Les droits humains en 2019 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord | Résumé

Un manifestant en Irak

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’année 2019 est synonyme de mouvements massifs de protestation et de répression violente des états.

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, notamment l’Algérie, l’Irak, l’Iran, le Liban et les territoires palestiniens occupés, ont été secoués en 2019 par des mouvements massifs de protestation. Les autorités ont cherché à étouffer la contestation en utilisant une force excessive et en ayant recours à la détention arbitraire. En Irak et en Iran, le déploiement d’une force effroyablement meurtrière a provoqué la mort de centaines de personnes. Dans toute la région, des gouvernements ont fait peser de lourdes restrictions sur la liberté d’expression et les activités de la société civile ; certains se sont acharnés en particulier sur les hommes et les femmes qui critiquaient les autorités sur les réseaux sociaux. Des centaines de militants et militantes des droits humains ont été pris pour cible.

Les forces de sécurité ont commis tout un éventail de violations dans le cadre du système de justice pénale, notamment des actes de torture et d’autres mauvais traitements ainsi que des disparitions forcées, en particulier en Arabie saoudite, en Égypte, en Iran, en Libye et en Syrie. Elles jouissaient de l’impunité dans la plupart des cas. L’Instance vérité et dignité, en Tunisie, était sans aucun doute l’initiative la plus importante visant à faire la lumière sur des violations commises par les forces de sécurité – même s’il s’agissait des violations passées et non de celles constatées actuellement – et à octroyer des réparations aux victimes. Elle a achevé ses travaux en 2019 et a formulé des recommandations, qui pourraient s’appliquer aux gouvernements de l’ensemble de la région.

Les protagonistes des conflits armés en cours dans la région ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire, restreignant dans certains cas l’accès humanitaire, ce qui a eu des répercussions sur les soins de santé, entre autres services de base. D’autres puissances militaires ont facilité les violations en transférant illégalement des armes et en apportant un soutien militaire direct aux belligérants. Dans le contexte d’impunité généralisée, les avancées en vue de l’ouverture par la Cour pénale internationale d’une enquête sur la situation dans les territoires palestiniens occupés sont à saluer. Le Liban et la Jordanie accueillaient toujours sur leur sol plus de trois millions de réfugié·e·s de Syrie, mais ont empêché de nouvelles arrivées. Le Liban a en outre expulsé plusieurs milliers de personnes qui avaient pénétré « illégalement » sur son territoire. En Libye, en Syrie et au Yémen, des centaines de milliers de personnes ont été contraintes de quitter leur foyer en raison des offensives militaires et d’autres combats.

Plusieurs pays, en particulier dans le golfe Persique, ont annoncé des réformes visant à améliorer la protection des travailleuses et travailleurs migrants ; ceux-ci étaient néanmoins toujours exploités et maltraités. Comme cela avait été le cas les deux années précédentes, des évolutions positives sont intervenues en 2019 au plan législatif et institutionnel en ce qui concerne les droits des femmes et les violences à l’égard des femmes, mais la dure répression des activités des militantes des droits humains dans des pays tels que l’Arabie saoudite et l’Iran venait assombrir le tableau. Un peu partout dans la région, les autorités ont foulé aux pieds les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexes (LGBTI). Des dizaines de personnes ont été arrêtées en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle, réelle ou présumée ; des hommes ont été soumis de force à un examen anal.

Mouvements de protestation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Dans toute la région, comme dans de nombreux endroits à travers le monde, des pays ont été secoués en 2019 par de grands mouvements de protestation. À l’instar de ce que l’on a pu observer au Soudan avec des rassemblements analogues, les manifestations en Algérie, en Irak et au Liban se sont cristallisées en un mouvement de contestation inscrit dans la durée, mettant au défi le système politique dans son ensemble et réclamant une réforme profonde des institutions ; il aurait pu en aller de même en Iran si les manifestations n’avaient pas été si violemment réprimées. La façon dont les hommes et les femmes qui manifestaient, pacifiquement pour la plupart, ont su maintenir la dynamique au fil des semaines et des mois a été impressionnante, dans un contexte où l’on aurait pu penser que la répression et la violence armée consécutives aux soulèvements intervenus dans la région il y a 10 ans – en Iran en 2009, en Tunisie, en Égypte, au Yémen, à Bahreïn, en Libye, en Arabie saoudite et en Syrie en 2010-2011 – dissuaderaient les populations de descendre massivement dans la rue pour réclamer le respect de leurs droits et dénoncer les injustices.

