Des groupes armés et les forces de sécurité ont commis des crimes de droit international en toute impunité. La police a fait usage d’une force excessive, notamment contre des manifestant·e·s. Des militant·e·s et des représentants de l’État liés au gouvernement précédent ont été arrêtés et détenus arbitrairement. Les autorités n’ont pas suffisamment agi pour protéger les femmes et les filles des mutilations génitales féminines. Des personnes faisaient l’objet de discriminations en raison de leur statut social présumé. Le conflit en cours et la pandémie de COVID-19 ont gravement nui aux droits à la santé et à l’éducation.
Contexte de la situation des droits humains au Mali
Les élections législatives tenues entre mars et avril ont provoqué une crise politique. En juin, une coalition de groupes d’opposition et de dignitaires religieux a créé le Mouvement du 5 juin, qui contestait les résultats du scrutin et réclamait la démission du président de la République. En août, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a destitué le président et son gouvernement par un coup d’État. Un gouvernement de transition a été constitué en octobre. La situation sur le plan de la sécurité demeurait précaire compte tenu du conflit en cours, en particulier dans les régions centrales où opéraient différents groupes armés, notamment le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et des « milices d’autodéfense » autoproclamées.
Exactions perpétrées par des groupes armés
Des groupes armés ont commis des crimes de guerre et d’autres exactions, se rendant coupables notamment de dizaines d’attaques contre la population civile. Selon la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), un groupe de Dozos (chasseurs traditionnels) a attaqué le village de Sinda en janvier, tuant 14 civil·e·s. En février, un groupe armé du nom de Dan Na Ambassagou a attaqué le village d’Ogossagou, faisant au moins 35 morts et trois blessés dans la population civile. En outre, le sort de 19 personnes disparues était toujours inconnu à la fin de l’année. En juillet, des hommes armés appartenant, semble-t-il, au GSIM ont attaqué plusieurs villages des communes de Tori et de Diallassagou, tuant au moins 32 civils. Des groupes armés ont également pris pour cible la MINUSMA. Entre janvier et septembre, deux employés des Nations unies avaient été tués et 40 autres, blessés.
Entre septembre et la fin de l’année, des groupes armés ont assiégé le village de Farabougou, dans la région de Ségou, empêchant les villageoises et les villageois de se rendre sur leurs terres agricoles et de se déplacer librement.
Enlèvements
Au moins trois candidats ont été enlevés alors qu’ils faisaient campagne pendant les élections législatives. Ils ont tous été relâchés. Le 25 mars, Soumaïla Cissé, chef de l’opposition, et cinq membres de son équipe de campagne ont été enlevés par le GSIM à Niafounké, dans la région de Tombouctou. Son garde du corps a été tué pendant l’enlèvement. Si toute l’équipe de campagne a été relâchée dans les jours qui ont suivi, Soumaïla Cissé n’a recouvré la liberté que le 8 octobre, en même temps qu’une otage française et deux otages italiens.
Exécutions extrajudiciaires
L’armée malienne a commis des crimes de guerre et d’autres violations des droits humains à l’encontre de la population civile au cours de ses opérations.
Entre le 3 février et le 10 mars, au moins 23 civils ont été tués par des militaires dans le cercle de Niono (région de Ségou) et au moins 27 autres ont été victimes d’une disparition forcée.
Selon la MINUSMA, des membres de la Garde nationale ont tué 43 personnes parmi la population civile en juin, à la suite d’une patrouille effectuée conjointement avec un groupe de Dozos, dans les villages de Binédama et de Yangassadiou. L’armée a reconnu publiquement ces homicides et, en dépit de la promesse qu’une enquête serait ouverte, aucune nouvelle information n’avait été rendue publique à la fin de l’année.
Recours excessif à la force
Pour disperser des manifestations, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive, et notamment meurtrière, en toute illégalité.
Un arrêt de la Cour constitutionnelle validant 31 résultats contestés à l’issue du scrutin a suscité des mouvements de protestation sur tout le territoire. Le 7 mai, à Sikasso, les forces de sécurité ont tiré à munitions réelles pour disperser des manifestations. Cinq manifestants ont été blessés et un a succombé à ses blessures.
Le 11 mai, un motocycliste de 17 ans a été tué à Kayes, lors de son arrestation par un policier qui n’était pas en service. Cet homicide a déclenché des manifestations dans la ville le lendemain, au cours desquelles la police a abattu deux personnes, dont un garçon de 12 ans.
Entre le 10 et le 12 juillet, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestant·e·s à Bamako, la capitale ; ceux-ci occupaient des bâtiments publics et avaient dressé des barricades pour réclamer la démission du président de la République. Quatorze d’entre eux ont été tués par balle et des centaines d’autres ont été blessés. En août, l’État a annoncé l’ouverture d’une enquête sur ces homicides.
