion et d’expression s’est confirmée, les autorités appliquant une politique largement liberticide afin de faire taire celles et ceux qui les critiquaient. La police et les services de sécurité n’ont pas hésité à intimider et à harceler des journalistes. Certains avocats défenseurs des droits humains ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, de poursuites judiciaires s’appuyant sur des motifs politiques, de lourdes peines d’emprisonnement et d’actes de harcèlement.

Au Kazakhstan, journalistes et militants ont été la cible de poursuites et d’agressions obéissant là encore à des préoccupations d’ordre politique. Après avoir quasiment étouffé la presse indépendante, les pouvoirs publics ont eu recours à des méthodes de plus en plus sophistiquées et agressives pour réduire au silence les voix dissidentes sur internet et sur les réseaux sociaux. En Azerbaïdjan, une campagne en ligne a pris pour cible les personnes qui osaient exprimer des critiques à l’égard du pouvoir.

Le gouvernement ouzbek a quant à lui soumis ses citoyens à une surveillance illégale, dans le pays comme à l’étranger, renforçant le climat hostile aux journalistes et aux militants qui régnait sur place et instillant la peur parmi les ressortissants ouzbeks vivant en Europe. Les défenseurs des droits humains et les journalistes ont continué de faire l’objet de convocations pour interrogatoire par la police, de placements en résidence surveillée et de violences de la part des pouvoirs publics.

En Crimée, les autorités de facto ont poursuivi leur politique de répression de toute dissidence. Les chefs de file de la communauté tatare de Crimée qui osaient dénoncer ouvertement l’occupation et l’annexion illégale de la péninsule par la Russie n’avaient qu’une alternative : l’exil ou la prison.

En Turquie, après la tentative de coup d’État de 2016, des dizaines de milliers de personnes étaient toujours en détention parce que perçues comme critiques à l’égard du gouvernement. Désormais, les médias grand public s’abstenaient généralement de critiquer l’action des pouvoirs publics. Plus d’une centaine de journalistes ont été jetés en prison, soit plus que dans n’importe quel autre pays, et y ont souvent été maintenus pendant des mois, sur la foi d’accusations fallacieuses.

En Europe de l’Est et en Asie centrale, la principale évolution positive a été la libération de plusieurs personnes détenues depuis des années, dont des prisonniers d’opinion, en particulier en Ouzbékistan. Des prisonniers d’opinion ont également été libérés en Azerbaïdjan, mais, les autorités n’ayant pas renoncé à leur politique de répression, d’autres ont pris leur place. En Russie, le prisonnier d’opinion Ildar Dadine, première - et pour l’instant seule - personne à avoir été incarcérée aux termes d’une récente loi érigeant en infraction pénale la violation répétée des restrictions draconiennes apportées aux rassemblements publics, a été libéré et acquitté à la suite d’un arrêt de la Cour constitutionnelle.

DES LOIS RÉPRESSIVES

Des lois répressives ont été adoptées dans toute l’Europe et l’Asie centrale. S’inspirant d’un texte similaire adopté en Russie en 2012, la Hongrie s’est dotée d’une Loi sur la transparence des organisations financées par des capitaux étrangers, qui contraignait toute ONG recevant de l’étranger un financement direct ou indirect supérieur à 24 000 euros à se faire réenregistrer comme " organisation civile financée par des capitaux étrangers ", avec obligation de faire figurer cette mention sur toutes ses publications. Cette mesure s’est accompagnée d’un discours très accusateur de la part des pouvoirs publics. Des projets de loi allant dans le même sens ont été déposés en Ukraine et en Moldavie ; le texte moldave est toutefois resté sans suite face aux objections soulevées par la société civile et des organisations internationales.

Des manifestations ont eu lieu en novembre en Pologne, alors que les parlementaires étaient appelés à se prononcer sur des modifications législatives qui menaçaient l’indépendance du pouvoir judiciaire et plusieurs droits fondamentaux, dont celui de bénéficier d’un procès équitable. Le président Andrzej Duda avait opposé son veto à ces modifications en juillet, mais il en avait ensuite rédigé de nouvelles versions qu’il avait soumises au Parlement en septembre.

LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION

En Europe de l’Est comme en Asie centrale, les autorités s’en sont prises aux personnes qui manifestaient sans violence. En Russie, lors des grandes manifestations qui ont eu lieu un peu partout dans le pays en mars pour dénoncer la corruption, la police a fait usage d’une force excessive et a arrêté des centaines de manifestants, pour la plupart pacifiques, à Moscou, et plus d’un millier d’autres ailleurs dans le pays. Alexeï Navalny, une des figures de l’opposition, faisait partie des personnes arrêtées. Des centaines d’arrestations, accompagnées ou suivies de mauvais traitements, ont de nouveau eu lieu lors d’une autre vague de manifestations contre la corruption, en juin, puis le 7 octobre, jour de l’anniversaire du président Vladimir Poutine.

Au Kazakhstan, le fait d’organiser une manifestation non violente sans l’autorisation des pouvoirs publics ou d’y participer constituait toujours une infraction. La police du Kirghizistan a dispersé une manifestation pacifique organisée à Bichkek, la capitale, pour dénoncer la dégradation de la liberté d’expression, et a procédé à plusieurs arrestations. Les autorités du Bélarus ont violemment réprimé des manifestations de grande ampleur organisées pour protester contre l’adoption d’un impôt visant les personnes sans emploi.

En Pologne, une modification discriminatoire apportée à la législation a entraîné l’interdiction de certaines manifestations, tandis que les rassemblements favorables au gouvernement étaient encouragés. Des personnes ayant participé à des manifestations contre la politique du gouvernement ont été poursuivies en justice, harcelées par des agents des forces de l’ordre et par des membres d’autres courants politiques, et ont été empêchées d’exercer leur droit à la liberté de réunion pacifique.

Dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest, les autorités ont répondu à la contestation par toute une série de mesures répressives et d’abus. En Allemagne, en Espagne, en France et en Pologne, les pouvoirs publics ont choisi de répondre aux rassemblements organisés pour dénoncer les politiques répressives ou les atteintes aux droits humains en fermant l’espace public, en faisant intervenir brutalement la police, en encerclant et en immobilisant les manifestants non violents, en multipliant les mesures de surveillance et en brandissant la menace de sanctions administratives ou pénales. Le gouvernement français a continué de s’appuyer sur des dispositions d’urgence pour interdire les rassemblements publics et limiter le droit de circuler librement, afin d’empêcher certaines personnes de participer à des manifestations.

En octobre, les forces de sécurité espagnoles, qui avaient reçu l’ordre d’empêcher la tenue du référendum sur l’indépendance de la Catalogne, sont intervenues avec une brutalité inutile et disproportionnée contre les manifestants, faisant ainsi plusieurs centaines de blessés. Les éléments disponibles montraient notamment que la police avait roué de coups des manifestants non violents.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ

En Europe de l’Ouest, les pouvoirs publics ont continué à faire adopter à marche forcée des mesures antiterroristes à la fois disproportionnées et discriminatoires. L’adoption, en mars, de la Directive de l’UE relative à la lutte contre le terrorisme devrait donner lieu en 2018 à une prolifération de mesures analogues, chaque État transposant dans son droit national les dispositions de ce texte.

La large définition du terme " terrorisme " retenue dans les différentes lois antiterroristes et l’application abusive de ces lois à toutes sortes de personnes (défenseurs des droits humains, militants écologistes, réfugiés, migrants, journalistes) restaient préoccupantes, en particulier en Turquie mais également dans toute l’Europe occidentale. Des lois formulées en termes vagues et sanctionnant la " glorification " ou l’" apologie " du terrorisme ont été utilisées pour poursuivre en justice des militants et des groupes de la société civile pour des opinions exprimées sur internet et sur les réseaux sociaux, notamment en Espagne, en France et au Royaume-Uni.

En France, l’état d’urgence a été levé en novembre, près de deux ans après avoir été déclaré. Les autorités françaises ont adopté en octobre une nouvelle loi contre le terrorisme qui inscrivait dans le droit commun nombre de mesures autorisées au titre de l’état d’urgence.

Au lieu d’enquêter et de poursuivre en justice les auteurs présumés d’attentats, de nombreux États ont préféré mettre en place des mesures de contrôle administratif restreignant les droits de tous, appliquées généralement pour des motifs vagues, souvent liés aux convictions religieuses des personnes. La détention sans inculpation ni procès a été proposée dans plusieurs pays, dont la France, les Pays-Bas et la Suisse. Elle a été adoptée en Bavière (Allemagne).