Des mouvements de moindre ampleur ont éclaté ailleurs dans la région, notamment en Égypte, où le chef de l’État a été mis en cause, dans la bande de Gaza (contre le gouvernement de facto du Hamas), en Jordanie, au Maroc et au Sahara occidental, à Oman et en Tunisie. Les hommes et les femmes qui ont pris part à ces manifestations et aux mouvements de contestation plus importants intervenus en Algérie, en Irak, en Iran et au Liban demandaient la fin de la corruption, un plus grand respect de leurs droits économiques et sociaux, et de meilleures conditions de vie et de travail. Certains réclamaient l’instauration de l’égalité de genre et l’éradication des violences liées au genre ; en Algérie, des organisations de défense des droits des femmes ont par exemple demandé l’abrogation du Code de la famille, qui est discriminatoire. D’autres ont fait campagne sur des questions environnementales.

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Maroc manifestation avortement
Maroc manifestation avortement

À Gaza et en Cisjordanie, la population palestinienne a continué de manifester contre les incidences de l’occupation par Israël, depuis 52 ans, des territoires palestiniens, et du blocus aérien, terrestre et maritime imposé depuis 12 ans à la bande de Gaza, qui constituait une sanction collective. L’occupation et le blocus avaient des conséquences graves sur la liberté de circulation et les services de santé, en particulier à Gaza ; ils ont donné lieu à la démolition de centaines d’habitations en Cisjordanie – y compris à Jérusalem-Est – et, par voie de conséquence, au déplacement forcé de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens. L’expansion des colonies israéliennes illégales en Cisjordanie et l’annonce par le gouvernement américain que les États-Unis – en violation du droit international – ne considéraient plus ces colonies comme illégales sont venues aggraver la situation.

Les autorités ont déployé tout un éventail de méthodes pour réprimer la contestation. Amnesty International a recueilli un certain nombre de témoignages crédibles faisant état de l’utilisation par les organes de sécurité d’une force excessive ou injustifiée – balles en caoutchouc, gaz lacrymogène, canons à eau, matraques, par exemple – contre des personnes qui manifestaient pacifiquement, dans 10 pays au total pour l’année 2019. En Irak et en Iran, les forces de sécurité ont tiré à de multiples reprises à balles réelles sur les manifestant·e·s, faisant des centaines de morts – plus de 800, selon les derniers chiffres d’Amnesty International – et des milliers de blessés. Comme les années précédentes, l’armée et les forces de sécurité israéliennes ont tué des dizaines de Palestiniens et de Palestiniennes dans des manifestations dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.

Dans toute la région, et en particulier en Algérie, en Égypte, en Irak et en Iran, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement des milliers de manifestant·e·s, dont un grand nombre ont été placés en détention et accusés d’infractions en lien avec la sécurité. Des gouvernements ont par ailleurs cherché à couper les réseaux de communication. En Iran, les autorités ont interrompu presque complètement l’accès à Internet pendant les manifestations de novembre, afin d’empêcher les gens de faire circuler des images et des vidéos montrant que les forces de sécurité utilisaient une force meurtrière. En Égypte, les autorités ont perturbé des applications de messagerie en ligne afin d’empêcher la tenue de nouvelles manifestations.

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coupure internet iran manifestations
coupure internet iran manifestations
coupure internet iran manifestations

Les gouvernements de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord doivent respecter le droit de manifester pacifiquement, encadrer strictement les forces de sécurité, en particulier pour les empêcher d’utiliser des balles réelles lorsqu’il n’existe pas de risque imminent pour la vie d’une personne, et ouvrir des enquêtes indépendantes et impartiales sur la mort de manifestant·e·s. Ils doivent également prendre en considération les revendications des hommes et des femmes qui descendent dans la rue pour réclamer le respect de leurs droits.

