Les autorités mauritaniennes ont continué de restreindre les droits humains. Des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des blogueurs/blogueuses et des militant·e·s politiques ont été victimes de manœuvres d’intimidation, de harcèlement, ainsi que d’arrestations et de détentions arbitraires, qui ont culminé aux alentours de l’élection présidentielle de juin. L’accès à Internet a été bloqué. La police a fait usage d’une force excessive contre des manifestants et manifestantes pacifiques. L’esclavage et les pratiques discriminatoires persistaient en toute impunité.
Contexte politique en Mauritanie
Le 6 mars, le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation a émis un décret ordonnant la dissolution de 76 partis politiques, soit parce qu’ils n’avaient pas atteint le seuil fixé à 1 % des voix aux deux dernières élections municipales, soit parce qu’ils n’avaient pas participé aux élections municipales pour la deuxième fois. L’élection présidentielle s’est tenue le 22 juin.
LIBERTE D’EXPRESSION ET DE REUNION PACIFIQUE
Les autorités mauritaniennes ont continué de réduire au silence les voix dissidentes.
Cheikh Ould Jiddou et Abderrahmane Weddady, deux blogueurs ayant dénoncé sur Facebook la corruption présumée du gouvernement, ont été arrêtés le 22 mars, inculpés de diffamation et détenus à la prison centrale de Nouakchott. Ils ont été remis en liberté sous caution le 3 juin et, le 29 juillet, un juge a abandonné toutes les charges qui avaient été retenues contre eux.
Le 23 juin, lendemain de l’élection présidentielle, l’accès à Internet a été bloqué après que le candidat du parti au pouvoir, Mohamed Ould Ghazouani, s’est déclaré vainqueur. Tandis que les manifestations étaient réprimées, le blocage de l’accès à Internet a empêché les journalistes, les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s et les membres de l’opposition d’obtenir et d’échanger des informations librement. L’accès à Internet a été rétabli le 3 juillet.
Dans les jours qui ont suivi le scrutin présidentiel, plusieurs journalistes, personnalités de l’opposition et militant·e·s de la société civile ont été arrêtés arbitrairement. Il s’agissait notamment de Samba Thiam, dirigeant des Forces progressistes pour le changement, arrêté le 24 juin et libéré le 3 juillet ; Cheikhna Mohamed Lemine Cheikh, responsable de campagne de la Coalition Sawab/Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste à Ksar, arrêté le 24 juin et libéré le 2 juillet ; Yahya Sy, du groupe de défense des droits humains COVISSIM, arrêté le 3 juillet et libéré sans inculpation six jours plus tard ; Moussa Seydi Camara, journaliste, arrêté le 26 juin, accusé d’avoir contesté les résultats du scrutin et libéré le 3 juillet ; Ahmedou Ould Wediaa, militant antiesclavagiste, journaliste et membre du parti d’opposition Tawassoul, arrêté le 3 juillet à la suite de déclarations contre les arrestations collectives d’étrangers que les autorités considéraient comme responsables des manifestations liées à l’élection. Ce dernier a été remis en liberté le 15 juillet.
Dix militants de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste ont également été arrêtés fin juin. Quatre ont été condamnés à trois mois d’emprisonnement. Ils ont tous été relâchés en novembre.
Par ailleurs, les autorités ont interdit les manifestations que des groupes d’opposition avaient prévu de tenir le 27 juin pour contester les résultats de l’élection présidentielle du 22 juin.
En octobre, la police a eu recours à une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques organisées par des étudiant·e·s contre une décision prise en 2018 par les pouvoirs publics, qui limitait les inscriptions à l’université. Des dizaines d’étudiants et étudiantes ont été blessés. La mesure restrictive en question a été annulée le 6 novembre. Les manifestations organisées pendant l’année par un groupe de victimes d’escroqueries présumées à la propriété ont souvent été dispersées avec violence par les forces de sécurité.
Mohamed Mkhaïtir, blogueur et prisonnier d’opinion arrêté en 2014 pour avoir publié un billet de blog dénonçant la discrimination au nom de la religion, a été libéré le 29 juillet après plus de cinq ans de détention arbitraire. Il aurait dû être libéré en novembre 2017 à la suite d’un arrêt de la cour d’appel, mais les autorités l’ont maintenu dans un lieu tenu secret jusqu’à sa libération. Il n’avait que peu de contacts avec sa famille et ne pouvait pas consulter ses avocats.
LIBERTE D’ASSOCIATION
Les autorités mauritaniennes ont continué de bafouer le droit à la liberté d’association.
Le 17 mars, une délégation d’Amnesty International s’est vu refuser l’entrée sur le territoire mauritanien à son arrivée à l’aéroport international de Nouakchott-Oumtounsy.
Le 3 avril, les responsables de l’association Main dans la main ont été informés par quatre policiers que leurs locaux à Nouakchott devaient être fermés. Cette association, qui promeut les valeurs de fraternité, de justice et de diversité, a été créée en 2006 et avait obtenu l’autorisation officielle de mener ses activités en Mauritanie.
HOMICIDES ILLEGAUX
Le 16 mars, un membre du contingent mauritanien de la force conjointe du G5 Sahel a tué un civil à Nbeiket el Ahouach, près de la frontière malienne. Les autorités mauritaniennes ont ouvert une enquête.
ESCLAVAGE ET DISCRIMINATION
Les pratiques esclavagistes et discriminatoires perduraient en toute impunité.
Des universitaires, des ONG et des défenseur·e·s des droits humains ont continué à s’inquiéter de la persistance de l’esclavage en Mauritanie. Dans ses observations finales sur le rapport de la Mauritanie adoptées en août 2019, le Comité des droits de l’homme [ONU] a fait part de ses préoccupations au sujet de la persistance de situations d’esclavage et des difficultés que les victimes d’esclavage rencontraient lorsqu’elles portaient plainte en vue de faire valoir leurs droits. Au 1er janvier 2019, les États-Unis ont mis fin à leur accord commercial avec la Mauritanie en raison des pratiques de travail forcé qui y avaient cours et des représailles exercées contre les militant·e·s antiesclavagistes.
Le 22 novembre, le tribunal spécial siégeant à Nema, près de la frontière malienne, a déclaré trois personnes coupables d’esclavage et les a condamnées, respectivement, à cinq ans d’emprisonnement avec sursis, 10 ans et 15 ans de réclusion. Elles ont interjeté appel et sont demeurées libres.
Le Comité des droits de l’homme s’est également dit préoccupé par la marginalisation dont continuaient d’être victimes « les Haratines et les Négro-Africains […], en particulier dans l’accès à l’éducation, à l’emploi, au logement, à la santé et aux services sociaux, ainsi qu’à la terre et aux ressources naturelles ». Il s’est également inquiété des dispositions juridiques discriminant les femmes ainsi que les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes. L’article 308 du Code pénal érigeait en infraction les « actes contre nature », passibles de la peine de mort.
IMPUNITE
Le 28 novembre, la population mauritanienne a célébré l’indépendance du pays mais a aussi commémoré le 30e anniversaire du « passif humanitaire », une période de trois ans qui a débuté en 1989 et pendant laquelle des Négro-Mauritanien·ne·s ont été victimes de torture, de détention arbitraire, d’exécutions extrajudiciaires et d’expulsions collectives. Les auteurs de ces graves atteintes aux droits humains jouissaient toujours de l’impunité, les autorités n’ayant pas abrogé la loi de 1993 accordant l’amnistie aux responsables présumés.