Rwanda |Rapport annuel 2019

République rwandaise
Chef de l’État : Paul Kagame
Chef du gouvernement : Édouard Ngirente

Les opposant·e·s politiques subissaient de fortes restrictions de leur droit à la liberté d’association, et certains ont disparu ou été tués. Les personnes exprimant des opinions considérées comme des critiques du parti au pouvoir, du gouvernement et de sa politique faisaient l’objet de poursuites judiciaires et étaient condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement. Le Rwanda continuait d’accueillir quelque 150 000 personnes réfugiées venues principalement du Burundi et de République démocratique du Congo (RDC). Le président Paul Kagame a gracié 52 femmes emprisonnées pour avoir avorté ou aidé d’autres femmes à avorter. Le droit à l’avortement demeurait soumis à des restrictions. Les initiatives visant à déférer à la justice les personnes soupçonnées d’avoir une part de responsabilité dans le génocide de 1994 se poursuivaient.

Contexte politique au Rwanda

Frank Habineza, dirigeant du Parti démocratique vert du Rwanda et ancien candidat à l’élection présidentielle, est devenu le premier député de l’histoire de ce parti à l’issue des élections législatives de 2018. Les importantes réformes législatives adoptées en 2018 ont notamment inclus une réforme du Code pénal, du Code de procédure pénale et de la législation relative à la lutte contre le terrorisme.

Des élections sénatoriales se sont tenues en septembre 2019.

Les tensions avec l’Ouganda, pays voisin du Rwanda, ont perduré durant toute l’année 2019 en dépit d’un accord conclu en août visant à améliorer les relations entre les deux pays.

LIBERTÉ D’ASSOCIATION

Le droit à la liberté d’association restait soumis à des restrictions pour les opposant·e·s politiques. De hauts responsables des Forces démocratiques unifiées-Inkingi (FDU-Inkingi) ont été tués ou ont disparu dans des circonstances suspectes. D’autres ont subi de la part des autorités un harcèlement et des manœuvres d’intimidation visant à étouffer leur droit à la liberté d’association. Victoire Ingabire, l’ancienne présidente de ce parti, qui avait été libérée de prison en 2018 à la faveur d’une grâce présidentielle, a été convoquée à plusieurs reprises par l’Office rwandais d’investigation (RIB). Par la suite, elle a quitté les FDU-Inkingi et formé un nouveau parti politique en novembre 2019.

DISPARITIONS FORCÉES

On ignorait toujours ce qu’il était advenu de Boniface Twagirimana, vice-président des FDU-Inkingi, bien que le RIB ait confirmé qu’il enquêtait sur sa disparition. En octobre 2018, le Service correctionnel du Rwanda a indiqué que cet homme s’était évadé de la prison internationale de Mpanga, une prison de haute sécurité, peu après y avoir été transféré. Il était accusé d’avoir formé un groupe armé illégal et conspiré contre la sûreté de l’État, avec huit autres membres de son parti, mais il a été le seul à être transféré. Le RIB a fait savoir qu’il menait une enquête mais qu’il n’était pas encore parvenu à établir où se trouvait Boniface Twagirimana. Les circonstances de sa soi-disant évasion incitaient à penser qu’il avait fait l’objet d’une disparition forcée . Eugène Ndereyimana, un autre membre de ce parti, a disparu en juillet alors qu’il se rendait à une réunion organisée à Nyagatare, dans la province de l’Est. Ne le voyant pas arriver, ses collègues ont signalé sa disparition.

HOMICIDES ILLÉGAUX

Anselme Mutuyimana, l’assistant de Victoire Ingabire, est mort dans des circonstances suspectes en mars. En septembre, Syldio Dusabumuremyi, coordinateur national des FDU-Inkingi, a été tué à coups de couteau par des hommes non identifiés. Le lendemain, le RIB a annoncé avoir arrêté deux personnes dans le cadre de son enquête sur ce meurtre.

