LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Dans toute la région, des gouvernements ont réprimé l’expression de la société civile en ligne et hors ligne afin d’empêcher ou de sanctionner la dénonciation de violations des droits humains ou d’autres formes de critiques formulées contre eux ou contre leurs alliés, généralement sous prétexte de combattre la corruption ou des menaces pesant sur la sécurité nationale. Ils ont également eu recours à une force excessive dans le but d’étouffer des mouvements de protestation qui avaient investi les rues.
Répression en Égypte et en Arabie Saoudite
Les mesures répressives se sont multipliées dans certains pays, tandis qu’à l’échelle mondiale les responsables politiques tentaient d’asseoir leur crédibilité auprès de la communauté internationale. En Égypte, sous le régime du président Abdel Fattah al Sissi, les autorités ont continué d’entraver l’action des défenseurs des droits humains comme jamais auparavant, en fermant des ONG ou en gelant leurs avoirs ; elles ont promulgué une nouvelle loi draconienne leur conférant des pouvoirs étendus pour dissoudre des ONG et prévoyant cinq ans d’emprisonnement pour la publication de recherches sans leur autorisation. Les autorités égyptiennes ont également condamné au moins 15 journalistes à des peines de privation de liberté pour des chefs d’inculpation liés uniquement à leurs écrits, parmi lesquels des publications que les autorités ont considérées comme de " fausses informations " ; elles ont bloqué plus de 400 sites internet, dont ceux de journaux indépendants et d’organisations de défense des droits humains. Dans le même temps, les forces de sécurité ont arrêté des centaines de personnes en raison de leur appartenance réelle ou supposée aux Frères musulmans. Afin de punir les opposants politiques, les autorités ont eu recours à la détention provisoire prolongée, souvent pendant des périodes supérieures à deux ans, ont placé les personnes emprisonnées à l’isolement pendant des durées longues et indéterminées, et ont imposé à de nombreuses personnes libérées des périodes de mise à l’épreuve durant lesquelles elles devaient passer jusqu’à 12 heures par jour dans un poste de police, ce qui constituait une privation arbitraire de liberté.
En Arabie saoudite, Mohammed bin Salman a été promu prince héritier en juin, dans le cadre d’une redéfinition plus large du paysage politique. Au cours des mois qui ont suivi, les autorités ont intensifié leur répression contre la liberté d’expression, arrêtant en septembre plus de 20 dignitaires religieux, écrivains, journalistes, universitaires et militants en une semaine. Elles ont également traduit des défenseurs des droits humains devant le Tribunal pénal spécial - une juridiction mise en place pour connaître des affaires de terrorisme - pour des accusations liées à leurs activités pacifiques. À la fin de l’année, malgré l’image de pays plus tolérant que voulait donner le royaume, la majorité des défenseurs des droits humains d’Arabie saoudite étaient soit en prison, soit en instance de jugement dans le cadre de procès manifestement iniques.
Attaques contre des journalistes et des défenseurs des droits humains
Dans d’autres pays, la défense des droits humains et le travail journalistique, de même que les critiques visant des institutions officielles, ont donné lieu à des poursuites, des condamnations à des peines de prison et, parfois, des campagnes de diffamation orchestrées par les gouvernements ou leurs sympathisants.
En Iran, les autorités ont emprisonné des dizaines de détracteurs non violents, notamment des défenseurs des droits des femmes ou des minorités, des militants écologistes, des syndicalistes, des avocats et des personnes cherchant à obtenir vérité, justice et réparation pour les multiples exécutions réalisées dans les années 1980.
À Bahreïn, les autorités ont détenu arbitrairement des défenseurs des droits humains et des détracteurs du gouvernement, infligé à d’autres des interdictions de sortie du territoire ou une déchéance de nationalité, dissous le journal indépendant Al Wasat et le mouvement d’opposition politique Waad, maintenu l’interdiction des manifestations dans la capitale, Manama, et employé une force excessive et injustifiée pour disperser des manifestants dans d’autres villes.
Au Maroc et au Sahara occidental, les autorités ont poursuivi en justice et emprisonné un certain nombre de journalistes, de blogueurs et de militants qui avaient critiqué des représentants des pouvoirs publics ou évoqué des violations des droits humains, des cas de corruption ou des manifestations populaires, comme celles qui se sont déroulées dans le Rif, au nord du pays. Dans cette région, les forces de sécurité se sont livrées à des arrestations massives de manifestants majoritairement pacifiques, dont des mineurs, et ont parfois eu recours à une force excessive ou injustifiée.
