Rapport annuel 2018

Irak

République d’Irak
Chef de l’État : Fouad Maassoum
Chef du gouvernement : Haider al Abadi

Dans le cadre du conflit armé, les forces irakiennes et kurdes, les milices paramilitaires, les forces de la coalition et le groupe armé État islamique (EI) ont commis des violations du droit international humanitaire, des crimes de guerre et des atteintes flagrantes aux droits humains. Les combattants de l’EI ont déplacé de force des milliers de civils vers des zones d’hostilités, les utilisant massivement comme boucliers humains ; ils ont tué délibérément des civils qui fuyaient les combats, ont recruté des enfants soldats et les ont envoyés sur le terrain. Les forces irakiennes et kurdes ainsi que les milices paramilitaires ont exécuté de manière extrajudiciaire des combattants qu’elles avaient capturés et des civils qui fuyaient le conflit ; elles ont détruit des habitations et d’autres biens de caractère civil. Les forces et les autorités gouvernementales irakiennes et kurdes ont arrêté arbitrairement, soumis à des disparitions forcées et torturé des civils soupçonnés d’appartenance à l’EI. Les tribunaux ont jugé des membres présumés de l’EI et d’autres personnes soupçonnées d’infractions liées au terrorisme dans le cadre de procès inéquitables et ont prononcé des condamnations à mort sur la base d’« aveux » arrachés sous la torture. Les exécutions se sont poursuivies à un rythme alarmant.

CONTEXTE

En décembre, le gouvernement irakien, les forces kurdes, les milices paramilitaires et les forces de la coalition emmenée par les États-Unis avaient repris le territoire et les localités tenus par l’EI, notamment Mossoul-Est en janvier, Mossoul-Ouest en juillet, Tal Afar en août et Hawija en octobre. En novembre, l’opération militaire destinée à reprendre Mossoul et ses environs avait conduit au moins 987 648 habitants de la province de Ninive à aller chercher refuge ailleurs dans le pays. Au total, plus de trois millions de personnes étaient toujours déplacées à l’intérieur du pays.
Le gouvernement régional du Kurdistan a organisé le 25 septembre un référendum sur l’indépendance dans la région du Kurdistan irakien et dans les « zones contestées » du pays, parmi lesquelles des parties des provinces de Ninive, Kirkouk, Salahuddin et Diyala. Les premiers résultats laissaient apparaître un vote à 93 % en faveur de l’indépendance. Le gouvernement irakien a déclaré cette consultation illégale et inconstitutionnelle. Les forces du gouvernement irakien et les formations qui le soutenaient, dont les Unités de mobilisation populaire, ont ensuite repris le contrôle de la province de Kirkouk et de certaines zones des provinces de Ninive, Salahuddin et Diyala.

EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS

L’EI a commis des atteintes flagrantes aux droits humains et des violations graves du droit international humanitaire, dont certaines étaient constitutives de crimes de guerre. Cherchant à protéger ses combattants, le groupe armé a déplacé de force des milliers de civils vers des zones où des affrontements étaient en cours. Il a tué délibérément des civils qui tentaient de fuir les combats, et pendu les corps de ces personnes dans des lieux publics, à titre d’avertissement pour les habitants qui songeraient à s’échapper. Il s’est livré à des homicides s’apparentant à des exécutions contre ses opposants, et a recruté et envoyé au combat des enfants soldats. À Mossoul, l’EI a empêché de manière régulière les civils de recevoir des soins médicaux ; ses combattants ont occupé plusieurs hôpitaux et autres bâtiments à vocation médicale afin d’éviter d’être pris pour cible par les forces irakiennes et celles de la coalition.
Les combattants de l’EI ont commis des attentats-suicides et d’autres attaques meurtrières dans tout le pays, visant délibérément des civils, dont un certain nombre ont été tués ou blessés. Les attaques ont été menées dans des marchés, des édifices religieux chiites et d’autres lieux publics. Le 2 janvier, 35 personnes ont été tuées et plus de 60 autres blessées dans des attentats à l’explosif perpétrés par l’EI à Bagdad, dans le quartier à majorité chiite de Sadr City. Le 30 mai, deux attentats-suicides commis à Bagdad respectivement devant un marchand de glace et près d’un bâtiment du gouvernement ont fait 27 morts et 50 blessés au moins. Le 14 septembre, au moins 84 personnes ont été tuées et 93 autres blessées dans une attaque de l’EI contre un restaurant fréquenté par des pèlerins chiites à Nassiriyah.
Selon des informations publiées par les Nations unies en octobre, jusqu’à 1 563 femmes et enfants yézidis étaient retenus captifs par l’EI en Irak et en Syrie. Ils étaient soumis à des viols et à d’autres formes de torture et de brutalités physiques, et étaient réduits en esclavage. Celles et ceux qui parvenaient à s’évader ou qui retrouvaient la liberté après le versement d’une rançon par leurs proches ne recevaient pas les réparations adéquates, en particulier la prise en charge et l’aide nécessaires pour tenter de reconstruire leur vie. Les Nations unies ont indiqué en août qu’au moins 74 fosses communes avaient été découvertes dans des zones précédemment contrôlées par l’EI en Irak.

