Chili |Rapport annuel 2019

Chili Piñera

République du Chili
Chef d’État et de gouvernement : Sebastián Piñera Echenique

À la fin de l’année 2019, le Chili était secoué par sa plus grave crise en matière de droits humains depuis le régime d’Augusto Pinochet. Des manifestations de grande ampleur ont commencé mi-octobre en réaction à l’augmentation des tarifs des transports en commun. Étant donné le contexte de fortes inégalités dans le pays, le mouvement (majoritairement pacifique) s’est amplifié, incluant de nouvelles revendications pour une société plus juste et un État garant des droits humains tels que les droits à la santé, à l’eau, à l’éducation et à la sécurité sociale. Néanmoins, les manifestations ont fait face à une répression dure de la part des forces de l’État qui ont tenté de justifier leur recours à la violence contre les manifestants et les manifestantes en expliquant que de telles mesures étaient nécessaires pour veiller à ce que les infrastructures et les propriétés privées ne soient pas endommagées et vandalisées.

En réponse à ces manifestations, tous les partis politiques du Congrès ont atteint un accord afin de rédiger une nouvelle constitution. Cet accord prévoyait l’organisation d’un premier référendum en avril pour décider de la nécessité de cette nouvelle constitution et du mécanisme à mettre en place pour sa ratification.

Aucun progrès n’a été constaté par rapport à certains autres sujets de préoccupation de longue date tels que la pénalisation de l’avortement, l’impunité pour les crimes du passé, la criminalisation du peuple mapuche et le manque d’avancées en matière de droits environnementaux.

MOUVEMENTS SOCIAUX ET RÉPRESSION DE L’ÉTAT au Chili

Début 2019, le gouvernement a renforcé les contrôles de police, principalement pour faire face aux manifestations étudiantes. Parmi les mesures prises figuraient des contrôles d’identité sur des enfants à partir de 14 ans. Au cours de cette période, plusieurs cas d’usage excessif de la force ont été signalés, principalement par des élèves du secondaire et des Mapuches.

Après cette vague de mouvements sociaux, le président Sebastián Piñera a déclaré l’état d’urgence dans certaines régions du pays le 18 octobre. Pendant 10 jours, certains droits et certaines libertés ont été suspendus, l’armée a été déployée dans les rues pour contrôler les citoyens et veiller à la sécurité publique. Au cours de cette période, les atteintes commises par l’État ont considérablement augmenté, et 31 personnes ont perdu la vie, dont au moins quatre aux mains des forces de l’État. Fin 2019, les manifestations perduraient et on comptait des milliers de victimes de violations des droits humains, principalement commises par la police nationale (carabineros).

Selon le ministère de la Santé, plus de 13 000 personnes ont été blessées au cours des deux premiers mois de manifestations et le bureau du procureur général a enregistré 2 500 plaintes pour des violations des droits humains, dont plus de 1 500 concernaient des cas de torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants, et 100 des crimes de nature sexuelle commis par des représentants de l’État. Selon les carabineros, aucun de leurs agents n’était mort, mais plus de 2 000 avaient été blessés.

Au cours des manifestations, l’armée a souvent été observée en train d’utiliser des armes létales contre les manifestants. Au moins trois décès causés par les forces de sécurité sur quatre étaient le fait d’officiers de l’armée et un d’un membre des carabineros. L’un d’entre eux avait été causé par une arme de type militaire et des dizaines de personnes avaient été blessées par des balles réelles.

En outre, les carabineros ont eu recours de manière systématique et inappropriée à des armes à létalité réduite, tirant à plusieurs reprises des munitions potentiellement létales de manière injustifiée, généralisée et aveugle et, dans de nombreux cas, visant la tête des personnes. En décembre, l’Institution nationale de défense des droits humains recensait plus de 350 cas de traumatismes oculaires causés principalement par des plombs de fusils.

À de nombreuses reprises, les carabineros ont fait un usage excessif et injustifié de gaz lacrymogène, qu’ils ont lancé sur des hôpitaux, des universités, des habitations et même sur des établissements scolaires, ce qui a eu de graves conséquences pour des enfants et des personnes handicapées.
Des civils ont également été victimes de ces attaques sans aucune justification ou raison apparente, ainsi que des journalistes et des passants qui documentaient les événements. Les forces de sécurité ont fait usage de la violence contre des personnes qui étaient déjà en état d’arrestation et certains officiers ont utilisé des véhicules pour renverser ou essayer de renverser des manifestants. L’un des décès causés par les forces de sécurité était dû à des coups portés par des agents de police et le second était le fait d’un soldat qui avait renversé un manifestant .

Dans le cadre des mesures de réparation accordées par la Commission interaméricaine des droits de l’homme en lien avec le décès d’un jeune homme mapuche, Alex Lemún, tué par la police en 2002, le gouvernement a élaboré et publié une liste de protocoles pour régir les interventions policières lors des manifestations en mars 2019. Cependant, ces protocoles ont été peu appliqués, comme il a pu être constaté lors de la crise qui a commencé en octobre au cours de laquelle les responsables de l’application des lois ont commis des crimes de droit international et des violations graves des droits humains.

Le procès relatif au décès de Camilo Catrillanca, un jeune Mapuche tué par un policier en novembre 2018, qui était prévu en novembre 2019 a été reporté en raison de préoccupations liées à la sécurité.

