Rapport annuel 2018

Maroc et Sahara occidental

Royaume du Maroc
Chef de l’État : Mohammed VI
Chef du gouvernement : Saad-Eddine El Othmani (a remplacé Abdelilah Benkirane en mars)

Des journalistes et des manifestants appelant à la justice sociale et au respect des droits politiques ont été emprisonnés, souvent à l’issue de procès iniques. Les autorités judiciaires n’ont pas enquêté sérieusement sur les informations faisant état de torture en détention. L’impunité persistait pour les violations des droits humains commises par le passé. Comme les années précédentes, une force excessive a été utilisée contre des migrants et certains ont été placés en détention. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu.

CONTEXTE

Des manifestations de grande ampleur en faveur de la justice sociale se sont tenues pendant une longue période dans la région du Rif (nord du pays). En janvier, le Maroc a réintégré l’Union africaine. Le mois suivant, il a adressé une demande d’adhésion à la CEDEAO. En mars, le roi Mohammed VI a nommé Saad-Eddine El Othmani chef du gouvernement à la suite d’un remaniement ministériel. En avril, le Conseil de sécurité de l’ONU a une fois de plus renouvelé pour un an le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) sans y ajouter de volet concernant la surveillance de la situation en matière de droits humains [1]. En septembre, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté des recommandations après avoir passé en revue les réalisations du Maroc dans le domaine des droits humains dans le cadre de l’Examen périodique universel [2].

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET D’ASSOCIATION

Les autorités ont utilisé des dispositions du Code pénal relatives à l’outrage, à la rébellion et à l’incitation à manifester pour poursuivre et emprisonner des journalistes, des blogueurs et des militants qui avaient critiqué des représentants de l’État ou relayé des informations sur des violations des droits humains, des actes de corruption ou des manifestations populaires. Au second semestre, le parquet a ouvert une enquête à l’encontre d’au moins un manifestant pour « fausse dénonciation » après que celui-ci eut accusé la police de l’avoir torturé. En outre, des tribunaux ont déclaré coupables et condamné à des peines de prison des journalistes et des militants accusés d’infractions relatives à la sûreté de l’État et au terrorisme, définies de manière vague et excessivement large, vraisemblablement pour les punir d’avoir critiqué les autorités.
Entre mai et août, les forces de sécurité ont arrêté et détenu huit journalistes et blogueurs qui avaient mis en ligne des articles ou des commentaires critiques au sujet des manifestations dans le Rif. Le parquet les a inculpés d’atteintes à la sûreté de l’État en lien avec le mouvement de contestation. Reconnu coupable d’incitation des citoyens à participer à une manifestation non autorisée, Hamid El Mahdaoui a été condamné à trois mois d’emprisonnement et à 20 000 dirhams (environ 2 100 dollars des États-Unis) d’amende, peine alourdie à un an d’emprisonnement en appel.
Sept personnes, dont des journalistes, des militants et l’universitaire Maâti Monjib, étaient en cours de jugement ; elles étaient accusées, entre autres infractions, d’« atteintes à la sûreté de l’État » pour avoir fait la promotion d’une application mobile de journalisme citoyen protégeant la confidentialité de ses utilisateurs. Une procédure était toujours en cours à l’encontre du journaliste Ali Anouzla, poursuivi pour « apologie du terrorisme, assistance et incitation au terrorisme », des accusations forgées de toutes pièces, en raison d’un article publié sur le site Internet Lakome.com en 2013.
Les autorités ont imposé des restrictions à certaines organisations du Maroc et du Sahara occidental considérées comme critiques à leur égard. Elles ont notamment continué de bloquer l’enregistrement d’associations, interdit les activités de certaines organisations et expulsé des étrangers invités par celles-ci.