PERSONNES RÉFUGIÉES OU DEMANDEUSES D’ASILE

Le Rwanda accueillait quelque 150 000 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile qui venaient essentiellement du Burundi et de RDC, mais aussi un certain nombre qui avaient été évacuées de Libye – originaires pour la plupart d’Érythrée – ou qui avaient fui l’Éthiopie, la Somalie, le Soudan ou le Soudan du Sud. En septembre, le Rwanda, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Union africaine ont signé un protocole d’accord prévoyant que les transferts devaient être volontaires, et que les personnes transférées au Rwanda se verraient proposer la possibilité d’être réinstallées dans un pays tiers, de regagner leur pays d’origine, de retourner dans le pays qui leur avait précédemment accordé l’asile, ou de rester au Rwanda, sous réserve de l’acceptation de leur demande par les autorités.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE

À la fin de l’année, personne n’avait été déféré à la justice pour trois cas dans lesquels, en 2018, les forces de sécurité avaient recouru à une force excessive contre des personnes réfugiées qui manifestaient. Lors de deux épisodes distincts survenus le même jour, au moins 11 réfugié·e·s congolais avaient perdu la vie, et de nombreuses autres personnes avaient été blessées quand la police avait ouvert le feu contre les manifestant·e·s à Karongi et dans le camp de réfugié·e·s de Kiziba, dans la province de l’Ouest. La police nationale rwandaise a indiqué que sept policiers avaient également été blessés. Quelques mois plus tard, d’autres opérations de police menées à Kiziba ont été marquées par des affrontements ; au moins un réfugié est mort des suites de ses blessures. Selon les conclusions de l’enquête menée par la Commission nationale des droits humains, qui ont été publiées en février 2019, la police aurait respecté les dispositions des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois [ONU]. La Commission n’a pas recommandé aux forces de l’ordre de revoir ou d’améliorer leurs pratiques concernant le maintien de l’ordre lors des rassemblements afin d’éviter que des personnes ne soient blessées ou tuées.

Entre 2018 et 2019, plus de 60 personnes réfugiées ont été inculpées de participation à des « manifestations illégales » ou d’organisation de telles manifestations, de « répandre des informations fausses avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais », de « violence contre les autorités publiques » et d’autres infractions similaires. Un procès était en cours à la fin de l’année contre des membres du comité exécutif du camp de Kiziba.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les personnes exprimant des opinions considérées comme des critiques du parti au pouvoir, du gouvernement et de sa politique faisaient l’objet de manœuvres de harcèlement et d’intimidation, de poursuites judiciaires et étaient condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement.

Un réfugié du camp de Kiziba continuait de purger la peine de 15 ans d’emprisonnement prononcée contre lui en 2018 pour « répandre des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais » et « incitation au soulèvement ou aux troubles de la population », entre autres. Sa condamnation reposait sur le fait qu’il avait partagé des informations avec des organisations de défense des droits humains et des médias étrangers.
En décembre 2018, la Haute Cour a acquitté Diane Rwigara, opposante au gouvernement, et sa mère, Adeline Rwigara, qui étaient poursuivies entre autres pour incitation à l’insurrection et faux et usage de faux. La Cour a estimé que les messages échangés sur les réseaux sociaux par Adeline Rwigara et ses amis et proches étaient des conversations privées, et qu’elles ne constituaient pas la preuve d’une incitation à l’insurrection.

En avril 2019, la Cour suprême a estimé que le fait d’incriminer des personnes pour « outrage envers les autorités du pays et les agents du service public » et pour « outrage public d’un culte religieux » constituait une violation de la liberté d’expression. Cependant, la Cour a maintenu les dispositions législatives faisant des « injures ou [de la] diffamation contre le Président de la République » une infraction pénale, au motif que le fait d’« insulter le président [constituait un trouble] à l’ordre public ». Le président Paul Kagame a réagi en déclarant que ces derniers faits devaient être considérés comme une infraction civile et non pénale.