Liberté d’expression

Dans toute la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, des régimes ont imposé de sévères restrictions à la liberté d’expression. Selon les chiffres dont dispose Amnesty International pour l’année 2019, qui ne sont absolument pas exhaustifs, des personnes ont été détenues en raison de leurs opinions dans 12 pays de la région ; 136 ont été arrêtées uniquement parce qu’elles avaient exprimé des opinions en ligne, pourtant pacifiquement. Certains gouvernements s’en sont pris en particulier à celles et ceux qui critiquaient les autorités ou contestaient la politique gouvernementale sur les réseaux sociaux.

En Algérie, en Arabie saoudite, à Bahreïn, en Égypte, en Iran, en Jordanie, au Koweït, au Liban, en Libye, au Maroc et au Sahara occidental et en Tunisie, des journalistes, des personnes qui tenaient un blog et des militant·e·s qui publiaient sur les réseaux sociaux des déclarations ou des vidéos jugées critiques vis-à-vis du chef de l’État ou d’autres représentants des pouvoirs publics ont fait l’objet d’arrestations, d’interrogatoires et de poursuites. Un grand nombre de ces personnes ont été placées en détention, et certaines ont été condamnées à une peine d’emprisonnement.

Les défenseur·e·s des droits humains ont été en butte à toute une série de mesures répressives de la part des gouvernements. Pour 2019, Amnesty International a recensé 367 cas de détention de militant·e·s des droits humains et 118 procédures ouvertes contre ces personnes ; les chiffres réels étaient probablement très supérieurs. Si l’on s’arrête sur le seul cas de l’Iran, 240 défenseur·e·s des droits humains ont été arbitrairement placés en détention. En Arabie saoudite, ce sont pratiquement tous les défenseur·e·s des droits humains du pays qui, à la fin de l’année, étaient détenus sans inculpation, faisaient l’objet d’une procédure ou purgeaient une peine d’emprisonnement.

En Égypte, les manifestations du 20 septembre ont été suivies par une hausse des arrestations de militant·e·s des droits humains et des actes de torture et autres mauvais traitements perpétrés contre ces personnes. Les autorités israéliennes ont utilisé tout un éventail de mesures – opérations spécifiques, campagnes d’incitation à la violence, restrictions à la liberté de circulation et harcèlement judiciaire, notamment – contre les militants et militantes des droits humains, les journalistes et les autres personnes qui dénonçaient la poursuite de l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et du plateau du Golan, en Syrie.

De nouveaux éléments ont mis en évidence en 2019 combien les attaques numériques contre les défenseur·e·s des droits humains dans le monde, et notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, étaient sophistiquées. Amnesty International a ainsi découvert que deux défenseurs marocains des droits humains avaient fait l’objet à plusieurs reprises depuis 2017 d’une surveillance exercée au moyen de logiciels espions conçus par l’entreprise israélienne NSO Group.

L’organisation avait auparavant recueilli des informations montrant que des militants·e·s d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, ainsi qu’un membre du personnel d’Amnesty International, avaient été la cible d’attaques menées au moyen de logiciels malveillants conçus par cette entreprise. La raison avancée pour justifier la conception de cette technologie ainsi que son acquisition, puis son déploiement, par les gouvernements est qu’elle est utilisée pour combattre la criminalité et le terrorisme ; le profil des personnes ciblées vient contredire cette affirmation. Amnesty International a soutenu une action en justice contre le ministère israélien de la Défense pour lui demander d’annuler la licence d’exportation de NSO. Facebook et WhatsApp ont déposé une plainte contre cette société devant un tribunal fédéral des États-Unis au motif que, travaillant pour Bahreïn, les Émirats arabes unis et d’autres pays, NSO aurait pris pour cible 1 400 appareils de particuliers, utilisés notamment par des journalistes, des militant·e·s des droits humains et des opposant·e·s politiques de nombreux pays, dont Bahreïn et les Émirats arabes unis.