LIBERTÉ DE RÉUNION

Les autorités ont jugé plusieurs centaines de militants ayant participé aux manifestations en faveur de la justice sociale et environnementale, les condamnant à des peines de privation de liberté pour des infractions relatives aux rassemblements. Les tribunaux ont entamé des procédures pénales de droit commun contre des manifestants sur la base d’accusations forgées de toutes pièces, et ont invoqué des dispositions relatives à la sûreté de l’État et au terrorisme formulées en termes vagues pour juger certains d’entre eux.
En février, des gendarmes ont arrêté avec brutalité des militants écologistes pacifiques, parmi lesquels Mohamed Akkad, qui en a gardé une importante perte de vision à l’oeil droit. Cet homme et 13 autres personnes qui avaient manifesté sans violence contre une carrière située à proximité de leur village, à Beni Oukil, ont été condamnés à un mois de prison avec sursis et à des amendes dont le montant total s’élevait à 10 000 dirhams (environ 1 050 dollars des États-Unis) pour « entrave à l’exercice de la mission d’agents de la force publique » par un tribunal d’Oujda. Lors d’une autre manifestation, des gendarmes ont arrêté le militant écologiste Abderrahmane Akhidir, originaire d’Imider, dans le massif de l’Atlas. En mars, un tribunal l’a reconnu coupable d’agression et de vol sur la base d’accusations forgées de toutes pièces et l’a condamné à quatre mois d’emprisonnement.
En avril, les défenseurs des droits humains Mahjoub El Mahfoud, Miloud Salim et Saif Saifeddine ont été arrêtés par la gendarmerie après avoir participé à une manifestation organisée par Zohra El Bouzidi, qui s’est immolée par le feu pour protester contre son expulsion forcée de son domicile, dans la ville de Sidi Hajjaj. Les gendarmes ont également arrêté la soeur de cette femme, Khadija El Bouzidi. Un tribunal a reconnu ces quatre personnes coupables d’assaut et insulte contre des représentants de l’État. Il a prononcé une peine de deux ans de prison, ramenée à quatre mois en appel, contre les trois hommes et une peine de 10 mois de prison, ramenée à deux mois en appel, contre Khadija El Bouzidi, assorties chacune d’une amende de 500 dirhams (environ 150 dollars des États-Unis). Zohra El Bouzidi est morte des suites de ses blessures en octobre.
À partir de mai, les autorités ont procédé à un déploiement des forces de sécurité, d’une ampleur sans précédent ces dernières années, pour empêcher des manifestations dans la région du Rif, et elles se sont livrées à des arrestations massives de manifestants majoritairement pacifiques, dont des mineurs [3]. Dans certains cas, les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive ou injustifiée. Les autorités judiciaires n’ont pas enquêté sérieusement sur les circonstances de la mort de deux manifestants, Imad El Attabi et Abdelhafid Haddad, en août.
Entre juillet et novembre, les tribunaux ont condamné un grand nombre de personnes en lien avec le mouvement de contestation dans le Rif, à des peines allant jusqu’à 20 ans de réclusion. Les chefs d’inculpation retenus allaient de la manifestation non autorisée au complot en vue de porter atteinte à la sûreté de l’État.
Tout au long de l’année, les autorités ont régulièrement eu recours à une force excessive et injustifiée pour disperser des manifestants pacifiques dans plusieurs villes du Sahara occidental, notamment Laayoune, Smara, Boujdour et Dakhla. Celles et ceux qui réclamaient l’autodétermination de ce territoire et la libération des prisonniers sahraouis étaient tout particulièrement visés par cette pratique. Plusieurs manifestants, blogueurs et militants ont été emprisonnés, souvent à l’issue de procès iniques sur la base d’accusations forgées de toutes pièces.
En septembre, le blogueur sahraoui Walid El Batal a été libéré à Smara après avoir purgé une peine de 10 mois de prison assortie d’une amende de 1 000 dirhams (environ 105 dollars des États-Unis) pour assaut et insulte contre des représentants de l’État, dégradation de biens publics et participation à un rassemblement armé. Il s’agissait d’accusations fallacieuses.
En juillet, un tribunal de Laayoune a déclaré le militant sahraoui Hamza El Ansari coupable, sur la base de fausses accusations, d’assaut et insulte contre des agents de l’État, ainsi que de dégradation volontaire, en raison de sa participation à une manifestation en février. Cette juridiction l’a condamné à un an de prison et 10 000 dirhams d’amende (environ 1 050 dollars des États-Unis), sans enquêter sur ses allégations selon lesquelles des policiers l’auraient maltraité et forcé à signer une déclaration les yeux bandés. Il a été relâché après avoir bénéficié d’une réduction de sa peine à trois mois d’emprisonnement en appel en septembre.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Le Sous-comité pour la prévention de la torture [ONU] a effectué une visite dans le pays en octobre. Le Maroc n’avait toujours pas mis en place de mécanisme national de prévention de la torture.
Cette année encore, les tribunaux ont retenu à titre de preuve à charge des déclarations faites en détention en l’absence d’un avocat, sans enquêter en bonne et due forme sur les allégations selon lesquelles ces déclarations auraient été arrachées sous la torture et d’autres mauvais traitements.
Entre juillet et novembre, des juridictions siégeant à Al Hoceima et Casablanca ont jugé et condamné de nombreux contestataires du Rif, en se fondant sur des déclarations obtenues sous la contrainte selon les prévenus, sans avoir mené d’enquêtes sérieuses sur leurs allégations de torture et d’autres mauvais traitements en détention [4].
En juillet, un tribunal civil a condamné 23 militants sahraouis dans l’affaire des affrontements meurtriers qui avaient eu lieu en 2010 à Gdim Izik (Sahara occidental), et prononcé de lourdes peines, dont certaines de réclusion à perpétuité. Ces personnes avaient déjà fait l’objet d’un procès manifestement inéquitable devant une juridiction militaire en 2013 [5]. Le tribunal civil n’a pas véritablement enquêté sur les allégations de torture de ces personnes en détention et a jugé recevables des informations extorquées par ce moyen. À partir du mois de septembre, au moins 10 des 19 militants sahraouis qui étaient toujours emprisonnés ont entamé une grève de la faim pour protester contre leurs conditions carcérales après avoir été séparés les uns des autres et placés dans différentes prisons marocaines [6].
Des personnes placées en garde à vue au Maroc et au Sahara occidental ont confié avoir été torturées et autrement maltraitées par des policiers. Les autorités judiciaires n’ont ni enquêté sérieusement sur ces allégations, ni amené les responsables présumés à rendre des comptes. Les autorités ont maintenu plusieurs personnes en détention prolongée à l’isolement, ce qui s’apparentait à de la torture ou à d’autres mauvais traitements. Un prisonnier, Ali Aarrass, a été détenu à l’isolement pendant plus d’un an [7].

