Les autorités ont annoncé de nouvelles réformes en vue de mieux protéger les droits des travailleuses et travailleurs migrants. Dans les faits, toutefois, les réformes adoptées précédemment étaient peu appliquées et les personnes migrantes n’étaient dans l’ensemble pas protégées contre les pratiques abusives et l’exploitation au travail. Celles qui cherchaient à obtenir justice dans des conflits du travail concernant le non-versement de salaires devaient attendre des mois pour que leur dossier soit traité ; des centaines d’entre elles ont été finalement contraintes cette année de rentrer dans leur pays sans avoir été payées. La liberté d’expression faisait l’objet de restrictions injustifiées. Les femmes étaient soumises à des discriminations dans la loi et dans la pratique. Plusieurs centaines de membres du clan al Ghufran de la tribu al Murra, l’une des plus importantes du Qatar, demeuraient apatrides. La législation établissait toujours une discrimination à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexes (LGBTI). Des tribunaux ont prononcé de nouvelles condamnations à mort ; aucune exécution n’a été signalée.
Contexte politique au Qatar
Le Qatar était toujours en proie à une crise diplomatique avec l’Arabie saoudite, Bahreïn, l’Égypte et les Émirats arabes unis. La circulation des personnes entre les pays concernés s’en trouvait restreinte.
Après y avoir été invitées par le gouvernement, plusieurs procédures spéciales de l’ONU se sont rendues au Qatar.
Droits des personnes migrantes
Dans le cadre de l’accord de coopération technique de trois ans signé avec l’Organisation internationale du travail (OIT), les autorités ont annoncé plusieurs réformes visant à améliorer la protection des travailleuses et travailleurs migrants, qui constituent 90 % de la main-d’œuvre du pays. Dans les faits, toutefois, les réformes adoptées précédemment étaient peu appliquées et les personnes migrantes n’étaient dans l’ensemble pas protégées contre les pratiques abusives et l’exploitation au travail.
Le 16 octobre, le ministère du Développement administratif, du Travail et des Affaires sociales s’est engagé à abolir le système de parrainage (kafala), qui rend les travailleuses et travailleurs migrants dépendants de leur employeur pour la quasi-totalité des aspects de leur présence au Qatar. Sans donner de détails, il a indiqué que des dispositions seraient adoptées en vue de mettre un terme à l’obligation d’obtenir un permis de sortie, pour tous les travailleurs migrants à l’exception des militaires ; de permettre à tous les travailleurs, après une période probatoire, de changer d’employeur sans avoir à obtenir l’accord de leur parrain ; et d’instaurer un salaire minimum non discriminatoire.
En octobre également, le ministère a rendu publique une étude menée conjointement avec l’OIT et le Comité suprême pour les projets et l’héritage indiquant que les personnes travaillant en extérieur étaient susceptibles d’exercer leur travail dans des conditions de stress thermique important pendant au moins quatre mois de l’année. En juillet, une étude réalisée par un groupe de climatologues et de cardiologues et publiée dans Cardiology Today avait conclu que l’augmentation du nombre de morts des suites de problèmes cardiovasculaires constatée chez les travailleurs migrants était très probablement le résultat d’un fort stress thermique, en particulier en période estivale. Le gouvernement a déclaré par la suite qu’il avait fermé plus de 300 chantiers pour violation de la réglementation sur le travail à l’extérieur entre 11 h 30 et 15 heures de la mi-juin à la fin août.
Les commissions pour le règlement des conflits du travail, des mécanismes présidés par un juge instaurés en 2018 et ayant pour mission de résoudre dans un délai de six semaines les différends entre employeurs et salariés, ont fait tomber certains des obstacles auxquels se heurtaient auparavant les travailleuses et travailleurs migrants qui cherchaient à obtenir justice ; il reste que, dans la plupart des cas, ils ne leur permettaient pas d’obtenir réparation pour les violations constatées. Ces personnes devaient toujours patienter des mois avant que leur dossier ne soit examiné. Certains travailleurs et travailleuses se sont vu accorder par le gouvernement une indemnisation pour compenser les salaires non perçus mais, le plus souvent, les personnes concernées n’obtenaient pas gain de cause. Amnesty International a recueilli des informations sur trois dossiers concernant des centaines de travailleuses et de travailleurs, qui ont attendu plusieurs mois que leur plainte à propos de salaires impayés, accompagnée d’une demande d’indemnisation, soit traitée. La plupart de ces personnes sont rentrées dans leur pays sans que ces salaires leur aient été versés ; quelques autres sont restées au Qatar dans l’attente de leur dû.
En août, des centaines de travailleuses et travailleurs migrants se sont mis en grève pour protester contre leurs mauvaises conditions de travail et le non-versement, ou le versement tardif, de leurs salaires. Le gouvernement a déclaré par la suite qu’il avait arrêté les employeurs responsables de cette situation, précisant que les retards de paiement étaient dus à un « déficit de trésorerie » dans les entreprises concernées et que la situation était désormais réglée. À la fin de l’année, des centaines d’autres personnes migrantes étaient toujours confrontées à des retards de versement de salaire.