Les attaques ciblées et massives de hameçonnage se sont poursuivies contres les défenseur·e·s des droits humains, y compris contre celles et ceux qui avaient pris des mesures supplémentaires pour sécuriser leurs comptes en ligne – fournisseurs de messagerie plus sûrs ou double authentification pour l’accès aux comptes, par exemple. Les pirates créaient des sites web imitant l’invite de connexion d’un service en ligne afin d’amener la victime à se rendre sur la page malveillante et à entrer son identifiant et son mot de passe, qui tombaient ainsi entre les mains des pirates.

Par ailleurs, une enquête de Reuters a révélé que les Émirats arabes unis étaient impliqués dans une initiative dans le cadre de laquelle des agents américains du renseignement auraient aidé les Émirats à maintenir sous surveillance des militant·e·s des droits humains et d’autres personnes dans le monde entier, sans qu’aucun contrôle judiciaire ne soit exercé.

En outre, les gouvernements ont utilisé la censure sur Internet. En Égypte, les pouvoirs publics ont ajouté les sites web des organismes de radiodiffusion et de télévision BBC et Alhurra à la liste des 513 sites déjà bloqués. Faisant valoir des motifs de sécurité, les autorités palestiniennes en Cisjordanie ont bloqué l’accès à 59 sites web ; tous faisaient circuler des contenus critiques à l’égard des autorités. En Iran, Facebook, Telegram, Twitter et YouTube sont restés inaccessibles.

Les États du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord doivent remettre en liberté immédiatement et sans condition toutes les prisonnières et tous les prisonniers d’opinion, accepter l’expression pacifique de critiques, en ligne et hors ligne, et cesser de harceler les défenseur·e·s des droits humains, que ce soit par des moyens judiciaires ou d’autres moyens. Les gouvernements du monde entier doivent suivre la recommandation du rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression visant à la mise en œuvre d’un moratoire sur la vente et le transfert des équipements de surveillance jusqu’à ce qu’un cadre réglementaire de protection des droits humains adapté soit mis en place.

Systèmes judiciaires

Les forces de sécurité ont commis tout un éventail de violations dans le cadre du système de justice pénale. Dans 18 pays au moins de la région on a pu recenser des allégations crédibles de torture et d’autres mauvais traitements dans les lieux de détention de l’État ; ces actes étaient perpétrés en particulier au moment des interrogatoires et bien souvent dans l’objectif d’arracher des « aveux ». En Égypte et en Iran, entre autres pays, les autorités pénitentiaires avaient également recours au placement à l’isolement ou à la privation de soins médicaux pour punir les personnes détenues pour des raisons politiques ; de telles pratiques bafouent l’interdiction de la torture et des autres mauvais traitements. Dans sept pays au moins des personnes sont mortes en détention après avoir été soumises à des actes de torture ou d’autres mauvais traitements, selon des informations crédibles.

Des disparitions forcées aux mains de l’État ont été recensées de manière fiable dans huit pays au moins. En Égypte, plusieurs centaines d’opposant·e·s ont subi une disparition forcée, d’une durée variable (jusqu’à 183 jours). En Iran, plusieurs personnes parmi celles arrêtées à la suite des manifestations de novembre ont été soumises à une disparition forcée. Au Yémen, les forces houthies ont eu recours à cette pratique contre une partie des très nombreux détracteurs, détractrices et opposant·e·s qu’elles ont arbitrairement maintenus en détention. En Syrie, des dizaines de milliers de personnes restaient « disparues » et des milliers d’hommes et de femmes arrêtés les années précédentes étaient toujours détenus par les forces de sécurité sans avoir été jugés, bien souvent dans des conditions qui s’apparentaient à une disparition forcée.

