Grèce |Rapport annuel 2019

Grèce droits humains

République hellénique
Chef de l’État : Prokopis Pavlopoulos
Chef du gouvernement : Kyriakos Mitsotakis (a remplacé Alexis Tsipras en juillet)

En juin, une victoire historique a été remportée pour les droits des femmes : la Grèce est devenue le neuvième pays d’Europe à adopter une loi relative au viol basée sur la notion de consentement. Les « hotspots » (centres de réception et d’identification établis par l’Union européenne pour les personnes nouvellement arrivées) situés sur les îles de la mer Égée étaient systématiquement surpeuplés et les conditions de vie y demeuraient exécrables. La nouvelle loi relative à l’asile adoptée en octobre a prolongé la détention liée à l’asile et a restreint les garanties pour les groupes menacés. Le nombre de cas signalés de mauvais traitements et de recours excessif à la force par la police a fortement augmenté. Les mesures d’austérité adoptées au cours de la dernière décennie continuaient d’avoir de graves incidences sur l’accès aux soins de santé.

CONTEXTE politique en Grèce

En juillet, le parti conservateur Nouvelle démocratie a remporté les élections législatives. Les taux de chômage relevés dans le pays pour l’ensemble de la population et pour les jeunes (16,6 % et 33,1 % respectivement, en octobre) étaient toujours les plus élevés de toute l’Union européenne (UE), malgré la baisse observée par rapport à l’année précédente.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Cette année encore, des informations ont fait état de recours excessif à la force, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements de la part des forces de l’ordre. Durant le dernier trimestre de 2019, une hausse des signalements a été observée concernant de tels agissements commis lors de l’arrestation de personnes ou pendant leur détention, contre des journalistes et contre des étudiant·e·s qui protestaient contre l’abrogation d’une loi ancienne interdisant à la police d’entrer sur les campus universitaires. Dans un certain nombre de cas, les mauvais traitements ont inclus des fouilles au corps arbitraires. La fréquence de ces agissements et l’impunité généralisée dont bénéficiaient leurs auteurs étaient très préoccupantes.

Des retards persistants continuaient d’entacher les enquêtes judiciaire et disciplinaire portant sur la mort, en septembre 2018, du militant queer et défenseur des droits humains Zak Kostopoulos, victime d’une violente agression. L’information judiciaire ouverte dans cette affaire a conduit à l’inculpation de six personnes, dont quatre policiers, pour coups et blessures graves ayant provoqué la mort mais, à la fin de l’année, le procès n’avait pas encore débuté.

PERSONNES RÉFUGIÉES OU DEMANDEUSES D’ASILE ARRIVÉES PAR VOIE MARITIME OU TERRESTRE ET CONDITIONS D’ACCUEIL SUR LES ÎLES

À partir du mois de juillet, le nombre de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile arrivant par la mer a atteint la plus forte hausse enregistrée depuis 2016. Entre janvier et octobre, selon l’Organisation internationale pour les migrations, 66 personnes ont perdu la vie en tentant de passer par l’est de la Méditerranée.

À partir de 2018 et pendant toute l’année 2019, le nombre d’arrivées par voie terrestre à la frontière nord du pays a également fortement augmenté, et de nombreuses informations ont fait état de renvois forcés illégaux (push-backs) vers la Turquie de personnes ayant traversé le fleuve Évros. Les autorités ont nié ces allégations en dépit du grand nombre de cas signalés. En décembre, six personnes ayant suivi cet itinéraire seraient mortes d’hypothermie.

À la fin de l’année, le nombre de personnes arrivées par voie terrestre et maritime s’élevait à 74 482.

L’accord conclu entre l’UE et la Turquie en 2016 continuait de déterminer la politique du pays, qui consistait à retenir les personnes récemment arrivées dans les « hotspots » et les centres situés sur les îles de la mer Égée, où elles restaient pendant de longues périodes, dans des conditions exécrables. En décembre 2019, ces îles accueillaient plus de 40 000 personnes, dont 35 % d’enfants. Les « hotspots » étaient toujours extrêmement surpeuplés. Ainsi, à la fin de l’année, ceux de Lesbos et de Samos comptaient respectivement un nombre de personnes presque six fois et 11 fois supérieur à leur capacité d’accueil. Dans les camps, les gens étaient confrontés à des conditions d’hygiène catastrophiques, à l’absence de soins médicaux adéquats et aussi à la violence, notamment à la violence liée au genre. En octobre, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a demandé à la Grèce de procéder d’urgence au transfert des personnes se trouvant sur ces îles et d’améliorer leurs conditions de vie.

