Libye | Rapport annuel 2019

Libye Tripoli conflit

État de Libye
Chef de l’État et du gouvernement : Fayez al Sarraj (litigieux)

Des membres de milices, de groupes armés et des forces de sécurité ont commis de graves violations du droit international humanitaire, dont des crimes de guerre. Les combats à Tripoli et aux alentours entre l’Armée nationale libyenne (ANL) et les forces et milices fidèles au gouvernement d’union nationale (GUN) ont fait des dizaines de morts, des centaines de blessés et des dizaines de milliers de déplacés parmi la population civile.

Les milices, les groupes armés et les forces de sécurité ont placé en détention arbitraire des milliers de personnes, la plupart du temps pour une durée indéterminée, en dehors de toute procédure judiciaire. Ils ont aussi pris des otages pour obtenir des rançons ou la libération de personnes détenues ou captives. La torture et les autres formes de mauvais traitements étaient monnaie courante dans les prisons, les centres de détention et les lieux de détention non officiels.

Les milices, les groupes armés et les forces de sécurité ont réprimé la liberté d’expression en harcelant, enlevant et attaquant des responsables politiques, des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et d’autres militant·e·s. Un journaliste a été victime d’un homicide illégal et 10 autres ont fait l’objet d’une arrestation arbitraire. Les autorités libyennes ne protégeaient pas les femmes contre les violences liées au genre commises par des membres de milices ou de groupes armés.

Les avocats et les juges étaient la cible de manœuvres d’intimidation, de menaces et de violences de la part de groupes armés et de milices, ce qui affaiblissait sérieusement le système judiciaire. La situation des dizaines de milliers de personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes présentes dans le pays restait difficile. Elles étaient en butte à des arrestations arbitraires et des enlèvements par des milices, et étaient souvent victimes de la traite des êtres humains et de violences aux mains de groupes criminels. Les autorités détenaient toujours illégalement des milliers d’hommes et de femmes dans des centres où ils étaient soumis à l’exploitation, aux travaux forcés et à des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Des personnes ont été prises pour cible par des membres des forces de sécurité, de groupes armés et de milices en raison de leur orientation sexuelle. Cette année encore, des tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a été signalée.

Contexte politique en Libye

Les milices, les groupes armés et les forces de sécurité fidèles au GUN, soutenu par l’ONU, dirigé par le Premier ministre Fayez al Sarraj et basé à Tripoli, ainsi que l’autoproclamée ANL, sous la direction du général Khalifa Haftar et alliée au gouvernement provisoire de l’est de la Libye, ont continué d’agir en dehors de la légalité.

Avec le soutien de groupes armés locaux, l’ANL a lancé en janvier une opération visant à reprendre au GUN et aux factions locales la ville de Sebha et d’autres zones du sud du pays, afin d’asseoir son contrôle territorial sur le sud-ouest de la Libye. En avril, elle a lancé une offensive pour prendre le contrôle de la capitale, Tripoli, et de ses environs, ce qui a provoqué des combats avec le GUN et ses milices alliées. Ce conflit était toujours en cours à la fin de l’année, sans qu’aucun camp n’ait véritablement gagné de territoire. Le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) était toujours présent dans l’extrême sud du pays. Cette année encore, il a mené des attaques sporadiques et a été la cible de frappes aériennes américaines.

Le processus politique est resté dans une impasse. L’offensive d’avril de l’ANL a commencé quelques jours avant l’ouverture prévue d’une conférence nationale organisée par l’ONU. La communauté internationale n’est pas parvenue à s’entendre sur une position commune à propos de la Libye et n’a fait qu’alimenter la volonté et la capacité des deux camps de poursuivre les hostilités. L’ANL était soutenue par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Égypte, la France et la Russie, tandis que le GUN bénéficiait de l’appui de la Turquie, du Qatar et de l’Italie.

Conflit armé

Dans le cadre des hostilités armées, les milices, les groupes armés et les forces de sécurité ont cette année encore commis en toute impunité de graves violations du droit international humanitaire, dont de possibles crimes de guerre, ainsi que des atteintes flagrantes aux droits humains. Selon la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL) et la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, au moins 284 civils ont trouvé la mort et 363 autres ont été blessés du fait du conflit armé en 2019.

