Des homicides illégaux, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées et des violences sexuelles ont eu lieu, et la plupart des victimes étaient des personnes considérées comme des opposant·e·s politiques. La liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique demeurait restreinte ; des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains ont subi des représailles du fait de leurs activités. Les discours de haine fondés sur l’appartenance ethnique avaient toujours cours, et le président de la République a tenu des propos à caractère homophobe.
Contexte de la situation des droits humains au Burundi
La situation des droits humains ne s’est pas améliorée à la suite des élections générales de mai. Le candidat à l’élection présidentielle qui représentait le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), a été élu. Son investiture a eu lieu en juin, après le décès soudain du président Pierre Nkurunziza, survenu le 8 juin. Fin juin, les membres du gouvernement ont prêté serment, notamment le Premier ministre, dont la fonction avait été créée récemment dans le cadre de la Constitution de 2018. Des élections communales et législatives se sont tenues en mai, suivies par les élections sénatoriales et les élections collinaires, organisées respectivement en juillet et août.
Aucune mission internationale d’observation des élections n’avait été dépêchée, notamment en raison des restrictions imposées face à la pandémie de COVID-19. La Conférence des évêques catholiques du Burundi a fait part de ses préoccupations quant aux « nombreuses irrégularités » signalées par ses observateurs. Le 4 juin, la Cour constitutionnelle a statué que « l’élection présidentielle tenue en date du 20 mai 2020 s’[était] déroulée de façon régulière ».
En octobre, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a décidé de renouveler le mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi.
Droit à la santé
Au début de la pandémie, des représentants de l’État ont affirmé que le Burundi avait signé un « pacte spécial avec Dieu », raison pour laquelle il était épargné par le COVID-19. Fin mars, un porte-parole du gouvernement a menacé de sanctions les écoles et les autres institutions qui avaient pris des mesures d’endiguement volontaristes sans attendre les consignes des pouvoirs publics « pour différentes raisons sournoises de désorientation et de manipulation de l’opinion ». Parmi les premières mesures prises par le gouvernement, citons la quarantaine imposée aux personnes venant ou revenant de l’étranger et les conseils en matière de lavage des mains et de distanciation physique lors des salutations. L’aéroport international a été fermé de fin mars à début novembre. Un certain nombre de rassemblements de grande ampleur ont néanmoins eu lieu pendant et après la campagne électorale. En mai, plusieurs médecins ont indiqué aux médias que les tests de dépistage étaient pratiqués en nombre insuffisant et que les chiffres officiels relatifs au COVID-19 sous-estimaient le taux de mortalité réel. Le ministre des Affaires étrangères a expulsé le représentant de l’OMS et trois experts médicaux mi-mai. Le décès de l’ancien président Pierre Nkurunziza a marqué un tournant dans l’approche adoptée par les autorités face à la pandémie. Le 30 juin, le nouveau président a déclaré la maladie COVID-19 « ennemi public numéro un » et les autorités ont lancé une campagne de dépistage de grande ampleur.
Personnes réfugiées ou demandeuses d’asile
Les autorités ont continué d’encourager les personnes réfugiées à rentrer au Burundi. Les retours de personnes réfugiées depuis la Tanzanie se sont poursuivis tandis que ceux organisés depuis le Rwanda ont débuté en août, avec l’appui des gouvernements et du HCR. Les autorités de Tanzanie ont arrêté, soumis à une disparition forcée, torturé et détenu arbitrairement plusieurs personnes réfugiées, dont certaines ont ensuite été renvoyées de force au Burundi. Les personnes rentrées au Burundi éprouvaient des difficultés à se réintégrer et n’étaient pas suffisamment aidées. Certaines ont été accusées de soutenir l’opposition et menacées ou agressées physiquement par les Imbonerakure, la branche jeunesse du parti au pouvoir.
Du fait des restrictions liées à la pandémie de COVID-19, il était plus difficile de demander l’asile à l’étranger. Entre janvier et mi-mars, à l’approche des élections de mai, 3 242 personnes se sont réfugiées dans les pays voisins. Entre la mi-mars, lorsque des restrictions aux frontières sont entrées en vigueur, et la fin du mois de novembre, seules 24 nouvelles arrivées en provenance du Burundi ont été enregistrées dans la région.