Le ministère du Développement administratif, du Travail et des Affaires sociales a instauré une série de mesures de lutte contre les abus systémiques commis dans le cadre du processus de recrutement des travailleuses et travailleurs migrants. Ces mesures n’étaient toutefois que peu mises en application. Des personnes migrantes ont déclaré qu’elles avaient dû verser d’importantes commissions de recrutement, qui les laissaient fortement endettées et très vulnérables aux pratiques abusives, notamment au travail forcé.
En dépit de la loi de 2017 sur les employé·e·s de maison, le personnel domestique, composé en majorité de femmes, restait très exposé au risque de pratiques abusives et d’exploitation. La loi, qui n’était pas conforme aux normes internationales et restait mal appliquée, ne protégeait pas correctement les travailleuses et travailleurs domestiques. Un certain nombre d’employé·e·s domestiques ont décrit à Amnesty International leurs conditions de travail épouvantables et les pratiques abusives des employeurs à leur égard – durée de travail excessive, privation de journées de repos et confiscation du passeport, notamment. Par crainte de représailles, ces personnes n’osaient pas dénoncer leur employeur aux autorités.
En septembre, l’expert indépendant sur les droits de l’homme et la solidarité internationale [ONU] a demandé instamment au Qatar d’étendre la protection récemment adoptée à tous les travailleurs et travailleuses étrangers, notamment les employé·e·s domestiques migrants et les autres personnes qui ne sont pas couvertes actuellement. En novembre, le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a engagé le Qatar à faire en sorte que les travailleuses et travailleurs puissent quitter leur employeur sans avoir à craindre d’arrestation, et que les employé·e·s qui se voient reprocher quelque chose par leur employeur ne soient pas systématiquement placés en détention pendant l’enquête. En décembre, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a appelé l’attention sur les graves violations des droits humains qui persistent, notamment en lien avec l’origine nationale, et sur l’existence de structures discriminatoires et de stéréotypes raciaux, ethniques et nationaux. Elle a demandé au gouvernement de redoubler d’efforts en vue de mettre un terme à la discrimination fondée sur l’origine ethnique et sur le pays d’origine.
Liberté d’expression
La liberté d’expression continuait de faire l’objet de restrictions, dans la législation et dans la pratique. Les autorités disposaient toujours de vastes pouvoirs en matière de surveillance des citoyens. Par exemple, l’article 19 de la Loi n° 3 de 2004 sur la lutte contre le terrorisme donne aux autorités des pouvoirs étendus leur permettant de procéder à des opérations de surveillance par tous les moyens pendant 90 jours avant tout examen judiciaire de la nécessité de la mesure, et de saisir toute forme de communication lorsque cela peut servir la « manifestation de la vérité » en matière de « crimes terroristes ».
La loi sur la cybercriminalité contient des dispositions tout aussi vagues et étendues, qui permettent par exemple d’emprisonner toute personne qui crée ou administre un site Internet diffusant « de fausses informations, dans l’intention de mettre en danger la sécurité de l’État, l’ordre public, la sécurité interne ou la sécurité extérieure ».
Droits des femmes
Les femmes continuaient de faire l’objet de discriminations dans la législation et dans la pratique. Le droit de la famille est discriminatoire à l’égard des femmes. En particulier, il est beaucoup plus difficile de demander le divorce lorsque l’on est une femme, et les femmes qui le font, ou dont le mari s’en va, sont extrêmement pénalisées du point de vue économique. Les femmes restaient en outre mal protégées contre la violence, y compris la violence au sein de la famille.
Des membres du clan Ghufran apatrides
Plusieurs centaines de membres du clan al Ghufran de la tribu al Murra, l’une des plus importantes du Qatar, demeuraient apatrides. Ils étaient de ce fait privés, entre autres, de leurs droits en matière de travail, d’accès aux soins de santé, d’accès à l’éducation, de propriété et de libre circulation. Plusieurs membres du clan al Ghufran qui s’étaient exprimés sur les réseaux sociaux à propos de leur situation d’apatridie ont été arrêtés arbitrairement. Ils ont été ensuite remis en liberté sans inculpation.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
La législation qatarienne contenait toujours des dispositions discriminatoires à l’égard des personnes LGBTI. L’article 296(3) du Code pénal, qui prévoit une peine d’emprisonnement pour toute personne qui « conduit ou incite un homme de quelque façon, y compris par la séduction, à commettre un acte de sodomie ou de débauche », érige en infraction un éventail de relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. L’article 296(4) érige en infraction le fait de « provoquer ou séduire un homme ou une femme, de quelque façon, dans le but de commettre des actes qui sont contraires à la morale ou à la loi ».
Peine de mort
Cette année encore, des tribunaux ont prononcé des condamnations à mort. Aucune exécution n’a été signalée.