De nombreux États membres de l’UE ont également tenté d’établir des liens entre la crise des réfugiés et la menace terroriste. Bien que la condamnation sur la foi d’éléments fallacieux de " Ahmed H " par un tribunal hongrois ait été annulée, ce ressortissant syrien résidant à Chypre a été maintenu en détention en attendant d’être rejugé. Son nouveau procès était en cours à la fin de l’année. Il avait une première fois été reconnu coupable d’" acte de terrorisme ", pour avoir jeté des pierres et s’être adressé à la foule avec un mégaphone lors d’affrontements avec la police des frontières.

Les activités sur internet étaient de plus en plus perçues par un certain nombre d’États d’Europe et d’Asie centrale comme pouvant potentiellement mener à des actes " extrémistes " ou en lien avec le terrorisme. Le Royaume-Uni a proposé de faire de la consultation répétée de contenus " en lien avec le terrorisme " une infraction pénale passible de 15 ans de réclusion. Des mesures du même type existaient déjà en France, où elles étaient pourtant jugées contraires à la Constitution.

En Europe de l’Est et en Asie centrale, la réaction des pouvoirs publics face aux menaces, réelles et supposées, représentées par le terrorisme et l’extrémisme a pris une forme malheureusement trop répandue. Les extraditions et les " restitutions " de suspects vers des pays où ils risquaient d’être torturés, ou plus généralement maltraités, étaient à la fois fréquentes et expéditives, les personnes concernées étant renvoyées de force, en violation du droit international. Dans la région russe du Caucase du Nord, des disparitions forcées, des détentions illégales, des mauvais traitements et des actes de torture sur des détenus, ainsi que des exécutions extrajudiciaires ont été signalés dans le cadre d’opérations de sécurité. En Crimée sous occupation russe, les autorités de facto cherchaient à faire taire toute dissidence et continuaient de s’en prendre arbitrairement aux Tatars de Crimée au titre de la législation relative à la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme.

PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES

En 2017, 171 332 réfugiés et migrants sont arrivés en Europe par la mer, contre 362 753 en 2016. Cette diminution était essentiellement due à la coopération entre les États membres de l’UE et la Libye et la Turquie. Au moins 3 119 personnes sont mortes en tentant de traverser la Méditerranée pour gagner l’Europe. Les États membres de l’UE ont redoublé d’efforts pour empêcher les arrivées irrégulières et accroître les retours, y compris en appliquant une politique qui exposait les migrants et les personnes ayant besoin d’une protection à des mauvais traitements, à des actes de torture et à diverses autres atteintes à leurs droits dans les pays de transit ou d’origine.

En se servant de divers moyens de pression, comme les aides ou le commerce, les gouvernements européens ont encouragé et aidé les pays de transit à mettre en oeuvre des mesures de contrôle aux frontières plus strictes, sans garanties suffisantes en matière de droits humains, alors même que de très nombreuses atteintes aux droits fondamentaux étaient systématiquement perpétrées contre des réfugiés et des migrants dans certains de ces pays. Des milliers de réfugiés et de migrants se sont ainsi retrouvés pris au piège dans des pays où ils ne disposaient pas d’une protection suffisante et où ils étaient exposés à de graves atteintes à leurs droits fondamentaux.

Les ONG, qui ont réalisé au premier semestre 2017 plus de sauvetages que tous les autres acteurs dans la partie centrale de la Méditerranée, ont été discréditées et prises à partie par certains commentateurs et certaines personnalités politiques. Leurs activités étaient désormais soumises à des restrictions au titre d’un nouveau code de conduite imposé par les autorités italiennes.

À l’instar d’autres pays d’Europe et d’Asie centrale, la Russie a continué de renvoyer des demandeurs d’asile et des réfugiés dans des pays où ils risquaient d’être victimes d’actes de torture et d’autres mauvais traitements.

La collaboration européenne avec la Libye

Constatant que la plupart des réfugiés et des migrants qui faisaient la traversée vers l’Europe embarquaient en Libye, l’UE et les gouvernements européens, l’Italie en tête, ont cherché à fermer cette voie de passage en collaborant avec les garde-côtes libyens et divers autres protagonistes locaux. Ils ont conclu une série d’accords de coopération avec des autorités libyennes pourtant responsables de graves violations des droits humains, notamment les garde-côtes libyens et la Direction générale libyenne de lutte contre la migration illégale (DCIM).