La plupart de ces pertes résultaient de violations du droit international humanitaire par les deux camps, notamment d’attaques menées sans discrimination au moyen d’armes explosives inadaptées à un usage dans des zones civiles habitées.

Les frappes aériennes, les tirs de barrage et les tirs d’artillerie de l’ANL et du GUN ont touché des habitations et d’autres infrastructures civiles, telles que des écoles et des entreprises de Tripoli et de sa banlieue, ainsi que l’aéroport de Mitiga, à Tripoli. Le 2 juillet, des dizaines de personnes migrantes ou réfugiées ont été tuées ou blessées dans une attaque de l’ANL contre un centre de détention pour migrants de Tajoura, dans la banlieue est de Tripoli.

Amnesty International a aussi recueilli des informations sur plusieurs attaques de l’ANL contre des hôpitaux de campagne et des ambulances. L’une des attaques les plus effroyables a été une frappe de missile survenue le 27 juillet contre un hôpital de fortune installé près de l’aéroport international de Tripoli, au sud de la ville. Cinq médecins et sauveteurs ont été tués et huit autres ont été blessés. Les combats à Tripoli et aux alentours ont contraint plus de 140 000 personnes à quitter leur foyer, aggravé les besoins humanitaires et fortement perturbé l’accès aux soins de santé, à l’électricité et à d’autres services essentiels.

L’opération menée par l’ANL dans le sud au début de l’année a fait des dizaines de morts et de blessés parmi la population civile. Des heurts continuaient de se produire de manière intermittente dans la ville de Mourzouk, dans le sud du pays. Le 4 août, au moins 43 personnes ont été tuées dans une frappe aérienne contre un bâtiment municipal où se tenait une réunion, dans le quartier d’al Qalaa, à Mourzouk. L’ANL a confirmé avoir procédé à une frappe sur Mourzouk ce jour-là mais a nié avoir pris pour cible des civils. Cette attaque a déclenché de violents combats urbains entre les communautés toubou et al ahali, ainsi que des pillages d’habitations et de commerces et des déplacements massifs de population.

En violation de l’embargo total sur les armes imposé par l’ONU depuis 2011, des pays tiers ont soutenu l’ANL et le GUN en procédant à des transferts illicites d’armes et en leur apportant une aide militaire directe. La Turquie, principal soutien du GUN, lui a fourni des blindés de combat Kirpi et des drones armés de type Bayraktar TB2. Les Émirats arabes unis ont quant à eux été le principal pays à soutenir l’ANL, à qui ils ont fourni des drones Wing Loong, de fabrication chinoise, qu’ils ont aussi manœuvrés pour elle.

Arrestations et détentions arbitraires

Des milices, des groupes armés et les forces de sécurité maintenaient arbitrairement en détention des milliers de personnes. Beaucoup étaient détenues depuis 2011, et la plupart pour une durée indéterminée, sans contrôle judiciaire ni possibilité de contester la légalité de leur privation de liberté. Des centaines de personnes étaient détenues pour une durée indéterminée, en dehors de toute procédure judiciaire, dans la prison de Mitiga, située dans la banlieue est de Tripoli et gérée par les Forces spéciales de dissuasion (Radaa), une milice alliée au GUN et financée par celui-ci. Elles étaient enfermées dans des cellules surpeuplées, n’avaient pas suffisamment à boire ni à manger et étaient privées de soins médicaux.

Tortures et autres mauvais traitements

La torture et les autres formes de mauvais traitements aux mains des milices, des groupes armés et des forces de sécurité étaient monnaie courante dans les prisons, les centres de détention et les lieux de détention non officiels.

Amnesty International a eu connaissance de cas dans lesquels des personnes détenues avaient été soumises à des simulacres d’exécution, frappées et flagellées, et maintenues à l’isolement pendant de longues périodes. Certaines ont aussi été violées, notamment par l’introduction d’objets dans l’anus, et ont subi d’autres violences sexuelles.