Dans un certain nombre de pays, dont l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Iran, Israël et les territoires palestiniens occupés et la Syrie, de nombreuses affaires étaient renvoyées devant des juridictions d’exception – tribunaux militaires, révolutionnaires ou de sûreté, par exemple –, ce qui donnait lieu à des procès qui violaient gravement les normes d’équité. Dans certains cas les procès devant des juridictions ordinaires étaient tout autant critiquables. Dans l’ensemble de la région, des tribunaux ont condamné des accusés en s’appuyant sur des éléments de preuve recueillis sous la torture. Dans certains pays, notamment l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Irak et l’Iran, ces procès se soldaient par des condamnations à mort, qui étaient mises en œuvre.
Certaines des violations les plus graves ont été commises dans le cadre d’opérations qualifiées par les autorités d’actions de lutte contre le terrorisme ou de mesures de sécurité. Dans une poignée de pays les autorités avaient des raisons légitimes de prendre des mesures pour protéger la population civile des exactions de groupes armés. En Irak, le groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) a continué de commettre des assassinats et des attentats à la bombe prenant pour cible des civils. En Égypte, des groupes armés ont mené – certes à une fréquence moindre que les années précédentes – des attaques sporadiques au Sinaï, qui ont fait des morts et des blessés. Cependant, les mesures prises contre les membres présumés de ces groupes armés entraînaient bien souvent de graves violations des droits humains, et les autorités invoquaient le prétexte de la sécurité pour s’en prendre de manière à peine voilée à la société civile (voir plus haut).

Les forces de sécurité jouissaient le plus souvent de l’impunité. L’Instance vérité et dignité, en Tunisie, était sans aucun doute l’initiative la plus importante en vue de faire la lumière sur les violations commises par les forces de sécurité, même s’il s’agissait des violations passées et non de celles constatées actuellement. Elle a achevé ses travaux en 2019. À la fin de son mandat, l’Instance avait transféré 173 cas à des chambres criminelles spécialisées, après avoir reçu plus de 62 000 plaintes adressées par des victimes. Au moins 78 procès, concernant notamment des cas de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, ont débuté devant ces juridictions au cours de l’année.

Un grand nombre des recommandations formulées par l’Instance pourraient s’appliquer à d’autres États de la région, notamment celles préconisant une réforme des secteurs de la justice et de la sécurité, la création d’un organe indépendant de contrôle des activités des services de sécurité et la mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes pour les crimes commis.

Conflits armés

Les conflits armés ont continué de bouleverser la vie de la population civile en Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen. Sur le terrain, le niveau de violence croissait et décroissait au fil du temps en fonction des changements d’alliances et des intérêts des puissances militaires étrangères. Gaza et le sud d’Israël ont connu des poussées de violence armée entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens.

Les nombreux acteurs des conflits ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international humanitaire. Certains ont perpétré des attaques directes contre des civils ou des infrastructures civiles. Dans la campagne militaire qu’elles ont menée dans certaines zones du nord-ouest de la Syrie, contrôlées par le groupe armé Hayat Tahrir al Cham, les forces gouvernementales syriennes ont pris pour cible des logements civils, des écoles, des boulangeries, des structures médicales et des opérations de secours, tuant et blessant des centaines de civils, y compris du personnel médical et des services de secours.

Dans le conflit au Yémen, les forces houthies, qui contrôlaient de grandes parties du pays, ont visé des infrastructures civiles en Arabie saoudite – notamment des aéroports –, faisant des victimes parmi la population civile. Les Houthis ont également revendiqué des attaques contre des installations pétrolières dans l’est de l’Arabie saoudite.
Presque tous les acteurs ont mené des attaques aveugles dans lesquelles des civils ont été tués ou blessés : frappes aériennes – pour ceux qui disposaient d’une puissance adéquate – et bombardements de zones d’habitation par des tirs d’artillerie, de mortiers et de roquettes. Au nombre de ces acteurs en Syrie figuraient, outre les forces gouvernementales, la Turquie et des groupes armés syriens alliés lors de l’offensive militaire lancée en octobre dans le nord-est du pays contre une alliance de groupes armés dirigée par les Kurdes, dans laquelle de très nombreux civils ont été tués.

En Libye, sur les près de 300 victimes civiles du conflit armé en 2019, beaucoup ont été tuées dans des attaques menées sans discernement au moyen d’armes explosives inadaptées qui ont été utilisées dans des zones peuplées. Un grand nombre de victimes sont mortes des suites des combats intervenus dans Tripoli et aux abords de la ville entre le gouvernement d’union nationale (GUN) soutenu par l’ONU et l’Armée nationale libyenne (ANL), qui a lancé une offensive en avril pour prendre le contrôle de la capitale et des zones alentours.