CONFLIT ARMÉ INTERNE – VIOLATIONS COMMISES PAR LES FORCES GOUVERNEMENTALES, LES FORCES DE LA COALITION ET LES MILICES

Les forces gouvernementales, les milices paramilitaires et les forces de la coalition ont commis de nombreuses violations du droit international humanitaire, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre. À Mossoul-Ouest, les forces irakiennes et les forces de la coalition ont été à l’origine d’une série d’attaques disproportionnées ou menées sans discernement. Au moins 105 civils ont ainsi été tués le 17 mars dans le quartier Al Jadida de Mossoul lors un raid aérien lancé par les États-Unis contre deux tireurs embusqués de l’EI.
À Mossoul-Ouest, les forces irakiennes ont systématiquement eu recours à des armes explosives à large rayon d’action, par exemple des munitions improvisées à propulsion assistée (IRAM), qui ne peuvent cibler précisément des objectifs militaires ou être utilisées légalement dans des zones habitées par des civils. À Mossoul-Est, des centaines de civils ont été tués par des frappes aériennes alors qu’ils se trouvaient chez eux ou dans des lieux où ils s’étaient abrités, obéissant aux instructions du gouvernement irakien leur ordonnant de ne pas partir durant la bataille.
Les forces gouvernementales irakiennes et kurdes ainsi que les milices paramilitaires ont exécuté de manière extrajudiciaire des hommes et des garçons soupçonnés d’appartenance à l’EI. Selon des informations concordantes qui ont circulé durant les dernières semaines de la bataille de Mossoul, entre mai et juillet, les forces irakiennes, notamment la Division d’intervention d’urgence, la police fédérale et les forces de sécurité irakiennes, ont arrêté, torturé et exécuté sommairement des hommes et des garçons qui fuyaient les combats.

ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

Des milliers d’hommes et de garçons considérés comme étant en âge de combattre (c’est-à-dire âgés plus ou moins de 15 à 65 ans) qui fuyaient des territoires contrôlés par l’EI ont été soumis à un processus de vérification par les forces de sécurité irakiennes, les forces kurdes et les milices paramilitaires dans des centres d’accueil temporaire et des lieux de détention improvisés. Les hommes soupçonnés d’appartenance à l’EI ont été détenus pendant plusieurs jours, voire plusieurs mois, souvent dans des conditions éprouvantes, ou bien transférés dans d’autres services. Les forces irakiennes, les forces kurdes et les milices paramilitaires, notamment les Unités de mobilisation populaire, ont par ailleurs arrêté à leur domicile, à des postes de contrôle ou dans des camps de déplacés, sans mandat judiciaire, des milliers de personnes soupçonnées de « terrorisme ».