IMPUNITÉ POUR LES CRIMES DU PASSÉ

Le gouvernement est revenu sur le plan d’action national relatif aux droits humains, pour se libérer de son engagement à « promouvoir l’inapplicabilité » du décret-loi d’amnistie de 1978 (qui permet l’amnistie pour les crimes contre l’humanité commis entre 1973 et 1978). Il a également supprimé un engagement à créer une commission permanente chargée d’évaluer les cas de victimes de torture politique. Diverses propositions pour lutter contre l’impunité relative aux crimes du passé restaient bloquées au Congrès à la fin de l’année.

PROCÈS INÉQUITABLES

Les autorités continuaient d’avoir recours à une loi relative à la lutte contre le terrorisme controversée contre les Mapuches et les débats du Congrès visant à la modifier restaient sans résultats.

Néanmoins, la Cour suprême a annulé le verdict de culpabilité rendu par un tribunal national dans l’affaire Norin Catrimán (où huit Mapuches avaient été condamnés pour terrorisme en 2002). Ce faisant, la Cour suprême s’est conformée à l’arrêt de 2014 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui avait déclaré que l’État chilien avait enfreint le droit à un procès équitable, à la présomption d’innocence, à l’égalité et à la non-discrimination, entre autres.
L’enquête sur les carabineros qui auraient falsifié des preuves afin d’accuser les huit Mapuches de terrorisme (une affaire connue sous le nom de « Operación Huracán ») était toujours ouverte.

DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES ET DROITS ENVIRONNEMENTAUX

Les projets de développement se sont poursuivis sans le consentement préalable, libre et éclairé des peuples indigènes concernés et les communautés de la zone communément appelée « zone sacrifiée » faisaient toujours face à d’importantes dégradations de l’environnement causées par l’activité industrielle. Le gouvernement a proposé des modifications à la Loi relative aux droits des peuples indigènes et a engagé un processus de consultation auprès des peuples indigènes à travers le pays. Néanmoins, ce processus a été critiqué pour ne pas avoir été mené de bonne foi et ne pas avoir respecté les cultures indigènes, ce qui a conduit à une suspension du processus.

Malgré la pression des militantes et militants en faveur de l’environnement, le gouvernement a refusé de signer l’Accord d’Escazú sur l’accès à l’information, la participation publique et l’accès à la justice à propos des questions environnementales en Amérique latine et dans les Caraïbes, et a ensuite annulé la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP25) qui devait avoir lieu au Chili en décembre en raison de la crise sociale qui agitait le pays .

DÉFENSEURES ET DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS

Alberto Curamil, un leader mapuche (lonko) qui a travaillé pour défendre l’accès à l’eau de sa communauté, a reçu le prix Goldman pour l’environnement 2019 pour son militantisme en faveur de l’environnement depuis la prison. Il avait été accusé par un témoin anonyme d’avoir été impliqué dans un vol armé et a été acquitté en décembre après avoir été placé en détention provisoire pendant plus d’un an.

Au cours de la crise sociale, des défenseures et des défenseurs des droits humains ont été battus, touchés par des plombs de fusils ou blessés tandis qu’ils portaient des premiers secours ; au même titre, des militants et militantes et des défenseurs et défenseures ont été menacés en raison de leur travail. À plusieurs reprises, les autorités ont entravé le travail des avocats et avocates et du personnel médical, en les empêchant d’accéder aux postes de police, aux hôpitaux et aux centres médicaux.

DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS

La loi de 2017 qui prévoyait trois motifs autorisant l’avortement (quand la vie de la mère est en danger, quand le fœtus n’est pas viable ou quand la grossesse est issue d’un viol) n’a pas été appliquée correctement et les informations sur les droits sexuels et reproductifs à disposition du grand public restaient rares. En outre, le gouvernement a prolongé le droit à « l’objection de conscience » à l’avortement, tant pour les personnes que pour les institutions, ce qui constituait un obstacle supplémentaire pour accéder à un avortement sûr. Un projet de loi visant à dépénaliser complètement l’avortement dans les 14 premières semaines de grossesse a été transmis au Congrès mais il n’a pas été débattu.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

La loi relative à l’identité de genre est entrée en vigueur. Elle introduisait des procédures administratives permettant aux personnes de plus de 18 ans de faire modifier leur nom et leur genre sur leurs documents officiels ; les personnes âgées de 14 à 17 ans peuvent également bénéficier de ces procédures en passant par les tribunaux. Le Congrès a débattu de projets de loi sur le mariage, l’adoption et le partage de l’autorité parentale pour les couples de personnes de même sexe, mais aucune loi n’a été adoptée au cours de l’année dernière.

DROITS DES PERSONNES MIGRANTES, REFUGIÉES, ET DEMANDEUSES D’ASILE

Suite à l’arrivée de très nombreuses personnes migrantes et réfugiées, le gouvernement a mis en place une « procédure extraordinaire de régularisation », qui a pris fin en octobre 2019, afin de faciliter l’obtention d’un titre de séjour pour les personnes en situation irrégulière. Ce processus a été critiqué car les informations fournies manquaient de clarté et du fait qu’il a entraîné des expulsions.

Les agents des services d’immigration chiliens ont effectué arbitrairement des entretiens de présélection avec les personnes demandeuses d’asile et leur ont ensuite refusé le dépôt d’une demande d’asile, une pratique qui a été remise en question par des tribunaux nationaux et qui porte certainement atteinte au principe de non-refoulement.

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