Comme d’autres pays, l’Italie n’a pas cherché à faire figurer dans ces accords des garanties élémentaires en matière de droits fondamentaux et a fermé les yeux sur les violations des droits humains, y compris les actes de torture et d’extorsion, commis sur la personne de réfugiés et de migrants par les institutions mêmes avec lesquelles elle coopérait. Les actions des pays européens ont entraîné une augmentation du nombre de personnes arrêtées ou interceptées. Par leur attitude, les gouvernements européens, et en particulier l’Italie, contrevenaient à leurs propres obligations internationales et se rendaient complices des violations commises par les autorités libyennes, qu’ils soutenaient et avec lesquelles ils collaboraient.

L’accord entre l’UE et la Turquie sur les migrants - la situation en Grèce

L’accord sur les migrants conclu en mars 2016 entre l’UE et la Turquie restait en place et avait toujours pour effet de limiter l’accès au territoire et aux procédures d’asile de l’UE. Aux termes de cet accord, les demandeurs d’asile pouvaient être renvoyés en Turquie, sous prétexte que celle-ci constituait un pays de transit " sûr ". Les dirigeants européens ont maintenu la fiction selon laquelle la Turquie fournissait aux réfugiés une protection équivalente à celle de l’UE, alors que, depuis la tentative de coup d’État de 2016, ce pays était devenu encore moins " sûr " qu’auparavant. La suspension des garanties de procédure au titre de l’état d’urgence décrété en Turquie exposait les réfugiés qui s’y trouvaient à un risque accru de renvoi forcé dans un pays où ils risquaient d’être victimes de graves atteintes aux droits humains. À la suite de cet accord, des milliers de personnes se sont retrouvées piégées dans des conditions déplorables, marquées par la surpopulation et l’insécurité, sur des îles grecques transformées de fait en camps de rétention, dans lesquels ces personnes étaient en outre confrontées à des procédures d’asile prolongées. Certains migrants et demandeurs d’asile ont été victimes de crimes de haine violents. Le nombre des arrivées dans les îles grecques a nettement diminué par rapport à 2016, essentiellement en raison de l’accord conclu avec la Turquie. Toutefois, une nouvelle progression relative pendant l’été a une fois de plus pesé lourdement sur les capacités d’accueil déjà insuffisantes des îles. Au mois de décembre, quelque 13 000 demandeurs d’asile étaient toujours en attente, coincés dans les îles grecques.

Parallèlement, les conditions d’accueil, aussi bien dans les îles qu’en Grèce continentale, restaient inadaptées. De nombreuses personnes étaient toujours contraintes de dormir dans des tentes qui ne convenaient pas pour l’hiver et les femmes et les filles restaient particulièrement exposées, dans des camps où leur sécurité n’était pas assurée.

En septembre, la plus haute instance administrative de Grèce a ouvert la voie au renvoi forcé de demandeurs d’asile syriens aux termes de l’accord entre l’UE et la Turquie, en approuvant les décisions des autorités grecques chargées de la procédure d’asile, qui ont estimé que la Turquie était un pays sûr pour deux ressortissants syriens.

Programme de relocalisation

La solidarité envers les pays qui concentraient la majorité des arrivées laissait toujours à désirer. La plupart des pays de l’UE n’ont pas relocalisé le nombre de demandeurs d’asile en provenance de Grèce et d’Italie auquel ils s’étaient engagés au titre du Programme de relocalisation d’urgence adopté en septembre 2015. Au mois de novembre, les États européens n’avaient atteint que 32 % des relocalisations qu’ils étaient légalement tenus de réaliser. Fin 2017, 21 703 demandeurs d’asile sur 66 400 avaient été relocalisés depuis la Grèce, et 11 464 sur environ 35 000 l’avaient été depuis l’Italie.

La Pologne et la Hongrie étaient particulièrement loin du compte, puisque, à la fin de l’année, ni l’une ni l’autre n’avait accepté d’accueillir un seul demandeur d’asile en provenance d’Italie ou de Grèce.

La Cour européenne de justice a rejeté les recours introduits par la Slovaquie et la Hongrie, qui dénonçaient le caractère obligatoire du Programme de relocalisation. La Commission européenne a par ailleurs engagé une procédure d’infraction contre la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, qui n’avaient pas honoré leurs obligations en matière de relocalisation.