ENFANTS RÉFUGIÉS ET MIGRANTS

La situation des enfants réfugiés et migrants s’est fortement dégradée. Trois enfants sont morts dans le camp de Moria, et l’ONG Médecins sans frontières a signalé que dans les camps, de nombreux enfants souffraient de troubles mentaux. Des centaines d’enfants en âge d’être scolarisés vivant dans les « hotspots » n’ont pas eu accès à un enseignement classique durant l’année scolaire. À la suite du dépôt d’une plainte collective au titre de la Charte sociale européenne, le Comité européen des droits sociaux [Conseil de l’Europe] a, en mai, demandé au gouvernement de prendre sans délai des mesures, et notamment de veiller à ce que les enfants non accompagnés placés dans des centres de rétention et des centres d’accueil et d’identification soient « immédiatement transférés dans des structures d’accueil adaptées à leur âge ».
Le 31 décembre 2019, on dénombrait, dans les postes de police et centres de détention du pays, 195 enfants non accompagnés privés de liberté « à titre de protection ». Dans plusieurs cas, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué des mesures provisoires et ordonné à la Grèce de remettre en liberté les mineur·e·s non accompagnés requérants et de les transférer dans un hébergement approprié. En février, dans l’affaire H. A. et autres c. Grèce, la Cour a estimé que le placement prolongé sous « garde protectrice » de mineurs dans des conditions inappropriées équivalait à un traitement dégradant au regard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et constituait une violation des droits des requérants à la liberté et à la sûreté.

NOUVELLES POLITIQUES EN MATIÈRE D’IMMIGRATION ET D’ASILE

À partir du mois de juillet, le nouveau gouvernement a commencé à appliquer une politique plus répressive en matière d’immigration, visant à réduire le nombre de personnes arrivant dans le pays, à accroître le nombre de renvois en Turquie, et à renforcer les mesures de contrôle aux frontières. En septembre, il s’est engagé à transférer un nombre plus important de personnes des îles vers la Grèce continentale, et deux « centres de transit » ont été créés à Corinthe et à Karavomylos. Cependant, les capacités et conditions d’accueil des structures mises en place sur le continent demeuraient inadéquates. De plus, les transferts n’ont pas eu lieu à un rythme suffisamment soutenu pour permettre de réduire réellement la surpopulation sur les îles.

En octobre a été adoptée une nouvelle loi (la Loi 4636/2019) qui a profondément modifié les procédures d’asile, les droits et obligations des personnes demandeuses d’asile, ainsi que les règles en matière de détention, entre autres. La société civile n’a pas véritablement été consultée en amont, et des ONG ont estimé que ce texte visait à affaiblir les normes en matière de protection et à créer des obstacles procéduraux et matériels injustifiés pour les personnes cherchant à obtenir une protection internationale. Les principaux motifs de préoccupation portaient sur la prolongation de la durée de la rétention pour les personnes demandeuses d’asile, le recul opéré concernant les garanties accordées aux groupes vulnérables, et la création d’une liste de « pays tiers sûrs ». Après l’adoption de la loi, le gouvernement a annoncé la création à travers le pays de structures fermées avec des procédures de contrôle des entrées et sorties.

ACCÈS À LA SANTÉ ET AU LOGEMENT

À partir du mois d’août, le gouvernement a commencé à faire évacuer les bâtiments occupés illégalement à Athènes. Les personnes concernées étaient principalement des familles de réfugié·e·s, qui ont été expulsées de leur habitation sans avoir été consultées de façon appropriée au préalable, sans avertissement adéquat et sans qu’on leur ait fourni une solution de relogement satisfaisante.

En février et en mars, les autorités ont annoncé l’arrêt progressif de la fourniture d’un logement et d’une aide en espèces pour les personnes ayant obtenu le statut de réfugié·e qui vivaient dans les camps et dans des hébergements mis à disposition dans le cadre du programme ESTIA, géré par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Comme aucune mesure de remplacement n’était prévue pour venir en aide à ces personnes et pour leur intégration, un grand nombre d’entre elles étaient dès lors confrontées à une situation de grande incertitude et dans certains cas d’indigence.

Plusieurs milliers de personnes demandeuses d’asile nouvellement arrivées dans le pays ont été privées d’accès à des soins gratuits dans le cadre du système de santé public, à la suite de modifications apportées en juillet au régime de sécurité sociale. Le ministère du Travail a supprimé la procédure permettant aux personnes demandeuses d’asile d’obtenir un numéro de sécurité sociale (« AMKA »), indispensable pour avoir accès aux soins de santé, sans mettre en place de solution de remplacement pérenne. La disposition de la nouvelle loi sur l’asile prévoyant une mesure de substitution pour ces personnes, avec un numéro de sécurité sociale temporaire, n’avait toujours pas été appliquée à la fin de l’année.

