Soudan - Rapport annuel 2020

carte Soudan rapport annuel amnesty

République du Soudan
Chef de l’État : Abdel Fattah al Burhan
Chef du gouvernement : Abdalla Hamdok

Un certain nombre de réformes législatives allant dans le bon sens ont été mises en place. Certaines formes de châtiment corporel ont notamment été abolies et les mutilations génitales féminines ont été érigées en infraction. Les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive et parfois meurtrière contre des manifestant·e·s. Des militant·e·s d’opposition et d’anciens responsables du gouvernement déchu d’Omar el Béchir ont été soumis à une détention arbitraire prolongée. Des millions de personnes avaient besoin d’aide humanitaire à la suite des mesures de confinement adoptées pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Les autorités n’ont pas suffisamment assuré la protection des populations civiles du Darfour, du Kordofan du Sud et de l’est du pays face aux graves atteintes aux droits humains perpétrées par des milices.

Contexte de la situation des droits humains au Soudan

Un an après la chute du président Omar el Béchir en 2019, le gouvernement de transition avait toujours beaucoup de mal à se défaire de l’héritage de l’ancien régime, caractérisé par la corruption, une économie en crise, des atteintes aux droits fondamentaux et une absence de justice et de respect de l’obligation de rendre des comptes.

Face à la pandémie de COVID-19, les autorités ont décrété en mars l’état d’urgence sanitaire dans tout le pays. Elles ont adopté un certain nombre de mesures, instaurant notamment un couvre-feu, limitant les déplacements et fermant les frontières.

Un accord de paix a été signé au mois d’août entre le gouvernement et le Front révolutionnaire soudanais, coalition de neuf organisations politiques armées actives dans diverses parties du pays, et notamment dans les zones de conflit du Nil bleu, du Darfour et du Kordofan du Sud. Plusieurs groupes armés n’ont pas souscrit à cet accord. Au Darfour, la faction Abdul Wahid Al Nur du Mouvement/Armée de libération du Soudan a refusé de participer aux pourparlers de paix. De même, aucun accord n’a été conclu avec le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord, qui contrôlait des secteurs du Kordofan du Sud et du Nil bleu.

Droits des femmes et des filles

Le gouvernement a pris des mesures destinées à améliorer la protection des droits des femmes et des filles. Il a adopté en juin un plan d’action national visant à mettre en œuvre la Résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité, qui définissait un certain nombre de lignes directrices en matière de lutte contre les violences liées au genre dans le cadre des conflits armés et de participation des femmes aux processus de paix.

En juillet, il a mis en place une loi sanctionnant pénalement la pratique des mutilations génitales féminines.

Recours excessif à la force

En septembre, la police a eu recours à des tirs à balles réelles pour disperser des manifestant·e·s à Nertiti, une localité du Darfour central. Deux personnes ont été tuées et quatre autres blessées. Les manifestant·e·s entendaient protester contre l’incapacité des autorités à protéger les civil·e·s, après une attaque menée contre la population locale par des assaillants non identifiés, qui avaient tué une adolescente de 14 ans et un jeune homme de 24 ans. La Commission de sécurité du Darfour central a promis d’enquêter sur ces événements. Aucune nouvelle information n’avait filtré concernant cette enquête à la fin de l’année.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

La commission d’enquête nationale mise en place pour enquêter sur les événements qui avaient fait de nombreux morts et blessés lors d’une manifestation le 3 juin 2019 n’avait pas rendu ses conclusions à la fin de l’année. Ce jour-là, des membres des Forces d’appui rapide et d’autres unités des forces de sécurité avaient ouvert le feu sur des manifestant·e·s pacifiques, devant le quartier général de l’armée, à Khartoum. La répression avait fait au moins 100 morts et 700 blessés. Bon nombre de rescapé·e·s et de proches des victimes doutaient que la commission d’enquête puisse leur apporter justice et réparation.

Le gouvernement a annoncé en février que l’ancien chef de l’État, Omar el Béchir, devait être traduit devant la CPI pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide perpétrés au Darfour. La CPI avait émis des mandats d’arrêt à l’encontre d’Omar el Béchir en 2009 et 2010. Elle avait également émis des mandats d’arrêt contre Ahmad Harun (en 2007) et Abdel Raheem Muhammad Hussein (en 2012), deux autres dignitaires du parti du Congrès national, la formation au pouvoir sous le règne d’Omar el Béchir. Le gouvernement de transition ne s’était cependant toujours pas acquitté de l’obligation qui était la sienne de remettre ces hommes au tribunal de La Haye. Le Soudan n’avait par ailleurs toujours pas ratifié le Statut de Rome de la CPI.

En juin, Ali Muhammad Ali Abd Al Rahman (également connu sous le nom d’Ali Kushayb), ancien haut responsable des milices Janjawids, s’est rendu à la CPI pour y répondre d’accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés au Darfour.

Torture et autres mauvais traitements

Malgré l’usage généralisé de la torture dans le pays au cours des 30 dernières années, le gouvernement n’a pas ratifié la Convention des Nations unies contre la torture.

Il a cependant mis en place, en juillet, des réformes juridiques destinées à garantir certains droits. Il a abrogé diverses dispositions du Code pénal de 1991, notamment celles qui prévoyaient des peines de flagellation et d’autres châtiments corporels pour un certain nombre d’infractions, et il a présenté un projet de loi visant à dépénaliser l’apostasie.

Détention arbitraire

Au moins 40 personnes, dont des militant·e·s d’opposition et des membres de l’ancien régime, se trouvaient toujours en détention arbitraire.