Discrimination
À l’approche des élections, les membres du CNDD-FDD ont tenu de plus en plus fréquemment des propos incitant à la violence contre l’opposition politique, et justifié les attaques visant des membres de l’opposition. L’État n’a pas demandé de comptes aux personnes soupçonnées d’avoir prononcé des discours de haine motivés par des considérations ethniques. Ces discours ont perduré après les élections.
Des groupes de femmes ont critiqué le discours prononcé par l’épouse du chef de l’État, Angeline Ndayishimiye Ndayubaha, à l’occasion du Forum de haut niveau des femmes leaders organisé en septembre. Celle-ci avait alors déclaré que l’égalité entre les genres ne deviendrait jamais réalité au Burundi et cité la Bible à l’appui de ses propos. Selon le Code de la famille, « le mari est le chef de la communauté conjugale ».
Le président Evariste Ndayishimiye a, quant à lui, formulé plusieurs remarques homophobes dans des allocutions. Dans son discours d’investiture, par exemple, il a qualifié les mariages entre personnes de même sexe de « déviations sociales » et, en août, il a insinué qu’il existait une corrélation entre l’acceptation de l’homosexualité par certains pays et la forte prévalence de la maladie COVID-19 dans ces pays.
Liberté d’expression
En janvier, Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Egide Harerimana et Térence Mpozenzi, des journalistes du groupe de presse Iwacu arrêtés en octobre 2019 alors qu’ils se rendaient sur les lieux où des affrontements avaient éclaté dans la province de Bubanza, ont été déclarés coupables de « tentative impossible » de porter atteinte à la sûreté intérieure de l’État. Ils ont été condamnés à deux ans et demi d’emprisonnement et à une amende d’un million de francs burundais (525 dollars des États-Unis). Leur chauffeur, Adolphe Masabarakiza, a été mis hors de cause. En juin, la cour d’appel de Ntahangwa a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée à l’encontre des quatre journalistes, mais ils ont finalement bénéficié en décembre d’une grâce présidentielle et ont été libérés1.
En octobre, Fabien Banciryanino, ancien député de l’opposition, a été arrêté pour rébellion, dénonciation calomnieuse et atteinte à la sûreté de l’État. Il a été interrogé au sujet de discours prononcés à l’Assemblée nationale dans lesquels il avait critiqué le gouvernement, faits normalement couverts par l’immunité parlementaire2.
Défenseures et défenseurs des droits humains
En juin, la Cour suprême du Burundi a invalidé la décision rendue en 2019 par la cour d’appel de Ntahangwa qui confirmait la déclaration de culpabilité et la condamnation à 32 ans de réclusion prononcées à l’encontre du défenseur des droits humains Germain Rukuki. L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel afin d’être réexaminée par de nouveaux juges.
Le procès pour « insurrection » de 12 défenseur·e·s des droits humains et journalistes exilés s’est poursuivi devant la Cour suprême. Ces personnes étaient accusées d’avoir participé à la tentative de coup d’État de mai 2015, en raison de leur rôle dans les manifestations contre le troisième mandat du président de l’époque. Lors de l’audience tenue en février, elles n’avaient pas de représentation juridique.
Liberté d’association
Les membres du principal parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL), se sont heurtés à de nombreux obstacles dans leurs activités politiques. À certains endroits, ils n’ont pas eu le droit d’ouvrir des bureaux pour leur parti et, à d’autres, leurs locaux ont été vandalisés et détruits. Pendant la campagne électorale, l’administration locale les a empêchés de tenir certains meetings3.
Les autorités ont continué d’exercer des pressions afin de contrôler plus étroitement le fonctionnement des ONG étrangères, notamment en exigeant que celles-ci fournissent des données individualisées sur l’appartenance ethnique des membres de leur personnel local. En mai, des comités de recrutement pour les ONG étrangères ont été créés par décret présidentiel, notamment des comités gouvernementaux chargés, dans chaque province, de superviser et d’approuver toutes les embauches de ressortissant·e·s burundais4.
Disparitions forcées
Cette année encore, des disparitions forcées ont été signalées régulièrement, et des affaires antérieures n’avaient toujours pas été résolues. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires [ONU] a porté 81 nouveaux cas (remontant pour la plupart à 2015 et 2016) à la connaissance des autorités. À la fin de l’année, l’État n’avait donné suite à aucun des 156 signalements effectués par le Groupe de travail depuis 2016. Le Burundi n’avait toujours pas ratifié ni mis en œuvre la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qu’il a signée en 2007.