Prises d’otages et enlèvements par les milices

Cette année encore, des personnes ont été enlevées par des milices, des groupes armés ou les forces de sécurité, agissant de leur propre chef ou sur ordre de l’ANL ou du GUN. L’objectif était souvent de se servir d’elles comme otages pour obtenir une rançon ou la libération d’une personne détenue ou captive. Les victimes étaient généralement choisies en fonction de leur région d’origine, des opinions politiques qu’on leur prêtait, de leur profession ou de leur richesse supposée. Par exemple, en octobre, six professionnels de santé ont été enlevés et gardés en captivité pendant 12 jours par un groupe armé de la ville de Zintan, dans le nord-ouest du pays, afin de faire pression sur l’ANL pour qu’elle libère un habitant de la ville détenu par les Radaa.

Liberté d’expression

Cette année encore, les forces de sécurité, des groupes armés et des milices ont réprimé la liberté d’expression en harcelant, enlevant et attaquant des responsables politiques, des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et d’autres militant·e·s, obligeant un certain nombre d’entre eux à fuir le pays.

La tendance à s’en prendre aux journalistes a été particulièrement inquiétante durant l’année. La MANUL a recensé un homicide illégal et plus de 10 arrestations et détentions arbitraires visant des journalistes. Par exemple, en mai, la Brigade al Kaniat, groupe armé allié à l’ANL, a détenu pendant 22 jours près de Tripoli deux journalistes de Libya Alahrar TV, Mohamed al Qaraj et Mohamed al Shibani.

Des journalistes, des blogueurs et blogueuses, des employé·e·s du secteur des médias et des personnes actives sur les réseaux sociaux en Libye ont aussi été soumis à des interrogatoires par les forces de sécurité, des milices et des groupes armés qui cherchaient à les intimider et à réduire les voix dissidentes au silence. Selon le Centre libyen pour la liberté de la presse, le nombre réel de journalistes et de blogueurs victimes d’intimidations ou de violences ne sera jamais connu car beaucoup refusent d’en parler publiquement, par crainte des représailles contre eux ou leur famille.

Le 6 mai, l’ANL a publié une déclaration dans laquelle elle menaçait de « sanctions au titre de la législation libyenne » tous les journalistes, personnalités des médias, militant·e·s et analystes politiques qui s’opposaient publiquement à son offensive contre Tripoli, affirmant que ces personnes étaient coupables d’« incitation à la haine et au crime contre les forces armées » et de « soutien au terrorisme ». Le 17 juillet, des hommes armés ont fait irruption en pleine nuit au domicile de la députée Siham Sergiwa et l’ont enlevée. Elle avait critiqué, plus tôt dans la journée, l’offensive de l’ANL sur Tripoli dans une interview à la télévision. Sa famille était toujours sans nouvelles d’elle à la fin de l’année.

Droits des femmes

Les autorités libyennes ne protégeaient pas les femmes, notamment les journalistes, les blogueuses, les défenseures des droits humains et les autres militantes, contre les violences liées au genre infligées par des milices et des groupes armés. Elles ne leur garantissaient pas non plus le droit de s’exprimer librement. Les femmes qui dénonçaient la corruption ou les violences des milices, de l’ANL ou du GUN faisaient l’objet de menaces, d’enlèvements et de violences liées au genre.

En octobre, des hommes armés ont fait irruption dans deux cafés de Tripoli afin d’intimider les femmes qui n’étaient pas accompagnées d’un membre masculin de leur famille. Ils ont demandé à voir les certificats de mariage des clients et clientes, ont fait sortir les hommes qui se trouvaient là avec des amies pour les interroger et ont dit aux femmes qu’elles devraient être accompagnées de leur mari ou d’un autre homme de leur famille. Ces opérations ont déclenché une vague de critiques sur les réseaux sociaux contre les Radaa, bien qu’un porte-parole de ces forces ait nié toute responsabilité.

Système judiciaire et impunité

La capacité du système judiciaire demeurait extrêmement limitée. Dans le pays divisé, les juges étaient officiellement sous l’autorité du seul Conseil judiciaire suprême. Cependant, les magistrats du parquet et les juges n’étaient généralement pas en mesure d’offrir un recours aux victimes, notamment de violations des droits humains, en raison des intimidations, des menaces et des violences dont les avocats et les juges faisaient l’objet de la part des groupes armés et des milices.

