Rapport annuel 2018

Arabie saoudite

Royaume d’Arabie saoudite
Chef de l’État et du gouvernement : Salman bin Abdul Aziz al Saoud

Les autorités imposaient des restrictions sévères à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Un grand nombre de défenseurs des droits humains et de détracteurs du gouvernement ont été placés en détention. Certains ont été condamnés à de longues peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. Plusieurs militants chiites ont été exécutés, et de nombreux autres ont été condamnés à mort après avoir été jugés par le Tribunal pénal spécial dans le cadre d’une procédure d’une iniquité flagrante. La torture et les mauvais traitements en détention restaient monnaie courante. Des réformes limitées sont intervenues, mais les femmes étaient toujours en butte à une discrimination systémique, dans la législation et dans la pratique ; elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences, sexuelles et autres.
Les autorités ont eu recours très fréquemment à la peine de mort et ont procédé à des dizaines d’exécutions. La coalition dirigée par l’Arabie saoudite a commis cette année encore de graves violations du droit international au Yémen.

Contexte

L’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis ont rompu en juin leurs relations avec le Qatar, ce qui a eu des conséquences négatives pour des milliers de ressortissants et de travailleurs migrants.
Le même mois, le roi Salman a fortement réduit les prérogatives du ministère de l’Intérieur, dans le cadre d’un remaniement du paysage politique et des instances chargées de la sécurité. Le 17 juin, il a retiré au ministère la possibilité d’ouvrir des enquêtes et d’engager des poursuites, et a transféré ces prérogatives au parquet, qu’il a placé sous son autorité directe. En juillet, le champ d’action du ministère a été réduit davantage encore par un décret royal instaurant une Présidence de la sécurité de l’État, chargée de toutes les questions liées à la sûreté de l’État, notamment le terrorisme, et rendant compte directement au roi. Un certain nombre de changements à de hauts postes sont en outre intervenus durant cette période, mais le principal a eu lieu le 21 juin avec la désignation par le roi Salman de son fils, Mohammed bin Salman, comme prince héritier, à la place de son neveu, Mohammed bin Naif Al Saud.
En mai, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et la lutte antiterroriste a conclu que les lois saoudiennes de lutte contre le terrorisme ne respectaient pas les normes internationales et a invité le gouvernement à « mettre fin aux poursuites judiciaires, notamment contre des militants des droits de l’homme, des écrivains et des blogueurs, au seul motif qu’ils expriment des opinions non violentes ».
Le président des États-Unis, Donald Trump, s’est rendu en Arabie saoudite en mai pour participer au sommet de Riyadh, auquel ont assisté des représentants de plus de 55 États, pour la plupart arabes ou à majorité musulmane. Un accord d’armement entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, d’un montant de 300 milliards de dollars des États-Unis, a été annoncé durant cette visite.
La coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite en vue de soutenir le gouvernement yéménite internationalement reconnu a continué de bombarder des régions contrôlées ou revendiquées par les Houthis et leurs alliés, tuant et blessant un certain nombre de civils. Certaines de ces attaques constituaient des crimes de guerre. Selon un rapport des Nations unies publié en septembre, la coalition emmenée par l’Arabie saoudite était toujours la principale responsable des pertes civiles durant le conflit (voir Yémen). En octobre, dans son Rapport annuel sur le sort des enfants en temps de conflit armé, le secrétaire général de l’ONU a fait figurer la coalition dans la liste des parties commettant de graves violations contre des enfants, mais l’a placée dans une nouvelle catégorie créée spécifiquement pour limiter les critiques à l’égard de celle-ci.