Au Koweït, les autorités ont emprisonné plusieurs détracteurs du gouvernement et cybermilitants au titre de dispositions législatives érigeant en infraction le fait de tenir des propos jugés insultants envers l’émir ou préjudiciables aux relations avec les États voisins. Au Kurdistan irakien, un certain nombre de journalistes et de cybermilitants ont été la cible d’arrestations arbitraires, de menaces de mort et de campagnes de diffamation, de plus en plus fréquentes à l’approche d’un référendum sur l’indépendance organisé en septembre à l’initiative du président de cette région.
Au Yémen, le groupe armé des Houthis a arrêté et détenu arbitrairement des personnes qui le critiquaient, des journalistes et des défenseurs des droits humains dans la capitale, Sanaa, et dans d’autres zones qu’il contrôlait.
Dans le même temps, les autorités israéliennes ont interdit l’entrée en Israël et dans les territoires palestiniens occupés à toute personne soutenant - ou travaillant pour - une organisation ayant lancé ou encouragé un appel au boycott d’Israël ou des entités israéliennes, y compris des colonies. Elles ont attaqué des ONG palestiniennes et israéliennes de défense des droits humains, les soumettant à des actes de harcèlement et à d’autres manoeuvres visant à saper leur travail. Elles ont également déployé des forces de sécurité qui ont eu recours à des tirs à balles réelles et des tirs de balles métalliques recouvertes de caoutchouc contre des manifestants palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, tuant au moins 20 personnes et en blessant des milliers d’autres.
Répression sur internet
Outre celui de l’Égypte, d’autres gouvernements ont tenté de renforcer leur contrôle de l’expression sur Internet. L’État de Palestine a adopté en juillet la Loi sur la cybercriminalité, qui permettait la détention arbitraire de journalistes, de lanceurs d’alerte et de quiconque exprimait en ligne un avis critique à l’égard des autorités. Ce texte prévoyait des peines d’emprisonnement et jusqu’à 25 ans de travaux forcés pour les personnes qui auraient troublé l’" ordre public ", l’" unité nationale " ou la " paix sociale ". Plusieurs journalistes et défenseurs des droits humains palestiniens ont été inculpés au titre de cette loi.
La Jordanie a continué de bloquer l’accès à certains sites web, dont des forums. Les autorités d’Oman ont empêché la publication du journal en ligne Mowaten, et les procès intentés au quotidien Azamn et à certains de ses journalistes continuaient de faire sentir leurs effets. Ces procès faisaient suite à la publication, en 2016, d’articles sur des allégations de corruption au sein du gouvernement et de la magistrature. En Iran, les autorités judiciaires ont tenté de bloquer l’application populaire de messagerie Telegram, mais elles n’y sont pas parvenues car le gouvernement s’y est opposé. D’autres réseaux sociaux, dont Facebook, Twitter et YouTube, demeuraient bloqués.
Crise politique dans le Golfe
La crise politique qui a éclaté dans le golfe Persique en juin, lorsque l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte ont rompu leurs relations avec le Qatar, qu’ils accusaient de financer et d’abriter des terroristes et de s’ingérer dans les affaires intérieures de ses voisins, ne s’est pas traduite uniquement par une paralysie du Conseil de coopération du Golfe. Bahreïn, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont annoncé que toute critique des mesures prises contre le Qatar ou toute expression de solidarité avec le Qatar ou sa population serait considérée comme une infraction pénale et passible de prison.
Riposte de la société civile
La société civile a toutefois déployé des efforts considérables pour endiguer le flot de mesures visant à restreindre la liberté d’expression. En Tunisie, des militants ont mis un frein à un nouveau projet de loi qui risquait de favoriser l’impunité des forces de sécurité en interdisant de critiquer le comportement des policiers et en accordant aux fonctionnaires l’immunité de poursuites en cas de recours injustifié à une force meurtrière. En Palestine, les autorités ont accepté de modifier la Loi sur la cybercriminalité à la suite d’intenses pressions de la société civile.
LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION
Exactions perpétrées par des groupes armés
Des groupes armés s’en sont pris à des membres de minorités religieuses dans plusieurs pays. Le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) et d’autres groupes armés ont tué et blessé de très nombreux civils en Irak et en Syrie, en perpétrant des attentats-suicides et d’autres attaques meurtrières visant des lieux de culte chiites et d’autres lieux publics situés dans des quartiers à majorité chiite. En janvier, les Nations unies ont indiqué qu’environ 2 000 femmes et enfants yézidis se trouvaient toujours en captivité aux mains de l’EI en Irak et en Syrie. Ces personnes étaient réduites en esclavage et soumises à des viols, des coups et d’autres actes de torture. En Égypte, l’EI a revendiqué les attentats à l’explosif commis contre deux églises qui ont fait au moins 44 morts en avril. Au mois de novembre, des activistes non identifiés ont attaqué, au moyen d’explosifs et d’armes à feu, une mosquée du nord du Sinaï lors de la prière du vendredi, tuant plus de 300 musulmans soufis - l’attentat le plus meurtrier commis par un groupe armé dans ce pays depuis 2011. Au Yémen, les Houthis et leurs alliés ont arrêté et détenu arbitrairement des membres de la communauté baha’ie.
Restrictions imposées par les autorités
En Algérie, les autorités se sont lancées dans une nouvelle vague de répression contre la minorité religieuse ahmadie ; plus de 280 de ses membres ont fait l’objet de poursuites en lien avec leurs convictions ou pratiques religieuses durant l’année.
Ailleurs, les restrictions imposées par les gouvernements ont suivi un schéma familier. En Arabie saoudite, les membres de la minorité chiite ont été victimes de discriminations de la part des autorités en raison de leur foi. Ces discriminations limitaient leur droit à la liberté d’expression religieuse ainsi que leur accès à la justice, et restreignaient arbitrairement leur droit d’occuper un emploi et de bénéficier de services publics. Des militants chiites ont cette année encore été arrêtés, emprisonnés et, dans certains cas, condamnés à mort à l’issue de procès inéquitables.
En Iran, la liberté de religion et de conviction était systématiquement bafouée, dans la législation comme dans la pratique. La minorité baha’ie faisait toujours l’objet d’attaques généralisées et systématiques, prenant notamment la forme d’arrestations arbitraires, de longues peines d’emprisonnement, de torture et d’autres mauvais traitements, de fermetures d’entreprises ou de confiscations de biens appartenant à des baha’is, d’interdictions d’occuper des postes dans le secteur public, et de refus d’inscription à l’université. Les membres des autres minorités religieuses non reconnues dans la Constitution, comme les yarsans (ou Gens de la vérité), étaient aussi confrontés à une discrimination systématique, notamment dans les domaines de l’éducation et de l’emploi. La pratique de leur foi les exposait à des persécutions. Le droit de changer de religion ou de renoncer aux croyances religieuses n’était toujours pas respecté. Plusieurs musulmans convertis au christianisme ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 10 à 15 ans.
DROITS DES FEMMES
Les combats de longue date des mouvements féministes ont abouti à certaines évolutions positives au cours de l’année.
Des lois ont été modifiées en Jordanie, au Liban et en Tunisie pour que les auteurs de viol ne puissent plus échapper aux poursuites (ou bénéficier d’une peine réduite) en épousant leur victime. Néanmoins, cette faille juridique subsistait dans la législation de nombreux autres pays. La Jordanie a également abrogé une disposition permettant de prononcer une peine moins lourde contre un homme convaincu du meurtre d’une parente si l’homicide avait été commis dans un " accès de colère suscité par un acte illégal ou dangereux imputable à la victime ". En revanche, un autre article prévoyant plus de clémence pour les " crimes d’honneur " commis contre une parente découverte dans une " situation d’adultère " demeurait en vigueur. En Tunisie, le Parlement a adopté la Loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui apporte plusieurs garanties pour la protection des femmes et des filles contre la violence liée au genre, et le président a abrogé un texte interdisant le mariage entre une Tunisienne et un non-musulman.
Au Qatar, un projet de loi accordant un droit de résidence permanente aux enfants de femmes qatariennes mariées à un étranger a été adopté, mais ces femmes restaient sous le coup d’une disposition discriminatoire les empêchant de transmettre la nationalité et la citoyenneté qatariennes à leurs enfants.