Arrestations et détentions arbitraires
Le 9 mai, alors qu’il circulait en voiture à Banconi, un quartier de Bamako, Clément Dembelé, un militant anticorruption, a été enlevé par huit agents encagoulés des services de renseignement. Il avait appelé les forces de sécurité à cesser de recourir à la violence face aux manifestant·e·s à Sikasso. Il a été détenu au secret pendant 12 jours par les services de renseignement. Libéré le 21 mai, il a été inculpé d’« incitation adressée aux forces armées et de sécurité dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs ». Le 29 septembre, il a été acquitté de toutes ces charges.
À la suite du coup d’État d’août, plusieurs hauts représentants de l’État et officiers de l’armée, dont le président de la République, le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale qui étaient en exercice à l’époque, ont été détenus illégalement sans inculpation. Le président déchu Ibrahim Boubacar Keïta a été maintenu 10 jours en détention avant d’être autorisé à se rendre à l’étranger pour raisons médicales à la fin du mois d’août. Les autres personnes arrêtées ont été libérées en octobre sans avoir été inculpées.
Droit à la santé
En juin, des organisations humanitaires estimaient que 23 % des centres de santé maliens n’étaient pas opérationnels ou ne l’étaient que partiellement du fait de restrictions budgétaires, ainsi que des répercussions de la pandémie de COVID-19 et du conflit sur les services publics. Les Nations unies ont recensé environ 287 496 personnes déplacées et 42 780 personnes réfugiées. Le droit à la santé de ces personnes était considérablement restreint.
Droit à l’éducation
Des enfants étaient privés de leur droit à l’éducation en raison des activités de groupes armés, en particulier dans le centre du Mali. À cela se sont ajoutés 12 mois de grève du personnel enseignant, qui protestait contre le fait que l’État soit revenu sur l’accord relatif à la revalorisation de leur salaire. Selon l’UNICEF, 1 261 écoles étaient fermées en mars en raison de la menace constante que représentaient les groupes armés ; 370 000 élèves et 7 500 enseignant·e·s étaient concernés.
Discrimination
La discrimination fondée sur la caste ou le statut social demeurait courante et entraînait souvent des violences. En juin 2018, le chef du village de Diandioumé, dans la région de Kayes, avait expulsé une famille de ses terres agricoles car il la considérait comme ayant un statut social inférieur. En septembre, après que la justice eut confirmé la légitimité des droits fonciers de cette famille, quatre hommes opposés à la discrimination que celle-ci avait subie ont été battus à mort par un groupe de villageois·es et trois autres personnes, dont une femme de 80 ans, ont été grièvement blessées. Les autorités ont arrêté 11 personnes soupçonnées d’être impliquées dans ces homicides. La procédure judiciaire était en cours à la fin de l’année.
Violences faites aux femmes et aux filles
En juin, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a pointé du doigt le fait que les pouvoirs publics n’avaient pas érigé les mutilations génitales féminines en infraction, ce qui, selon lui, permettait aux auteurs de ces faits de bafouer les droits des femmes en toute impunité. Un projet de loi visant l’interdiction de ces pratiques a été présenté en 2017, mais n’a pas encore été adopté.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
En janvier, la cour d’assises de Bamako a ordonné la libération à titre provisoire d’Amadou Haya Sanogo, ancien dirigeant d’une junte militaire, et de 17 de ses coaccusés. Ces hommes avaient été inculpés en décembre 2013 d’enlèvement, d’assassinat et de complicité d’assassinat dans une affaire relative à l’homicide de 21 militaires. Ils avaient passé plus de six ans en détention provisoire à Sélingué, soit trois ans de plus que la durée maximale autorisée par le droit malien. Leur procès, qui s’était ouvert en 2016, a été ajourné en janvier 2020 et n’avait toujours pas repris à la fin de l’année.
Le procès d’Al Hasan ag Abdoul Aziz ag Mohamed devant la CPI a débuté en juillet. Cet homme était accusé d’avoir commis des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre à Tombouctou lorsqu’il appartenait à Ansar Dine, le groupe armé qui contrôlait la ville pendant l’occupation du nord du Mali par des groupes islamistes entre 2012 et 2013.
Au moins 18 membres de groupes armés ont été déclarés coupables d’infractions en lien avec le terrorisme par la cour d’assises de Bamako. Trois hommes ont notamment été condamnés à mort pour avoir participé à l’attentat mené en 2015 contre l’hôtel Radisson Blu (l’un d’entre eux a toutefois été remis en liberté par la suite, dans le cadre d’un échange de prisonniers). Quinze autres hommes ont été reconnus coupables de « terrorisme, détention d’armes de guerre, et assassinats », et condamnés à la peine capitale en novembre. Cependant, la majorité des crimes de guerre et des autres graves atteintes aux droits humains perpétrés à l’encontre de la population civile au cours du conflit demeuraient impunis.