Restrictions au droit d’asile et renvoies forcés illégaux

La Hongrie a atteint un nouveau stade dans le mépris de ses obligations, en adoptant une loi autorisant le renvoi forcé sommaire (pushback) de toutes les personnes en situation irrégulière dans le pays et en mettant en place un système de détention automatique des demandeurs d’asile, en violation patente de la législation communautaire européenne. Des demandeurs d’asile se présentant aux frontières hongroises ont été enfermés dans des conteneurs. Le mépris systématique des droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants de la part de la Hongrie s’est également traduit par une restriction draconienne des points d’entrée sur le territoire. Ces personnes ne pouvaient se présenter qu’à deux " zones de transit " opérationnelles aménagées sur la frontière, qui n’acceptaient pas plus de 10 nouvelles demandes d’asile par jour ouvré. Des milliers de personnes se sont ainsi retrouvées bloquées en Serbie, dans des camps où les conditions de vie étaient mauvaises, menacées de se retrouver sans abri ou d’être renvoyées de force vers la Macédoine ou la Bulgarie.

Des atteintes aux droits humains et des renvois forcés illégaux ont continué de se produire aux frontières extérieures de l’UE, de l’Espagne à la Pologne en passant par la Grèce et la Bulgarie. Le gouvernement polonais a proposé de légaliser les renvois forcés sommaires, fréquents dans la pratique à la frontière qui sépare la Pologne du Bélarus. Dans un arrêt marquant, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Espagne pour nonrespect de l’interdiction des expulsions collectives et violation du droit à un recours effectif dans le cas de deux migrants qui avaient été sommairement renvoyés vers le Maroc depuis l’enclave espagnole de Melilla.

La Slovénie a adopté plusieurs modifications législatives lui permettant de refuser l’entrée sur son territoire à des personnes qui se présentaient à ses frontières et d’expulser automatiquement les migrants et les réfugiés en situation irrégulière, sans avoir à évaluer leurs demandes d’asile.

Renvois forcés

Les États membres de l’UE ont également continué de faire pression sur les autorités de pays tiers pour les convaincre d’accepter sur leur territoire les migrants et demandeurs d’asile renvoyés d’Europe, parfois sans prévoir de garanties suffisantes contre les risques d’expulsion vers des pays où ces personnes seraient exposées à de graves atteintes aux droits humains. Alors que le nombre de victimes civiles atteignait de nouveau des niveaux records en Afghanistan, les gouvernements européens obligeaient de plus en plus de demandeurs d’asile afghans à repartir affronter les menaces qu’ils avaient fuies. Des pays comme l’Autriche, la Norvège et les Pays-Bas se sont livrés à des expulsions vers l’Afghanistan.

IMPUNITÉ ET OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES EN EX-YOUGOSLAVIE

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a rendu son dernier jugement le 29 novembre 2017, mettant ainsi un terme à 23 années d’efforts, le plus souvent couronnés de succès, destinés à contraindre les auteurs de crimes de guerre à rendre des comptes. Ce même mois de novembre, le Tribunal a condamné le chef militaire bosno-serbe Ratko Mladić à la réclusion à perpétuité pour une série d’atteintes au droit international, et notamment pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Au niveau national, à l’exception de la Bosnie-Herzégovine, où de modestes progrès ont été réalisés, l’impunité restait la norme dans les pays concernés, les tribunaux ne disposant toujours que de moyens et de capacités limités et devant faire face à des pressions politiques. Dans toute la région, les procureurs souffraient d’un manque de soutien de la part de l’exécutif et leur travail était compromis par un climat marqué par une rhétorique nationaliste et une absence de volonté politique pour la mise en place d’une coopération régionale sur la durée. À la fin de l’année, les pouvoirs publics n’avaient toujours pas établi ce qu’il était advenu de plus de 11 500 personnes disparues pendant les conflits armés qui ont ensanglanté les Balkans. Les victimes de disparitions forcées et leurs familles continuaient de se heurter à un déni de justice et de vérité, et n’avaient toujours pas obtenu réparation. Dans plusieurs pays, des améliorations symboliques ont été apportées à la législation relative aux réparations dues aux victimes de violences sexuelles commises en temps de guerre.

