Espagne |Rapport annuel 2019

Royaume d’Espagne
Chef de l’État : Felipe VI
Chef du gouvernement : Pedro Sánchez

Jordi Sánchez et Jordi Cuixart, présidents de deux organisations indépendantistes catalanes, font partie des personnes qui ont été condamnées en raison de leur participation aux manifestations qui ont eu lieu à Barcelone le 20 septembre 2017 et de leur implication dans le référendum du 1er octobre 2017 sur l’indépendance de la Catalogne. Les résultats de l’enquête sur l’utilisation par la police d’une force excessive lors des manifestations de 2017 étaient toujours attendus. La Cour suprême a confirmé les déclarations de culpabilité de huit personnes en raison de leur participation à une agression ayant visé deux gardes civils qui n’étaient pas en service et leurs compagnes, dans la ville d’Altsasu (Navarre), en 2016, mais a rejeté les circonstances aggravantes pour infraction motivée par une discrimination et a allégé leurs peines. Dans un contexte de crise économique persistante, l’accès au logement et aux soins de santé demeurait difficile. Malgré de récentes réformes, un certain nombre d’obstacles continuaient d’empêcher les personnes migrantes en situation irrégulière de bénéficier de soins médicaux. Cette année encore, plusieurs centaines de personnes ont subi une expulsion forcée sans qu’aucune solution de relogement ne leur soit proposée.

PROCES DE DIRIGEANT·E·S CATALANS

De février à juin, 12 dirigeants et dirigeantes catalans ont été jugés en lien avec des événements survenus en septembre et octobre 2017 dans le cadre du référendum sur l’indépendance organisé par le gouvernement autonome de Catalogne en violation de plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle. En octobre, la Cour suprême a déclaré coupables de sédition sept anciens hauts responsables catalans (six anciens membres du gouvernement de Catalogne et l’ancienne présidente du Parlement de Catalogne), ainsi que les présidents de deux organisations indépendantistes, Jordi Sánchez et Jordi Cuixart. Ces personnes ont été condamnées à des peines allant de neuf à 13 ans d’emprisonnement. Trois autres anciens membres du gouvernement de Catalogne ont été déclarés coupables de « désobéissance » et condamnés à des peines d’amende et d’inéligibilité.

Rien n’indique que le droit à un procès équitable de ces 12 dirigeant·e·s catalans ait été violé. Cependant, il est préoccupant de constater que le crime de sédition, dont neuf d’entre eux ont été déclarés coupables, est défini en termes vagues par la loi et qu’il a été interprété par les juges de manière large et d’une façon qui restreint de manière disproportionnée l’exercice des droits humains.

De plus, les condamnations pour sédition prononcées contre Jordi Sánchez et Jordi Cuixart, en détention provisoire depuis le 16 octobre 2017, ont représenté une restriction excessive et disproportionnée de leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Amnesty International a en conséquence demandé l’annulation de leur condamnation et leur libération immédiate.

RECOURS EXCESSIF A LA FORCE

À la suite de la décision rendue par la Cour suprême en octobre, plusieurs manifestations ont eu lieu en Catalogne. La plupart de ces manifestations ont été largement pacifiques, mais des violences ont fait plusieurs centaines de blessés. On dénombrait notamment 318 membres des forces de sécurité blessés, dont l’un grièvement. Dans plusieurs cas, la police a recouru à une force excessive contre les manifestant·e·s. Au moins 367 personnes ont eu besoin de soins médicaux et, selon certaines informations, quatre d’entre elles ont perdu l’usage d’un œil après avoir été touchées par des balles en caoutchouc tirées par la police pour disperser les protestataires.
Aucune des enquêtes ouvertes sur des cas présumés de recours excessif à la force de la part de la police lors des manifestations d’octobre 2017 en Catalogne n’avait donné lieu à des poursuites judiciaires à la fin de l’année.

LIBERTE D’EXPRESSION ET DE REUNION

Les autorités ont continué d’utiliser la Loi relative à la sécurité publique pour infliger des sanctions administratives, y compris des amendes toujours plus lourdes, à des personnes ayant manifesté ou défendu les droits humains et à des journalistes, restreignant illégalement, dans certains cas, leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, ainsi qu’à l’accès aux informations.

En avril, le journaliste Mikel Saénz de Buruaga, qui avait été condamné à une peine d’amende de 602 euros en juillet 2017 pour avoir franchi un cordon de police et mis en danger la sécurité de policiers à Vitoria (Pays basque), a été acquitté. Le tribunal a estimé que les autorités n’avaient pas démontré de façon suffisante qu’il avait plutôt voulu désobéir aux ordres de la police qu’exercer son activité de journaliste.