En décembre, la condamnation du colonel Tom Byabagamba et du général de brigade à la retraite Frank Rusagara, deux anciens hauts responsables de l’armée qui avaient pacifiquement exprimé leurs opinions, a été confirmée en appel. Ils avaient été déclarés coupables en 2016 et condamnés à des peines de 21 et 20 ans d’emprisonnement, respectivement, pour « incitation à l’insurrection » et pour avoir « terni l’image du gouvernement ». En décembre, leurs peines ont été ramenées à 15 ans d’emprisonnement en raison d’un vice de forme.

ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES

Les autorités ne respectaient pas toujours la procédure prévue par la loi concernant l’arrestation et la détention de personnes soupçonnées d’une infraction. Jackie Umuhoza, fille du pasteur en exil Deo Nyirigira, a été arrêtée dans la capitale, Kigali, le 27 novembre. Le RIB a déclaré qu’elle faisait l’objet d’une enquête pour trahison et espionnage (des infractions figurant dans le Code pénal ordinaire). Après son arrestation, elle n’aurait normalement dû être détenue que pendant cinq jours avant d’être conduite devant un juge. En réponse aux préoccupations exprimées par l’opinion publique à propos de cette affaire, le RIB a affirmé que Jackie Umuhoza était détenue au titre de la législation antiterroriste, qui permettait de maintenir une personne en détention sans inculpation pendant 90 jours, et prévoyait que la détention devait être approuvée par un procureur tous les 15 jours. La porte-parole du RIB a cependant refusé de confirmer si sa détention avait été examinée par un procureur à ce stade.

DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS

En avril, le président a gracié 367 personnes condamnées pour avortement, complicité d’avortement ou infanticide. En octobre, il a gracié 52 autres personnes qui étaient emprisonnées pour avortement ou infanticide. Ces mesures sont intervenues à la suite d’importantes modifications apportées en 2018 aux dispositions du Code pénal, qui ont notamment supprimé la nécessité d’obtenir une décision de justice pour pouvoir avorter légalement en cas de viol, d’inceste ou de mariage forcé. Cependant, dans les cas où la poursuite de la grossesse risquait de mettre en danger la vie de la femme enceinte ou du fœtus, il était toujours nécessaire d’obtenir l’autorisation de deux médecins. De plus, l’avortement auto-induit ainsi que les avortements pratiqués dans toutes les autres circonstances demeuraient des infractions pénales.

CRIMES DE DROIT INTERNATIONAL

Les initiatives visant à déférer à la justice les responsables du génocide de 1994 se sont poursuivies.

En janvier, Vincent Murekezi a été transféré à Kigali depuis le Malawi dans le cadre d’un échange de prisonniers. Il avait été condamné pour fraude au Malawi et avait fini de purger cette peine en octobre, mais il a été maintenu en détention au Rwanda, où il était sous le coup d’une peine de réclusion à perpétuité pour génocide prononcée par contumace par un tribunal gacaca. (Les tribunaux gacaca étaient des tribunaux communautaires qui ont fonctionné entre 2005 et 2012 et qui s’appuyaient sur des mécanismes traditionnels locaux de résolution des conflits pour juger les affaires relatives au génocide.) Le ministère de la Justice a confirmé que Vincent Murekezi avait la possibilité de demander un nouveau procès ou une libération sous caution, mais qu’il resterait dans l’attente emprisonné.

En avril, le président français a annoncé la formation d’une commission composée de neuf personnes qui était chargée d’étudier les archives françaises liées au génocide et d’examiner le rôle joué par la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Ses membres disposaient de deux ans pour produire un rapport à partir de toutes les archives officielles relatives au Rwanda pour la période 1990-1994. Ils avaient notamment accès aux archives confidentielles de la présidence, du ministère des Affaires étrangères, de l’armée et des services secrets.

En décembre, un tribunal belge a condamné Fabien Neretse à 25 ans d’emprisonnement pour sa participation au génocide. Il a été déclaré coupable de plusieurs meurtres et tentatives de meurtre, constitutifs de crimes de guerre, ainsi que de génocide.

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