IMPUNITÉ

Malgré les recommandations émises par l’Instance équité et réconciliation, mécanisme de justice transitionnelle, les autorités n’ont pris aucune mesure pour remédier à l’impunité dont bénéficiaient les auteurs de graves violations (pratique systématique de la torture, disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires, notamment) perpétrées au Maroc et au Sahara entre 1956 et 1999.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES

Comme les années précédentes, des hommes ont été incarcérés aux termes de l’article 489 du Code pénal, qui érige en infraction les relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe. Au moins deux hommes ont été condamnés à six mois d’emprisonnement au titre de cet article. Des victimes d’agressions homophobes ont déclaré avoir peur de se rendre au commissariat pour porter plainte à cause du risque d’arrestation découlant de l’article 489.

DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES

Le Maroc n’a pas adopté de loi relative à l’asile, mais permettait toujours aux réfugiés d’avoir accès aux droits fondamentaux et à des services de base, dont l’éducation. Les demandeurs d’asile et réfugiés enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont reçu des documents les protégeant contre le « refoulement » (renvoi forcé dans un pays où ils risquent de subir de graves violations des droits humains), sans qu’une décision soit prise sur leur statut définitif.
Vingt-cinq réfugiés syriens ont été abandonnés à leur sort pendant trois mois dans la zone tampon à la frontière avec l’Algérie, avant que les autorités ne leur accordent une protection en juillet [8].
Les forces de sécurité ont continué de participer aux expulsions sommaires de migrants et de demandeurs d’asile depuis les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla vers le Maroc, ainsi que d’employer une force excessive ou injustifiée à leur encontre. Des migrants, dont certains avaient entamé des démarches pour régulariser leur situation, ont été emprisonnés pour être entrés sur le territoire marocain, y avoir séjourné ou en être sortis de façon irrégulière. Ils ont parfois été jugés sans pouvoir bénéficier des services d’un avocat.
En septembre, deux Burkinabè sont morts à la suite de l’utilisation de gaz lacrymogène par les forces de sécurité marocaines contre des migrants qui tentaient de pénétrer dans l’enclave espagnole de Melilla.

PEINE DE MORT

Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort. Aucune exécution n’avait eu lieu depuis 1993.

CAMPS DU FRONT POLISARIO

Cette année encore, le Front Polisario n’a pris aucune mesure pour mettre fin à l’impunité dont bénéficiaient ceux qui étaient accusés d’avoir commis des atteintes aux droits humains durant les années 1970 et 1980 dans les camps qu’il contrôlait.

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