Au Yémen, les forces houthies comme celles qui leur sont opposées ont bombardé des quartiers d’habitation ; quant à la coalition emmenée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, elle a procédé à des bombardements qui ont fait des centaines de morts et de blessés parmi la population civile.

Certains ont continué d’utiliser la stratégie de la restriction de l’accès humanitaire, portant atteinte aux droits économiques et sociaux des populations civiles des zones concernées. En Syrie, selon l’ONU, les forces gouvernementales n’ont pas donné leur feu vert à environ la moitié des missions humanitaires pour lesquelles elle a demandé une autorisation en vue de surveiller, évaluer et accompagner la distribution de l’aide. Dans d’autres pays, les combats sont venus aggraver les besoins humanitaires. En Libye, l’accès aux soins de santé, à l’électricité et à d’autres services de base a été coupé du fait des batailles dans Tripoli et aux alentours. Au Yémen, le conflit continuait d’avoir des conséquences disproportionnées pour les personnes porteuses de handicap.

Des puissances militaires de la région ou hors de la région ont joué un rôle désastreux en facilitant les violations par des transferts d’armes illicites et un appui militaire direct aux belligérants, et en refusant d’enquêter sur l’implication de leurs propres forces armées dans des violations du droit international. En Libye, les camps rivaux comptaient de plus en plus sur les soutiens militaires étrangers pour modifier le rapport de force. Principal soutien du GUN, la Turquie lui fournissait des blindés de combat et des drones armés, tandis que les Émirats arabes unis, premier soutien de l’ANL, lui livraient des drones de fabrication chinoise, qu’ils manœuvraient pour son compte – autant de violations manifestes de l’embargo total sur les armes imposé par l’ONU depuis 2011.

En Syrie, la Russie a continué d’appuyer directement des offensives militaires des forces gouvernementales qui étaient contraires au droit international, tandis que la Turquie soutenait des groupes armés coupables d’enlèvements et d’exécutions sommaires. En Syrie et en Irak, l’Iran a fourni un soutien militaire aux forces gouvernementales et à des milices qui étaient à l’origine de violations graves. Pendant ce temps, les États-Unis et leurs alliés de la coalition ont continué de se dérober à leur responsabilité d’enquêter sur la mort de centaines de civils pendants les bombardements menés dans leur lutte contre l’EI.

L’obligation de rendre des comptes pour les crimes de guerre et les autres violations graves du droit international commises pendant des hostilités armées ou du fait de telles hostilités n’était guère mise en œuvre. L’annonce de la procureure de la Cour pénale internationale indiquant que l’examen préliminaire de la situation en Palestine avait conclu que des crimes de guerre avaient été commis dans les territoires palestiniens occupés et qu’une enquête devait être ouverte lorsque la compétence territoriale de la Cour serait confirmée représente donc un pas en avant historique, qui offre une occasion décisive de briser le cercle vicieux de l’impunité.

Compte tenu des obstacles à surmonter, il est essentiel que les États apportent leur soutien à la Cour et aux autres mécanismes de justice internationale, pour que les victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis dans la région obtiennent vérité, justice et réparation. Les parties aux conflits armés en cours dans la région doivent respecter le droit international humanitaire, et en particulier mettre fin aux attaques directes contre les civils et les infrastructures civiles ainsi qu’aux attaques sans discrimination, et ne pas utiliser dans les zones civiles d’armes explosives ayant des effets de grande portée. Les puissances militaires doivent cesser les transferts d’armes lorsqu’il existe un risque important que celles-ci soient utilisées en violation du droit international ; ce risque est malheureusement élevé dans tous les conflits en cours dans la région.