En Arabie saoudite, un décret royal autorisant les femmes à conduire à partir de juin 2018 a été émis en septembre. Cependant, des interrogations persistaient quant à la manière dont il serait mis en oeuvre dans la pratique. Un autre décret royal, pris en avril, demandait à tous les organismes publics de ne plus exiger l’autorisation d’un tuteur pour délivrer des services publics à des femmes, sauf disposition expresse en ce sens. Ce texte semblait toutefois maintenir les règles obligeant les femmes à obtenir l’autorisation d’un tuteur pour certaines actions, telles que se rendre à l’étranger, demander un passeport ou se marier.
Malgré ces progrès, la discrimination à l’égard des femmes demeurait bien ancrée en droit et en pratique, notamment en matière de mariage et de divorce, d’héritage et de garde des enfants, dans ces pays comme dans beaucoup d’autres de la région. Les femmes et les filles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences - sexuelles ou autres - liées au genre, ni contre le mariage précoce et forcé.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES
Alors que les questions relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre étaient de plus en plus au centre des préoccupations des principaux mouvements de défense des droits humains de la région, les gouvernements continuaient de limiter fortement les droits des personnes LGBTI, tant dans la législation que dans la pratique.
En Égypte, les autorités ont exercé une répression d’une sévérité inégalée depuis plus de 10 ans, poursuivant et arrêtant des personnes en raison de leur orientation sexuelle présumée après qu’un drapeau arc-en-ciel eut été déployé lors d’un concert donné au Caire, en septembre, par le groupe libanais Mashrou’ Leila, à qui il avait été interdit de monter sur scène en Jordanie quelques mois auparavant. Les forces de sécurité ont arrêté au moins 76 personnes et soumis au moins cinq d’entre elles à des examens anaux, pratique qui constitue une forme de torture. Les tribunaux ont condamné au moins 48 personnes à des peines allant de trois mois à six ans d’emprisonnement, entre autres pour " pratique de la débauche ". En octobre, un groupe de parlementaires a présenté une proposition de loi extrêmement discriminatoire réprimant explicitement les relations sexuelles entre personnes de même sexe et toute promotion publique de rassemblements, symboles ou drapeaux LGBTI. Plusieurs pays, dont le Maroc et la Tunisie, ont encore arrêté des personnes et prononcé des peines d’emprisonnement en vertu de lois érigeant en infraction pénale les relations sexuelles librement consenties entre adultes de même sexe. En Tunisie, la police a soumis des hommes accusés d’avoir des relations homosexuelles à un examen anal forcé, mais le gouvernement a accepté en septembre, dans le cadre de l’Examen périodique universel de l’ONU, une recommandation demandant l’arrêt de cette pratique. Dans d’autres pays, notamment l’Iran et l’Arabie saoudite, certaines relations consenties entre personnes de même sexe demeuraient passibles de la peine de mort.
DROIT AU TRAVAIL
Syndicats
Certains gouvernements restreignaient fortement les droits syndicaux.
En Égypte, les autorités ont arrêté et soumis à des procès militaires, des licenciements et des sanctions disciplinaires de nombreux travailleurs et syndicalistes qui n’avaient fait qu’exercer leur droit de faire grève et de former des syndicats indépendants. Au mois de décembre, le Parlement égyptien a adopté une loi triplant (de 50 à 150) le nombre de membres nécessaires pour qu’un syndicat indépendant soit reconnu juridiquement.
Les autorités algériennes ont à nouveau refusé de reconnaître la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie, une confédération intersectorielle indépendante qui demande son enregistrement depuis 2013, et elles ont interdit le Syndicat national autonome des travailleurs de l’électricité et du gaz en lui retirant son récépissé d’enregistrement.
Droits des travailleuses et travailleurs migrants
Dans les États du Golfe et dans d’autres pays, comme la Jordanie et le Liban, les travailleurs migrants, en particulier ceux travaillant comme domestiques ou dans le secteur du bâtiment, étaient toujours exploités et maltraités. Cependant, quelques évolutions positives ont eu lieu. Au Qatar, le gouvernement a adopté deux nouvelles lois en août. L’une créait une instance chargée de régler les litiges professionnels, qui pourrait lever certains des obstacles empêchant les travailleurs migrants d’accéder à la justice. L’autre protégeait pour la première fois les droits des employés de maison, notamment en prévoyant des congés payés et une limitation du temps de travail. Toutefois, une des dispositions de cette nouvelle loi permettant de faire travailler les employés de maison au-delà de la durée légale s’ils étaient " d’accord " risquait de donner lieu à des abus. En octobre, le gouvernement a annoncé de nouveaux projets de réforme, parmi lesquels un salaire minimum et un fonds pour payer les travailleurs non rémunérés, et l’Organisation internationale du travail a publié les termes d’un accord conclu avec le Qatar pour modifier le système de parrainage (kafala), qui empêche les travailleurs migrants de changer d’emploi ou de quitter le pays sans l’accord de leur employeur.
