Niger - Rapport annuel 2020

carte Niger rapport annuel amnesty

République du Niger
Chef de l’État : Mahamadou Issoufou
Chef du gouvernement : Brigi Rafini

Les violations des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ont été récurrentes ; des membres de la société civile et des journalistes qui avaient critiqué les politiques gouvernementales ont été pris pour cible. Une nouvelle loi permettait désormais aux autorités d’intercepter des communications électroniques, en dehors de tout contrôle par une instance indépendante. Des groupes armés se sont rendus coupables d’atteintes aux droits humains à l’encontre de la population. Au moins 72 personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires et des dizaines d’autres de disparitions forcées aux mains de l’armée dans la région de Tillabéri.

Contexte de la situation des droits humains au Niger

Les élections présidentielle et législatives se sont tenues en décembre. Le Conseil national de dialogue politique (CNDP) a accédé aux demandes de l’opposition en fixant les élections locales à décembre. Cependant, des divergences d’opinions persistaient au sujet de la composition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et de l’inscription sur les listes électorales des Nigérien·ne·s vivant à l’étranger.

En février, les résultats d’un audit du ministère de la Défense portant sur des contrats publics ont été révélés officieusement ; ils faisaient état de détournements de fonds affectés à la défense au sein de ce ministère. Face à ces révélations, des membres de l’opposition et de la société civile ont réclamé que les personnes soupçonnées dans cette affaire soient amenées à rendre des comptes.

Les pouvoirs publics ont déclaré l’état d’urgence le 27 mars en raison de la pandémie de COVID-19. Le 30 mars, les autorités ont libéré 1 540 détenu·e·s afin de réduire la surpopulation carcérale et, partant, le risque d’infection par le coronavirus. Parmi les personnes libérées figurait Hama Amadou, un dirigeant de l’opposition.

Liberté d’expression

Des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s de la société civile ont été arrêtés après avoir réclamé que le gouvernement rende des comptes à propos de l’audit du ministère de la Défense ou avoir critiqué les mesures prises par les pouvoirs publics pour endiguer la propagation du COVID-19. Les autorités se sont appuyées sur la Loi de 2019 portant répression de la cybercriminalité pour arrêter des personnes qui n’avaient fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression.

En mars, la police a arrêté le journaliste Mamane Kaka Touda pour « diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public » parce qu’il avait publié sur Facebook un message alertant sur une suspicion de cas de COVID-19 à l’hôpital général de Niamey, la capitale. Le même mois, cet homme a été déclaré coupable par un tribunal de la ville et condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis. En avril, les mêmes charges ont été retenues contre Mahaman Lawali Mahaman Nassourou, un membre du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB). Cet homme avait diffusé sur WhatsApp un message émanant d’une organisation religieuse qui dénonçait la fermeture des lieux de cultes du fait de la pandémie de COVID-19. Il a été détenu pendant un mois, avant d’être libéré à titre provisoire le 25 mai.

Toujours en avril, Ali Idrissa, coordinateur du ROTAB, a été arrêté pour diffamation et « diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public », après avoir publié sur Facebook un message concernant l’implication de militaires dans le détournement présumé de fonds affectés à la défense. Il a été remis en liberté sans inculpation au bout de cinq jours.

En juin, Samira Sabou a fait l’objet des mêmes accusations parce que le fils du président s’était plaint d’un commentaire qu’une tierce personne avait écrit à son sujet sur la page Facebook de cette journaliste ; ce message évoquait son rôle dans les détournements de fonds présumés. En juillet, le tribunal de grande instance hors classe de Niamey a relaxé Samira Sabou, qui a été libérée après 48 jours de détention.

Surveillance de masse

En mai, l’Assemblée nationale a adopté une loi portant sur l’interception de certaines communications émises par voie électronique, en vertu de laquelle l’État pouvait désormais intercepter des communications électroniques aux fins de la sécurité nationale. Ce texte constituait une grave menace pour les droits à la vie privée et à la liberté d’expression. En effet, il ne prévoyait pas que les demandes de surveillance soient soumises à l’approbation d’une autorité indépendante ni qu’un organe supervise de manière appropriée les interceptions.

Liberté de réunion

Le 13 mars, l’État a interdit tous les rassemblements de plus d’un millier de personnes afin d’endiguer la propagation de l’épidémie de COVID-19. Le 15 mars, les forces de sécurité ont réprimé avec violence une manifestation organisée à Niamey par des groupes de la société civile. Ceux-ci demandaient qu’une enquête soit ouverte sur l’audit qui avait révélé des détournements de fonds au ministère de la Défense. Les forces de sécurité ont empêché les manifestant·e·s d’accéder au lieu où la manifestation devait se tenir et ont utilisé du gaz lacrymogène pour les disperser, mettant ainsi le feu au marché Tagabati. Cet incendie a causé la mort de trois personnes.

Six des organisateurs ont été arrêtés dans les jours qui ont suivi sur la base d’accusations forgées de toutes pièces, notamment pour complicité de dégradation de biens publics, d’incendie volontaire et d’homicide involontaire. Le 1er mai, trois d’entre eux, Moussa Tchangari, secrétaire général d’Alternative Espaces Citoyens, Habibou Soumaila, membre de Tournons la page Niger (TLP Niger), et Sani Chékaraou, président du Syndicat des commerçants importateurs, exportateurs et grossistes du Niger (SCIEGN) à Niamey, ont été libérés à titre provisoire. Le 29 septembre, les trois derniers, Maikoul Zodi, coordinateur de TLP Niger, Halidou Mounkaila, du Syndicat national des agents contractuels et fonctionnaires de l’éducation de base (SYNACEB), et le journaliste Moudi Moussa ont également bénéficié d’une libération provisoire.

Droits des femmes et des filles

Le Niger n’a pas mis en pratique les observations finales formulées en 2019 par le Comité des droits de l’homme [ONU], dans lesquelles celui-ci recommandait de modifier la législation de sorte que les femmes et les filles puissent accéder à l’avortement en toute sécurité. L’avortement demeurait une infraction au Niger et n’était autorisé que lorsque la vie de la femme enceinte était en danger.

Personnes réfugiées ou demandeuses d’asile

En janvier, le tribunal de grande instance d’Agadez a jugé illégaux les sit-in tenus par des demandeurs et demandeuses d’asile devant les locaux du HCR. Ces personnes entendaient protester contre les conditions de vie dans le camp de réfugié·e·s du HCR et les retards dans les procédures de réinstallation. À la suite de cette décision de justice, la police a dispersé violemment les sit-in, contraignant les protestataires à retourner dans le camp du HCR, où certains se sont livrés à des dégradations. La police a alors arrêté 336 demandeurs et demandeuses d’asile, qui ont été inculpés de « rébellion en bande organisée » et d’« incendie volontaire ». Le 10 février, 111 de ces personnes, dont une femme, ont été reconnus coupables par le tribunal de grande instance d’Agadez. Condamnées à des peines de six à 12 mois d’emprisonnement avec sursis, elles ont été remises en liberté.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Les attaques armées se sont poursuivies. L’état d’urgence a été maintenu dans plusieurs départements des régions de Diffa, de Tahoua et de Tillabéri, puis étendu aux départements de Kollo et de Balléyara (région de Tillabéri) dans le courant de l’année.

Plusieurs groupes armés, dont l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), ont commis des atteintes aux droits humains, notamment des enlèvements et des homicides illégaux.

Le 9 mai, des tireurs non identifiés ont tué 20 hommes dans les villages de Gadabo, Zibane-Koira et Zibane-Tegui, dans la région de Tillabéri.

Le 25 juin, 10 travailleurs humanitaires de l’ONG Action et programme d’impact au Sahel (APIS) ont été enlevés par des hommes armés à Bossey Bangou, dans la région de Tillabéri, alors qu’ils distribuaient de la nourriture à la population. Le 9 août, huit personnes, dont sept employé·e·s d’organisations humanitaires, qui visitaient la réserve de girafes de Kouré (région de Tillabéri) ont été tuées par des membres de l’EIGS.

Disparitions forcées

Entre le 27 mars et le 3 avril, au moins 115 hommes ont été victimes de disparitions forcées orchestrées par des militaires déployés dans la région de Tillabéri dans le cadre de l’opération Almahou. Les autorités ont nié toute responsabilité de l’armée dans ces faits.

La Commission nationale des droits humains a publié le 4 septembre son rapport sur ces disparitions forcées. Elle a conclu que l’armée en était responsable et que 72 des disparus avaient été exécutés de façon extrajudiciaire par les soldats, et leurs corps enterrés dans au moins six fosses communes. On ignorait toujours à la fin de l’année ce qu’il était advenu des autres disparus.

Droit à la santé et conditions de travail du personnel soignant

Les autorités n’ont pas fourni les équipements de protection individuelle nécessaires au personnel soignant qui traitait les cas de COVID-19. Elles ont néanmoins annoncé le recrutement de 1 500 professionnel·le·s de la santé, déployés à partir de juillet.

Par ailleurs, l’interdiction de circuler qui s’appliquait aux motos et aux cyclomoteurs en vertu de l’état d’urgence en vigueur dans plusieurs départements rendait les centres de santé plus difficiles d’accès pour la population.

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