TORTURE ET DISPARITIONS FORCÉES

Des hommes et des garçons soupçonnés d’appartenance à l’EI ont été soumis à des disparitions forcées, coupés de leur famille et du monde extérieur, dans des lieux sous le contrôle des ministères irakiens de l’Intérieur et de la Défense ou du gouvernement régional du Kurdistan, et dans des centres de détention secrets. Les détenus étaient interrogés par des membres des services de sécurité hors de la présence d’un avocat et étaient couramment soumis à la torture. Parmi les formes de torture les plus répandues figuraient les coups de barre de fer et de câble sur la tête ou d’autres parties du corps, la suspension par les bras ou les jambes dans des positions douloureuses, les décharges électriques et les menaces de viol de femmes de la famille du détenu. Les détenus n’avaient accès que de manière restreinte à des soins médicaux, ce qui entraînait des morts en détention et des amputations. Ils enduraient par ailleurs des conditions pénibles, notamment une forte surpopulation, le manque d’aération et un accès restreint aux douches et aux toilettes.

PROCÈS INÉQUITABLES

Le système judiciaire comportait toujours de graves lacunes. Les accusés, tout particulièrement ceux soupçonnés d’actes de « terrorisme », étaient régulièrement privés du droit de bénéficier du temps et des moyens nécessaires pour préparer leur défense, du droit de ne pas témoigner contre soi-même ou s’avouer coupable, et du droit de procéder à un contre-interrogatoire des témoins de l’accusation. Cette année encore, les tribunaux ont retenu à titre de preuve des « aveux » arrachés sous la torture. Beaucoup des prisonniers déclarés coupables à l’issue de ces procès inéquitables et expéditifs ont été condamnés à mort.
Entre juillet et août, les autorités irakiennes ont décerné des mandats d’arrêt contre au moins 15 avocats qui défendaient des membres présumés de l’EI, sous l’accusation d’appartenance au groupe armé. Ces initiatives ont suscité l’inquiétude chez leurs confrères, qui craignaient que le seul fait de défendre un membre présumé de l’EI ne les expose à une arrestation.

PERSONNES DÉPLACÉES

Plus de trois millions de personnes étaient toujours déplacées à l’intérieur du pays. Elles avaient trouvé refuge au sein de la population ou dans des camps, des campements de fortune ou des bâtiments en construction. En novembre, au moins 987 648 habitants de la province de Ninive avaient été déplacés par l’opération militaire visant à reprendre Mossoul. Les agences humanitaires ont alerté sur l’insuffisance majeure des contributions financières de la part de la communauté internationale.
Les civils vivant dans les camps pour personnes déplacées étaient en butte à une pénurie de vivres, d’eau, de médicaments et d’autres produits de première nécessité. La liberté de circulation des personnes était strictement limitée dans les camps. Des résidents ont signalé que des civils, y compris des enfants, y étaient recrutés, parfois de force, par des milices paramilitaires, et que des membres de leur famille avaient été enlevés alors qu’ils se trouvaient dans les espaces publics du camp ou bien à l’intérieur de leur tente, et soumis une disparition forcée. Des familles ont été séparées pendant des jours, voire des mois, en raison des procédures de vérification conduites dans les centres d’accueil temporaires. Des viols, des violences sexuelles, des actes d’exploitation et des discriminations, ainsi qu’un accès insuffisant et inégal à la nourriture, à l’eau et à d’autres produits de première nécessité, ont été signalés par des femmes cheffes de famille qui avaient trouvé refuge dans des camps de personnes déplacées, en particulier des femmes dont des proches de sexe masculin étaient soupçonnés d’appartenir à l’EI.

DÉPLACEMENTS FORCÉS ET DESTRUCTION DE BIENS IMMOBILIERS

Dans le contexte du conflit armé avec l’EI, les forces gouvernementales irakiennes et les milices paramilitaires ont procédé à des déplacements massifs de population et détruit les habitations des personnes déplacées. Aux côtés du gouvernement irakien, Hashad al Ashari, une milice tribale sunnite faisant partie des Unités de mobilisation populaire, a ainsi déplacé de force au début de l’année au moins 125 familles de la province de Salahuddin, qui étaient perçues comme liées à l’EI. Les autorités locales avaient préalablement émis un arrêté autorisant leur déplacement. Ces familles ont alors été retenues contre leur gré dans un camp pour personnes déplacées proche de Tikrit, qui faisait office de centre de détention.