Aux Émirats arabes unis, une loi entrée en vigueur en septembre limitait le temps de travail et prévoyait des congés payés ainsi que le droit de conserver ses papiers d’identité.
DROIT AU LOGEMENT, À L’EAU ET À LA SANTÉ
Israël et Territoires palestiniens occupés
L’année 2017 a marqué les 50 ans d’occupation des territoires palestiniens par Israël et la 11e année de son blocus illégal de la bande de Gaza. Les autorités israéliennes ont intensifié l’extension des colonies et des infrastructures associées dans toute la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et démoli un grand nombre de biens immobiliers palestiniens, en expulsant de force plus de 660 habitants. Beaucoup de ces démolitions ont eu lieu dans des communautés bédouines et pastorales que les autorités israéliennes voulaient déplacer contre leur gré. Le blocus aérien, terrestre et maritime imposé par Israël sur la bande de Gaza s’est poursuivi, perpétuant les restrictions de la liberté de circulation des personnes et des biens, ce qui constituait une sanction collective frappant toute la population de Gaza, soit environ deux millions d’habitants. Associé à la fermeture presque totale par l’Égypte du point de passage de Rafah et aux mesures punitives imposées par les autorités de Cisjordanie, le blocus israélien a provoqué une crise humanitaire, marquée entre autres par des coupures de courant. Celles-ci ont limité l’accès à l’électricité à seulement quelques heures par jour, eu des conséquences sur l’approvisionnement en eau potable et les conditions sanitaires, et réduit l’accès aux services de santé.
Dans le reste de la région, les réfugiés palestiniens, y compris les résidents de longue date, faisaient toujours l’objet de lois discriminatoires. Au Liban, ils demeuraient exclus de nombreux types d’emplois et empêchés d’être propriétaires de biens immobiliers ou d’en hériter, ainsi que d’accéder à l’enseignement public et aux services de santé.
Eau, assainissement et santé
La société civile libanaise a engagé plusieurs procédures devant la justice du pays pour des violations des droits à la santé et à l’eau potable, notamment en lien avec la vente de médicaments périmés dans des hôpitaux publics et les problèmes de gestion des déchets. En Tunisie, la pénurie d’eau s’est aggravée. Le gouvernement a reconnu qu’il n’avait pas de stratégie nationale pour la distribution d’eau, ce qui l’empêchait de garantir un accès équitable. Les coupures d’eau ont surtout eu lieu dans des régions marginalisées, déclenchant des manifestations locales tout au long de l’année.
LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ
Les mesures antiterroristes ont été accompagnées de graves violations des droits humains dans plusieurs pays.
En Égypte, où plus de 100 membres des forces de sécurité ont été tués lors d’attaques menées par des groupes armés, principalement dans le nord du Sinaï, l’Agence de sécurité nationale a continué de soumettre des personnes soupçonnées d’avoir participé à des violences politiques à des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires. Le ministère de l’Intérieur a affirmé que plus de 100 personnes avaient perdu la vie au cours de l’année lors d’échanges de coups de feu avec les forces de sécurité. Toutefois, dans un grand nombre de ces cas, les personnes tuées étaient, au moment des faits, détenues par l’État dans le cadre d’une disparition forcée. La torture et les mauvais traitements demeuraient monnaie courante dans les lieux de détention officiels, et systématiques dans les centres de détention gérés par l’Agence de sécurité nationale. Des centaines de personnes ont été condamnées, à la peine de mort dans certains cas, à l’issue de procès collectifs d’une iniquité flagrante.
En Irak, les personnes poursuivies pour des faits ayant trait au terrorisme étaient régulièrement privées du droit de bénéficier du temps et des moyens nécessaires pour préparer leur défense, du droit de ne pas témoigner contre elles-mêmes ni s’avouer coupables, et du droit de procéder à un contre-interrogatoire des témoins de l’accusation. Cette année encore, les tribunaux ont retenu à titre de preuve des " aveux " arrachés sous la torture. Beaucoup d’accusés déclarés coupables à l’issue de ces procès inéquitables et expéditifs ont été condamnés à mort. Les forces gouvernementales et les milices irakiennes et kurdes ont également exécuté de manière extrajudiciaire des hommes et des adolescents soupçonnés d’appartenance à l’EI.