DISCRIMINATION

Les prétexte des « Valeurs traditionnelles » en Europe de l’Est et en Asie Centrale

En Europe de l’Est et en Asie centrale, les pouvoirs publics ont souvent tenté de consolider les pratiques répressives et discriminatoires en encourageant et en adoptant de plus en plus fréquemment un discours fondé sur une interprétation partisane de prétendues " valeurs traditionnelles ". Ces " valeurs traditionnelles " correspondaient en réalité à une interprétation sélective, xénophobe, misogyne et homophobe de valeurs culturelles. C’est au nom de ce discours qu’étaient par exemple sanctionnées, au Tadjikistan, les personnes appartenant à la communauté LGBTI, accusées de comportements " immoraux ". L’imposition de " normes " relatives à la manière de s’habiller, à la langue et à la religion, qui s’appliquaient en premier lieu aux femmes et aux minorités religieuses, relevait de la même démarche. Les pouvoirs publics sont allés jusqu’à adopter de nouvelles lois permettant l’application de ces normes et sanctions. Au Kazakhstan comme en Russie se sont multipliées les poursuites pénales et d’autres manoeuvres de harcèlement contre les membres de minorités religieuses, pour des motifs arbitraires et au titre de lois " contre l’extrémisme ". La référence aux " valeurs traditionnelles " a servi à justifier d’une manière particulièrement sinistre la campagne secrète de torture et d’homicides menée contre les homosexuels par les autorités de Tchétchénie.

DROITS DES FEMMES

À la suite des allégations de harcèlement sexuel visant le producteur hollywoodien Harvey Weinstein et diverses autres personnalités du show-business, des millions de femmes dans le monde ont repris sur Internet le hashtag #MeToo ou des variantes locales pour briser le silence qui régnait sur les violences sexuelles dont elles avaient elles-mêmes été victimes. Ce hashtag est devenu un cri de ralliement contre la culpabilisation des victimes et pour que les auteurs de harcèlement rendent enfin des comptes pour leurs actes. L’année 2017 a également été marquée par la mobilisation de milliers de personnes par les mouvements de femmes et de défense des droits des femmes, notamment lors des marches de femmes organisées un peu partout en Europe au mois de janvier, ou à l’occasion des manifestations du Lundi noir qui ont eu lieu en Pologne et qui ont obligé le gouvernement de Varsovie à renoncer à restreindre davantage l’accès à une interruption volontaire de grossesse légale et sans danger. Pourtant, en Europe comme en Asie centrale, des femmes et des filles ont cette année encore été victimes d’atteintes systémiques à leurs droits fondamentaux, et notamment d’actes de torture et d’autres mauvais traitements, de l’impossibilité de jouir du droit à la santé et du droit de disposer de son corps, d’une inégalité des chances et de fréquentes violences fondées sur le genre.

L’avortement constituait toujours une infraction pénale dans la plupart des cas en Irlande et en Irlande du Nord, où il restait extrêmement limité dans la pratique. En Pologne, l’accès à une interruption volontaire de grossesse légale et sans danger se heurtait à une série d’obstacles institutionnalisés. À Malte, l’avortement était toujours considéré comme une infraction pénale en toutes circonstances.

L’UE et la Moldavie ont signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul). La Convention a été ratifiée par l’Allemagne, Chypre, l’Estonie, la Géorgie, la Norvège et la Suisse, ce qui portait à 28 le nombre d’États à avoir franchi cette étape. L’Ukraine l’a signée en 2011, mais ne l’avait toujours pas ratifiée fin 2017.

Malgré la mise en place de garanties juridiques de plus en plus solides, la violence contre les femmes restait un phénomène extrêmement répandu, notamment en Albanie, en Croatie et en Roumanie. En Russie, sous couvert de " valeurs traditionnelles ", des dispositions législatives dépénalisant certaines formes de violence domestique ont été adoptées par le Parlement et promulguées par le président Vladimir Poutine sans que ces mesures ne rencontrent de réelle opposition, du moins exprimée publiquement. En Norvège et en Suède, les violences liées au genre, y compris les violences sexuelles, constituaient toujours un problème grave, auquel les pouvoirs publics n’avaient pas apporté de réponse satisfaisante.

DROITS DES MINORITÉS

Les minorités restaient largement en butte à la discrimination et à la stigmatisation dans toute l’Europe et l’Asie centrale. Divers groupes étaient visés par des actes de harcèlement et des violences et devaient faire face à un certain nombre d’obstacles les empêchant de participer pleinement à la vie de la société.