Discrimination – La minorité chiite

Les membres de la minorité chiite faisaient toujours l’objet de discriminations en raison de leurs convictions religieuses. Ces discriminations limitaient leur droit à la liberté d’expression religieuse ainsi que leur accès à la justice, et restreignaient arbitrairement un certain nombre d’autres droits, dont le droit d’occuper un emploi et de bénéficier de services publics. Cette année encore, des militants chiites ont été arrêtés, emprisonnés et, dans certains cas, condamnés à mort à l’issue de procès inéquitables. Quatre hommes chiites condamnés à mort pour des infractions liées à des mouvements de protestation ont été exécutés en juillet.
Entre mai et août, les forces de sécurité ont commencé à évacuer le quartier d’Al Masoura de la ville d’Al Awamiyah (province de l’Est), dont la population est majoritairement chiite, afin de procéder à des travaux de réaménagement urbain. Des affrontements armés ont éclaté entre les forces de sécurité et des hommes armés qui refusaient de quitter les lieux. Des armes lourdes ont été utilisées et des tirs d’artillerie sont intervenus, faisant des dizaines de morts et de blessés parmi la population et de graves dégâts matériels dans la ville. Les autorités ont accusé ces hommes d’avoir mené des « activités terroristes » et d’autres infractions pénales, et ont affirmé qu’ils seraient punis. Selon des riverains, les autorités ont empêché les ambulances et les services de secours médical d’accéder au quartier, et de nombreuses familles restées sur place se sont trouvées à court de nourriture, d’eau, de traitements médicaux et d’autres produits de première nécessité. Des dizaines de personnes, dont des militants, auraient été arrêtées et placées en détention durant cette opération.
Le défenseur des droits humains Ali Shaaban a ainsi été arrêté le 15 mai après avoir mis en ligne sur Facebook des messages de solidarité avec les habitants d’Al Awamiyah. Il était toujours en détention à la fin de l’année.
En juillet, les familles de 15 hommes chiites accusés d’espionnage au profit de l’Iran et condamnés à mort à l’issue d’un procès collectif contraire aux normes d’équité les plus élémentaires ont appris que la juridiction d’appel du Tribunal pénal spécial avait confirmé leur peine. En décembre, certaines ont été informées que la Cour suprême avait validé les condamnations, exposant ces hommes à un risque d’exécution imminente. Le Tribunal pénal spécial a continué de juger des militants chiites pour leur participation présumée aux manifestations de 2011 et de 2012. La peine capitale a cette année encore été utilisée contre des opposants politiques. Au moins 38 hommes chiites risquaient toujours d’être exécutés.
Quatre d’entre eux avaient été condamnés à mort pour leur participation à des manifestations en 2012 alors qu’ils étaient âgés de moins de 18 ans.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

Les autorités ont continué de réprimer les activités pacifiques des militants et des dissidents, harcelant les écrivains, les commentateurs en ligne et les autres personnes qui exerçaient leur droit à la liberté d’expression en faisant part de leur opposition aux politiques du gouvernement. Après l’annonce de la décision de rompre les relations avec le Qatar, les autorités saoudiennes ont lancé une mise en garde contre les personnes qui exprimeraient de la sympathie à l’égard de ce pays ou qui critiqueraient l’action du gouvernement saoudien, indiquant que ces initiatives seraient considérées comme des infractions au titre de l’article 6 de la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité. Tous les rassemblements publics, y compris les manifestations pacifiques, demeuraient interdits en vertu d’un décret de 2011 du ministère de l’Intérieur.

Défenseures et défenseurs des droits humains

Deux ans après l’adoption de la loi sur les associations, aucune nouvelle organisation indépendante de défense des droits humains n’avait été créée en application de ses dispositions. Les organisations indépendantes de défense des droits humains qui avaient été contraintes à la fermeture, dont l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), l’Union pour les droits humains, le Centre Adala pour les droits humains et l’Observatoire des droits humains en Arabie saoudite, n’avaient pas repris leurs activités. La quasi-totalité de leurs membres avaient été condamnés, avaient quitté le pays ou étaient en cours de procès devant le Tribunal pénal spécial.
En octobre, les autorités ont adopté une nouvelle Loi de lutte contre le terrorisme, en remplacement de celle de février 2014. Le nouveau texte prévoyait des peines spécifiques pour les infractions liées au « terrorisme », dont la peine capitale. Il définissait toujours les actes terroristes en des termes vagues et excessivement larges, ce qui permettait son utilisation comme outil de répression supplémentaire de la liberté d’expression et des défenseurs des droits humains.
Les autorités ont continué d’arrêter, de poursuivre et de condamner des défenseurs des droits humains sur la base de charges formulées en des termes vagues et invoquant de manière abusive la Loi antiterroriste de février 2014. Les 11 membres fondateurs de l’ACPRA, organisation fermée par les autorités en 2013, ont ainsi été condamnés à des peines d’emprisonnement.
Sa peine ayant été confirmée en appel, Abdulaziz al Shubaily, membre fondateur de l’ACPRA, a commencé à purger les huit ans d’emprisonnement auxquels il avait été condamné, assortis d’une interdiction de sortir du pays pendant huit ans après sa libération et d’une interdiction de s’exprimer sur les réseaux sociaux. Abdulaziz al Shubaily avait été déclaré coupable, entre autres infractions, d’« outrage à l’intégrité du système judiciaire et des juges » et de « violation de l’article 6 de la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité » en ayant « incité l’opinion publique à se retourner contre les dirigeants du pays et signé des déclarations en ligne appelant la population à manifester ».
Au début du mois de janvier, le militant des droits humains Essam Koshak, ingénieur en informatique, a été convoqué aux fins d’interrogatoire et questionné avec insistance à propos de son compte Twitter. Son procès s’est ouvert devant le Tribunal pénal spécial le 21 août. Essam Koshak devait répondre de plusieurs chefs liés à ses activités militantes en ligne.
Le procès du défenseur des droits humains Issa al Nukheifi s’est ouvert devant le Tribunal pénal spécial le 21 août. Il était inculpé de plusieurs infractions liées à ses publications sur Twitter. Il avait été arrêté le 18 décembre 2016 et se trouvait toujours en détention à la prison générale de La Mecque à la fin de l’année.