Des actes de torture en détention infligés à des personnes accusées d’infractions liées à la sécurité nationale ont été signalés dans plusieurs pays, parmi lesquels Bahreïn, Israël et le Koweït. Ces allégations de torture n’ont en général donné lieu à aucune enquête. L’Arabie saoudite a adopté une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme qui instaurait la possibilité de prononcer la peine de mort pour certaines infractions. En Tunisie, le gouvernement a continué de restreindre la liberté de mouvement au moyen de mesures arbitraires d’une durée indéterminée obligeant des centaines de personnes à rester dans leur gouvernorat de résidence. Il justifiait ce dispositif en le présentant comme un moyen d’empêcher des Tunisiens de partir rejoindre des groupes armés.
PEINE DE MORT
L’Iran, l’Irak et l’Arabie saoudite figuraient toujours parmi les pays du monde ayant le plus recours à la peine de mort. À eux trois, ils ont exécuté plusieurs centaines de personnes, bien souvent à l’issue de procès inéquitables. En Iran, Amnesty International a pu confirmer l’exécution de quatre personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits qui leur étaient reprochés, mais plusieurs exécutions d’autres mineurs délinquants ont été reportées à la dernière minute grâce à la mobilisation publique. Les autorités qualifiaient toujours d’" antiislamique " la campagne pacifique contre la peine capitale. Elles ont harcelé et emprisonné des militants abolitionnistes. En Arabie saoudite, les tribunaux ont prononcé cette année encore des condamnations à mort pour des infractions à la législation sur les stupéfiants ou des comportements qui ne devraient pas constituer des infractions selon les normes internationales, comme la " sorcellerie " ou l’" adultère ". En Irak, la peine de mort continuait d’être un instrument de représailles utilisé comme marque de prise en compte de la colère de la population dans le contexte des attentats revendiqués par l’EI.
Bahreïn et le Koweït ont repris les exécutions en janvier, pour la première fois respectivement depuis 2010 et 2013, à la suite de condamnations à mort pour meurtre. L’Égypte, la Jordanie, la Libye et le gouvernement de facto du Hamas dans la bande de Gaza ont également procédé à des exécutions. Hormis Israël et Oman, tous les autres pays de la région ont poursuivi une politique de longue date consistant à prononcer des condamnations à mort sans les appliquer.
CONFLITS ARMÉS
Alimentés par le commerce international des armes, les conflits touchant la région ont continué de briser la vie de millions de personnes, en particulier au Yémen, en Libye, en Syrie et en Irak. Dans chacun de ces conflits, diverses parties ont perpétré des crimes de guerre ainsi que d’autres violations graves du droit international, dont des attaques menées sans discernement qui ont tué et blessé des civils, ainsi que des attaques visant directement des civils ou des biens de caractère civil. En Syrie et au Yémen, le gouvernement et ses alliés ont utilisé des armes interdites par le droit international, telles que des bombes à sous-munitions et, dans le cas de la Syrie, des armes chimiques.
Conflit au Yémen
Le Yémen, pays le plus pauvre de la région avant même le début du conflit en mars 2015, connaissait la pire crise humanitaire du monde entier selon les Nations unies, les trois quarts de sa population (qui s’élève à 28 millions d’habitants) ayant besoin d’aide. Le pays était confronté à la plus grave épidémie de choléra de l’époque moderne, exacerbée par une pénurie de carburant pour les stations de pompage de l’eau, et était sur le point de connaître la pire famine du monde depuis plusieurs décennies. Le conflit a détruit les systèmes permettant l’accès à l’eau, à l’éducation et à la santé. La coalition emmenée par l’Arabie saoudite, qui soutient le gouvernement yéménite internationalement reconnu, a empêché la livraison de cargaisons de nourriture, de carburant et de médicaments. En novembre, elle a bloqué complètement les ports du nord du Yémen pendant plus de deux semaines. Des frappes aériennes de la coalition ont touché des foules rassemblées pour des funérailles, des écoles, des marchés, des zones résidentielles et des bateaux civils. Les rebelles houthis, alliés aux forces fidèles à l’ancien président Ali Abdullah Saleh jusqu’à ce que des divisions entre eux conduisent à sa mort en décembre, ont bombardé sans discernement des zones habitées par des civils dans la ville de Taizz et procédé à des tirs d’artillerie aveugles en direction de l’Arabie saoudite voisine, tuant et blessant des civils.