Trois personnes au moins ont été jugées pour avoir exprimé des opinions qui, selon les autorités, constituaient une incitation au terrorisme, alors qu’il n’a pas pu être prouvé que les propos tenus dépassaient les limites autorisées par le droit international relatif aux droits humains. Elles ont été inculpées au titre de la législation antiterroriste, qui interdit l’« apologie du terrorisme » et l’« humiliation des victimes ». L’une d’elles a été acquittée, et les deux autres ont été déclarées coupables en raison de commentaires publiés sur les réseaux sociaux, qui ont été considérés comme une apologie de l’organisation armée Euskadi Ta Askatasuna (ETA, Pays basque et liberté).

Deux actions judiciaires au moins ont été engagées contre des personnes accusées d’avoir « dénigré publiquement des dogmes, des croyances, des rites ou des cérémonies publiques » ou offensé des membres de groupes religieux, ou pour « calomnie ou diffamation » contre la Couronne. En octobre, à l’issue d’un procès qui aura duré cinq ans, trois militantes des droits des femmes poursuivies en justice pour avoir offensé des sentiments religieux en raison de leur participation à une manifestation féministe à Séville en mai 2014 ont finalement été acquittées. Lors de cette manifestation, elles avaient porté la représentation d’un vagin, affiché des ornements religieux et utilisé la forme de la prière pour exprimer leurs opinions.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Les initiatives législatives visant à ce que les victimes de torture et d’autres formes de mauvais traitements obtiennent des réparations satisfaisantes continuaient de se heurter à divers obstacles. En avril, le Parlement basque a adopté une deuxième loi sur la reconnaissance des victimes de violence politique et leur droit à réparation. Cependant, en septembre, la Cour constitutionnelle a déclaré recevables deux recours formés contre cette loi par deux partis politiques, Ciudadanos et le Parti populaire (PP). Une loi similaire adoptée en Navarre au mois de mars faisait également l’objet, depuis septembre, d’un recours en inconstitutionnalité. Une loi identique qui avait été adoptée en 2015 a été déclarée inconstitutionnelle.

En mai, le Comité des droits de l’homme [ONU] a estimé que l’Espagne avait violé les droits fondamentaux de Gorka-Joseba Lupiañez Mintegi, membre de l’organisation armée ETA, en ne menant pas d’enquête exhaustive au sujet de ses allégations de torture. Gorka-Joseba Lupiañez Mintegi a été arrêté en décembre 2007 et, lors de sa première comparution devant l’Audience nationale, le 11 décembre 2007, il avait affirmé avoir été torturé pendant sa détention au secret. Or, aucune enquête n’avait été menée jusqu’à ce qu’il dépose une plainte, en 2008, devant un juge d’instruction. Cette affaire a par la suite été close faute de preuves. Le Comité a demandé à l’Espagne de mettre fin à la pratique de la détention au secret au motif qu’elle facilite le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.

PERSONNES REFUGIEES OU MIGRANTES

Entre janvier et décembre, 118 264 personnes, dont 53 723 femmes, ont demandé l’asile. Le nombre croissant de demandes d’asile en attente d’une décision ne cessait de s’accroître, et ce retard dans le traitement des dossiers demeurait très préoccupant ; entre janvier et décembre, le nombre de personnes en attente d’une réponse est passé de 85 185 à 133 015. Le retard avec lequel les décisions étaient rendues nuisait au droit des demandeurs et demandeuses d’asile à des conditions d’accueil satisfaisantes.

L’Espagne n’a pas respecté l’engagement pris en 2015 de relocaliser 15 888 demandeurs d’asile venus de Grèce et d’Italie dans le cadre du programme de relocalisation d’urgence de l’Union européenne (UE). En effet, seules 1 359 personnes avaient été relocalisées en avril 2018, quand ce programme est arrivé à son terme. Depuis 2016, l’Espagne n’a par ailleurs réinstallé que 2 040 des 3 464 réfugiés qu’elle avait promis de réinstaller dans le cadre d’une autre procédure concernant les personnes venant de pays extérieurs à l’UE.

Plusieurs centaines de personnes ont été expulsées vers le Maroc au titre de l’accord de réadmission de 1992, selon une procédure accélérée qui, dans certains cas, pourrait ne pas avoir permis l’accès à la procédure d’asile. La décision de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme était toujours attendue dans le recours formé par l’Espagne contre une première décision rendue en 2017 par la Cour, qui avait alors estimé que le renvoi immédiat au Maroc de migrants ayant tenté d’entrer sur le territoire espagnol à Melilla en 2014 constituait une expulsion collective (affaire N. D. et N. T. c. Espagne).

Les enquêtes sur des attaques racistes ayant visé des mineurs non accompagnés en Catalogne, entre février et mars, étaient toujours en cours à la fin de l’année. En décembre, les services de déminage ont fait exploser une grenade à main qui avait été déposée par des agresseurs non identifiés dans la cour d’un foyer pour mineurs non accompagnés, à Madrid, mais n’avait pas fonctionné. Il est par la suite apparu qu’il s’agissait d’une grenade d’entraînement.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SECURITE

En octobre, la Cour suprême a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre huit personnes accusées d’avoir participé à une agression ayant visé deux gardes civils qui n’étaient pas en service et leurs compagnes à Altsasu (Navarre), en 2016. La Cour suprême a cependant prononcé une réduction de peine, rejetant les circonstances aggravantes reconnues par l’Audience nationale, qui avait jugé que cette agression était motivée par une discrimination idéologique. La Cour suprême a en effet estimé, en ce qui concerne la discrimination en tant que circonstance aggravante, que la Garde civile ne pouvait pas être considérée comme un groupe vulnérable exposé à la discrimination.

VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES

Cinquante-cinq femmes et trois enfants ont été tués par le partenaire ou l’ancien partenaire de ces femmes.

En juin, la Cour suprême a déclaré cinq hommes coupables de viol dans l’affaire dite de « la meute ». Elle a ainsi infirmé de précédentes décisions rendues par des tribunaux de Navarre, qui avaient estimé que ces hommes n’étaient pas coupables de viol faute d’éléments prouvant que la victime avait subi des violences et des intimidations (ils avaient alors été déclarés coupables d’abus sexuel, une infraction de moindre gravité).

Les vastes mouvements de protestation déclenchés en 2018 par les décisions des tribunaux de Navarre avaient conduit le gouvernement à annoncer que la législation allait être modifiée en 2020 afin de préciser clairement que tout rapport sexuel non consenti est un viol.

Selon les statistiques officielles, 11 587 plaintes pour violences sexuelles ont été déposées auprès de la police entre janvier et septembre 2019. Les victimes de violences sexuelles se heurtaient à des obstacles quand elles tentaient d’obtenir justice, et étaient en butte à l’absence de mesures de protection, d’aide et de soutien adéquates.

DROITS EN MATIERE DE LOGEMENT

Entre janvier et septembre, 40 492 personnes ont été expulsées de leur logement faute de pouvoir rembourser leur emprunt (10 673) ou payer leur loyer (26 962), ou pour d’autres raisons (2 857). En mars, le gouvernement a adopté le Décret-loi royal n° 7/2019 améliorant la protection des locataires, mais les mesures prévues ne suffisaient pas à renforcer la protection contre les expulsions forcées ni à garantir l’accès à un logement abordable. En octobre 2019, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] a estimé que l’Espagne avait violé le droit au logement d’une famille en ne tenant pas compte de sa situation de vulnérabilité dans une affaire d’expulsion et en procédant à l’expulsion sans que la justice ait examiné la proportionnalité de cette mesure. Plus d’une centaine d’affaires portant sur des droits en matière de logement étaient toujours en instance devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels.

DROIT A LA SANTE

Le gouvernement n’est pas revenu en 2019 sur les mesures d’austérité adoptées en 2012 qui avaient des répercussions négatives sur l’accès aux soins de santé. Un grand nombre de ces réformes continuaient d’avoir des effets disproportionnés sur les personnes ayant de faibles revenus, en particulier sur celles atteintes d’un handicap ou d’une maladie chronique, sur les personnes âgées et sur celles qui avaient besoin de soins de santé mentale. Le Comité des droits des personnes handicapées [ONU] a demandé à l’Espagne de garantir l’accessibilité et la disponibilité des services de santé à toutes les personnes porteuses de handicap.

En juin, la Cour suprême a rendu un arrêt empêchant une femme cubaine qui avait en toute légalité rejoint sa fille en Espagne de recevoir des soins de santé, au motif que le permis de séjour temporaire délivré à un membre de la famille d’une personne ressortissante de l’UE n’entraînait pas automatiquement l’existence d’un tel droit. Cette décision était contraire aux recommandations adressées à l’Espagne par les Nations unies et le Conseil de l’Europe, qui lui avaient demandé de garantir un accès égal et sans discrimination aux soins de santé.

Les migrant·e·s en situation irrégulière rencontraient toujours des difficultés pour recevoir des soins de santé. Ils se heurtaient notamment à des obstacles administratifs liés à l’ambiguïté du Décret-loi royal n° 7/2018 de juillet 2018 sur l’accès universel au système national de santé.

IMPUNITE

En octobre, la dépouille de l’ancien dirigeant Francisco Franco a été exhumée de son mausolée du Valle de los Caídos pour être transférée dans un caveau familial privé, à Madrid, conformément aux recommandations d’organes de protection des droits humains des Nations unies.

Les victimes de violations des droits humains commises sous son régime continuaient d’être privées de leur droit à la vérité, à la justice et à réparation. Aucune enquête n’a été ouverte sur les crimes de droit international, tels que les disparitions forcées et les actes de torture, commis pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) et sous le régime de Franco. Les mesures visant à retrouver et identifier les corps des victimes étaient toujours principalement entreprises par les familles et des associations, sans le soutien de l’État.
Les personnes concernées par les affaires dites des « bébés volés » continuaient de se heurter à des obstacles et à des difficultés dans leur recherche de la vérité au sujet de leur identité et de leur véritable famille.

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