Personnes réfugiées ou déplacées

Signe que la communauté internationale n’assumait pas son devoir de partage des responsabilités, le Liban, la Jordanie et la Turquie accueillaient toujours la majorité des cinq millions de personnes qui avaient fui la Syrie depuis le début de la crise, en 2011. Ces trois pays ont empêché l’entrée de nouveaux réfugié·e·s. Exacerbée par le manque d’aide humanitaire, l’impossibilité pour les personnes réfugiées de trouver du travail et les obstacles administratifs et financiers auxquels elles se heurtaient pour obtenir ou renouveler leurs permis de résidence, la situation humanitaire catastrophique qui y régnait a poussé des dizaines de milliers de personnes à rentrer en Syrie. Après avoir annoncé, en avril, qu’il allait expulser les réfugié·e·s entrés « illégalement », le Liban a renvoyé des milliers de personnes vers la Syrie, en violation de ses obligations en matière de « non-refoulement ».

La situation des dizaines de milliers de personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes présentes en Libye restait difficile. Elles étaient la cible d’arrestations arbitraires et d’enlèvements perpétrés par des milices, et étaient souvent victimes de la traite des êtres humains et de violences aux mains de groupes criminels. Les personnes détenues étaient enfermées dans des conditions inhumaines et subissaient la promiscuité ainsi que les pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments.

De nouveaux déplacements de populations ont été enregistrés cette année. En Syrie, les offensives militaires menées dans le nord-ouest et le nord-est du pays ont contraint plus de 500 000 personnes à quitter leur foyer, portant à 6,6 millions le nombre de personnes déplacées dans le pays. Au Yémen, la recrudescence des affrontements entre combattants houthis et forces anti-houthies intervenue dans le gouvernorat d’Al Dhale, dans le sud du pays, a jeté des milliers de personnes hors de chez elles. Au total, il y avait plus de 3,5 millions de personnes déplacées dans le pays. Plus de 1,5 million d’hommes, de femmes et d’enfants restaient déplacés en Irak à la suite du conflit armé contre l’EI ; la majorité se trouvaient dans des camps et des campements de fortune après avoir été déplacés plusieurs fois. En Libye, les combats à Tripoli et dans les alentours de la ville ont contraint plus de 140 000 personnes à quitter leur foyer.

Les États de la région doivent mettre un terme aux départs provoqués et aux renvois de personnes réfugiées ou en quête d’asile vers la Syrie et d’autres pays ; dans le reste du monde, et notamment en Occident, les États doivent prendre une part bien plus importante dans le partage des responsabilités, en particulier par le biais de la réinstallation.

Travailleuses et travailleurs migrants

Des réformes visant à améliorer la protection des travailleuses et travailleurs migrants ont été annoncées dans plusieurs pays, en particulier des pays du Golfe, où ils représentaient une très forte proportion de la main d’œuvre. Le Qatar a promis d’abolir le système de parrainage (kafala), qui lie les travailleuses et travailleurs domestiques migrants à leur employeur ; le pays a pris en outre des mesures pour faire tomber les obstacles rencontrés par les travailleuses et travailleurs migrants qui cherchent à obtenir justice lorsqu’ils sont victimes de pratiques abusives, et pour combattre les abus systémiques commis dans le cadre du processus de recrutement. La Jordanie a elle aussi annoncé qu’elle allait revoir son système de parrainage. Les Émirats arabes unis ont supprimé le critère « profession exercée » de la procédure de rapprochement familial, ce qui permettra à davantage d’étrangers résidant dans le pays de faire venir des membres de leur famille.

Néanmoins, les travailleuses et travailleurs migrants en Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis, en Jordanie, au Koweït, au Liban et à Oman étaient toujours en butte à l’exploitation et à des pratiques abusives du fait des systèmes de parrainage (kafala) en place. En règle générale, les travailleuses et travailleurs domestiques restaient totalement exclus des protections prévues par le droit du travail.

Les réformes juridiques visant à protéger les droits des personnes migrantes doivent aller plus loin. Il faut en premier lieu que les autorités des pays du Golfe et des autres États où elle est en vigueur abolissent complètement la kafala.