Muammar Musa Mohammed Elgarari, militant d’opposition et dirigeant du Mouvement pour l’avenir, a été arrêté le 2 juin à Khartoum. Il lui était reproché d’avoir harcelé des membres de la Commission de démantèlement. Cette Commission avait été mise en place pour dissoudre le parti du Congrès national et saisir ses biens. À la fin de l’année, Muammar Musa Mohammed Elgarari était toujours détenu sans inculpation dans un poste de police du nord de Khartoum.

Au moins 40 responsables et membres éminents du parti du Congrès national, détenus sans inculpation depuis 14 mois, ont finalement été inculpés et traduits devant un tribunal pénal spécial en juillet. Arrêtés au lendemain du coup d’État militaire de 2019, ils avaient été placés en détention à la prison de Kober. Le procureur général a annoncé en juin que cinq affaires au moins, concernant notamment des personnes soupçonnées d’être responsables de graves violations des droits humains commises sous le régime d’Omar el Béchir, allaient être déférées aux tribunaux dans les semaines suivantes. Le premier procès s’est ouvert le 21 juillet. Il portait sur le coup d’État militaire de 1989, qui avait porté Omar el Béchir au pouvoir. Il était toujours en cours à la fin de l’année.

Droits économiques, sociaux et culturels

Des membres du personnel médical, dont des médecins, ont été agressés physiquement et verbalement par des patient·e·s ou leurs proches, qui leur reprochaient la mauvaise gestion de la pandémie de COVID-19 par les pouvoirs publics1. Le Comité central des médecins soudanais a indiqué en mai que 28 agressions contre le personnel soignant avaient été recensées depuis le mois de mars. Le gouvernement a adopté en juin une loi destinée à protéger les professionnel·le·s de la santé et a déployé des forces de sécurité spécialement chargées d’empêcher que de nouvelles agressions ne se produisent.

Les autorités ont décrété un confinement 24 heures sur 24 à Khartoum du 18 avril au début du mois de juin. Les habitant·e·s avaient toutefois le droit de sortir pour faire des achats de première nécessité. Il a été très difficile à des milliers de personnes travaillant dans le secteur informel de gagner leur vie, les déplacements entre les différents États étant limités. Les mesures prises ont mis certains droits humains en péril, notamment les droits à l’alimentation, à la santé, à l’eau et à l’assainissement des populations marginalisées et victimes de discriminations, comme les personnes déplacées, les réfugié·e·s, les migrant·e·s, les femmes ou encore les enfants. L’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Soudan [ONU] a déclaré au mois de septembre que 9,3 millions de personnes avaient besoin d’aide humanitaire, contre 5,2 millions en 2015.

Droit à la santé

La pandémie de COVID-19 a mis en évidence le sous-investissement chronique dont souffrait le système de santé public soudanais. Les hôpitaux manquaient de matériel essentiel, notamment d’équipements de protection individuelle et de respirateurs.

Homicides illégaux

Le Darfour, le Kordofan du Sud et l’est du Soudan étaient toujours en proie aux violences. Les violences intercommunautaires ont donné lieu à des homicides illégaux, des violences sexuelles, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi qu’à des destructions de biens. Des villages ont été pillés et incendiés. Au moins 20 cas de violences de ce type avaient été signalés à la fin de l’année. Les forces de sécurité et le gouvernement ont failli de manière répétée à leur devoir d’assurer la protection de la population civile ou d’intervenir à temps pour empêcher l’escalade des affrontements et des atteintes aux droits fondamentaux.

Le 21 avril, les habitant·e·s du village de Bol Jimeil, au nord-est de Zalingei, dans le Darfour central, ont été attaqués par des miliciens d’un groupe ethnique voisin, les Rizeigats, une tribu nomade arabe. Selon des témoignages, certains des agresseurs portaient un uniforme militaire. Deux personnes ont été tuées et 14 autres blessées. Au moins 18 maisons ont été réduites en cendres et plus de 400 familles auraient été provisoirement déplacées2.

Dix manifestant·e·s ont été tués le 13 juillet dans le camp pour personnes déplacées de Fata Borno, dans le Darfour du Nord, lors d’une attaque menée par une milice armée réputée proche des forces de sécurité régulières. L’attaque s’est produite alors que les manifestant·e·s s’étaient pacifiquement mobilisés, organisant un sit-in pour le huitième jour consécutif afin de réclamer, entre autres, davantage de sécurité, la protection de leurs récoltes face aux incursions des milices et d’autres groupes armés, et le limogeage des responsables des pouvoirs publics proches de l’ancien régime3.

Le 25 juillet, une soixantaine de personnes au moins appartenant au groupe ethnique masalit ont été tuées et plus de 54 autres ont été blessées lors d’une attaque menée en représailles par un groupe armé contre le village de Masterei et ses environs, dans le Darfour de l’Ouest. Les autorités soudanaises ne sont pas intervenues pour empêcher ce massacre, qui a duré plusieurs heures. Elles ont annoncé qu’elles allaient enquêter sur cette attaque, mais aucune conclusion n’avait été rendue publique à la fin de l’année.

1Exposé, réduit au silence, agressé. Le personnel de santé et des autres secteurs essentiels confronté à un manque de protection criant en pleine pandémie de COVID-19 (POL 40/2572/2020)
2Sudan : UN and AU must prioritize protection of civilians in Darfur (AFR 54/2351/2020)
3« Soudan. Il faut enquêter sans délai sur la mort de manifestant·e·s à Fata Borno » (communiqué de presse, 14 juillet)

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