CRIMINALISATION DE LA SOLIDARITÉ

La nouvelle loi relative à l’asile obligeait les ONG travaillant avec des personnes réfugiées à obtenir une accréditation pour avoir accès aux centres de réception et de détention. Cette mesure était préoccupante, car elle risquait d’entraver indûment le travail de ces organisations et de porter atteinte au droit des demandeurs et demandeuses d’asile de recevoir des informations.
De plus, des personnes ont cette année encore été poursuivies en justice en raison de leur travail humanitaire auprès des personnes réfugiées. La procédure pénale visant Sarah Mardini et Séan Binder, deux membres d’une ONG de sauvetage accusés, entre autres, d’avoir aidé des personnes migrantes à entrer clandestinement en Grèce, était toujours en instance. De sérieux doutes pesaient sur le bien-fondé des accusations retenues contre eux.

VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES

En juin, le ministère de la Justice a proposé d’apporter à la définition juridique du viol dans le Code pénal grec des modifications qui n’étaient pas compatibles avec les normes internationales relatives aux droits humains et qui entravaient davantage encore l’accès à la justice pour les victimes. La levée de boucliers qu’a provoquée cette initiative et l’intense travail de plaidoyer mené par des groupes militants ont conduit le ministère à faire rapidement machine arrière, et il a alors modifié son projet de réforme afin d’ériger les rapports sexuels non consentis en infraction de viol. Une victoire historique a ainsi été remportée pour les droits des femmes quand, le 5 juin, le Parlement a approuvé cette modification. La Grèce est alors devenue le neuvième pays, dans l’Espace économique européen, à adopter des dispositions législatives conditionnant le viol à l’absence de consentement.

DISCRIMINATION

En novembre, le Parlement a décidé de ne pas modifier les dispositions de la Constitution relatives à la discrimination. Le texte proposé prévoyait d’élargir le champ d’application de l’interdiction de la discrimination en y intégrant la discrimination fondée sur l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de handicap et l’appartenance à une minorité nationale.
En avril, le Réseau d’observation de la violence raciste (RVRN) a publié son rapport pour l’année 2018, qui présentait des informations sur 117 cas de violence motivée par la haine ayant fait plus de 130 victimes, dont 27 cas dans lesquels les violences avaient ciblé des lesbiennes, des gays ou des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes.

En décembre, lors du procès de 69 personnes liées au parti Aube dorée, la procureure a requis l’acquittement de tous les individus accusés de participation à une organisation criminelle. Elle a demandé la condamnation d’un sympathisant de ce parti, Yiorgos Roupakias, pour le meurtre, en 2013, du chanteur Pavlos Fyssas, mais a requis l’acquittement de toutes les personnes accusées de complicité dans ce meurtre, affirmant que leur implication ne pouvait pas être établie. Au moment où nous rédigions ces lignes, les juges n’avaient toujours pas rendu de décision à ce sujet. Les avocats représentant la famille de Pavlos Fyssas se sont dits gravement préoccupés par ce réquisitoire, et ont souligné que les nombreux éléments de preuve produits lors du procès mettaient en évidence le caractère organisé des infractions commises par des groupes liés à ce parti. Le procès avait débuté en 2015 et le tribunal devait rendre son verdict en 2020.

DROIT À LA SANTÉ

Les mesures d’austérité adoptées au cours de la dernière décennie continuaient d’avoir de graves incidences sur l’accès aux soins de santé. Les recherches menées par Amnesty International ont montré qu’elles avaient toujours un impact sur l’accès aux soins et sur le coût de ces soins, 10 ans après le début de la crise et leur adoption. Les personnes interrogées ont évoqué les multiples obstacles entravant l’accès aux soins de santé, notamment les longs délais d’attente et le coût élevé des soins. La crise économique a eu de lourdes conséquences pour la population en Grèce, avec une très forte hausse du chômage et de la pauvreté. Même si la Grèce était sortie des plans de sauvetage en 2018, les effets de la crise continuaient de se faire sentir dans le pays. Les chiffres disponibles montraient que la situation dans de nombreux domaines était toujours beaucoup plus difficile qu’avant la crise.

OBJECTEURS DE CONSCIENCE

Malgré des modifications de la législation allant dans le bon sens pour les objecteurs de conscience, ceux-ci continuaient d’être victimes de graves violations de leurs droits, notamment avec des arrestations, des poursuites judiciaires, des peines d’amende, des procès devant des tribunaux militaires, des sanctions répétées et des peines d’emprisonnement avec sursis.
En juin, le gouvernement alors en place a réduit la durée totale du service de remplacement, le faisant passer de 15 à 12 mois, conformément aux recommandations d’organismes internationaux de protection des droits humains. La durée totale du service militaire était de neuf mois dans l’armée de terre, où servaient la grande majorité des conscrits. Il a également réduit la durée des trois catégories de service de remplacement restreint, la portant presque à celle du service militaire restreint.

Cependant, en octobre, le nouveau gouvernement a rétabli l’ancienne durée, à caractère punitif et discriminatoire, du service de remplacement.

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