Au niveau international, la Cour pénale internationale, saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies, était toujours compétente pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis depuis 2011, mais les mandats d’arrêt émis à l’encontre de Saïf Al Islam Kadhafi, Mahmoud Al Werfalli et Al Tuhamy Mohamed Khaled sont cette année encore demeurés sans effet. On ignorait toujours où se trouvaient ces trois hommes. Lors de la 42e session du Conseil des droits de l’homme en septembre, la haute-commissaire adjointe des Nations unies aux droits de l’homme et le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU ont souligné la nécessité de mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes en Libye. Ils ont demandé la mise en place d’un mécanisme international d’enquête sur les violations et les atteintes aux droits humains.

Personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes

La situation des dizaines de milliers de personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes présentes dans le pays restait difficile. Ces personnes étaient la cible d’arrestations arbitraires et d’enlèvements perpétrés par des milices, et étaient souvent victimes de la traite des êtres humains et de violences aux mains de groupes criminels. Elles étaient aussi exposées aux risques croissants liés aux hostilités en cours.

Les autorités détenaient toujours illégalement des milliers d’hommes et de femmes dans des centres gérés par la Direction de lutte contre la migration illégale (DCIM), où ils étaient soumis à l’exploitation et aux travaux forcés. La torture et d’autres formes de mauvais traitements, dont le viol, étaient aussi couramment utilisés dans ces centres, souvent pour soutirer de l’argent aux familles en échange de la libération de leurs proches.

Les personnes détenues étaient enfermées dans des conditions inhumaines et subissaient la promiscuité ainsi que les pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, au moins 22 d’entre elles sont mortes de la tuberculose et d’autres maladies contractées dans un centre de détention de Zintan entre septembre 2018 et juillet 2019. Des personnes réfugiées ou migrantes étaient toujours détenues dans des centres situés à proximité des zones de combat, ce qui les exposait au risque d’être tuées ou blessées pendant des attaques aveugles ou ciblées, comme celle du 2 juillet contre le centre de détention pour migrants de Tajoura (voir plus haut).

En 2019, 9 798 migrant·e·s ont été évacués dans le cadre de programmes d’« aide au retour volontaire » et 2 427 réfugié·e·s l’ont été pour une réinstallation ou pour des raisons humanitaires. Les centres se sont néanmoins régulièrement remplis de nouveau car les autorités maritimes libyennes, en particulier les gardes-côtes, ont intercepté au moins 9 225 personnes réfugiées ou migrantes qui tentaient de traverser la Méditerranée centrale et les ont renvoyées, pour la plupart, dans les centres de détention du pays. Cette année encore ont été signalées des menaces contre les ONG menant des opérations de recherche et de sauvetage, ainsi que des violences contre les personnes réfugiées ou migrantes pendant ces opérations et aux points de débarquement.

Par exemple, en septembre, les autorités libyennes ont abattu un Soudanais au moment d’une opération de débarquement, alors qu’un groupe tentait de fuir pour échapper à la détention. En septembre également, le GUN a adopté un code de conduite visant à limiter les opérations de sauvetage menées par des tiers, dont les ONG.

Tout au long de l’année, l’Italie et d’autres États membres de l’Union européenne (UE) ont continué d’apporter leur aide aux autorités libyennes, notamment maritimes, par exemple en leur offrant des embarcations rapides ou en contribuant à la formation de leur personnel.

La Libye, qui n’est pas partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés [ONU], refusait toujours de reconnaître pleinement le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Le Centre de rassemblement et de départ, mis en place par le HCR et la DCIM fin 2018, a fonctionné durant toute l’année. Le HCR a décrit la détérioration des conditions de vie dans ce centre, déplorant la surpopulation et le manque de moyens. En novembre, il a qualifié la situation d’« intenable ». En septembre, le HCR a mis en place un mécanisme de transit d’urgence au Rwanda, afin de permettre l’évacuation d’un nombre limité de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Amnesty International a reçu de nombreuses informations indiquant que des personnes avaient été prises pour cible par les forces de sécurité, par des groupes armés ou par des milices en raison de leur orientation sexuelle. Elles ont, entre autres, fait l’objet de chantage, d’enlèvements ou de détention.

Peine de mort

Aucune exécution n’a été signalée, mais des tribunaux ont cette année encore prononcé des condamnations à mort.

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