Droits des femmes et des filles

Comme les deux années précédentes, 2019 a connu quelques avancées positives sur les plans législatif et institutionnel en ce qui concerne les droits des femmes et la lutte contre la violence à leur égard. Ces changements, qui restaient limités par rapport à ce qui était nécessaire, étaient le fruit en grande partie de la mobilisation du mouvement de défense des droits des femmes dans la région. Les résultats obtenus s’inscrivaient toutefois dans un tableau plus sombre marqué par la dure répression à l’encontre des militantes dans certains pays, en particulier en Arabie saoudite et en Iran, la faible mise en œuvre des réformes précédentes, la discrimination généralisée en droit et en pratique dont les femmes étaient victimes, notamment en matière de mariage et de divorce, d’héritage et de garde d’enfant, et l’insuffisance de l’action contre les violences sexuelles et autres violences liées au genre.

L’Arabie saoudite a mis en place une importante réforme, attendue de longue date, du système discriminatoire de tutelle masculine ; les principales restrictions à la liberté de circulation des femmes ont été assouplies, mais les femmes devaient toujours obtenir l’autorisation d’un tuteur masculin pour se marier. Ironie du sort, cinq militantes des droits humains ont passé toute l’année derrière les barreaux, en partie parce qu’elles avaient réclamé ces réformes. L’Iran a adopté une loi autorisant les femmes iraniennes mariées à un étranger à transmettre leur nationalité à leurs enfants, à la condition de satisfaire à certaines exigences de sécurité.

Cette modeste avancée doit toutefois être replacée dans le contexte plus général de l’intensification de la répression, par les autorités, des actions entreprises par les défenseures des droits humains contre le port obligatoire du voile et l’interdiction faite aux femmes de pénétrer dans les stades de football.
Dans un registre positif, la Jordanie et la Tunisie ont établi un bilan des mesures prises en 2018 pour renforcer la protection contre les violences à l’égard des femmes et des filles ; l’ampleur de la tâche restant à accomplir est alors apparue. À la suite de la mise en place, en 2018, d’un mécanisme de plainte, les autorités tunisiennes ont reçu des dizaines de milliers de plaintes de femmes victimes de violence domestique. En Libye, les autorités n’avaient pas la volonté ou la capacité de s’attaquer au problème des violences liées au genre commises par les milices ou les groupes armés.

En Jordanie, plusieurs dizaines de personnes ont pu être protégées au cours de l’année dans un foyer créé en 2018 pour accueillir les femmes qui risquaient d’être tuées par un membre de leur famille. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, plus de 20 Palestiniennes ont été victimes d’un crime d’« honneur ». De son côté, Oman a renforcé les dispositions en matière de sanction pénale des mutilations génitales féminines.

Les autorités dans la région doivent passer à la vitesse supérieure pour faire davantage reconnaître les droits des femmes dans la législation et traduire les engagements juridiques concernant la lutte contre les violences faites aux femmes en action concrète garantissant que les auteurs de ces actes rendent effectivement compte de leurs agissements.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Un peu partout dans la région, les autorités ont foulé aux pieds les droits des personnes LGBTI. Les forces de sécurité ont arrêté des dizaines de personnes en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle, réelle ou présumée. En Tunisie, selon une ONG locale, la police a arrêté au moins 78 hommes en vertu d’une disposition du Code pénal qui réprime la « sodomie » ; au moins 70 ont été déclarés coupables et condamnés à une peine d’emprisonnement, d’un an dans certains cas. Au Koweït, la police a arrêté sept personnes transgenres, contre qui une enquête a été ouverte. En Cisjordanie, les forces de sécurité palestiniennes ont arrêté arbitrairement et maltraité huit personnes LGBTI, selon une ONG locale.

Dans plusieurs pays, les autorités ont contraint des hommes à se soumettre à un examen anal destiné à déterminer s’ils avaient eu des relations sexuelles avec d’autres hommes ; des dizaines de cas de ce genre ont notamment été enregistrés en Égypte et en Tunisie. Ces examens sont contraires à l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements.
Les autorités doivent abroger les dispositions érigeant en infraction pénale les relations sexuelles entre personnes de même sexe, abandonner la pratique des examens anaux et adopter des lois interdisant la discrimination fondée sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle.

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