Arrestations et détentions arbitraires
Le CNL a indiqué que plus de 600 de ses membres, dont plusieurs candidat·e·s, avaient été arrêtés avant et pendant les élections. Certains ont été arrêtés à la suite d’échauffourées avec des membres des Imbonerakure. Plusieurs membres du CNL ont été déclarés coupables à l’issue de procès expéditifs tenus avant les élections. Des arrestations et des disparitions de membres du parti ont été signalées tout au long de l’année.
Deux jours avant le scrutin, le procureur général de la République a demandé par écrit à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de disqualifier 59 candidat·e·s du CNL aux élections législatives et communales, au motif que des enquêtes les concernant étaient en cours. La Cour constitutionnelle a ensuite annulé la décision de disqualifier trois candidat·e·s à l’Assemblée nationale.
Homicides illégaux
Des exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux ont été perpétrés tout au long de l’année. En février, à la suite d’affrontements ayant opposé un groupe armé non identifié à la police et à l’armée dans la province de Bujumbura-rural, des photos et des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux. On y voyait au moins 12 jeunes hommes qui avaient été capturés et ligotés. Des photos montrant les corps de plusieurs d’entre eux ont également été diffusées. La Commission d’enquête sur le Burundi [ONU] a analysé les éléments de preuve et a conclu que ces hommes avaient été tués après leur capture, alors qu’ils se trouvaient sous la responsabilité de la police, de l’armée et des Imbonerakure, que l’on voyait également sur les images.
Les Imbonerakure ont tué plusieurs membres de partis d’opposition pendant la période électorale. Par ailleurs, des membres du CNL et du CNDD-FDD ont trouvé la mort lors de violents affrontements entre ces partis. Richard Havyarimana, membre du CNL, a été enlevé en mai dans la province de Mwaro et son corps a été retrouvé trois jours plus tard. Deux membres des Imbonerakure ont été déclarés coupables de cet homicide, fait rare puisque ces crimes demeurent généralement impunis. En août, ils ont été condamnés à purger une peine de 15 ans d’emprisonnement et à verser des dommages et intérêts d’un montant de 10 millions de francs burundais (5 200 dollars des États-Unis) à la famille de la victime.
Violences fondées sur le genre
Les Imbonerakure et d’autres acteurs ont utilisé les violences sexuelles comme moyen d’intimidation et châtiment à l’encontre de personnes considérées comme des opposant·e·s politiques. Dans son rapport de 2020, la Commission d’enquête sur le Burundi [ONU] a signalé des violences sexuelles infligées depuis 2015 non seulement à des femmes et des filles mais aussi à des hommes et des garçons, alors que ces personnes étaient détenues dans des locaux du Service national de renseignement (SNR). Des agents du SNR ont fait subir à des hommes détenus des actes de torture et d’autres mauvais traitements ciblant les parties génitales, notamment des viols. Ils ont également forcé des hommes à avoir des relations sexuelles avec d’autres personnes détenues, hommes ou femmes, et les ont contraints à la nudité et à d’autres formes d’humiliation. Des femmes ont été victimes de viols ou d’autres violences sexuelles.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Tout au long de l’année, la Commission vérité et réconciliation (CVR) a exhumé, lors d’opérations fortement médiatisées, des corps ensevelis dans des fosses communes liées à des atrocités commises par le passé. Les exhumations ont porté en priorité sur des charniers liés aux massacres de 1972, qui avaient ciblé principalement des Hutus. Cette stratégie, combinée aux déclarations de certains représentant·e·s de l’État, a favorisé les clivages, et beaucoup ont estimé qu’il s’agissait d’une tentative d’imposer un discours unique. Les exhumations ont été effectuées au mépris de la préservation de précieux éléments de preuve et les restes humains mis au jour n’ont pas été entreposés dans des conditions dignes5.
1 « Burundi. La confirmation de la condamnation de quatre journalistes porte un coup à la liberté de la presse » (communiqué de presse, 5 juin)
2 Burundi. Il faut libérer un opposant politique très critique à l’égard du pouvoir (AFR 16/3230/2020)
3 Burundi. Donner la priorité aux droits humains en période électorale (AFR 16/2214/2020)
4 « Burundi. Les ONG ne doivent pas être contraintes à divulguer l’appartenance ethnique de leur personnel » (communiqué de presse, 27 février)
5 Burundi. Priorités pour le nouveau gouvernement en matière de droits humains (AFR 16/2777/2020)