COMMERCE DES ARMES

Certaines composantes des Unités de mobilisation populaire, qui ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves dans le centre et le nord de l’Irak depuis 2014, ont bénéficié de transferts d’armes en provenance de plusieurs pays, dont les États- Unis, la Russie et l’Iran. Véhicules blindés, pièces d’artillerie et diverses sortes d’armes de petit calibre figuraient parmi le matériel ainsi transféré. La mauvaise gestion des stocks d’armement et le marché florissant des armes à l’intérieur du pays et par-delà les frontières ont permis à des milices de s’armer, ce qui mettait d’autant plus en péril la sécurité.

LIBERTÉ D’EXPRESSION – RÉGION DU KURDISTAN

Dans la région du Kurdistan, des journalistes et des cybermilitants ont fait l’objet d’une surveillance et ont été soumis à des arrestations arbitraires, des coups, des menaces de mort et des campagnes de dénigrement lancées pour entamer leur réputation ou celle de membres de leur famille. Ces atteintes à la liberté d’expression des journalistes et des cybermilitants se sont multipliées à l’approche du référendum sur l’indépendance de la région ; Amnesty International a recueilli des informations sur 12 cas d’arrestations arbitraires, de passages à tabac et d’actes d’intimidation contre des journalistes et des militants en ligne entre juin et septembre.
Le 14 mars, les forces de sécurité, dont la police antiémeutes de la région et des combattants syriens placés sous le commandement du gouvernement régional du Kurdistan (les « peshmergas du Rojava »), ont utilisé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles pour disperser des manifestants yézidis. Ceux-ci réclamaient le départ de la région des peshmergas du Rojava, à la suite d’affrontements intervenus peu auparavant entre des membres de cette formation et les Unités de résistance du Sinjar. Selon les témoignages de manifestants et de personnes présentes à proximité, une femme yézidie, Nazeh Nayef Qawal, a été tuée lors de la dispersion violente des protestataires.

IMPUNITÉ

À la suite d’allégations faisant état de violations graves du droit international humanitaire et de crimes de guerre commis par les forces irakiennes et les milices progouvernementales, et notamment de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, le gouvernement irakien a mis en place des commissions chargées d’examiner les éléments de preuve disponibles et de lancer des investigations. Ces commissions n’ont publié aucune conclusion, et n’en ont pas davantage communiqué aux ONG internationales ou nationales. Plus d’un an après l’enlèvement et la disparition forcée de 643 hommes et garçons à Saqlawiya (province d’Al Anbar) par des membres des Unités de mobilisation populaire, une commission mise en place par le bureau du Premier ministre le 5 juin 2016 n’avait toujours pas rendu publiques d’éventuelles conclusions.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité le 21 septembre une résolution visant à garantir que les membres de l’EI responsables de crimes de guerre et d’atteintes aux droits humains soient amenés à rendre compte de leurs actes. Cette résolution ne contenait toutefois aucune disposition pour faire en sorte que les crimes commis pendant le conflit par les forces irakiennes, les milices paramilitaires telles que les Unités de mobilisation populaire, la coalition dirigée par les États-Unis et d’autres acteurs responsables de violations graves du droit international, dont des crimes de guerre, ne restent pas impunis.

PEINE DE MORT

L’Irak demeurait l’un des pays du monde ayant le plus recours à la peine de mort. Des dizaines de personnes ont été condamnées à mort par des tribunaux à l’issue de procès inéquitables, et exécutées par pendaison. La peine de mort continuait d’être un instrument de représailles utilisé comme marque de prise en compte de la colère de la population dans le contexte des attentats revendiqués par l’EI. Plusieurs dizaines d’hommes ont été pendus en janvier en raison de leur rôle supposé dans le massacre, en 2014, de 1 700 recrues chiites de la base militaire Speicher, située près de Tikrit. Ces hommes, dont les « aveux » avaient été arrachés sous la torture, selon des allégations dignes de foi, ont été condamnés à l’issue de procès expéditifs et entachés de graves irrégularités. Ces exécutions massives sont intervenues alors qu’une autre exécution du même type, elle aussi en lien avec le massacre de Speicher, avait déjà eu lieu en août 2016. Des dizaines d’hommes condamnés pour des infractions « terroristes » ont été exécutés le 25 septembre. Cette exécution massive s’est déroulée 11 jours après un attentat-suicide qui, le 14 septembre, avait fait au moins 84 morts à Nassiriyah.

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