Réponse internationale à l’État islamique
En Syrie comme en Irak, la coalition internationale dirigée par les États-Unis a recentré son attention sur la lutte contre l’EI, qui s’est rendu coupable d’atteintes flagrantes aux droits humains. Plusieurs centaines de civils ont été tués dans ce contexte. À Mossoul, la deuxième ville d’Irak, l’EI a déplacé de force des milliers de civils vers des zones d’affrontement, dans l’espoir de protéger ses combattants, et a délibérément tué des civils qui fuyaient les combats, suspendant leurs cadavres dans des lieux publics en guise d’avertissement. Pendant la bataille menée pour chasser l’EI de Mossoul-Ouest, les forces irakiennes et celles de la coalition ont été à l’origine d’une série d’attaques disproportionnées ou menées sans discernement, aux conséquences dévastatrices, dans lesquelles plusieurs centaines de civils ont été tués. Les forces irakiennes ont systématiquement eu recours à des armes explosives à large rayon d’action, par exemple des munitions improvisées à propulsion assistée (IRAM), qui ne peuvent cibler précisément des objectifs militaires ou être utilisées légalement dans des zones habitées par des civils.
En Syrie, l’EI a perdu le contrôle du gouvernorat de Raqqa à la suite d’une campagne militaire menée par les Forces démocratiques syriennes (composées de groupes armés arabes et kurdes syriens) et par la coalition internationale dirigée par les États-Unis. L’EI a empêché des habitants de prendre la fuite, utilisé des civils comme boucliers humains et lancé des attaques visant directement des civils ainsi que des attaques aveugles, qui ont tué et blessé des civils. Les frappes aériennes de la coalition ont également fait des centaines de victimes civiles. Les forces gouvernementales syriennes, avec l’appui des combattants de l’Iran et du Hezbollah au sol et des forces aériennes russes, ont également repris des zones contrôlées par l’EI et d’autres groupes armés. Pendant ces offensives, elles ont tué et blessé des civils lors d’attaques aveugles ou visant directement des civils et des biens de caractère civil, dont des habitations, des hôpitaux et d’autres structures médicales.
Sièges et déplacement de civils en Syrie
Le gouvernement syrien a continué d’assiéger pendant de longues périodes des zones majoritairement peuplées de civils, privant quelque 400 000 personnes d’accès aux soins médicaux, à d’autres biens et services de première nécessité et à l’aide humanitaire, tout en leur infligeant des bombardements à répétition, des tirs d’artillerie et d’autres attaques. Des groupes armés d’opposition ont également assiégé des milliers de civils et procédé à des tirs aveugles de roquette et de mortier sur des quartiers contrôlés par les forces gouvernementales, tuant et blessant des civils. Plusieurs milliers de civils ont subi les terribles conséquences d’un déplacement forcé à la suite des accords de " réconciliation " conclus au cours du deuxième semestre 2016 et début 2017. Au total, 6,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du territoire syrien entre 2011 et 2017. Plus d’un demi-million de personnes ont fui la Syrie durant l’année, ce qui portait le nombre total de réfugiés syriens à plus de 5 millions.
Région du Kurdistan irakien
Les forces gouvernementales ont réagi au référendum sur l’indépendance de la région du Kurdistan irakien en lançant une opération qui leur a permis de reprendre rapidement le contrôle de la ville disputée de Kirkouk, ainsi que la majeure partie du territoire conquis par les peshmergas kurdes lors des combats contre l’EI. En octobre, des dizaines de milliers de civils ont dû fuir leur foyer après que de violents affrontements ont éclatés entre d’une part les forces gouvernementales irakiennes, appuyées par des milices leur étant affiliées, et d’autre part les peshmergas dans la ville multiethnique de Touz Khormatou ; au moins 11 civils ont été tués lors d’attaques aveugles.