Arrestations et détentions arbitraires

Les services de sécurité ont continué de procéder à des arrestations arbitraires et de maintenir des personnes en détention pendant de longues périodes sans inculpation ni jugement et sans les déférer devant un tribunal compétent, en violation du Code de procédure pénale. Les détenus étaient bien souvent maintenus au secret pendant les interrogatoires et privés du droit de consulter un avocat, en violation des normes internationales d’équité des procès. En février, le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a estimé qu’Ali al Nimr, Abdullah al Zaher et Dawood al Marhoon, trois jeunes gens arrêtés sur la base d’accusations liées à des manifestations, et qui pouvaient être exécutés à tout moment, étaient détenus arbitrairement. Le Groupe de travail a indiqué que ces hommes avaient été privés de leur liberté sans aucune base légale, et avaient été poursuivis et condamnés au titre de lois promulguées deux ans après leur arrestation, en violation du droit international.
En septembre, une vague d’arrestations a touché plus de 20 dignitaires religieux, écrivains, journalistes et universitaires de premier plan.
En novembre, les autorités ont arrêté des centaines d’hommes d’affaires et de fonctionnaires, anciens ou actuels, sans révéler aucune information sur les éventuelles accusations portées à leur encontre. Certains ont été libérés quelque temps après, semble-t-il après avoir conclu des accords financiers.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les mauvais traitements en détention restaient monnaie courante. Cette année encore, des tribunaux ont prononcé, ou confirmé, des peines capitales sur la base d’« aveux » obtenus avant le procès et rétractés par la suite. Les agents des forces de sécurité continuaient de se livrer à des actes de torture et d’autres mauvais traitements sur des détenus, en toute impunité.
En juillet, les familles de 14 hommes condamnés à mort pour des chefs liés à des manifestations ont appris par téléphone que les sentences avaient été confirmées. Selon les documents de procédure, les 14 hommes ont été maintenus en détention provisoire prolongée et ont affirmé qu’on les avait soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements pendant leurs interrogatoires dans le but de leur extorquer des « aveux ». Le Tribunal pénal spécial s’est semble-t-il appuyé principalement sur ces « aveux » pour prononcer son verdict, et n’a pas cherché à en savoir plus sur leurs allégations faisant état de torture.