Les discriminations contre les Roms restaient monnaie courante en Slovaquie. Une procédure d’infraction entamée par la Commission européenne contre la Slovaquie et la Hongrie pour discrimination et ségrégation systématiques des enfants roms dans le système scolaire était en cours. Selon les estimations, 170 000 Roms vivaient en Italie, dont environ 40 000 dans des camps où les conditions étaient sordides ; et pour plusieurs milliers d’entre eux, l’isolement dans des camps coupés du reste de la population, la discrimination en matière d’accès au logement social et les expulsions forcées continuaient de faire partie de la vie quotidienne. La Commission européenne n’avait toujours pas pris de mesures efficaces pour en finir avec la discrimination à l’égard des Roms.

Les musulmans étaient eux aussi victimes de discriminations, en particulier lors de la recherche d’un emploi, au travail et en matière d’accès à certains services publics ou privés, tels que l’enseignement ou les soins de santé.

En Autriche, une nouvelle loi interdisait le port de tout accessoire vestimentaire couvrant intégralement le visage dans l’espace public, limitant de façon disproportionnée le droit à la liberté d’expression, de religion ou de convictions. Les autorités du Tadjikistan ont contraint des milliers de femmes à ne pas porter le foulard islamique (hijab) dans les lieux publics, en application de la loi sur les traditions.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES

Les personnes LGBTI étaient confrontées à une augmentation des atteintes à leurs droits fondamentaux (violences, arrestations arbitraires, placements en détention) et des discriminations dans tout l’est de la région. À Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, plus de 100 personnes LGBTI ont été arrêtées arbitrairement en l’espace d’une seule journée. Les relations sexuelles librement consenties entre hommes constituaient toujours une infraction passible d’emprisonnement en Ouzbékistan et au Turkménistan. La nouvelle Constitution géorgienne limitait la définition du mariage, en en excluant les couples du même sexe. Le Parlement lituanien a adopté un texte législatif discriminatoire à l’égard des LGBTI. En Russie, la Loi sur la " propagande de l’homosexualité " était toujours en vigueur, bien qu’ayant été jugée discriminatoire par la Cour européenne des droits de l’homme.

Selon des informations apparues en avril, les autorités tchétchènes se livraient secrètement à une campagne d’arrestations arbitraires, de torture et d’homicides d’hommes homosexuels. Devant le tollé suscité au niveau international par cette nouvelle, ces mêmes autorités ont déclaré qu’il n’y avait pas d’homosexuels en Tchétchénie. Le pouvoir fédéral s’est quant à lui abstenu de toute enquête sérieuse.

L’année a cependant également été marquée par un certain nombre d’avancées et d’exemples de courage et de solidarité humaine. Le Réseau LGBT russe a mis en place un numéro d’assistance et aidé à l’évacuation et à la mise à l’abri de personnes LGBTI originaires de Tchétchénie et d’autres régions du Caucase du Nord. L’Ukraine a été le théâtre du plus grand rassemblement des fiertés de son histoire. Le Parlement maltais a adopté une loi sur le mariage des personnes du même sexe, étendant l’ensemble des droits matrimoniaux aux couples du même sexe. L’Allemagne a accordé les mêmes droits au mariage à tous et à toutes, sans condition de genre ou d’orientation sexuelle, ainsi que l’égalité de toutes les personnes mariées face au droit à l’adoption.

Personnes transgenres ou présentant des variations des caractéristiques sexuelles

En Europe et en Asie centrale, les personnes transgenres avaient beaucoup de mal à faire reconnaître juridiquement leur identité de genre. Les enfants et les adultes présentant des variations des caractéristiques sexuelles continuaient de se heurter à des atteintes à leurs droits fondamentaux, perpétrées dans le cadre d’interventions médicales irréversibles, invasives et n’ayant aucun caractère d’urgence - interventions qui pouvaient avoir des conséquences néfastes pour la santé physique et l’équilibre psychologique des personnes concernées, en particulier chez l’enfant. Dans 18 pays européens, les personnes transgenres étaient tenues de se faire stériliser. Dans 35, elles devaient passer un examen de santé mentale avant de pouvoir changer de genre.

Des progrès ont été enregistrés en Belgique et en Grèce, derniers pays européens en date à abolir les obligations de stérilisation et d’examen de santé mentale. Toutefois, dans ces deux pays, la réforme de la reconnaissance juridique du genre ne s’était toujours pas traduite par la mise en place d’une procédure administrative rapide, transparente et facilement accessible.

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit