Des milliers de personnes fuyant les combats ont cherché refuge dans les pays voisins. Les affrontements entre groupes ethniques, clans et sous-clans se sont multipliés dans tout le pays. Des accrochages ont continué de se produire de manière sporadique entre les parties au conflit armé, essentiellement dans le Sud. Toutes les parties au conflit se sont rendues responsables de graves atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains, n’hésitant pas à tuer des civil·e·s, à enrôler et à utiliser des enfants et à se livrer à des actes de violence sexuelle. L’impunité pour les atteintes aux droits humains restait la norme. Les forces de sécurité ont continué d’arrêter et de placer en détention de façon arbitraire des opposant·e·s au gouvernement, réels ou perçus comme tels, ainsi que d’autres personnes critiques à l’égard des autorités. Le gouvernement ne s’acquittait toujours pas de l’obligation qui était la sienne de respecter et de garantir le droit à la santé.
Contexte de la situation des droits humains au Soudan du Sud
Les parties à l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit au Soudan du Sud conclu en 2018 n’avaient toujours pas mis en place un nouveau Parlement à la fin de l’année, ce qui retardait l’adoption de mesures législatives essentielles. Elles n’étaient pas non plus parvenues à modifier certaines lois importantes, comme la Loi de 2014 relative au Service national de la sûreté. Les tentatives de réforme des forces de sécurité n’ont pas abouti, notamment parce que le Service national de sûreté (NSS), le corps le mieux équipé du pays et l’un des principaux acteurs de la répression, en a été exclu. Les différentes parties en présence ont entamé en février la formation d’un gouvernement d’union nationale de transition dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord revitalisé. Toutefois, ce gouvernement ne respectait pas le quota de 35 % de femmes que prévoyait l’accord.
En mars, alors que les pays voisins confirmaient la présence de cas de COVID-19 sur leur territoire, le gouvernement a décrété un couvre-feu et une limitation des déplacements, interdisant les rassemblements et fermant les établissements scolaires.
De nouvelles importations d’armes légères et de munitions ont été révélées en avril. Ces importations violaient l’embargo sur les armes décrété en 2018 par le Conseil de sécurité des Nations unies et prolongé d’un an au mois de mai 2020.
Chargée du maintien de la paix, la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) a commencé en septembre à se retirer de trois de ses sites de protection des civil·e·s, qui accueillaient plus de 40 000 personnes déplacées depuis le début du conflit en 2013.
En octobre, le gouvernement et plusieurs groupes armés non signataires de l’accord de paix de 2018 ont repris les négociations qui avaient été mises en veille, notamment en raison de la pandémie.
Droits des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile
Selon l’ONU, le conflit armé a entraîné le déplacement de plus de 38 100 civil·e·s supplémentaires en 2020, dont au moins 17 000 se sont réfugiés en Éthiopie, en Ouganda et au Soudan. Des centaines de personnes qui cherchaient à gagner l’Ouganda étaient bloquées dans des camps de fortune, le long de la frontière, fermée par les autorités ougandaises du 20 mars au 1er octobre en raison d’une vague de COVID-19 (voir Ouganda). Hébergées dans des conditions précaires, ces personnes manquaient de nourriture, de soins médicaux et d’eau potable1. D’après l’ONU, quelque 110 000 réfugié·e·s sont retournés au Soudan du Sud.
Conflit et violences armées
Les affrontements entre groupes ethniques, clans et sous-clans, s’accompagnant notamment de vols de bétail, se sont multipliés dans tout le pays, impliquant semble-t-il des membres de groupes armés et des forces régulières. Selon la Commission des Nations unies sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, des armes ont été fournies par des acteurs étatiques.
D’après un rapport du secrétaire général des Nations unies paru en juin, les combats auraient fait au moins 600 morts et 450 blessés. Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et vivaient désormais dans des conditions précaires, manquant d’eau, de nourriture et de soins médicaux. Le président de la République a nommé en juin une commission de haut niveau chargée d’enquêter sur la situation sécuritaire dans l’État de Jonglei et la zone administrative du Grand Pibor, et de trouver des solutions pour contenir la violence.
Homicides illégaux
Les différentes parties au conflit ont continué de s’affronter, en particulier dans le sud du pays. Des soldats ont commis de graves violations des droits humains, dont certaines constituaient des crimes de guerre. Ils ont tué des civil·e·s, se sont livrés à des actes de violence sexuelle et à des pillages, ont incendié des villages et ont détruit des biens et des bâtiments. De nombreux villages ont ainsi été rendus inhabitables et les personnes déplacées par les combats n’ont pas pu rentrer chez elles2.
Droits des enfants
Le gouvernement a fermé les établissements scolaires en mars afin d’enrayer la propagation du COVID-19. Ceux-ci n’ont commencé à rouvrir qu’au mois d’octobre. Plus de deux millions d’enfants se sont ainsi vus privés d’accès à l’éducation et aux programmes alimentaires et sanitaires gérés par le système scolaire. Selon les Nations unies, ces jeunes sont venus s’ajouter aux quelque 2,4 millions d’enfants non scolarisés avant l’apparition de la pandémie.
Entre décembre 2019 et décembre 2020, l’Équipe spéciale de surveillance et d’information sur le sort des enfants dans le cadre du conflit armé au Soudan du Sud [ONU] a recensé 133 atteintes graves commises contre des enfants par des groupes armés et par les forces de sécurité régulières. Ces atteintes prenaient notamment la forme d’un recrutement forcé de mineur·e·s, utilisés ensuite comme soldats ou pour des tâches de soutien (portage, cuisine, espionnage, etc.). L’Équipe spéciale a également signalé des meurtres, des actes de mutilation, des enlèvements et des viols commis sur des enfants. Au moins 28 enfants ont été tués et deux mutilés par l’explosion d’engins abandonnés dans des zones de guerre. Les combats entre groupes ethniques dans l’État de Jonglei auraient fait selon l’ONU au moins 16 morts et neuf blessés parmi les enfants. Au moins 194 mineur·e·s auraient été enlevés.
Enfants soldats
La présence d’enfants soldats dans les rangs de plusieurs groupes d’opposition armés et de la garde présidentielle a été signalée tout au long de l’année3. Le gouvernement a signé en février avec l’ONU un Plan d’action global visant à faire cesser et à prévenir toutes les violations graves contre les enfants. Plusieurs groupes d’opposition se sont engagés à appliquer ce plan. L’Équipe spéciale de l’ONU a contribué entre février et mai à la libération de 57 enfants retenus par des groupes armés et par les forces de sécurité gouvernementales.
Violences fondées sur le genre
Entre décembre 2019 et décembre 2020, la MINUSS a recensé 79 cas de violences sexuelles liés au conflit, dont des viols, y compris en réunion, des cas d’esclavage sexuel et des cas de nudité forcée. Les responsables de ces agissements appartenaient aussi bien aux forces régulières qu’à des groupes armés et à des milices communautaires.
Selon les chiffres de l’ONU, les violences intercommunautaires dans l’État de Jonglei se sont traduites par au moins 74 meurtres de femmes. Neuf autres au moins ont été blessées et 224 enlevées. Dans l’État d’Équatoria-Occidental, le principal groupe d’opposition a relâché en janvier 47 femmes et 26 enfants, dont 12 fillettes.
Les violences liées au genre étaient également très fréquentes en dehors du conflit. Radio Eye a ainsi révélé en mai que trois hommes avaient enlevé une fillette âgée de huit ans à son domicile, à Djouba, la capitale du pays, après avoir menacé sa mère avec une arme à feu. Ils ont ensuite violé l’enfant à tour de rôle, pour finalement l’abandonner, sans connaissance, devant chez elle. Selon l’ONG Save the Children, la fermeture des établissements scolaires en mars aurait été suivie d’une augmentation des violences à l’égard des filles et des grossesses chez les adolescentes. La presse a rapporté en juillet que, dans le comté de Cueibet (État des Lacs), deux jeunes filles, dont une de 15 ans, avaient été battues à mort par des hommes de leurs familles respectives, en lien avec des grossesses désapprouvées par leurs proches. Une haute cour a été saisie de l’affaire concernant la jeune fille de 15 ans et les quatre suspects se trouvaient en détention provisoire.
Les mariages précoces et forcés étaient monnaie courante. Ils étaient préjudiciables pour la santé sexuelle et reproductive des femmes et des filles. La presse a indiqué en juillet que, dans la ville d’Aweil, un membre des forces armées régulières avait tué une jeune femme de 19 ans parce qu’elle avait refusé de l’épouser. En septembre, le meurtrier a été condamné à mort par la haute cour d’Aweil et transféré à la prison centrale de Wau. Selon le Fonds des Nations unies pour la population, près de la moitié des femmes de 18 ans étaient déjà mariées.
En mars, la police a mis en place une commission nationale chargée de veiller à l’application de son plan de lutte contre les violences sexuelles.
Impunité
Plusieurs procès pour violences sexuelles ont eu lieu, mais l’impunité restait la norme pour les auteurs de crimes relevant du droit international, et les victimes ne bénéficiaient généralement ni de réparations, ni de soins ni d’assistance psychologique.
Le président de la République a nommé en juin à la tête de l’État d’Équatoria-Occidental un ancien chef militaire d’opposition soupçonné par l’ONU d’être responsable de très nombreuses violences sexuelles commises dans le cadre du conflit. Également au mois de juin, les tribunaux civils de Kuacjok et de Wau ont, selon l’ONU, reconnu un militaire et un policier coupables de « violences sexuelles commises sur des enfants dans le cadre du conflit ». Les deux hommes ont été condamnés à des peines de cinq à 10 ans d’emprisonnement et à indemniser les familles. En septembre, une cour martiale spéciale mise en place par les forces armées a reconnu plusieurs militaires coupables de 11 viols, dont deux en réunion – bien que cette affaire ne relève pas de la compétence des tribunaux militaires.
Selon le Programme des Nations unies pour le développement, entre octobre 2019 et octobre 2020, un tribunal mis en place pour juger les auteurs de violences sexuelles et liées au genre, ainsi que les affaires impliquant des mineur·e·s, a rendu 13 décisions sur 369 affaires lui ayant été soumises. Il a prononcé un non-lieu et 12 condamnations. Parmi les affaires jugées figuraient trois cas de viol mettant en cause des militaires des forces régulières et un quatrième viol dont était accusé un agent du NSS, tous perpétrés en dehors du cadre du conflit.
Le gouvernement n’a manifestement rien fait pour mettre en place la commission vérité, réconciliation et guérison, l’autorité chargée des réparations et de l’indemnisation des victimes et le tribunal hybride pour le Soudan du Sud prévus par les accords de paix de 2015 et de 2018. Le tribunal hybride était censé, avec le soutien de l’Union africaine, enquêter et conduire des procédures judiciaires sur les crimes de droit international et d’autres infractions graves commises depuis décembre 2013.
Arrestations et détentions arbitraires
Le NSS et la Direction du renseignement militaire ont cette année encore arrêté de façon arbitraire des opposant·e·s au gouvernement, réels ou présumés, ainsi que d’autres personnes critiques à l’égard des autorités, dont des journalistes et des membres de la société civile. Les personnes arrêtées étaient ensuite placées en détention arbitraire pendant de longues périodes, dans des conditions très dures, sans inculpation et sans la moindre perspective de procès. Elles n’avaient pas le droit de contester devant un tribunal la mesure de détention qui les frappait4. Les responsables présumés de ces violations des droits fondamentaux agissaient en toute impunité.
Kanybil Noon, représentant de la société civile siégeant au sein du Conseil stratégique de révision des questions de défense et de sécurité, organe créé aux termes de l’accord de paix de 2018, a été arrêté le 29 mai et placé en détention de manière arbitraire dans le principal centre de détention de Djouba, surnommé la « Maison bleue ». Il a pu s’entretenir avec un avocat en juin et celui-ci a déposé à la fin du mois un recours devant la haute cour de Djouba, demandant que le détenu soit présenté à un tribunal ou libéré sans conditions. Kanybil Noon avait des problèmes de santé et il n’a pas reçu de soins médicaux pendant sa détention. Il a finalement été remis en liberté le 22 septembre, sans avoir été inculpé.
Un journaliste a été brièvement détenu le 1er mai, alors qu’il couvrait l’irruption de motards dans un commissariat pour protester contre le harcèlement dont ils se disaient l’objet de la part de la police au nom des restrictions liées au COVID-19.
Recours excessif à la force
Le 3 juin, dans le quartier de Shirkat, à Djouba, les forces de sécurité ont tiré sur des manifestant·e·s non armés, blessant au moins deux personnes. Ce mouvement de protestation avait éclaté après que des soldats eurent tué illégalement quatre personnes, dont une femme enceinte et un homme âgé, lors d’une confrontation suscitée par un conflit foncier impliquant un proche du chef de l’État, décédé des suites de ses blessures le soir même. Au moins 14 manifestant·e·s ont été arrêtés et placés illégalement en détention à la prison centrale de Djouba. Libérées au mois de novembre, ces personnes restaient toutefois inculpées de troubles à l’ordre public et d’atteinte aux intérêts collectifs.
Peine de mort
Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort et les autorités ont procédé à des exécutions. Une cour d’appel a annulé le 14 juillet la condamnation à mort prononcée contre Magai Matiop Ngong, au motif qu’il était mineur en 2017, au moment des faits qui lui étaient reprochés. Elle a ordonné le renvoi de l’affaire devant la haute cour, invitée à le condamner à une peine appropriée. Le jeune homme a quitté le quartier des condamné·e·s à mort le 29 juillet et a été placé en détention provisoire à la prison centrale de Djouba en attendant que la Cour suprême, saisie par la famille de l’homme qu’il avait tué, se prononce sur l’affaire.
Droit à la santé
Le droit à la santé restait gravement menacé. Les établissements publics de santé souffraient d’un manque de moyens. Selon l’ONU, 56 % de la population n’avaient pas accès à des services de santé élémentaires. Le secteur public de la santé était sous-financé et ne représentait que 2,8 % du budget national (soit environ 14 millions de dollars des États-Unis). Le pays manquait de matériel pour soigner les malades du COVID-19 (respirateurs, par exemple) et d’équipements de protection individuelle pour le personnel de santé. Selon la presse, lorsque la pandémie a atteint le Soudan du Sud au mois d’avril, celui-ci ne disposait que de quatre respirateurs pour une population estimée à 11 millions d’habitant·e·s.
Le syndrome de stress post-traumatique était très répandu dans la population, mais rares étaient les personnes qui pouvaient bénéficier de soins de santé mentale et d’une assistance psychologique. Les personnes souffrant de problèmes mentaux étaient par conséquent généralement envoyées en prison.
Personnel soignant
Les autorités n’ont pas protégé le personnel soignant pendant la pandémie de COVID-19. Celui-ci ne disposait pas de suffisamment d’équipements de protection individuelle et s’est retrouvé très largement surchargé de travail. Les médecins rémunérés par l’État n’ont pas perçu leur salaire entre février et mai. Ils ne bénéficiaient ni d’avantages sociaux ni de couverture médicale. À la suite d’un mouvement de grève de 24 heures organisé en mai, l’État a finalement proposé aux médecins la somme forfaitaire de 10 000 livres sud-soudanaises (40 dollars des États-Unis) pour couvrir une partie des arriérés de salaires. Des médecins qui avaient refusé l’offre des autorités ont été menacés de licenciement5.
Privation d’aide humanitaire
La crise humanitaire a été aggravée par les violences intercommunautaires, la pandémie du COVID-19 et les inondations qui ont touché la moitié du territoire national. On estimait à près de 1,7 million le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays et à 6 millions, soit plus de la moitié de la population, le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants confrontés à une insécurité alimentaire aiguë. Des millions de personnes n’avaient qu’un accès limité, voire aucun accès, à l’eau potable, à des installations d’assainissement, à des services de santé satisfaisants et aux prestations associées.
Cette situation de crise a été accentuée par les attaques dont ont été victimes des employé·e·s d’organisations d’aide humanitaire entre janvier et novembre. Ces attaques ont fait neuf morts. Les organisations humanitaires ont signalé 459 cas d’entrave à la distribution d’aide humanitaire. Les employé·e·s de ces organisations étaient fréquemment attaqués et dévalisés.
1« Afrique de l’Est. Trente-neuf organisations appellent les gouvernements de la région à garantir l’accès aux personnes demandeuses d’asile pendant la pandémie de COVID-19 » (communiqué de presse, 22 juin)
2« Soudan du Sud. L’embargo des Nations unies sur les armes doit être maintenu compte tenu de la recrudescence de violences contre des civil·e·s en 2020 » (communiqué de presse, 30 novembre)
3Systematic harassment of civil society, journalists, private sector and critics by South Sudan’s intelligence agency (AFR 65/2727/2020)
4Soudan du Sud. L’obligation de rendre des comptes est cruciale pour mettre fin aux graves violations des droits humains (AFR 65/3105/2020)
5Exposé, réduit au silence, agressé. Le personnel de santé et des autres secteurs essentiels confronté à un manque de protection criant en pleine pandémie de COVID-19 (POL 40/2572/2020)