Droits des femmes

Malgré les réformes promises par le gouvernement, les femmes et les filles restaient en butte à la discrimination en droit et en pratique. Les femmes devaient toujours obtenir l’autorisation d’un tuteur – leur père, leur mari, un frère ou un fils – pour s’inscrire dans un établissement d’enseignement supérieur, chercher un emploi, se rendre à l’étranger ou se marier. Par ailleurs, elles étaient toujours insuffisamment protégées contre les violences, entre autres sexuelles. Le roi Salman a pris en avril un décret royal demandant à tous les organismes publics de ne plus exiger l’autorisation d’un tuteur pour la délivrance des services publics, sauf disposition expresse en ce sens. Le décret ordonnait aussi aux organismes publics de réviser leur réglementation et de préparer une liste des procédures soumises à l’autorisation d’un tuteur. Ce texte pourrait renforcer la liberté des femmes d’exercer le contrôle sur leur vie, mais il n’avait pas été mis en œuvre à la fin de l’année. Toujours en avril, l’Arabie saoudite a été élue à la Commission de la condition de la femme [ONU].
En septembre, le souverain a pris un décret royal, applicable au 23 juin 2018, autorisant les femmes à conduire. Le texte de ce décret prévoyait une application en vertu des « dispositions réglementaires existantes », sans autre précision, ce qui suscitait des interrogations quant à la manière dont il serait mis en œuvre dans la pratique. À la suite de cette annonce, des militantes des droits des femmes qui avaient fait campagne contre l’interdiction de conduire imposée aux femmes en Arabie saoudite ont signalé avoir reçu des appels téléphoniques leur enjoignant de ne pas faire de commentaires publics sur la mesure sous peine de risquer une convocation aux fins d’interrogatoire.
Après avoir fui Al Qassim, où elle subissait des violences dans son environnement familial, Maryam al Otaibi, une militante âgée de 29 ans qui avait participé activement à la mobilisation en vue de l’abolition du système de tutelle masculine, a été arrêtée et placée en détention à Riyadh, la capitale, le 19 avril. Elle a été interrogée après que son père (qui est son tuteur légal) eut déposé plainte contre elle pour fugue. Elle a été remise en liberté sous caution le 30 juillet. L’affaire suivait son cours devant la justice à la fin de l’année, et Maryam al Otaibi risquait d’être de nouveau placée en détention.
À son arrivée à l’aéroport de Dammam le 4 juin, Loujain al Hathloul, une défenseure des droits humains de premier plan qui avait été arrêtée pour s’être opposée à l’interdiction de conduire, a été une nouvelle fois interpellée et placée en détention. Elle a été libérée quatre jours plus tard après avoir été interrogée sur ses activités militantes. On ignorait dans quelles conditions précises cette remise en liberté était intervenue.

Droits des travailleuses et travailleurs migrants

Les autorités ont poursuivi leurs opérations contre les travailleurs migrants en situation irrégulière ; plusieurs milliers de personnes ont ainsi été arrêtées, détenues et expulsées. Le ministre de l’Intérieur a lancé en mars une campagne baptisée « Une nation sans violations » prévoyant que les travailleurs migrants avaient 90 jours pour régulariser leur situation ou bien quitter le pays sans autres sanctions.

Peine de mort

Les tribunaux ont prononcé cette année encore des sentences capitales pour toute une série de crimes, y compris des infractions à la législation sur les stupéfiants ou des comportements qui ne devraient pas constituer des infractions selon les normes internationales, comme la « sorcellerie » ou l’« adultère ». Ces condamnations ont souvent été prononcées à l’issue de procès iniques par des tribunaux qui n’ont pas ordonné d’enquêtes sérieuses sur les allégations des accusés qui se plaignaient que leurs « aveux » avaient été obtenus sous la contrainte, notamment la torture. Dans bien des cas, les autorités n’ont pas prévenu les familles que leur proche allait être exécuté ou ne les ont pas informées qu’il venait de l’être.
Le 11 juillet, Yussuf Ali al Mushaikhass, père de deux enfants, a été exécuté en même temps que trois autres hommes pour des infractions à la législation antiterroriste liées à leur participation à des manifestations antigouvernementales survenues dans la province de l’Est en 2011 et 2012. Sa famille n’a appris son exécution qu’après coup, par une annonce des autorités diffusée à la télévision. Le tribunal semble avoir largement fondé la condamnation sur des « aveux » qui, selon Yussuf al Mushaikhass, lui avaient été arrachés sous la torture et d’autres mauvais traitements.
Said al Saiari a été exécuté le 13 septembre. Alors qu’il avait conclu qu’il n’existait pas d’éléments suffisants pour le condamner, le tribunal général de Najran avait prononcé la peine capitale contre lui en 2013. Il s’était fié aux déclarations sous serment du père de la victime qui, bien que non présent sur la scène du crime, était persuadé que Said al Saiari était responsable de la mort de son fils.

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