États de non-droit en Libye
Trois gouvernements rivaux et plusieurs centaines de milices et de groupes armés continuaient de se disputer le pouvoir ainsi que le contrôle du pays, des routes commerciales lucratives et des places militaires stratégiques en Libye. Des groupes armés et des milices ont mené dans des secteurs densément peuplés des attaques aveugles au cours desquelles des civils ont été tués. Ils ont aussi exécuté des combattants de groupes rivaux qu’ils avaient capturés, et enlevé et détenu illégalement des centaines de personnes, dont des militants politiques et des défenseurs des droits humains, en raison de leur origine, de leurs opinions, de leur affiliation politique présumée ou de leur fortune supposée. Quelque 20 000 réfugiés et migrants ont été arrêtés de façon arbitraire et placés pour une durée indéterminée dans des centres de détention surpeuplés et insalubres, où ils étaient exposés à la torture, au travail forcé, à l’extorsion et aux homicides illégaux aux mains des autorités et des milices dirigeant ces lieux. L’aide fournie par les États membres de l’UE, en particulier par l’Italie, aux gardes-côtes libyens et aux centres de détention pour migrants les rendait complices des atteintes commises.
IMPUNITÉ
L’impunité pour les graves atteintes aux droits humains commises par le passé était toujours une source de préoccupation.
Les victimes de crimes commis lors de conflits récents ou en cours faisaient souvent face à une impunité généralisée au niveau national. En Irak, les autorités ont annoncé l’ouverture d’enquêtes sur des allégations de graves violations commises par les forces gouvernementales et les milices qui les soutiennent - notamment des cas de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées. Cependant, elles n’ont jamais rendu publique aucune conclusion.
En Libye, le système judiciaire était paralysé par ses propres dysfonctionnements ; bien souvent, les magistrats renonçaient à tenter de faire respecter l’obligation de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains par crainte de représailles. En Syrie, la justice n’était pas indépendante et ne prenait pas les mesures nécessaires pour enquêter sur les crimes commis par les forces gouvernementales ni poursuivre leurs auteurs. Au Yémen, la commission nationale chargée d’enquêter sur les allégations de violations des droits humains, mise en place par le gouvernement, n’a pas mené d’enquêtes conformes aux normes internationales sur les allégations d’atteintes commises par toutes les parties au conflit.
Lenteur des progrès
Le seul mécanisme national de justice de transition existant actuellement dans la région, l’Instance vérité et dignité (IVD) créée par la Tunisie pour traiter les violations des droits humains commises entre juillet 1955 et décembre 2013, a tenu 11 audiences publiques, au cours desquelles des victimes et des responsables présumés ont été entendus au sujet de diverses violations, allant de la fraude électorale aux disparitions forcées en passant par la torture. Toutefois, aucune avancée n’a été obtenue quant à l’adoption d’un accord permettant le renvoi des affaires devant des chambres spécialisées, et plusieurs organes chargés de la sécurité n’avaient toujours pas fourni à l’IVD les informations demandées pour ses enquêtes.
Au niveau international, certaines initiatives notables se sont poursuivies mais leurs progrès étaient lents. Le Bureau de la procureure de la Cour pénale internationale a poursuivi son examen préliminaire des violations présumées du droit international commises dans les territoires palestiniens occupés depuis le 13 juin 2014, notamment pendant le conflit qui a opposé Gaza et Israël en 2014. En Libye, il a élargi le champ de son enquête concernant les dirigeants politiques et militaires pour couvrir l’ensemble des mauvais traitements systématiquement infligés aux migrants.
D’autres initiatives présentaient des aspects positifs, mais étaient ternies ou mises à mal. En septembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution visant à garantir l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre et les atteintes aux droits humains commises par l’EI en Irak, mais celle-ci ne comportait malheureusement aucune disposition concernant les crimes imputables aux forces irakiennes, aux milices et à la coalition dirigée par les États-Unis. Le Mécanisme d’enquête conjoint des Nations unies et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a progressé sur l’établissement des responsabilités dans l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, mais la reconduction de son mandat a été empêchée par un veto de la Russie au Conseil de sécurité.
Deux avancées étaient particulièrement source d’espoir sur le long terme en matière de vérité et de justice pour les victimes de violations dans deux conflits en cours qui paraissaient insolubles. D’une part, le Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie depuis mars 2011 a pris forme au cours de l’année, après sa création officielle en décembre 2016 par l’Assemblée générale des Nations unies. Et d’autre part, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté en septembre une résolution en faveur de la création d’un groupe d’experts chargé d’enquêter sur les violations commises par toutes les parties au Yémen. Ces deux avancées faisaient suite à un travail de plaidoyer coordonné effectué par plusieurs organisations de défense des droits humains.